Etincelante Katia !

Deuxième opéra du somptueux festival Janáček à Lyon, dirigé par le même chef, avec la même équipe de mise en scène, de décoration et l'essentiel de la même équipe artistique, Kát'a Kabanová a rempli ses promesses.  Voir un tel chef d'œuvre dans des circonstances aussi favorables est une vraie chance qu'ont saisie les spectateurs lyonnais. Ils ont manifesté leur enthousiasme par des applaudissements abondants et mérités.
Dans un décor stylisé, les personnages pouvaient évoluer sans qu'aucun accessoire ne vienne polluer la progression des situations et le déroulement du drame. Les couleurs vives en larges aplats des rives de la Volga s'opposaient aux costumes ternes de la plupart des chanteurs alors que les murs de la salle, décor de l'acte II, de couleur  lie de vin ponctués de motifs répétés, enfermaient les protagonistes dans leur vie conventionnelle et étouffante, respectueuse des usages, des traditions et de la religion.
La personnalité de Kathryn Harries s'incarne dans le rôle de Kabanikha qu'elle promène dans les différentes scènes avec une sobriété hautaine. Son grand mérite consiste à n'en point faire trop, mais sa tenue, tant gestuelle que vocale, délimite clairement le roc d'autorité et de conventions sur lequel se fracasse Kát'a, sa belle-fille. Tout les oppose, le port raide, rigide pourrait-on ajouter, pour l'une et la soif de vivre, la grâce, l'innocence, pour l'autre. Le noir du costume de l'une contraste avec la blancheur des tenues de l'autre, sitôt que par un acte insensé d'audace, elle quitte une conduite dictée par l'autorité de sa belle-mère, qu'elle défie d'une certaine façon. Eva Jenis, frêle et touchante, mais aussi hardie et forte Kát'a, se libère de la tutelle maternelle lorsqu'elle défait son strict chignon pour laisser sa chevelure onduler au vent et au désir de son amant. La musique de Janáček accompagne à merveille les modifications de comportement de son héroïne : aussi légère que le sourire et la gestuelle de Kat'a lorsqu'elle s'imagine oiseau, aussi menaçante par la fanfare qui sonne lorsqu'elle se sent, par cet amour coupable, au bord du précipice. De même, au début de l'acte II, les mélodies narquoises et juvéniles escortent la conduite libérée de Varvara, subtilisant la clé qui va lui permettre à elle et à Kát'a de passer une nuit d'amour avec leurs amants respectifs. Et l'on pourrait ajouter la musique qui sait se faire grotesque pour stigmatiser le comportement pour le moins équivoque de Dikoj et de Kabanikha, hypocriques représentants d'un ordre moral qu'ils ne s'appliquent guère à eux-mêmes.
Quand, à la fin du 1er tableau de l'acte III, Kat'a confesse sa faute à son mari, alors que l'orage vient de gronder, un autre orage très significatif déferle de l'orchestre. Le fleuve Volga, si présent tout au long de l'opéra, symbolisé dans ce dernier acte par une surface moirée de divers violets, s'impose dans le dernier tableau, à la fois menaçant et apaisant. C'est dans ses eaux que Kát'a va se libérer de son "crime" et de sa vie ratée. Quelle belle idée de cloturer l'opéra sur les paroles de Kabanikha "merci, merci, bonnes gens pour votre empressement" en montrant la femme hautaine les prononcer seule sur scène. Paroles inconsistantes d'une femme incapable de compassion, paroles uniquement dictées par un rang social et un ordre moral à tenir ! Personne n'est plus dupe.
Il faudrait parler plus longuement du couple Varvara - Koudriach, juvénile et pur, possédant l'intelligence de l'esprit (il est instituteur, chimiste et mécanicien), l'intelligence du cœur, et l'intelligence du chant.
Vous l'avez compris, avec cette production importée de Glyndebourne, l'Opéra de Lyon fait honneur à l'opéra, à la musique, à Janacek. Lecteurs, si vous habitez la région lyonnaise et que vous n'avez pas encore assisté à une des représentations de ce festival Janacek, n'attendez plus, rejoignez l'Opéra le 21 mai ou le 2 juin pour les dernières séances !

Joseph Colomb, mai 2005