Musique au temps des Lumières dans les Hautes et Basses Terres Moraves


Eric Baude commente le dernier enregistrement de l'Ensemble Philidor, consacré à la mise en valeur du répertoire classique morave. Un CD Arco Diva réf. UP 0096-2 131.

CD Philidor


Le programme de cet enregistrement (ne) donne (qu’) un (tout) petit aperçu géographique et historique de la densité de la vie musicale en Moravie à la fin du 18ème et au tout début du 19ème siècles.

Les six œuvres choisies, toutes inédites à l’exception de la Partita de František Kramář-Krommer (1759-1831), dans la tonalité plutôt inhabituelle de do mineur (1), appartiennent au répertoire pour petite harmonie ou ensemble à vent. Quatre d’entre elles sont écrites pour un sextuor à vent, formation de chambre parmi  les plus anciennes et les plus répandues sur le territoire morave c’est à dire avec un effectif  de 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons. Une cinquième pièce ne requiert que deux bassons. La sixième et dernière fait appel à un effectif original composé d’un tuba pastoral, instrument traditionnel auquel viennent se joindre 2 clarinettes, 1 cor et 2 bassons  soit cinq des six instruments du sextuor classique.
 
Ce programme traverse la foisonnante  période artistique et philosophique des « Lumières » dans les Hautes et Basses Terres Moraves. Les œuvres qui le composent sont de caractères variés. Elles proviennent des collections de trois des plus  importants châteaux moraves :

1) Kroměříž en Hanaquie (Moravie du Nord Est), une des résidences préférées des princes archevêques d’Olomouc et haut-lieu de la culture et de  musique des époques  baroque et classique (2).
 2) Naměšť nad  Oslavou (à l’Ouest de Brno), longtemps la propriété et la résidence d’été de la famille mélomane Haugvic (ou Haugwitz) (3).
 3) Stražnice  en Basse Moravie du Sud-Est qui connut un exceptionnel essor culturel musical  avec le comte et mécène František Antonín Magnis (1773-1848).

C’est à Kroměříž, dans les archives du château, que l’on rencontre les sources les plus anciennes concernant la présence en Moravie d’une formation d’instruments à vent (hautbois, clarinettes, ou cor anglais, cors, bassons) similaire à celle de cette enregistrement. Cette présence remonte, selon ces sources, aux années 1750, lors du règne du  prince évêque  Leopold Egk (1758-1760). Sa chapelle musicale se consacre alors, sous la direction du compositeur et maître de chapelle (Franz) Anton Neumann (entre 1720 et 1730-1776) exclusivement et intensément à la musique instrumentale préclassique. L’inventaire de la succession du prince évêque L. Egk mentionne entre autres œuvres pour ensemble à vent 18 Parthien pour 2 clarinettes, 2 cors et basson sans en préciser le nom des auteurs.

L’étonnante précocité de ces sources concernant l’établissement d’ensembles à vent au service de l’aristocratie permet d’affirmer que ce pays morave a sans doute été en partie à l’origine de la reconnaissance et de la diffusion de ce répertoire spécifique dans le reste de l’empire autrichien dès l’époque pré-classique.

L’effervescence musicale particulière qui règne en Moravie, depuis ces années, autour des instruments à vent est soutenue  à  Kroměříž et plus tardivement et brièvement à Naměšť nad Oslavou et Stražnice, par un contexte local en général propice aux arts et à la musique, par les sensibilités artistiques des évêques et des archevêques  successifs, par des membres de la famille Haugwitz comme Jindřich Vilém Haugwitz (1770-1842), admirateur enthousiaste des oratorios et des opéras de Händel et Glück, propagateur du classicisme viennois en Moravie et qui entretint des relations avec Joseph Haydn, Antonio Salieri et son fils Karel Josef Vilém Haugwitz (1797-1874), lui-même harpiste et compositeur dans leur résidence de Naměšť nad Oslavou. Cette effervescence s’appuie également sur le savoir-faire d’instrumentistes à vent recrutés soit dans un environnement social et géographique proches, soit la plupart du temps dans le reste des pays tchèques, « province » impériale dont la réputation de compétence d’une partie de  la population dans la pratique des instruments à vent n’avait pas attendu le passage et les commentaires élogieux du musicologue anglais Charles Burney pour être reconnue dans toute l’Europe. Il faut encore noter que la pratique ou l’apprentissage d’un instrument à vent était une condition courante de recrutement des domestiques au service d’une cour.

Un répertoire considérable

On trouve dans ces 3 importantes collections moraves non seulement des copies manuscrites d’œuvres originales pour sextuor à vent comme les plus anciennes copies des merveilleuses Partitas, Parthias, Feldparthie ou encore dénommées Divertimenti de Joseph Haydn, composées au tout début de sa carrière pendant son séjour en Bohême de l’ouest à Dolní Lukavice (4) chez le comte Karel Josef Franz Morzin (1717-1783),  des œuvres de compositeurs « locaux  ou étrangers, des pièces (Harmonie) pour octuor à vent. Sont encore conservées dans ces collections un assez grand nombre de transcriptions d’œuvres appartenant au répertoire lyrique viennois contemporain à succès (quelques opéras seria, de nombreux opéras buffa, de  ballets et de singspiels…), des transcriptions d’œuvres de musique de chambre de caractère léger à l’origine pour piano (variations…) ou quatuor à cordes, des réductions en sextuor d’œuvres nécessitant un effectif pour instruments à vent plus conséquent, à l’image des excellentes Partitas pour octuor à  vent et contrebasson de František Kramář-Krommer, des Divertimenti, des Sérénades et de la Gran Partita de Mozart. Ces collections contiennent enfin des réductions d’arrangements pour octuor à vent réalisés « sur place » ou par des  instrumentistes arrangeurs viennois  souvent eux-mêmes d’origine…tchèque ou morave.

Le catalogue pour ensemble à vent du Prince Archevêque d’Olomouc-Kroměříž  Maria Thaddäus von Trautmannsdorf-Weinberg (1811-1819), employeur de Václav Havel, recense 222 œuvres dont 175 appartenaient déjà à son prédécesseur. La place occupée par ces divers répertoires pour vents dans l’ensemble des collections musicales de ces résidences est à l’évidence bien loin d’être négligeable.

Le « prisme » morave

On peut considérer, de par son  contenu, que ce répertoire pour ensemble à vent donne à travers son  prisme morave, un panorama des musiques à la mode et au goût du public de ces époques, que ce répertoire est une sorte de miroir ou de baromètre de l’importance et de la longévité de la renommée et du succès des compositeurs classiques et préromantiques, sans doute tout autant que le sont les arrangements contemporains pour piano des mêmes œuvres.

Ce répertoire d’apparence éclectique d’œuvres pour ensemble à vent est, plus que tout autre, un répertoire de « circonstance », régi par de sévères contraintes comme l’espace, le temps, les moyens qui lui sont octroyés. Il est étroitement soumis aux conditions de vie et aux pratiques sociales de leur résidence d’appartenance, aux moyens financiers des aristocrates, moyens pouvant fréquemment et conséquemment fluctuer pour différents motifs à la fois internes et externes, familiaux, politiques, économiques, sociologiques (conflits, épidémies, catastrophes climatiques, etc.). Il s’agit enfin d’un répertoire, en général mais pas systématiquement, de plus en plus influencé par les modes en provenance de la proche capitale et de la cour impériales. Pour toutes ces raisons, on peut considérer comme un véritable petit miracle la pérennité et l’épanouissement de ce genre de musique en Moravie durant environ 70 années.

Sans doute l’ensemble à vent de cour est-il dans certains cas une des meilleures solutions au besoin de  présence et  de pratique musicale ponctuelle ou permanente dans les résidences aristocratiques moraves à cette époque. Il perdure parce qu’il répond peut-être mieux que tout autre formation aux différents critères d’exigence parfois contradictoires. Il s’adapte  avec souplesse aux différents contextes en  ne cessant d’évoluer durant toute son existence.

La présence d’ensembles à vent n’a pas été le monopole de l’aristocratie en résidence dans les territoires moraves. De nombreux couvents de Moravie intègrent également à leur système d’éducation l’apprentissage d’un instrument à vent ainsi que la pratique collective au sein d’une harmonie. Le couvent des Augustins de Brno, sous la direction de son abbé Cyril Napp (1792-1867) s’est particulièrement distingué dans cette pratique au sein de son système éducatif.

Joseph Haydn (1732-1809)
Parthia en mi bémol majeur Hob. II/B 7
Allegro-Menuetto Allegretto-Adagio-Finale Allegretto

La copie du manuscrit de cette Parthia de « jeunesse » en mi bémol majeur qui a servi pour  cet enregistrement est conservée dans un recueil non daté de XII Partie / del Sig. Mozart / et Vent /   pour deux clarinettes, deux cors et deux bassons de ou attribuées à W. A. Mozart, J. Haydn, J. M. Sperger (5), J. Vent (6) et J. Witasek (7) appartenant à la collection du prince archevêque M. T. von Trautmannsdorf-Weinberg  au château de Kroměříž. Il s’agit de la cinquième des XII Partie. La copie du manuscrit est des mains de Václav Havel et de son adjoint le clarinettiste Joseph Czuda. Une autre copie de l’œuvre est conservée dans la collection du couvent bénédictin de Rajhrad, dans les environs de Brno, autre lieu de pratique régulière du répertoire pour instruments à vent. Les deux versions  sont, dans l’ensemble, similaires dans l’écriture et  la notation de la dynamique à l’exception du dernier mouvement  un Allegro Scherzo à 2/4 pour la source provenant de Rajhrad et un Presto à 3/8 pour celle de Kroměříž. On trouve  cet Allegro Scherzo à 2/4 dans le recueil de XII Partie pour sextuor à vent conservé à Kroměříž  mais cette fois à la fin de la Parthia 4ta en si bémol majeur et également attribuée à Haydn.
L’œuvre, en quatre mouvements, pose encore un autre problème et non des moindres, celui de l’identification claire de l’auteur. Elle est aussi conservée dans une autre copie aux  Etats-Unis dans les archives de l’Eglise Morave et attribuée dans ce cas à Joseph Morris (1750-après 1790 ?). D’autres sources que nous n’avons pas vérifié, donnent le nom de  Mozart (K. C. 17.09) ce qui, au regard de l’écriture, nous semble peu probable. Il faut noter que les copies du couvent de Rajhrad et de  Kroměříž donne le même nom de Haydn comme auteur mais il se pourrait qu’elles proviennent de la même origine, tout en étant de deux mains bien distinctes. Celle de Kroměříž est, à notre avis, probablement la plus ancienne et  pourrait avoir servi de source à celle de Rajhrad.

Antonio Salieri (1750-1825)
Armonia per un Tempio della Notte
Andante un poco sostenuto

Il s’agit en fait de la seule pièce qui ne soit pas conservée dans des archives moraves (8). Toutefois plusieurs raisons nous ont incité à insérer cette œuvre en mi bémol majeur au caractère solennel et dans ce programme comme la relation d’amitié qu’entretenaient le compositeur italien et Jindřich Vilém Haugwitz, les séjours d’Antonio Salieri à l’invitation du comte dans sa résidence de Naměšť nad Oslavou. Elle pourrait avoir été jouée lors de l’une des visites du compositeur en terre morave par des musiciens du comte Haugvic. L’œuvre est datée de 1794, elle a été composée à Vienne et dédiée au baron von Braun, intendant des théâtres de la cour impériale. La structure de la pièce, son instrumentation, sa tonalité de mi bémol majeur et son titre ne laissent peser aucun doute sur sa destination et son utilisation pour une cérémonie maçonnique. Le baron von Braun aimait à organiser des réunions maçonniques nocturnes dans sa propriété de Schönau dans les environs de Vienne. Le poco lento central est réutilisé par A. Salieri dans son opéra Palmira (1795), basé lui-même sur  un autre de ses ouvrages lyriques La princesse de Babylone (1791).

W. A. Mozart (1756-1791)
Gran Partita K. 361
Adagio, Allegro, Adagio [Romance]-Minuetto [Menuet II]-Variatzione [Tema con Variazioni]-Rondo Allegro [Finale]

Avec la Gran Partita de Mozart, rien ne semble simple, comme si l’œuvre, dès sa composition (Vienne entre 1782-1784 ?) dont la date précise est encore sujette à différentes hypothèses et sa première (?) exécution partielle lors d’une académie au Burgtheater de quatre des sept mouvements le 23 mars 1784, avait été entourée d’un halo de mystère. Son « appellation », son instrumentation sont uniques dans le répertoire pour  ensemble d’instruments à vent. Serait-elle le cadeau de mariage de Mozart à Constance ? Cette œuvre ésotérique fait l’objet, à juste titre, d’un véritable culte. Dvořák n’écrit-il pas sa touchante Sérénade opus 44 en ré mineur pour vents et cordes au retour d’un concert à Vienne où il a pu découvrir et en écouter 3 des 7 mouvements ?

La version  conservée dans les archives du château de Kroměříž est la seule transcription à notre connaissance actuelle réalisée pour un sextuor à vent. Seuls quatre des sept mouvements (les quatre derniers mais disposés dans l’ordre suivant 5, 4, 6, 7) ont été transcrits par Václav Havel. Une copie manuscrite de cette arrangement est conservée dans les 6 recueils (parties séparées) de XXIV Parthien Del Sig : Krommer et Pleyel Nro V et appartenant à la collection du prince archevêque d’Olomouc-Kroměříž Maria Thaddäus von Trautmannsdorf-Weinberg (1761-1819)». Le nom de Mozart n’apparaît donc pas sur la couverture du recueil. La partie de Fagotto Secundo porte à la fin du 3ème mouvement de la dernière Parthia  la mention de la main de V. Havel Fine dne 12/3 [1]806. On peut, d’après cette information, dater la transcription des années pré-Kroměříž 1805-1806.

Il n’a pas été possible d’identifier avec certitude la ou les sources dont s’est servi Václav Havel, le responsable de l’harmonie archi-épiscopale, pour réaliser sa transcription mais il n’est pas impossible qu’il n’ait pas eu d’autres choix, pour son travail d’arrangement, que de consulter les parties séparées de l’une des versions arrangées pour octuor de la Gran Partita comme par exemple celle d’origine viennoise et anonyme, conservée au Département de Musique du Klementinum de Prague  (Bibliothèque Nationale) et qui semble antérieure à 1799.

Nous avons respecté l’intégralité du travail de transcription de V. Havel dans cet enregistrement y compris l’ordre des mouvements mais avons par contre choisi de nous référer aux articulations originales soigneusement notées par Mozart sur son manuscrit.  

Wolfgang Amadeus Mozart-Gottfried Rieger (1764-1865)
Marche de cérémonie de La Clemenza di Tito K. 621

L’arrangement pour sextuor à vent de la marche de cérémonie de l’Opéra seria de Mozart, donné à Prague en septembre 1791 pour le couronnement de Léopold II est du au musicien morave d’origine silésienne Gottfried Rieger qui fut le Maître de Chapelle du comte Jindřich Vilém Haugvic  dans sa résidence de Naměšť nad Oslavou de 1804 à 1808. Avant d’entrer au service de cette famille de mélomanes, G. Rieger occupe la place de chef d’orchestre du Théâtre de Brno, place qu’il laisse à son départ pour le château de Naměšť nad Oslavou à   Joseph Triebensee (1760-1846). Au bout de quatre ans, Rieger, pour des raisons inconnues (peut-être s’est-il disputé avec son employeur ?) retourne à Brno ou il  consacre le reste de sa vie à la diffusion d’oratorio et à la pédagogie.
    
Jindřich Vilém Haugvic est un aristocrate éclairé passionné de musique, en particulier d’oratorios et d’opéras, une passion qu’il partage avec sa femme la belle comtesse Sophie Haugvicová (1769-1835). Un Théâtre est construit en 1800. Les activités musicales iront croissantes  dans sa résidence jusqu’en 1825 et même les conflits napoléoniens et les proches affrontements avec la France n’auront guère d’influence sur elles. Parmi les compositeurs au répertoire de la chapelle musicale formée d’instituteurs et de leurs assistants des villages voisins auxquels se joignent quelques employés du comte, se rencontrent les noms de Caldara, Händel, Glück, Mozart, Salieri, Cherubini, Rieger…
C’est pour l’ensemble d’instruments à vent de la chapelle musicale que Rieger compose et transcrit une douzaine de pièces dont l’arrangement de l’ouverture et cinq mouvements de La Clemenza di Tito.

63 des 77 pièces pour ce type de formation mentionnées dans un inventaire musical du château à la rubrique Pièces d’harmonie ont été conservées. La proximité du répertoire de l’harmonie du château de Naměšť nad Oslavou avec celui de l’ensemble à vent de Kroměříž mérite une attention particulière.

Václav Havel (env. 1778-après 1826)
Allegro ut Pastorela

L’Allegro ut Pastorela ou, selon les parties séparées, La Pastorella / allegretto appartient encore une fois à la collection du prince archevêque d’Olomouc-Kroměříž Maria Thaddäus von Trautmannsdorf-Weinberg.

Avant d’occuper cette importante fonction de 1811 à sa mort à Baden en 1819, M. T. von Trautmannsdorf-Weinberg, originaire de Styrie, est d’abord très brièvement évêque de Trieste puis du diocèse de Hradec Králové en Bohême du Nord-Est. Son successeur aux fonctions d’archevêque d’Olomouc ne sera autre que le protecteur de Beethoven Rudolph von Habsburg (1788-1831). M. T. von Trautmannsdorf-Weinberg est un érudit, bibliophile averti, adepte  au début de sa carrière, des réformes de Joseph II, passionné de pédagogie. Il entretient dès son arrivée à Hradec Králové un ensemble à vent et engage Václav Havel, d’origine pragoise, comme domestique/musicien probablement vers 1803. V. Havel restera son employé jusqu’à sa mort puis passe au service de R. von Habsburg. On ne trouve dans les archives toutefois aucune mention officielle du statut de musicien qu’aurait pu occuper V. Havel auprès du nouvel et prestigieux archevêque mélomane.
  
Comme la couverture du manuscrit l’indique l’œuvre est datée du 21 janvier 1806 et signée par le compositeur. Elle date donc comme la transcription de la Gran Partita de la période d’avant Kroměříž. L’utilisation exceptionnelle d’un tuba pastoralis s’expliquer par la vitalité des musiques populaires en Bohême et Moravie dès cette époque ainsi que par le contexte géographique et la proximité des montagnes du Nord Est de la Bohême (les monts Orlík ou monts des Aigles) où les bergers devaient utiliser ce type d’instrument pour communiquer entre eux. L’instrument traditionnel joué dans ce programme est accordé en si bémol.

 L’Allegretto in ut Pastoralis est une petite pièce sans aucune prétention musicale mais d’une naïveté touchante de par ses tonalités pastorales, son caractère jovial, son lien avec le contexte ethno-musicographique ainsi que par le mélange des timbres des bois et des cuivres avec les harmoniques et les couleurs de l’instrument traditionnel. C’est, à mon avis, l’exemple même de pièce de circonstance, qui doit de préférence s’interpréter avec un accompagnement sur des instruments d’époque. D’autres œuvres du même caractère, arrangées ou composées par V. Havel et d’autres compositeurs sont conservées dans les archives du château de Kroměříž.

František (Frančišek) Braňka (Moravie, fin VXIIIème)
Cassatio in B
Marsch-Adagio-Allegro-Menuetto-Polonese-Finale

La Cassatio in B  provient de la collection du château de Stražnice. Elle est aujourdhui conservée, sous forme de copie datée de 1946 du docteur  Antonín Němec dans les archives du Musée du Pays Morave à Brno aux côtés d’arrangements d’opéras pour la même formation.
C’est une petite suite de danses en forme d’aimable divertissement. Les six courts mouvements prennent l’allure d’une conversation galante et italianisante à deux bassons non dépourvue de théâtre, d’humour, de tendresse et de virtuosité.

Nous n’avons pas trouvé dans nos recherches d’information sur le compositeur mais il paraît vraisemblable qu’il puisse avoir été un des membres (bassoniste ?) de la chapelle musicale du  comte F. A. Magnis dans son château de Stražnice.

František Kramář-Krommer (1759-1831)
Partita en do mineur
Largo Allegro-Adagio-Rondo Allegro

Ce programme se conclue presque naturellement avec une partita pour sextuor à vent du compositeur morave František Kramář-Krommer. Tout comme Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) qui fut l’élève de Joseph Haydn, le morave F. Kramář-Krommer nous semble, par bien des aspects, l’héritier du maître d’Eisenstadt dans la musique pour ensemble à vent.  F. Kramář-Krommer est un maître incontesté dans ce domaine. Peut-être a t’il été lui-même instrumentiste à vent, hautboïste si l’on en croit une lettre de son compatriote morave et viennois d’adoption comme lui Pavel Vranický (1756-1808). Cet intérêt et cette facilité d’écriture pour les vents  pourrait au fonds expliquer paradoxalement le modeste intérêt manifesté encore aujourd’hui à l’égard de cet excellent compositeur et de  ses oeuvres. Il faut évidemment et impérativement savoir se pencher sur cette musique et l’écouter en s’éloignant du jugement sévère porté par certains grands musiciens romantiques à l’égard  de celle-ci si l’on veut en comprendre l’essence.

Pour enregistrer cette pièce nous nous sommes référer à deux sources manuscrites : l’une en provenance de Prague (Musée de la Musique tchèque) et ayant servi de base à une édition du clarinettiste Antonín Myslík pour les éditions Supraphon (1972), source en provenance du château de Kačina en Bohême, l’autre appartenant à la collection des princes-archevêques d’Olomouc- Kroměříž et copiée par  Václav Havel et son « assistant » Joseph Czuda (Čuda).

Le nom de Kramář-Krommer tout comme celui de Haydn et Mozart se rencontre souvent dans le répertoire pour ensemble à vent conservé dans les archives de la résidence archiépiscopale.

Cette partita en do mineur, tonalité inhabituelle dans la musique de chambre du compositeur morave, date des années 1800. En réalité seul le premier mouvement avec une introduction (Largo) au langage théâtralisé et contrasté puis un  Allegro à la  structure rythmique et mélodique foisonnante d’invention sont dans cette tonalité. F. Kramář-Krommer revient au serein mi bémol dès le deuxième mouvement (Adagio), dissipant les ombres tourmentées du do mineur. Il conclue par un final ternaire enlevé (Rondo) inspiré par la tradition des musiques de chasse. Ruptures cadentielles,  court épisode  dans le relatif mineur  (clin d’œil à la tonalité initiale), utilisation des procédés en écho sont quelques-unes des preuves de la vitalité et de l’efficacité de l’écriture krommerienne.   

Ensemble PhilidOr/ Eric Baude :
François Gillardot, clarinette à 5 clefs en si bémol copiée par Agnès Guéroult d’après un modèle de Theodor Lotz, vers 1790
Monica Arpino, clarinette à 5 clefs en si bémol copiée  par Ceccolini-Coppola d’après un modèle de Heinrich  Grenzer
Florent Maupetit, cor naturel, original fecit Marcel Raoux, 1810
Ermès Pecchenini, cor naturel, copié par Ewald Meinl d’après un modèle  bohémien de 1800 et tuba pastoral morave par Jan Kašpařík
François Charruyer, basson classique copié par Olivier Cottet d’après un modèle de Heinrich Grenzer, 1780
Alexandre Salles, basson classique, copié par Guntram Wolf d’après un modèle de Heinrich Grenzer, vers 1780

Enregistrement réalisé au diapason de 430Hz dans la Bibliothèque du château de Naměšť nad  Oslavou en Moravie du 20 au 22 septembre 2006.

Ensemble PhilidOr

L’Ensemble PhilidOr renouvelle l’extraordinaire tradition des ensembles d’instruments à vent des époques baroque et classique. Il a été fondé en 1992 à Tours, à l’initiative d’Eric Baude et de musiciens professionnels passionnés par la musique et les instruments à vent anciens. Ces musiciens ont à cœur de ressusciter et de régénérer un répertoire musical original, connu ou inédit, d’ouvrir de nouvelles perspectives d’interprétation de la musique ancienne et de faire partager et communiquer leur passion et leurs découvertes.

L’Ensemble PhilidOr présente chacun de ses programmes sur instruments à vent anciens ou copies rigoureuses d’instruments anciens. Dans un souci permanent d’authenticité et de mise en lumière des oeuvres, les musiciens se réfèrent aux plus récentes recherches menées par des musicologues et des facteurs sur l’interprétation, l’organologie et les styles de chacune des époques.

Eric Baude, musicologue, poursuit un important travail de recherche sur le répertoire pour ensemble à vent de l’époque des Lumières des pays de Bohême et de Moravie. Il assure la direction et la programmation artistique de l’Ensemble PhilidOr en collaboration avec chacun des musiciens.

L’Ensemble PhilidOr est invité dans les plus grands festivals de musique en France et à l’étranger. Ses enregistrements ont été particulièrement remarqués par la critique nationale et internationale.

Remerciements

L’Ensemble Philidor est particulièrement reconnaissant à Marek Buš, Conservateur en chef et à toute l’équipe du château de Naměšť nad Oslavou de  lui avoir offert les meilleures conditions de travail et d’enregistrement au sein de l’exceptionnelle bibliothèque du château. Nous sommes aussi très reconnaissants à Cyril Měsíc, Ondřej Nesiba, Antonín Lukáš des archives et Jiří Čermák du château de Kroměříž de leur vif intérêt et de leur enthousiasme pour nos recherches sur le patrimoine musical morave des Lumières. Nous adressons tous nos remerciements enthousiastes également à František Malý et au Département de musique du Musée du Pays Morave à Brno ainsi qu’à Jiří Sehnal  pour nous avoir aidé et éclairé judicieusement sur bien des aspects de ce patrimoine attachant. Jitka Havlová et Libor Chloupek de Brno, Bohumír Koukal d’Olomouc, sont également chaleureusement remerciés pour leur aide et leur amitié. Merci encore à Patrice Grange pour ses remarquables documents photographiques.

Nous remercions le Conseil Régional du Centre, Le Conseil Général d’Indre-et-Loire, La DRAC Centre et les autres partenaires du soutien attentif qu’ils apportent aux activités de notre ensemble.


Eric Baude, Tours et Brno octobre 2006.

Notes
1. L’œuvre de référence pour les instruments à vent dans cette tonalité est bien sur la Sérénade en ut mineur K. 388 de Mozart.
2. Le château de Kroměříž est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses exceptionnels jardins baroques réalisés  d’après les plans des architectes italiens et viennois d’adoption  Filiberto Luchese (1607-1666) et Giovanni Pietro Tencalla (1629-1702).
3. Le château fut la propriété de la famille Haugvic de  1752 à 1945.
4. Durant les  saisons estivales de 1759 et 1760.
5. Johann Matthias Sperger (1750-1812)
6. Jan Vent ou Johann Nepomuk Wendt (1745-1801), hautboïste et compositeur tchèque en poste à Vienne.
7. Jan Matyáš Nepomuk August Vitásek ou Witasek  (1770-1839)
8. Le manuscrit provient de la collection de musique de la Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne.