Un nouveau livre de John
Tyrrell
Sur ce site, nous avons déjà souligné
à
plusieurs reprises, la frilosité excessive des musicologues
et
éditeurs français. En effet, seuls quatre livres
traitent
de la vie et de l'œuvre du compositeur morave. Encore
convient-il
de trouver le premier dont l'édition remonte à
1930,
celui de Daniel Muller, qui, bien que
réédité dans les
années 1970, est
depuis longtemps épuisé. Seuls quelques
bouquinistes
peuvent offrir ce volume d'une grande valeur, étonnante vu
le
manque de recul dont son auteur jouissait, mais qui ne
l'emêcha
pourtant pas de se montrer étonnamment lucide et perspicace
face à ce compositeur atypique. Au début des
années 80, le livre de Guy Erismann parut combler les
attentes
des mélomanes qui y trouvèrent de nombreuses
informations, mais que les
connaisseurs du livre antérieur de Jaroslav Vogel (en
tchèque et en
anglais) avaient déjà approchées de
manière
plus subtiles et plus précises. Très
récemment, deux petits livres dus aux plumes de Patrice
Royer et
Jérémie Rousseau réussissaient
à
synthétiser le génie du compositeur dans le cadre
étroit qui leur était imparti. Il manque toujours
l'auteur et le(s) volume(s) permettant aux mélomanes
d'envisager de la
manière la plus objective possible l'ensemble des facettes
de ce
musicien complexe.
Voici que d'Outre Manche nous arrive, tout frais sorti des presses, un
pavé de plus de 800 pages, un épais (plus de 5
centimètres) et lourd volume retraçant en
détail
la vie, les humeurs, les rêves, les projets, les
réalisations de Leoš Janáček
de sa naissance
en 1854 jusqu'en 1914. Ce qui laisse augurer un deuxième
volume
sur les quatorze dernières années de sa vie.
Hélas, pour nous Français, pour en
apprécier la
saveur et la précision, il faut connaître la
langue de
Shakespeare. Ce gros livre est rédigé par John
Tyrrell,
un des meilleurs connaisseurs de Janáček en dehors
des
musicologues tchèques qui, dans son pays,
s'ingénient
à le rendre accessible et plus intelligible en
dépouillant son courrier, en
scrutant ses manuscrits, en révélant au public
tchèque les moindres aspects de sa personnalité
et de son intense activité.
Couverture du dernier livre de
John Tyrrell
John Tyrrell est un habitué de Janáček. Depuis
1982, il a
déjà écrit cinq ouvrages (1) relatant
un aspect ou
un autre de sa musique et de sa vie. Sa connaissance de
l'univers
du compositeur morave déja ancienne, s'enrichit, s'affine,
se
précise, se corrige au fur et à mesure de ses
plongées dans les archives constituées au
Musée
morave à Brno ou ailleurs en Moravie et même sur
l'ensemble du territoire tchécoslovaque où se
trouvent
disséminés ici et là des documents
indispensables.
Il apparait comme l'un des mieux placés et des plus
compétents pour offrir aux mélomanes une somme
janacekienne égale, par exemple, en quantité et
en
qualité à celle qu'Henri-Louis de la Grange a
consacré à Gustav Mahler au début des
années 80.
Tel quel, le premier volume justement sous-titré "The lonely
blackbird", le merle solitaire, par la juxtaposition de ces deux mots
couvre la plus grande partie de la réalité de
cette
partie de l'existence du compositeur que John Tyrrell
déroule au
long de quatre chapitres décrivant quatre moments de sa vie :
1. Un départ
tardif 1854 - 1880
2. Le jeune professionnel 1880 - 1888
3. Le ruban noir 1888 - 1903
4. Dans les brumes 1903 - 1914
Succèdent à cette étude
développée
sur 838 pages, de copieuses notes occupant 54 pages, une importante
bibliographie, un index et enfin le catalogue simplifié de
l'œuvre musicale ainsi que les écrits du
compositeur. Un
petit cahier de trente trois photographies
insérré entre
les pages 480 et 481 du livre propose un raccourci saisissant de la vie
du musicien. Vue son étendue, d'inévitables
erreurs se
retrouvent dans cette monumentale étude dont une inversion
des
photos 29 et 30 représentant František
Bartoš et
Zdenĕk Nedjedly, mais ce ne sont que broutilles excusables.
Ajoutons que Tyrrell traque les plus petits détails
significatifs
et donne à ses lecteurs un grand nombre d'informations qui
éclairent les orientations du compositeur, par exemple la
liste
des opéras que Janáček a vus,
étudiés ou
commentés ou celle des articles que le compositeur
rédigea pour Hudební
listy ou encore l'emploi du temps
de Leoš alors
élève au conservatoire de Vienne (1880) ou bien
encore le
programme, aussi détaillé que peuvent le
révéler les archives à sa disposition,
des concerts
que le jeune dirigeant donna à la tête de la
société
Svatopluk à Brno dans les années 1870.
Nous ne pouvons qu'encourager nos lecteurs anglophones à
acquérir cette impressionnante étude (Faber and
Faber
éditions). Pour notre part, alors que nous prenons contact
avec
celle-ci depuis quelques jours, nul doute qu'elle nous servira pour
approfondir notre connaissance de ce musicien et nous aidera
à corriger les éventuelles erreurs
que nous avons pu laisser dans les articles en ligne depuis plusieurs
mois sur ce site.
Joseph Colomb - 22 novembre 2006
(1) ouvrages consacrés à Janáček :
Leoš
Janáček : Kata Kabanova
Cambridge University Press
- 1982 - 234 pages
Janáček's
operas : a documentary account
Faber and Faber - 1992 -
405 pags
Intimate letters :
Leoš Janáček to Kamila Stösslova
Faber and Faber - 1994 -
397 pages
Janáček's works
: a Catalogue of the Music and Writings of Leoš
Janáček
avec Nigel Simeone et
Alena Nemcova
Clarendon Press - 1997 -
522 pages
My life
with Janáček ; the memoirs of Zdenka
Janáček
Faber and Faber - 1998 -
278 pages