La musique dans les pays de Bohême et de Moravie

La musique traverse sans discontinuer les différentes époques de l'histoire des pays de Bohême et de Moravie. Elle est à la fois le reflet de cette histoire et au coeur de celle-ci. Plus encore qu'ailleurs peut-être la musique exprime chez les Tchèques et les Moraves un profond, original et permanent sentiment d'appartenance à la culture européenne. Elle participe à sa construction à l'équivalent des musiques allemandes ou françaises, souvent au-delà des limites des querelles d'écoles nationales. Elle revendique seulement une autre manière de s'exprimer, sa juste place que certains événements tragiques de l'histoire et une situation à un carrefour géographique stratégique ont remis en cause (1). Ce qui est certain, c'est que le visage de la culture européenne serait différent sans cet apport des compositeurs de Bohême et de Moravie comme seraient autres la littérature, l'architecture, les arts et les sciences de ce continent sans la présence des écrivains, des architectes et de bien d'autres artistes et savants d'Europe centrale...

Beaucoup de compositeurs tchèques et moraves ont, durant toute leur vie, inlassablement travaillé à cette reconnaissance, approfondissant sans cesse l'universalité de leur langage, défendant à travers leurs oeuvres des valeurs humanistes ou tout simplement une musique européenne « par-delà les frontières » pleine de personnalité. Une reconnaissance et une place parfois, souvent à certaines époques, dure, longue à conquérir. Combien de temps a-t-il fallu à Dvořák pour ne plus être considéré comme un compositeur allemand ? Un autre malentendu symbolique a désormais vu le jour et semble vouloir perdurer malheureusement, celui de restreindre à tout prix Dvořák à un compositeur de musique tchèque.

À musique tchèque nous préférons musiques dans les pays de Bohême et de Moravie. Cette dénomination ne correspond pas non plus à la complexité de la réalité mais elle a notre préférence. Une impressionnante et brillante diaspora a franchi « allègrement » les limites géographiques de ces pays à de nombreuses reprises et s'est inscrite depuis son "exil" dans l'évolution du langage musical européen quand elle n'était pas elle-même l'inspiratrice de cette évolution.

Certains aspects de ces musiques, à peine entrevues dans cet article, feront l'objet de développements ultérieurs.

Du Moyen-âge à la Renaissance

Il ne semble pas qu'il soit rester de sources musicales antérieures à l'évangélisation byzantine des frères Constantin (Cyrille) et Méthode (2), originaires de Salonique, en Grande-Moravie (863-866). La fondation de l'évêché de Prague en 973, sous l'autorité de Rome réduit l'influence de Byzance et de la liturgie slavonne. Mais le pays restera profondément attaché durant toute son histoire aux cantiques en langue tchèque.

Certaines sources contestées ont attribué l'un des plus anciens et des plus populaires de ces cantiques en langue tchèque le Hospodine pomiluj ny ! (Seigneur, aie pitié de nous...) à saint Adalbert (Vojtĕch, 997) (3), second évêque de Prague et grande personnalité intellectuelle de la fin du premier millénaire. L'historien et grand chroniqueur tchèque Kosmas (1045-1125), doyen du chapitre de Prague, ne mentionne pas directement ce cantique dans sa chronique écrite vers la fin de sa vie. Quant au manuscrit le plus ancien du texte (sans la musique), il a été conservé dans le livre de prières de Miličov (fin 14ème). La notation musicale apparaîtra ultérieurement dans un traité du théoricien bénédictin de Břevnov Jan z Holešova (mort en 1436) daté du 14 juin 1497.

Par certains aspects ce cantique pourrait être également une forme anticipée d'hymne national, chanté au moment d'événements historiques et utilisé parfois comme une chanson guerrière en particulier par le roi Přemysl Otakar II et par les hussites. Antonín Dvořák dans la conclusion de son oratorio Svatá Ludmila, opus 71, et Leoš Janáček dans sa cantate Hospodine ! utilisent le thème musical de ce cantique repris et composé par Šimon Brosius Horštejnský z Horštejna (1568-1642 ?) d'après Jan z Holesova. Un autre chant, à l'origine profane, le choral de saint Venceslas (Svatý Václave) apparaît dans l'ouverture hussite d'Antonín Dvořák, l'opéra Blaník de Zdenĕk Fibich, dans un quatuor de Josef Suk, des pièces de Pavel Haas ainsi que chez d'autres compositeurs.

Au XIème siècle, le schisme de l'église d'orient (1054) renforce la suprématie de la liturgie romaine, après de longues années d'affrontement et d'incertitude, sur celle de Byzance. Des complaintes populaires, les koledy (4), des jeux théâtraux inspirés par les passions contestent le monopole des chants liturgiques.

Pendant les 3 règnes successifs de Venceslas (Václav) Ier (1230-1253), du grand roi-chevalier Přemysl Otakar II (1253-1278), surnommé le « roi de fer et d'or » et de Venceslas II (1278-1305), la mode du Minnesang (chant d'amour à l'origine monodique accompagné ou non par un instrument) se propage dans les cours depuis l'Allemagne et trouve en Tannhaüser (!), Ulrich von Eschenbach, traducteur en allemand du Perceval de Chrétien de Troye, Heinrich von Meissen (appelé Frauenlob...), Heinrich von Mügeln ze Saska, Müllich von Prag (certains de ses chants sont conservés dans le manuscrit dit de Colmar), quelques-uns de ses plus illustres représentants.

Sous l'impulsion du compositeur français Guillaume de Machaut (1300-1377), « secrétaire » du roi Jean de Luxembourg (1296-1346) les derniers minnesänger de la cour abandonnèrent la monodie pour aborder un nouveau genre à plusieurs voix. L'Ars Nova pénètre en Bohême et influence les polyphonies religieuses et profanes locales malgré les réticences de l'église. Le fils de Jean de Luxembourg, marié à la dernière représentante de la dynastie tchèque des přemyslisdes, Charles IV (1316-1378), éduqué en France, couronné empereur du Saint Empire Germanique à Rome en 1355, fonde la première université d'Europe centrale à Prague en 1348. Celle-ci pourvoit en chanteurs le somptueux chapitre de la cathédrale saint Guy.

Prague est à nouveau capitale royale et impériale et devient archevêché en 1344. Le pays atteint son âge d'or médiéval et gothique. Une école de Bohême, mêlant traditions locales et influences étrangères, apparaît et connaît son apogée avec le musicien-poète non conformiste Závis ze Zap (1379-1418), professeur à l'université et Jan z Jenštejna, archevêque de Prague (1380-1396), dont les influences françaises sont liées à un séjour d'études à Paris (1373-1375).

Les révolutions hussites (5) des XVème et XVIème siècles imprègnent le caractère tchèque. Dans ce contexte de long conflit, les hymnes religieux sont souverains et un grand nombre d'entre eux se transforment en chants patriotiques. Mais comme seul ce répertoire monodique en langue tchèque est autorisé par les hussites à l'église, le renouveau du langage musical polyphonique s'interrompt provisoirement. La musique instrumentale voit même son existence menacée et sa pratique tombe dans une quasi clandestinité. Des confréries de musiciens, la première génération de Kantors (Dvořák leur rend un émouvant hommage dans son opéra Jakobin) appartenant aux frères Moraves de Jan Amos Komenský (6) (1592-1670) publient des recueils de psaumes richement décorés ainsi que des traités de musique. Le cantionnaire de Jan Amos Komenský dit d'Amsterdam paraîtra en 1659.

En 1583 Prague redevient à nouveau capitale d'empire. Pourtant la cour cosmopolite et maniériste de l'empereur étranger Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612), sorte de Salomon de Bohême, symbolise une Renaissance limitée presque exclusivement à Prague et à quelques rares châteaux pour cause de guerres hussites. Peu habile politiquement, Rodolphe II aime par-dessus tout les arts et les sciences. Il s'entoure de compositeurs, de peintres et de savants (astronomes, alchimistes...) de grande renommée. Lambert de Sayve (1548 ou 1549 ?-1614) Philippe de Monte (1521 ?-1603), Jacques Regnart (entre 1540 et 1545-1599), Charles Luython (prob.1557-1620)... symbolisent la domination d'une flamboyante polyphonie flamande parcourue d'influences de l'école vénitienne. C'est justement le compositeur Jakub (Handl) Gallus (prob.1550-1591), d'origine slovène et ayant chanté dans la chapelle impériale à Vienne, en poste d'abord auprès de l'évêque d'Olomouc en Moravie puis à Prague, qui réalise une remarquable fusion des deux principales sphères d'influences. Son oeuvre profane (madrigaux de 1596) est contemporaine des premiers madrigaux de Claudio Monteverdi (1567-1643). Avec Kryštof Harant z Polžic a z Bedružic (1564- décapité à Prague en 1621), musicien, écrivain-voyageur et diplomate, il réussit à replacer la musique tchèque dans sa dimension européenne.

Baroque et Classicisme

L'ère baroque s'ouvre par une nouvelle catastrophe pour la nation tchèque : la défaite hussite de la Montagne Blanche (1620) aux environs de Prague. La musique, dans un premier temps désorganisée, va rapidement se mettre au service d'une intense reconquête catholique. Les ordres religieux à sa solde forment de nouvelles générations de Kantors, des instituteurs-musiciens de campagne polyvalents qui joueront un rôle considérable dans la diffusion musicale à travers les siècles.

Un Baroque de Bohême aux tonalités étrangères se distingue alors d'un Baroque spécifique tchèque, mêlant des éléments contradictoires, que le délicat poète, fin lettré, musicien mystique et aubergiste (!) Adam Michna z Otradovic (1600-1676), contemporain de Heinrich Schütz (1585-1672) et du vénitien Francesco Cavalli (1602-1676), l'organiste et compositeur italianisant Bohuslav Matěj Černohorský (7) (1684-1742) et l'inclassable Jan Dismas Zelenka (8) (1679-1745), fils de kantor de village, contrebassiste dans l'orchestre de la cour de Dresde et compositeur d'église, conduisent chacun à leur manière, à son plus haut niveau d'expression. Ils ouvrent en partie la voie à des compositeurs tchèques porteurs des germes du classicisme. Plus à l'est, la longue tradition musicale de la cour des princes archevêques d'Olomouc en Moravie, vit son âge d'or sous le règne de Karel Lichtenštejn-Kastelkorn (1660-1695) qui entretient une chapelle d'excellents musiciens et chanteurs dirigée successivement par Heinrich Biber (1644-1704) et Pavel Josef Vejvanovský (1640-1693) dans sa résidence de Kromĕříž. Les luthistes Jan Antonín Losy (1660-1721)et le comte Jan Adam Questenberk (1678-1752) diffusent des oeuvres de l'école française et leur propre production.

La vie musicale s'est en fait d'abord difficilement relevée et restructurée au XVIIème puis elle a de nouveau repris son essor avec une grande hétérogénéité dans l'ensemble des pays de Bohême et de Moravie au XVIIIème siècle. Elle s'épanouit non seulement à Prague avec Šimon (1693-1735) et František Xaver Brixi (1732-1771), František Xaver Dušek (1731-1799), les séjours des troupes d'opéra italiennes à l'invitation de la noblesse, les visites successives de Mozart (la création du Don Giovanni à lieu en 1787 devant un public tout acquis à la cause du viennois d'adoption) mais aussi dans les châteaux des grandes familles aristocratiques mécènes (les Lobkovic, les Schwarzenberk, Les Clam-Gallas...) et dans les campagnes où le genre de la pastorale, porté par des kantors et des compositeurs comme Tomas Norbert Koutník (1697-1775), Jiří Ignác Linek (1725-1791), Jan Jakub Ryba (1765-1815) et de nombreux autres, prend un essor considérable. Au contraire de l'Autriche, on remarque que la musique touche une nouvelle fois en Bohême et en Moravie toutes les couches sociales de la population.

Des musiciens tchèques et moraves dont l'apport à la genèse du classicisme est fondamental, "choisissent" d'émigrer : le précurseur de Mozart, Josef Mysliveček (1737-1781) triomphe en Italie sous le nom d'il Divino Boemo avant de disparaître brutalement, les frères Vranický Antonín (1761-1820) et Pavel (1756-1808), Jan Křtitel Vanhal (1739-1813) participent à l'apogée du classicisme viennois. A la fin du XVIIIème siècle, la quasi-totalité de l'enseignement de la musique dans la capitale de l'empire autrichien est aux mains des compositeurs originaires de Bohême et de Moravie ! Une nouvelle vague viendra les rejoindre un peu plus tard. En Allemagne, Jan Stamic (1717-1757) ses fils, le morave František Xaver Richter (1709-1789), Anton Fils (1733-1760) élaborent à la cour de l'électeur palatin de Mannheim les bases de la symphonie classique. La famille Benda réside à Berlin et en Prusse (Gotha). Le compositeur, harpiste et facteur d'instrument Jan Křitel Krumpholc (1745-1790), élève de Joseph Haydn, Antonín Rejcha (1770-1836), le pianiste Jan Ladislav Dusik (1760-1812) et quelques autres choisissent la France.

Le temps des Eveilleurs

Les idées novatrices des Lumières, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle et la révolution française ont faorisé l'émergence d'une conscience nationale. Les Eveilleurs, partisans d'une renaissance nationale vont faire des grandes périodes de l'histoire tchèque et de la musique populaire leurs sources d'inspiration. Le Conservatoire de Prague est fondé en 1811. Le Chaudronnier de František Škroup (1801-1862) symbolise la naissance de l'opéra tchèque mais c'est à Bedřich Smetana (1824-1884), né dans une famille de brasseur, que revient la mission et l'honneur de fonder une école nationale. Avec ses amis du cercle Concordia, il s'enthousiasme pour les idées révolutionnaires et compose des oeuvres dédiées à l'insurrection de Prague (1848). Sa Fiancée vendue permet à l'opéra de devenir lui-même chant et musique populaire. L'opéra Libuše inaugure le Théâtre National (1881) qui sera reconstruit après un incendie inexpliqué. Smetana s'inspire de la rigueur des grandes symphonies classiques et la fusionne avec une verve romantique et patriotique : « Ma musique est tchèque, elle ne peut être pensée nulle part ailleurs qu'en Bohême ». Ses dernières oeuvres sont d'une étonnante modernité. Il meurt atteint de surdité. Son cycle symphonique Má vlast (Ma patrie) ouvre solennellement depuis sa création, chaque édition du festival de musique du Printemps de Prague.

Antonín Dvořák (9) (1841-1904), fils aîné d'un boucher-aubergiste de village de Bohême, contemporain d'Edvard Grieg (1843-1907), ami de Tchaïkovsky (1840-1893) entretient une relation intime avec la nature. « Son lyrisme connaît la mélancolie rêveuse des vastes steppes (!) ; ses oratorios et ses cantates semblent parfois inspirés par le grondement des puissantes rivières ; et les refrains de ses danses ont la pulsation d'un sang jeune, d'une jeunesse à demi cultivée, à demi barbare » (Josef Krejčí, Directeur du Conservatoire de Prague et dédicataire du premier quatuor à cordes d'Antonín Dvořák). Modeste, il représente l'essence même de la pensée musicale tchèque. Son génie s'exprime dans une inventivité mélodique perpétuelle : chaque sensation se traduit en motif musical. Ses opéras (Rusalka, Jakobin), ses oeuvres religieuses sa musique symphonique, ses concertos pour, piano, violon et violoncelle, ses sérénades pour cordes et vents, ses mélodies, ses compositions de chambre sont plébiscitées en Bohême puis à l'étranger en particulier en Angleterre où il crée ses oeuvres dont le concerto pour violoncelle (1896). Il est appelé à diriger les Conservatoires de New York (1892-1895) et de Prague (1901-1904). Très en avance sur son époque, Dvořák est peut-être le premier le compositeur à s'intéresser aux musiques noires américaines et à en reconnaître les qualités.

Quant au morave Leoš Janáček (10) (1854-1928), fils d'instituteur, il obtient une tardive reconnaissance de son oeuvre peu avant la fondation de la première République tchèque (1918). Son écriture trouve ses racines dans le rythme, les intonations de la langue parlée et les particularités harmoniques de la musique populaire morave, slovaque... Esprit universel mais sédentaire, fondateur d'une école d'orgue, anticonformiste, il laissa une oeuvre lyrique à part (Jenufa, Katia Kabanová, La petite renarde rusée, L'affaire Makropoulos, le journal d'un disparu...), sans concession, modèle de sincérité et de modernité dramatique. Zdenĕk Fibich (1850-1900), Josef Bohuslav Foerster (1859-1951), Vitĕzslav Novák (1870-1949), Josef Suk (1874-1935), gendre et élève d'Antonín Dvořák et Gustav Malher (1860-1911) explorent à leur tour et chacun à leur manière des horizons émotionnels contrastés et exacerbés.

L'orchestre de la Philharmonie tchèque est fondée en 1894 et sera dirigé par de grands chefs successifs, Karel Kovařovic (1862-1920), Antonín Dvořák, Oskar Nedbal (1874-1930), Ludvik Vitĕzslav Celanský (1870-1931), Vilem Zemánek (1875-1922) l'immense Václav Talich (11) (1883-1961), Karel Šejna, František Štupka (1879-1954), Karel Ančerl, Rafael Kubelík. On peut parler à ce propos d'une impressionnante école de direction d'orchestre. La Philharmonie tchèque atteint un niveau exceptionnel et sa réputation ne cessera de grandir jusqu'à faire jeu égal avec les philharmonies de Berlin et de Vienne. A l'exemple de la Philharmonie tchèque seront fondés, dans la première moitié du XXème siècle d'autres formations symphoniques comme l'orchestre symphonique de Prague (FOK), les Philharmonies moraves de Brno, d'Olomouc et d'autres grandes villes de Bohême et de Moravie.

D'hier à aujourd'hui

Le XXème siècle s'affirme comme un large mais parfois douloureux champ d'expérimentations individuelles grâce à des compositeurs comme le francophile Bohuslav Martinů (1890-1959), élève d'Albert Roussel, le théoricien Aloïs Haba (1893-1973), Jaroslav Ježek dont certaines oeuvres sont influencées par le jazz, Ervin Schulhoff (1894-1942), les musiciens dit du camp de concentration de Terezin, Pavel Haas (1899-1944), Hans Krása (1899-1944), Gideon Klein (1919-1945), Rudolf Karel (1880-1945), ancien élève d'Antonín Dvořák ou encore le compositeur et chef d'orchestre Viktor Ullmann (1898-1944). L'influence des musiciens de la communauté juive de Bohême comme ceux d'autres minorités installées dans les pays tchèques (tsiganes) joue un rôle considérable dans la vie musicale. En 1941, les responsables nazis du protectorat de Bohême-Moravie interdisent non seulement la diffusion de la musique des compositeurs juifs mais également les oeuvres tchèques d'inspiration nationale comme Libuše de Bedřich Smetana.

Les événements politiques de 1948 marquent une brusque rupture. Entravés dans leur liberté, des musiciens exceptionnels (Rafael Kubelík, Rudolf Firkušný, Jan Novák...) quittent leur pays. D'autres (Zbynĕk Vostřák, Miroslav Kabeláč, Marek Kopelent...) sont marginalisés et exclus des organisations officielles et de l'université : leur personnalité indépendante contrarie un art d'état sans inspiration. Certains collaborent activement avec le régime communiste sans états d'âme ni imagination. Petr Eben (1929) écrit de nombreuses oeuvres pour orgue au caractère souvent mystique.

Dans les années 1980, la fondation d'ensembles de musique contemporaine ouverts aux écoles étrangères à Prague, en Bohême et en Moravie, offre aux nouvelles générations et à de jeunes compositeurs des tribunes et des lieux d'écoute et d'échange bienvenus.

Grâce aux activités de la Schola Gregoriana Pragensis et aux remarquables travaux de recherches de David Eben, le chant grégorien retrouve une vitalité longtemps contrariée. On peut citer également une excellente école de jazz avec des musiciens tchèques trop peu connus du grand public mais souvent sollicités pour être les partenaires des plus grands jazzmans d'aujourd'hui, des ensembles qui régénèrent et réactualisent la musique traditionnelle (le groupe Hradištán...) et l'étonnante chanteuse tsigane Iva Bittová, improvisatrice inspirée.

Éric Baude, Tours, novembre 2004

Notes

1) « L'Europe centrale est la région des symbioses, des interactions culturelles et intellectuelles, où tout s'enchevêtre de manière inextricable... » écrit si justement Antoine Mares dans son histoire des Pays tchèques et slovaques.

2) « En 863, le roi de Grand'Moravie Ratislav, pour contrer l'influence naissante de Rome, demande à l'empereur de Byzance, d'envoyer des missionnaires slaves. Constantin (Cyrille) et Méthode, deux frères grecs de Thessalonique viennent alors diffuser le culte byzantin, s'armant de liturgie qu'ils traduisent en vieux slavon, en caractère dit glagolithiques..., Xavier Galmiche, Prague, Bohême, Moravie, Guide littéraire, artistique, touristique, Paris, Jacques Damaze éditeur, 1989, p. 121.

3) Adalbert fut élu évêque de Prague en 982. Il appartenait à la famille rivale des Přemyslides qui régnaient sur la Bohême en la personne de Boleslav II le Pieux (972-999). Il fut assassiné en 997 par des slaves païens de Prusse.

4) Koledy : le mot est porteur d'une riche étymologie; d'après Jan z Holešova, il faut en chercher l'origine dans le mot latin colere (honorer), d'autres sources suggèrent pour origine le mot roumain colinda (déambuler, vagabonder). Plus vraisemblablement le mot se rapporte au terme latin calendae désignant le premier jour de chaque mois. La forme ouverte est par essence de tradition orale et populaire et traversera les siècles sans interruption. En fait ces chansons populaires permettent d'exprimer toute sorte de sentiments en diverses occasions de l'existence. Elles sont chantées par des mendiants, des étudiants...Koleda signifie en tchèque d'aujourd'hui chant de Noël (ou koledovat, chanter des noëls et recevoir un peu d'argent).

5) Jan Hus (1370-1415) ; disciple de Stanislav de Znojmo et d'Etienne de Kolin, Jan Hus est ordonné prêtre en 1400 puis est nommé recteur de l'Université Charles de Prague en 1402. Il fait traduire la bible en tchèque et propage avec succès une réforme inspirée des idées du réformateur anglais John Wyclyffe qui conteste la hiérarchie et la richesse de l'église. Il est excommunié en 1410 puis est convoqué devant un concile à Constance en 1415 et malgré un sauf-conduit de l'empereur et des assurances de pouvoir s'exprimer librement, il est arrêté, condamné et brûlé. Il réforma et modernisa également la langue et l'orthographe tchèque (Orthographia Bohemica).

6) Jan Amos Komenský (Comenius, 1592-1670), dernier évêque de l'unité des frères moraves, mouvement réformateur de Jean Hus. Après la bataille dite de la montagne blanche, perdue contre les troupes catholiques en 1620, il émigre en Pologne puis voyage en Europe pour défendre sa cause. Religieux, humaniste, pédagogue, écrivain, philologue, éditeur ; ses écrits lui valurent une renommée internationale. Il reste l'une des plus grandes figures de la pensée européenne et de l'histoire des pays de Bohême. Quelques traductions de son oeuvre existent en langue française.

7) Voir biographie sur le site de la médiathèque

8) Bohuslav Matěj Černohorský est surnommé le Bach tchèque. Contrapuntiste formé à l'école vénitienne il accueille parmi ses élèves pragois Christoph Willibald Glück (1714-1787), Giuseppe Tartini (1692-1770), les Tchèques Jan Zach (1699-1773), František Ignác Tůma (1704-1774), Josef Ferdinand Norbert Seger (1716-1782)...

9) Voir biographie sur le site

10) Voir biographie sur le site

11) Voir biographie sur le site

Bibliographie

  • BERTON, Jean-Claude, La Musique tchèque, Paris, Presses Universitaires de France, 1982 (épuisé)
  • ČERNUŠAK, Gracian, ŠTĚDRON, Bohumír, NOVAČEK, Zdenko, Praha, Ceskoslovenský hudebni slovnik, Praha, statní hudební vydavatelství, 1965 (en langue tchèque).
  • ČERNÝ, Jaromir, KOUBA, Jan, LEBL, Vladimír, LUDVOVA, Jitka, PILKOVÁ, Zdenka, SEHNAL, Jiří, VIT, Petr, Hudba v českých dejinách, Praha, Editio Supraphon, 1989 (en langue tchèque).
  • FUKAČ, Jiří, VYSLOUZIL, Jiří, slovnik ceske hudebni kultury, Praha, Editio Supraphon, 1997 (en langue tchèque).
  • GALMICHE, Xavier, Prague, Bohême, Moravie, guide artistique, littéraire et touristique, Paris, Jacques Damaze éditeur, 1989 (excellente publication qui va à l'essentiel en peu de mots, malheureusement épuisée).
  • HALBREICH, Harry, quatre siècles de musique à la cour de Prague, disques CBS, S 77411
  • KARAS, Joza, La musique à Terezin, 1941-1945, Paris, éditions Gallimard, 1993.
  • MARES, Antoine, Histoire des Pays tchèques et slovaque, Paris, collection Nations d'Europe, Hatier, 1995.
  • VRKOCOVÁ, Ludmila, Domovem hudby, Prague, Panton, 1988 (en langue tchèque).
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