A n e c d o t e s

compilées et traduites du tchèque par Eric Baude

 


Sur Franz Liszt

Souvent Dvořák s'exprimait d'une façon étonnante. Il croyait sincèrement à ce qu'il disait.

Lorsqu'il composa ses œuvres symphoniques sur des poèmes de K. J. Erben qui rencontrèrent une sérieuse opposition, il avait en tête comme exemple à suivre F. Liszt. Il avait tant d'affection pour le compositeur hongrois qu'il soutenait avec beaucoup d'enthousiasme que seuls ce que le Christ avait prêché et Liszt composé perdureraient dans le temps. Et évidemment, il était persuadé de ce qu'il disait.


Comment se faire recommander

Le compositeur tchèque avait horreur du "ramdam". Sachant cela, le faire tourner en bourrique était chose facile !

Dvořák connaissait le talent du jeune Karel Weiss. Celui-ci avait préparé pour un éditeur anglais les arrangements pour le piano de Dvořák de ses éditions du Requiem et de son oratorio "Sainte Ludmila".

Un jour Weiss vint chez Dvořák et sollicita auprès du célèbre compositeur une recommandation. Piano d'étude de Dvořák (photo (c) Jiri Tiller)Dvořák était compréhensif mais Weiss n'engendrait pas la même sympathie chez son épouse et donc celle-ci refusa. Il n'y avait aucune manière de contourner ce refus chez lui. Weiss devait s'en aller sans n'avoir rien obtenu. Dans la maison habitait au-dessus des Dvořák la jeune et prometteuse soprano du Théâtre National Mademoiselle Koldovska. Weiss savait que Dvořák travaillait l'après-midi et qu'en jouant du piano on ne pouvait pas le déranger plus désagréablement. Il grimpa chez la cantatrice, lui demanda la permission de jouer et s'installa au piano. Il joua de nombreuses marches militaire avec une fougue peu commune. Il était rivé au piano et sans interruption pendant une demi-heure, il fit sonner avec éclat marche après marche. Son plan produisit exactement l'effet escompté. Au bout de ce temps Dvořák fit irruption dans l'appartement : "Tu es ici, Weiss ? Allons bon pourquoi pas ! mais mon Dieu s'il te plaît, arrête mon petit Weiss de faire tout ce ramdam, je suis incapable d'écrire la moindre note !".

"J'arrêterai seulement quand j'aurai reçu ma lettre de recommandation !"

Dvořák, désespéré, alla s'asseoir et écrivit sa recommandation. "Voilà, tu l'as ta lettre, espèce de maître-chanteur ! Mais ne me touche plus à ce piano !" Et il s'éclipsa.


Vocation de la Philharmonie Tchèque

 La Philharmonie Tchèque fut fondée à partir de l'Orchestre du Théâtre National en grève. Celansky en fut le premier chef d'orchestre. La Philharmonie Tchèque joua en premier lieu du Dvořák, et Celansky prépara à l'occasion un discours.

"Maître, dit-il en se tournant vers le compositeur, soyez certains que nous serons toujours les ardents défenseurs de votre art et que nous vous jouerons le plus possible."

Ce à quoi Dvořák répondit :

"Bien, mais au fond, que voudriez-vous jouer d'autre?"



Retour en Bohême

 "Je suis rentré à nouveau depuis plusieurs jours dans la plus belle forêt. Je passe ici un merveilleux séjour avec un temps magnifique et je m'émerveille en permanence du chant des oiseaux.

En même temps, je ne pense pas du tout à composer, vous devez me croire même si cela paraît pourtant invraisemblable.

Je me donne du bon temps et je travaillerai seulement quand je me serai rétabli et aurai acquis de nouvelles forces."

Dvořák dans sa résidence de Vysoka

(Ant. Dvořák)


De la tonalité des œuvres religieuses

Le choix de la tonalité des grandes œuvres religieuses de Dvořák - le Stabat Mater et le Requiem - ne s'est pas imposé d'emblée. Josef Suk, lui-même compositeur et gendre du maître, a été le témoin privilégié de ces interrogations. Il raconte.

"Quand j'ai composé le Stabat Mater j'avais en tête l'image de la croix qui s'élevait dans les cieux. Cela ne me quittait pas et il fut évident pour moi que l'œuvre devait être en fa dièse mineur, et cette tonalité monter des profondeurs vers le très-haut. Et lorsque j'ai écrit le Requiem, j'ai eu l'idée de la tonalité de si bémol mineur.
Les gens pensent que cela vient à l'esprit du compositeur comme ça, mais c'est loin d'être aussi simple."
Après avoir achevé le Requiem, Dvořák montra à Suk la partition complétée jusqu'à la dernière mesure et lui dit : "Je ne sais toujours pas si je dois la terminer en si bémol majeur ou en si mineur." Et il l'acheva par la suite dans le ton tragique de si mineur.

Dvořák et sa fille MagdaDvořák joua l'œuvre devant Suk jusqu'à la fin du Dies Irae. Suk resta immobile, impressionné et silencieux.

Puis la force de l'œuvre l'aida à reprendre ses esprits. Il se leva et embrassa sans un mot la main de son beau-père et professeur. Mais Dvořák n'aimait guère les effusions de sentiments.

Toutefois il comprit ce qui avait bouleversé Suk et formula ce pressentiment :
"Restez tranquille, Suk, qui sait ce que vous composerez un jour, Suk!"

Et il n'eut pas tort !


 Un chef mal luné

En 1893, la Société musicale Zerotin d'Olomouc donna l'oratorio de Dvořák "Sainte Ludmila".

L'organisateur réussit à convaincre Dvořák de diriger lui-même son magnifique oratorio.

Ainsi le soir solennel arriva et Dvořák monta sur la scène pour diriger l'orchestre, la mine renfrognée comme jamais. Il fut salué par de longs applaudisements frénétiques. Dvořák se tenait debout en attendant, derrière le pupitre. Il tournait seulement en silence la tête de gauche à droite.

Un moment plus tard, alors que les applaudissements ne cessaient de crépiter, Dvořák s'écria impétueusement : "Il va y avoir du silence oui ou non?"


Tchèque jusqu'à la moelle des os

 A une question du directeur du "Hlalol" de Plzen en 1885 qui lui demandait si les partitions des "Chemises de Noces" étaient déjà éditées, Dvořák répondit:

"Soyez aimable, cher monsieur, d'écrire à l'éditeur Novello à Londres mais de grâce n'écrivez pas en allemand bien qu'il comprenne cette langue parce qu'ils penseront après cela que nous sommes Allemands ici en Bohême. Ecrivez-lui en français ou en anglais."


Un Noël inattendu
ou le pouvoir des "petites choses" !

Un jour, Dvořák acheva peu avant Noël plusieurs œuvres d'une courte durée qui intitula "Malickosti" (petites choses). Avant d'envoyer ce travail à l'éditeur allemant Simrock, il prit conseil auprès de sa femme.

"Qu'est-ce que tu penses, ce n'est pas trop si je demande pour ce travail 2.000 couronnes?"

Son épouse qui réflechissait précisément à ce qu'allait lui coûter Noël en dépenses répondit:

"Demande plutôt 3.000."

Dvořák acquiesça mais dans la hâte écrivit dans sa lettre la somme en chiffres avec un zéro de trop, soit 30.000 couronnes.

Il reçut quelques jours plus tard une réponse de l'éditeur. Simrock lui écrivait que 30.000 couronnes lui semblait une somme trop importante mais qu'il pouvait, si Dvořák acceptait, lui proposer 10.000 couronnes.

Dvořák reçut ainsi un inattendu et beau cadeau de Noël. Il repensait souvent à cette histoire.


Un docteur raconte
L'Université de Cambridge attribue à Dvořák le titre de Docteur Honoris Causa. Le Tchèque, impressionné, trouve cependant des raisons de reprendre le dessus.

 "Jamais je n'oublierai ce que j'ai ressenti lorsque je reçus à Cambridge le titre de Docteur Honoris Causa de l'Université. Une cérémonie pour la réception d'un seul docteur ! Tous les visages étaient graves et il me semblait que personne ne savait parler une autre langue que le latin. J'écoutais à gauche, à droite, et je n'arrivais pas à savoir ce que je devais écouter. Quand enfin je compris que l'on s'adressait à moi je fus comme pétrifié.J'avais honte de ne pas savoir parler latin. Aujourd'hui quand je pense à ces moments j'ai envie de rire. Car au fond composer le Stabat Mater était quand même bien plus important que de savoir parler cette langue."

(d'après les souvenis de Jos. Michl)


Souvenirs de boucher
Avant de devenir compositeur, Dvořák a dû apprendre le métier paternel. Souvenirs.

A l'occasion de l'interprétation de ces Chemises de Noces à Plzen les 28 et 29 mars 1885, Dvořák alla se promener un jour en direction de Bory avec le directeur du Hlalol de Plzen. Sur un chemin ils croisèrent un apprenti-boucher qui poussait devant lui un petit veau à la démarche hésitante.

Dvořák contempla ce spectacle de la vie quotidienne d'alors et dit avec une certaine naïveté : "Voyez, moi aussi j'ai fait cela."

(d'après les souvenirs de M. Slezak)


Comment naquirent les Chants du Soir (Vecerni Pisne B 61)

Lorsque Dvořák obtint en 1874 une bourse d'état de 600 écus sur la base d'un jugement favorable et d'une recommandation de J. Brahms, il quitta sa place d'altiste dans l'orchestre du Théâtre Prozatimni et prit des fonctions d'organistre à l'église "u svatcho Voztecha" dans la nouvelle ville. Nous nous voyions tous les jours car nous allions déjeuner ensemble à l'auberge "u Zpevacku" (chez les chanteurs) dans la rue de l'Autruche, là où se trouve aujourd'hui la maison du charcutier Koula.

Pour trois plats, nous payions 25 centimes. Un jour j'ai montré à Dvořák un de mes chants. Cela lui donna également l'envie d'écrire des chants et il s'adressa au compositeur Karel Bendl afin qu'il lui conseille quelques textes. Bendl prêta à Dvořák le recueil de Halek intitulé "Chants du Soir".

Quatre jours plus tard, Dvořák les lui rapporta.

"Eh bien, tu n'as rien choisi dans ce recueil ? demanda Bendl.
Mais si, je les ai tous mis en musique", répondit Dvořák à Bendl abasourdi !

(souvenirs de J. Jiranek)


Dvořák répète
Parfois bougon et irritable quand il dirige, Dvořák sait aussi faire preuve d'humour et de compréhension. Extrait des souvenirs de J. Suk.Dvořák dirige au cours de l'Exposition Universelle de Chicago (1895)

Pendant une répétion de la Rhapsodie en ré majeur. Tous les musiciens, Dvořák y compris, auraient aimé pouvoir aller déjeuner tant l'heure de midi était proche. A la toute fin de la répétition les trombones oublièrent de jouer. Mais Dvořák au lieu de reprendre, poursuivit et termina la répétition.

Suk qui était présent s'approcha de Dvořák et attira son attention sur le faux départ des trombones. Dvořák interpella l'orchestre en train de quitter la salle en disant "Monsieur Suk me fait remarquer que Messieurs les trombones ont oublié d'entrer à la fin de l'œuvre afin que nous puissions tout interpréter correctement ce soir"

(d'après J. Suk)  

   


"Vous savez, je ne suis rien d'exceptionnel, je suis seulement un musicien tchèque ordinaire qui partout autour de lui entend de la musique, dans les forêts, dans les champs de blé, dans les torrents, dans les chansons populaires; la nature, le travail, les récits sont les sources de mon inspiration. Faites l'éloge de ma musique mais pour moi le plus important sera ce qu'on pensera ici en Bohême. Je serai très touché et très heureux si ma musique est accueillie avec amour."

Ant. Dvořák


Sources

"Česke muzikantské Historky" de J. Celeda, Nakladatelstvi "Orbis" Praha XII (1939)