Citoliby, fragment du passé musical oublié (1)

Par Zdeněk Šesták, musicologue

Aujourd'hui, il est déjà hors de doute que, dans la géographie musicale des pays tchèques, une place d'honneur revient à Citoliby. Récemment encore, il en était tout à fait autrement car toute cette culture musicale intéressante des siècles passés, liée à cette localité, sans doute caractéristique et originale à sa manière, a été pour ainsi dire recouverte par la fuite du temps et est tombée dans un oubli complet. Il fallait des méthodes et des sondages profonds presque archéologiques pour soulever au moins un coin du voile enveloppant de secret ces riches activités artistiques et pour voir une culture musicale d'une intelligence toute particulière et, dans le courant rapide de l'histoire musicale tchèque du 18e siècle, vraiment unique et indépendante, d'un lieu qui était jadis un village de moins de soixante maisons, se trouvant tout près de la ville de Louny. La voie visant à rendre cette culture accessible, à l'introduire dans la pratique et dans la conscience des musiciens ainsi que des auditeurs, était extrêmement difficile et pleine d'obstacles. Comme si cette culture disparue s'opposait à être connue et se refusait à révéler son secret jalousement gardé. Arrivant aujourd'hui à Citoliby qui, depuis récemment, fait partie de Louny, chef-lieu de district, vous serez étonnés que, malgré l'injure du temps impitoyable, y laissant naturellement ses vestiges néfastes, et malgré le manque de compréhension et la négligence des gens, vous y trouvez encore assez de beaux restes de l'ancienne architecture ainsi que d'anciennes œuvres d'arts plastiques. Qu'il s'agisse de l'édifice du château avec un tronçon du jardin de château, de l'église Saint-Jacques avec des œuvres de maîtrise de Mathias Bernard Braun et Václav Vavřinec Reiner, des sculptures monumentales de Cronos et de la Jeunesse, de la gracieuse colonne de la sainte Trinité, des sculptures se rangeant parmi les plus belles statues de saint Procope et de saint Jean Népomucène à la campagne, de la colonne de la peste, de la cure, de l'ancienne école, du château d'eau, de l'ancienne forteresse, du bâtiment massif du grenier à blé, de la fontaine baroque, de la chapelle Sainte-Apolène ainsi que des restes de la faisanderie, jadis très étendue, avec un étang seigneurial au centre duquel il y avait un îlot charmant. Tout récemment encore, un vaste complexe de la brasserie baroque seigneuriale se dressait ici et sa masse remplissait, avec du sens de l'architecture, le centre de la place: Au printemps où les arbres revêtent la belle et riche verdure et, surtout, au début de l'été où une odeur fine émane des tilleuls touffus à vastes ramures prés de l'église, entourés d'abeilles bourdonnantes, vous avez tout de suite une impression qu'au moins pour un instant, le temps s'y est arrêté. L'allégorie sculpturale du temps, le Cronos bien connu de Citoliby, attribué à juste titre à personne de moins important que Mathias Bernard Braun (1684-1738) et se dressant dans sa monumentalité à proximité de l'église, semble concentrer en soi toutes les réflexions et méditations philosophiques sur la problématique du temps et sur sa fugacité...

Je m'étends à dessein sur l'architecture de Citoliby car on ne saurait expliquer son histoire musicale sans connaître à fond les œuvres d'arts plastiques créées, bien que vous n'y trouviez plus un des beaux complexes de sculptures charmantes du jardin du château - vous devriez vous rendre à Neuwaldegg à Vienne où il avait été transféré en 1907 par les Schwarzenberg, propriétaires d'époque de Citoliby. Comme si le baroque sculptural de Citoliby avait inspiré toute une série de musiciens de talent qui, vivant tout près de lui le connaissant intimement, semblaient livrer un combat artistique assidu avec tout ce qu'ils avaient chaque jour sous les yeux - bien que sous une autre forme et sur un autre plan artistiques.

Peut-être, c'est justement pour cette raison que les œuvres musicales de Citoliby comportent tant de sagesse, de maturité, de charme et même d'une beauté enivrant les sens - aussi bien que d'une invention étonnamment rare. On dirait que tout ce qui était créé ici même dans le domaine musical, s'appuyait sur un esprit intellectuel puissant, sur une personnalité forte qui dirigeait tout et l'orientait esthétiquement et qui, évidemment, comprenait parfaitement la musique. Etait-ce, probablement, un des membres de la famille des comtes Pachta de Rájov, possédant le domaine de Citoliby depuis les années vingt du 18e siècle, peut-être, Jan Jàchym Pachta (1676-1742) ou bien son fils Arnost Karel Pachta (1718-1803) sous le règne duquel une explosion véritable de talent, créateur de composition des musiciens locaux s'est produite à Citoliby? Cette idée s'avère vraisemblable déjà pour la simple raison que le frère d'Arnost Karel Pachta de Citoliby était le général Jan Josef Pachta qui avait invité à son palais de Prague Wolfgang Amadeus Mozart, ayant créé pour la chapelle de la famille Pachta, lors du carnaval de 1787, une suite de six danses allemandes et c'est aussi Mysliveček qui a attiré l'attention de Mozart sur lui lors de leur rencontre à l'hôpital de Munich. Les Pachta appartenaient à la noblesse éclairée, ils sympathisaient avec les idées franc-maçonnes et, en premier lieu, avaient un sens particulièrement développé, on dirait même un instinct, pour tout ce qui était de qualité dans la musique. Encore dans les années trente du 19e siècle, le neveu de Pachta de Citoliby a invité à son petit manoir à Pravonin en Bohême centrale personne de moins important que Richard Wagner, artiste débutant très jeune alors, de 19 ans ! Les Pachta ont pris leur part aussi à la fondation du Conservatoire de Prague en 1811 et, après le décès du comte Nostitz, le neveu d'Arnost Karel Pachta de Citoliby est devenu même président de l'Unité pour la promotion de la musique en Bohême. Sans doute, c'est un témoignage assez éloquent. On dirait que la vieille tradition de famille retentissait encore chez les Pachta car, à l'origine, ils étaient des instituteurs-chanteurs pratiquant quotidiennement la musique à Horsovsky Tyn, Klatovy, Kolin, Budyné...

Analysant les conditions permettant le développement favorable de la culture musicale de cette localité, nous devons rappeler aussi des connexités beaucoup plus vastes, surtout en relation avec le caractère culturel d'époque de la région. Un rôle important y était joué, apparemment, même par le fait que, vers la fin du 17° siècle, Citoliby - en tant que domaine - était pendant assez longtemps centre de la région de Zatec car c'est là que se trouvait la résidence du seigneur féodal ayant entre ses mains, en tant que représentant de la noblesse, l'administration de la région. C'est ce qui a non seulement amené la famille des comtes Schütz de Leopoldsheim, prédécesseurs des Pachta dans la possession de Citoliby, à édifier ce siège de province pour leur représentation, mais il en résultait, naturellement, même d'autres conséquences et liaisons, surtout dans la sphère artistique et culturelle. A ce propos, il convient de mentionner les liens importants avec la culture musicale de la ville voisine de Louny, culture qui pouvait s'appuyer, encore à cette époque-là, sur des traditions utiles et valables des confréries de lettrés, tchèque et latine, au sujet desquelles écrivait au 16e siècle avec de si grands éloges et en détail, le poète humaniste Rakocius Turciensis dans son œuvre «Descriptio urbis Lunae». Mais il y avait ici même des liens avec Zatec, chef-lieu régional, les étudiants du cercle de Louny faisaient leurs études aux lycées de piaristes et de jésuites à Slany et à Chomutov mettant tous les deux un grand accent sur la pratique de la musique dans la plus vaste mesure. Le chapelain des Pachta, Jan Josef Lohr (né en 1733), fils de la famille d'instituteurs-chanteurs vivant non loin à Slavetin, qui avait fait ses études au lycée de Slany avec le futur virtuose du violon et compositeur Antonín Kammel (1730 - 1788), élève de Tartini à Padoue, a été, sans doute, parfaitement instruit du point de vue musical. Et non seulement du point de vue musical. Si nous prenons en considération qu'à Slany, il avait pour maître le piariste très docte, l'historien Gelasius Dobner, nous pouvons parler d'une érudition intellectuelle approfondie de cet employé de Pachta à Citoliby. Et, comme il s'avère, justement de telles circonstances étaient, sans doute, très importantes. Je pense à la préparation et à la culture intellectuelles, capables de former un point de vue indépendant, bien qu'exprimé dans les limites de l'époque; c'est ce qui a mené aussi à une indépendance créatrice relative et à la capacité d'une orientation informée dans la sphère de la culture musicale.

Rappelons au moins brièvement que, dans cette région, même Christoph Willibald Gluck (1714-1787) trouvait à cette époque d’importantes impulsions artistiques lors du séjour de sa famille au château de Jaseri, tout près de l'atelier du sculpteur Johann Adam Dietz (mort en 1742), ce «Braun» de la Bohême du Nord. Dans la ville de Most sont nés non seulement Andreas Gassmann (1612-1675), un des prédécesseurs importants de Johann Sebastian Bach dans les compositions religieuses, mais aussi Florian Gassmann (1729-1774) qui a remplacé, plus tard, même Gluck dans sa fonction de compositeur de la cour viennoise. La musicalité de la région aux pieds des monts Métallifères se liait, en une symbiose très étroite, à la musicalité de la région le long de la rivière Ohre, l’élément ethnique allemand. La musicalité du couvent de cisterciens à Osek est, indubitablement, tout à fait exceptionnelle, les liens historiques de la région de Louny avec le couvent des bénédictins Porta apostolorum nous semblant déjà trop éloignés du point de vue chronologique. Le couvent de Postoloprty, distant de Citoliby de moins d'une heure de marche à pied par un chemin champêtre, détruit malheureusement et déraisonnablement, contre la volonté des chefs de troupes hussites, devait être à son époque un centre d'une culture extraordinaire. Des preuves en sont même des fresques gothiques murales dans plusieurs églises de la région, en particulier à Slavetin, non loin de là, prévôté de Postoloprty en ces temps très reculés qui, cependant, nous sont toujours encore proches dans le domaine de l'art. Néanmoins, Citoliby avait des contacts aussi avec la culture du couvent augustinien de Rocov. La proximité immédiate même et le fait que pendant de longues années, jusqu'à la création de sa propre administration sous les Pachta en 1728, le domaine de Citoliby était soumis, du point de vue spirituel, à ce couvent par lequel sont passées toute une série de personnalités intéressantes, avaient aussi leur importance historique culturelle.

La guerre de Trente Ans a causé, surtout dans la région de Zatec, de nombreux dégâts. Le domaine de Citoliby a été gravement endommagé lui aussi et, dans le village de Citoliby, ne sont restés, après les souffrances de la guerre, que quelques rares paysans végétant, d'après les témoignages des chroniqueurs, dans des fermes abandonnées et détruites, embroussaillées par des sureaux. L'église a été démolie, la tombe de la famille Hruska de Brezno a été pillée par la soldatesque, les dépouilles mortelles ont été profanées... Il est difficilement compréhensible comment, après une telle dévastation et destruction générale, cette localité ait pu non seulement se relever, mais encore qu'une culture musicale d'un niveau aussi élevé et d'une si grande valeur artistique ait pu s'y développer dans un si bref délai de temps. Certes, cette constatation est symptomatique pour la vie de la nation qui, même après les souffrances les plus horribles et, en plus, dans une situation où la direction des affaires publiques passait entre les mains des étrangers agressifs et exploitant sans merci, a développé - devinant seulement et, peut-être, se rendant compte encore très timidement de la nécessité e sauvegarder son existence intellectuelle - ses meilleures forces et a commencé à «se défendre», pour l'instant seulement d'instinct, contre la dégradation générale. L'attitude très claire et nette du patriotisme dans l'esprit de Balbin auquel on refusait, pendant une période incroyablement longue, la possibilité de publication, ne résultait pas, évidemment, des réflexions abstraites d'un individu isolé. Sans doute, elle valorisait et généralisait les opinions se répandant alors en Bohême et discutées, aussi plus tard, parmi les lettrés qui, malgré toute la complexité de leurs attitudes idéologiques, se rendaient compte même de la valeur de la création artistique pour l’existence de la communauté nationale. La musique au plus vaste sens du mot et de la notion ne pouvait être éliminée du tout de ce processus, et il était indifférent si l'auteur tchèque créait sur un texte latin. Il importait que le compositeur tchèque soit capable de créer des œuvres musicales de valeur pour pouvoir entrer avec elles en un combat imaginaire et, pourtant, si réel, pour la conscience de soi à l'époque de la germanisation générale et centralisée. En fait, c’était une sorte de première étape du processus dans lequel la nation devait prendre conscience de soi, étape qui se déroulait, apparemment, sur une base « cosmopolite ». Et, dans ce sens, la musique tchèque du 18e siècle n’a déçu ni devant la communauté de son pays, ni devant le monde. La dialectique de cette réalité est très compliquée et on ne doit pas l'aborder avec indifférence, surtout en se rendant compte qu'en fait, il s'agissait de la création d'une base musicale artistique sur laquelle on pouvait édifier au 19e siècle, à l'époque de l'idéal esthétique romantique, , une musique vraiment nationale. Sans ce maillon important, conçu et développé à tous les points de vue d'une manière artistique approfondie, les créateurs de la musique nationale tchèque auraient eu de la peine à créer un ouvrage si magnifique.

Cette anthologie de l'ancienne musique de Citoliby du 18e siècle a donc pour but de montrer, par la musique d'une étape tout à fait concrète de notre passé, le degré intellectuel particulièrement élevé d'indépendance et d’originalité de la pensée, conditionnées - certes - par l'époque de leur manifestation, qui s'est développé dans une localité apparemment (mais seulement en apparence !) petite de la campagne tchèque, pour mieux dire, dans un village.

Dans son ensemble, l'œuvre des compositeurs de Citoliby du 18e siècle semble répondre à cette problématique. Les efforts de tous ces créateurs, pleinement fondés du point de vue artistique et parfaitement informés, tendaient non seulement à leur propre expression créatrice, mais envisageaient leurs sens et but également dans la création d'une culture musicale qui serait capable d'enrichir, par des formes artistiques du plus haut degré, la vie de la localité et d'y répandre le sentiment de la beauté. A cette époque socialement compliquée et contradictoire, la tâche dont la musique se chargeait dans un lieu aussi reculé, n'était pas du tout insignifiante. C'était même un plein accomplissement de sa fonction sociale. N’oublions pas qu'à cette époque; l'église de campagne était souvent le seul lieu où de larges souches du peuple pouvaient entendre une musique de hautes qualités artistiques. Sans doute, les créateurs de Citoliby comprenaient bien cette mission de l'éducation esthétique du peuple et la réalisaient dans une pleine ampleur dans la pratique quotidienne. Étant fiers, à juste titre, que les Pragois ont accueilli l'œuvre de Mozart avec de si grandes sympathies, nous devons chercher les racines de cette compréhension dans la formation systématique de ce genre et dans la «discussion» réciproque entre les créateurs et les auditeurs, comme c'était le cas à Citoliby.

Ce qui a été créé dans le milieu musical de Citoliby au 18e siècle nous donne le plein droit de parler d'une école de compositeurs de Citoliby. N’ayons pas peur d'appeler ainsi la création des artistes musiciens locaux. Comme un des représentants importants de ce milieu de compositeurs de campagne on considère avant tout Václav Jan Kopřiva (1708-1789). Ce fils d'un meunier du petit village de Brloh, situé tout près de Citoliby, instituteur-chanteur de l'école de Citoliby et auteur de toute une série de compositions d'église remarquables, représente - dans la musique tchèque de cette période - un type créateur d'un art très original et spécifique, différant de manière assez prégnante, par son profil de compositeur, de ses contemporains. Sa musique se distingue toujours par quelque chose de rectiligne, on dirait nettement pointé, se développant sur le fond de la diction pathétique postbaroque qui s'approche parfois même de la splendeur vivaldienne et se mélange souvent à toute une série d'idiomes mélodiques et rythmiques charmants, dérivés de la sphère d'intonation des chansons et des danses folkloriques tchèques. Dans la composition et dans le jeu de l'orgue, Václav Jan Kopřiva était élève de l'excellent organiste de Prague à l'église Saint-François des Pères Croisiers, maître de philosophie František Josef Dollhopf (mort en 1743), natif de Tachov. Sans doute, ce sera la clef de son style de compositeur original ainsi que de son orientation artistique car les Pères Croisiers de Prague à l'étoile rouge, faisant de manière intense des oratorios, étaient renommés pour leur culture musicale ainsi que pour leurs liens avec les principaux centres musicaux européens. Néanmoins, on ne doit exclure ni l'hypothèse que Václav Jan Kopřiva pouvait s'instruire dans la musique aussi en tant qu'enfant de chœur et élève de ce monastère, connu d'ailleurs par le fait que, même plus tard, beaucoup de talents musicaux tchèques y ont gagné leur instruction. Mais il est certain qu'en tant que jeune musicien, Václav Jan Kopřiva déployait ses activités - d'après sa constatation dans sa lettre au margrave de Bade à l'occasion du concours pour le poste de recteur à Lovosice - lors de son séjour à Prague au palais des Pachta, et cela à l'époque où s'y trouvaient aussi le violoniste et le compositeur, contemporain de Kopřiva, le jeune Jiří Cart (1708- après 1778), encore avant son départ avec František Benda (1709-1786) pour se mettre aux services musicaux en Pologne. Aujourd'hui, nous n'avons pas une claire idée de la manière de composer de František Josef Dollhopf, successeur comme organiste de Jan Adam Bessnecker (mort en 1721), professeur à la Faculté de droit, ayant exercé trois fois la fonction académique de doyen et deux fois celle de recteur de l'Université de Prague. Le tronçon très restreint qui s'est conservé de des traits d'une marche nettement rythmée, ce qui j nous expliquerait, d'une manière vraiment suffisante, la griffe et le dynamisme du contrepoint de Kopřiva, réalisé pour la plupart dans des structures pas trop compliquées, formulées rationnellement et s'appuyant souvent - dans des parties fuguées - sur une polyphonie avec des contre-sujets continuels. Cette manière de travail comporte quelque chose de rustique et de lapidaire, fermement concis et, dans des contours marqués de l'élaboration vocale, même de sculptural.

Les œuvres de Kopřiva sont empreintes d'une musicalité rare et d'un sens fin de la mesure de la forme. C'est ce qu'on peut constater même dans son Offertorium in D (en ré majeur) de Sancte Joanne Baptista «Vox clamantis in deserto» avec une quasi-fugue de clôture, attirant par sa tectonique et musicalement convaincante. Certes, l'œuvre exprime également le fait que dans les pays tchèques on avait de grandes sympathies pour saint Jean-Baptiste, sympathies résultant aussi de la compassion populaire avec le sort injuste et amer de ce saint légendaire dont la tête a été sacrifiée pour le caprice momentané d'une danseuse. Mais Kopřiva a conçu cette œuvre comme une célébration jubilante du saint, avec une vision de clôture passionnée de la patrie céleste («Duc nos ad coelorum atria in coelesti patria»). Le même patriotisme très solennel et pathétiquement agité retentit dans l'offertorium ex D (en ré majeur) de Sanctissima Trinitate «Te Trinitas beata» de Kopřiva. L'œuvre a été créée pour une occasion vraiment locale car les fêtes patronales, dominées plastiquement par la colonne impressionnante de la sainte Trinité, se dressant à la place de Citoliby, offraient une riche application de la musique. L'œuvre est esquissée avec souveraineté, on dirait en un raccourci, en un rythme ferme et joyeux d’allégro, caractéristique justement pour le langage musical de Kopřiva. Par son contenu musical cet allegro vocal-instrumental diffère de ceux que nous connaissons, p. ex., des œuvres des contemporains de Kopřiva, des compositeurs un peu plus âgés Šimon Brixi (1693-1735) ou Jan Zach (1699 - 1773) ou bien de František Xaver Brixi (1732-1771), qui était plus jeune, et d'autres créateurs tchèques. Sur le fond de cette musique on remarque clairement que le compositeur connaissait l'esprit vivaldien de l'atmosphère d'intonation italienne, plutôt que la sphère de composition d'Antonio Caldara (1670-1736), Vénitien installé à Vienne, ou bien du compositeur de la cour Johann Joseph Fux (1660-1741) dont l'œuvre, surtout théorique, a influencé certains créateurs chez nous, notamment après la réalisation de son opéra aux fêtes du couronnement à Prague en 1723. Evidemment, Kopřiva suivait une autre voie qui lui semblait, peut-être, plus vitale et plus convenable pour s'assimiler à la pensée musicale tchèque et à l'imagination tchèque.

Rorate coeli de Kopřiva ou bien un de ses plus beaux actes créateurs, les litanies de Lorette, comprennent beaucoup de musique charmante. Cette dernière œuvre est empreinte de parties d'arias d'une belle invention et, parfois, saisissantes, prouvant la capacité de l'auteur de s'exprimer de manière convaincante, même dans le cantabile étonnant par la variété et par la profondeur de la conception créatrice. Václav Jan Kopřiva a créé une belle musique de valeur surtout dans ses compositions de Noël. Les œuvres, telles que l'offertorium pastorale ex A (en la majeur) «Huc ad regem pastorum» et, surtout, la Missa pastoralis in D (en ré majeur) tchèque-latine, montrent le mieux à quel point ce créateur était proche non seulement des racines de la musique tchèque, mais aussi des simples participants aux rassemblements d'église. La période de Noël était un facteur d'inspiration très fort même chez ce compositeur qui y trouvait, sans doute, une grande possibilité de communiquer sur la plus vaste échelle possible avec les auditeurs de sa musique. Il convient de rappeler que même dans ces œuvres, l'auteur ne s'offre pas par des tons bon marché du genre des impressions en couleurs et n'abandonne pas son opinion artistiques; malgré cela, ou bien justement pour cette raison ces œuvres comportent une éthique et une pureté sans pareilles, liant l'émotivité poétique du temps de Noël aux moments joyeux des messes de minuit tchèques, solennellement agités et attendus avec impatience. En divers endroits, cette musique a une force même purificatrice et, sans doute, c'est de cette façon qu'elle devait être aussi acceptée et perçue par des gens simples qui, à cette époque, n'avaient certainement pas beaucoup d'impression semblables. Les arias tchèques dans cette messe de Noël témoignent aussi des efforts du compositeur de faire parvenir sa communication, de la manière la plus convaincante possible, aux gens ne connaissant pas la langue latine. Dans l'histoire de la musique tchèque, cette œuvre appartient, en fait, aux premiers essais de briser le texte figé de l'ordinaire de messe exclusivement latin et de créer, en intégration avec lui, une forme ainsi qu'un contenu nouveaux. C'était un acte, sans doute, très courageux à sa manière, préparant le terrain pour la messe beaucoup plus jeune, tout à fait tchèque déjà, de Jakub Jan Ryba (1765-1815) «Holà, maître», datant de 1796. Compte tenu des aspects de style et du développement de l'expression musicale de Kopřiva et de certains des traits importants de l'orchestration de l'œuvre, existant en trois variantes peu différentes, on peut supposer sa naissance dans les années quarante du 18e siècle. Il convient aussi de rappeler à quel point la langue tchèque dans l'aria superbe de ténor «Oh, Jésus bienveillant» dans le Credo ou bien dans l'aria de contralto «Nourriture angélique odorante» dans le Sanctus de cette œuvre a influencé l'expression musicale du compositeur, remplie soudainement d'un sentiment et d'une ferveur profonds et même émouvants, on dirait «dvorákiens», que nous rencontrons très sporadiquement dans les œuvres à textes tchèques de cette époque. Par leur contenu musical et par leurs textes ce sont des méditations de caractère de Noël, il est vrai, mais par leur conception elles ne représentent pas ici une diction musicale de pastourelle, mise en valeur, p. ex., dans le duo en canon de ténor et de basse «Chassons, frères, à la maison» dans le Gloria ou bien dans le chant suave de berceuse de soprano «Dors, dors, petit enfant» dans la partie de clôture de cette messe De cantate. L'entrée de ces parties commentantes fait penser plutôt à la manière adoptée par les réflexions piétistes, pratiquées dans la musique protestante. La musique de certaines des parties tchèques témoigne de la richesse d'âme de ce créateur provincial qui a créé ici une œuvre rare dans la musique tchèque du 18e siècle. De toute évidence, Václav Jan Kopřiva s'efforçait de composer aussi d'autres œuvres plus vastes sur des textes tchèques et, probablement, aussi dans l'esprit «tchèque». Une preuve en est la composition portant le titre éloquent «Litaniae Lauretanae stylo bohemico ex A (en la majeur)» qui, malheureusement, ne s'est pas conservée. Nous avons appris son existence, vers 1751, dans l'inventaire musical précieux du collège de pianistes de Slany.

Les œuvres de Václav Jan Kopřiva, présentées dans cette anthologie, ne sont qu'un coup d'oeil rapide dans l'atelier créateur de ce compositeur tchèque qui, au début du processus du réveil national, a joué un rôle inspirateur non seulement au lieu de ses activités, mais à ce qu'il semble, dans une mesure beaucoup plus vaste. Le domaine de Citoliby, s'étendant à la frontière linguistique même dans le contact immédiat avec le domaine de Postoloprty, gouverné au 17e siècle, avant les Schwarzenberg, par l'aventurier connu et exploiteur malfamé Sinzendorf, nécessitait une personnalité forte, capable de sauvegarder la région de Citoliby comme une zone tchèque. Le danger semblable de germanisation, progressant sournoisement, consistait naturellement aussi dans le voisinage étroit avec le domaine de Nové Hrady dont se sont emparées, après la bataille de la Montagne Blanche, les familles de margraves Brandebourgeois, des Warrensbach et des Löwenegg, colonisant toutes sans merci les lieux, abandonnées après la guerre de Trente Ans, par des familles allemandes appelées, souvent, même depuis l'Empire d'Allemagne.

Dirigeant l'école de Citoliby dans ces temps difficiles, Václav Jan Kopřiva a joué - avec les prêtres tchèques à la cure de Citoliby - un rôle important et irremplaçable dans la sauvegarde du caractère tchèque de cette localité. Certes, de nombreux ecclésiastiques, déployant leurs activités dans ce patronage des Pachta, devaient être hautement instruits du point de vue musical. Sans doute, c'était une « condition sine qua non ». C'est ce qu'on peut dire de Jan Dismas Loksan (1700-1771), administrateur de la cure de Citoliby, dont le père et le grand-père étaient organistes à Podebrady, du premier curé de Citoliby. Václav Weisvold (vers 1723-1793) ayant fait ses études au lycée de piaristes de Kosmonosy quelques peu d'années avant František Xaver Brixi et en même temps avec Jiří Antonín Benda, ou bien de Jan Kàrel Puba (mort en 1820), natif de Rakovnik qui, au temps de ses études à Prague, était membre du chœur et élève au séminaire Saint-Venceslas, musicalement très réputé. Ce sont des faits très significatifs. Arnost Karel Pachta n'aurait laissé entrer à la cure de Citoliby ou dans la fonction de chapelain de château personne qui ne lui serait un bon partenaire dans la réalisation de ses intérêts musicaux exigeants! La grande tolérance de Pachta se reflète également dans le fait que la majorité des chapelains de château étaient Tchèques, que ce fussent František Václav Knizacek (1737-1805), enfant de chœur pendant ses études au lycée de piaristes à Bilà Voda en Silésie, natif de Kostelec nad Orlici où est né aussi le compositeur František Tůma et où travaillait d'abord même l'instituteur-chanteur Tomàs Koutnik, ou bien Matej Rozkos (vers 1738-1802), né à Luze, ancien élève du lycée de piaristes à Litomyšl et, au temps de ses études de philosophie à Prague, membre du chœur au séminaire Saint-Venceslas. D'origine tchèque étaient aussi le maître de philosophie et d'arts libres, bachelier de théologie Václav Smetana (1745-1784), natif de Prague, mere de l'ordre des Pères Croisiers au cœur rouge, renommés pour leur pratique de la musique de bateau sur la Vltava. Antonín Fojta (vers 1739-1808), fils d'un musicien de Peruc. Tous méritent d'être mentionnés car eux aussi, ils ont décidé par leurs activités du sort de Citoliby en tant que localité tchèque. Et grâce à leur rapport à la musique, vraiment sincère, compréhensif et tolérant, la culture musicale de Citoliby pouvait se développer en une ampleur créatrice si étonnante. Cette défense nationale, on dirait passionnée, de Citoliby, dont la musique en tant qu'expression d'un esprit intelligent créateur faisait une partie substantielle et intégrante, a trouvé peu après son point culminant dans la personnalité du fondateur de la première école de poésie tchèque moderne, Antonín Jaroslav Puchmajer (1769-l820), ayant passé plusieurs années fructueuses dans la première décennie du 19e siècle à la cure de Citoliby en un plein travail poétique et scientifique assidu et exhaustif.

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