Cette immense cantatrice, fille du mécène et éditeur Emanuel Kittl (1844-1911), née à Prague le 26 février 1878, étudie tout d'abord le violon avec le compositeur et ami de Dvořák, Ferdinand Lachner (1856-1910). Elle commence même à se produire en concert dès l'âge de 8 ans ! Pourtant elle préfère s'orienter, à partir de 1892, vers le chant avec l'aide de deux remarquables musiciens et pédagogues, la soprano austro-hongroise Marie Dreger-Destinn (1812 ou 1815-1866) et son mari répétiteur et chef d'orchestre, Thomas Loewe (1844-1919), neveu du compositeur Carl Loewe (1796-1869). Destinn est d'ailleurs le nom d'artiste qu'elle adopte en reconnaissance de cet enseignement et en hommage à son professeur. La cantatrice tchèque fait toute sa carrière sous ce nom dont elle choisit de garder par attachement à son pays natal, la forme tchéquisée de Destinnová. (1)
En 1897 elle passe un concours mais n'est pas admise par le Directeur František Šubert (1849-1915) au sein du Théâtre National (Národní Divadlo). Sa carrière commencera en Allemagne. Le 18 juin 1898, elle fait ses débuts à Berlin (Berlin Kroll Oper) dans le rôle de Santuzza de l'opéra Cavallierra Rusticana de Mascagni avec le ténor tchèque Karel Burian (1870-1924) et devient membre du Berliner Hofoper jusqu'en 1909. Elle créé pour Berlin le personnage de Dalibor (1909) dans l'opéra du même nom de Bedřich Smetana et le rôle de Salomé dans l'opéra de Richard Strauss (1906) participant dans cette ville à 54 productions dont 12 créations. Entre-temps, elle est aussi portée en triomphe à Bayreuth en 1901 où elle chante Senta, fille de Daland dans Der Fliegende Holländer de Richard Wagner. Ema Destinnová débute ensuite à Londres (Covent Garden) en 1904 avec le Don Giovanni de Mozart (Donna Anna). Elle y retourne chaque année jusqu'au début de la première guerre mondiale. Elle s'y fait particulièrement acclamer en 1905 pour la première londonienne de Madame Butterfly en compagnie du ténor Enrico Caruso, dans Aïda de Verdi, Eugène Onieguine de Tchaïkovsky...
Les grandes scènes européennes dont Paris (2), Vienne et Prague (3) l'invitent à de nombreuses reprises. Entre 1908 et 1916, le Metropolitan Opera de New-York l'engage pour participer à la première américaine de La fanciulla del West (1910) de Puccini, opéra que le compositeur a écrit pour elle et Caruso. Elle y tient le rôle de Minnie, chante les héroïnes d'autres opéras italiens comme ceux de Verdi Il trovatore, Un ballo in Maschera, Falstaf, des opéras de Mozart, Wagner, Catalani, Meyerbeer... Elle crée à New-York le rôle de Mařenka dans La fiancée vendue (Prodaná nevĕsta) de Bedřich Smetana sous la direction et dans une mise en scène mémorable de Gustave Mahler (1909), chante également sous la direction du sévère Arturo Toscanini, admiratif de sa justesse d'intonation.
À cause de son courageux soutien public à la cause tchèque, elle est arrêtée à la frontière à son retour des Etats-Unis en 1916 et assignée à résidence dans son propre château de Stráž nad Nežárkou en Bohême par les autorités autrichiennes jusqu'à la fin des hostilités. L'opéra de Covent Garden la rappelle dès 1919 pour des productions d'Aïda et d'Un ballo in Maschera tout comme le Metropolitan Opera pour les saisons 1919-1921 mais son étoile commence à décliner. Ema Destinnová choisit de quitter la scène lyrique en 1926 pour ne plus se produire qu'en concert.
Chacune de ses apparitions et de ses prestations dans des oeuvres à caractère historique de Smetana (Libuše, Dalibor...) (4) à Prague et en Bohême, avant le début de la guerre et après le retour de la paix, fut un événement exceptionnel non seulement sur le plan artistique mais aussi d'une portée symbolique exacerbée en raison des bouleversement politiques qui aboutirent à la fondation de la première république tchécoslovaque. Elle meurt à Ceské Budějovice en Bohême du sud le 28 janvier 1930 et est enterrée, comme il se doit, au cimetière pragois de Vyšehrád.
Ema Destinnová se distinguait non seulement par la souplesse et la perfection de sa technique vocale dans l'ensemble de sa tessiture, par l'originalité naturelle de son timbre mais aussi par une présence scénique impressionnante et la chaleur émotionnelle de son phrasé. Le compositeur Vitězslav Novák (1870-1949) lui dédia son cycle de chants Melancholie.
De nombreux enregistrements, des apparitions dans des films et ses propres écrits, le livret d'un opéra, ses poèmes, ses traductions, ses oeuvres théâtrales et romanesques, quelques compositions de chants, sa correspondance pérennisent le souvenir de cette merveilleuse artiste considérée comme l'une des plus grandes chanteuses de l'histoire de l'opéra.
Éric Baude, Paris, février 2004
(1) Ružena Maturová (1869-1938), créatrice de nombreux rôles titres d'opéras tchèques dont celui de Rusalka de Dvořák le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague, a été également l'élève du couple Loewe-Destinn.
(2) En 1907 elle interprète Salomé de Richard Strauss à l'opéra de paris avec son compatriote le ténor Karel Burian.
(3) À partir de 1901 et jusqu'en 1924 soit 84 représentations. Elle fut nommée membre d'honneur du Théâtre National.
(4) Ema Destinnová aurait dû chanter également le rôle de Jenufa (Její Pastorkyně) ce que souhaitait ardemment son auteur Leoš Janácek (1854-1928) qui le lui demanda expressément par écrit en 1917 mais le destin en décida autrement. Le compositeur morave en fut profondément affecté.
Klub Emy Destinnové
Muzeum-Balbínové námestí 19/1 377 11 Jindřichuv Hradec République Tchèque
Tel : 00 420 384 363 661 fax : 00 420 384 361 576
Adresse mél muzeum@esnet.cz