Jaroslav Seifert : Mozart à Prague

Traduction originale d'Eric Baude

1

Si seulement je jouais de la flûte
Comme j'écris des vers en rimes !
Les mots ? Peut-elle en espérer quelque chose
Celle qui a envie de danser,

Entendra-t-elle le vent murmurer
Dans le paisible crépuscule d'un long hiver ?
Si seulement je jouais de la flûte
Comme j'écris des vers en rimes !

Je cherche sa tombe. Au-delà des grilles
Il fait déjà nuit, peut-être m'ont-ils enfermé.
Pas encore ! Je m'arrêtais,
Me chuchotant à moi-même devant les morts :
Si seulement je jouais de la flûte !

2

Que reste-t-il du spectre de son linceul
Qui entra dans la maison des morts ?
Rien. Un peu d'eau sur le lierre
Grimpant jusqu'au fond des fentes.

Et ce qui ne signifiait que ruine
Etait revêtu de tarlatane.
Que reste-t-il du spectre de son linceul
Qui entra dans la maison des morts ?

Les morts ? Quelques croix se penchent de ce côté
Tandis qu'un ange étouffait son flambeau
A la froideur de son arète.
Que reste-t-il du spectre de son linceul ?

3

Réveillons la défunte, allons à sa rencontre
Quand bien même elle reposerait depuis un siècle.
Elle m'apparaît auprès du mur
Comme une ombre dessinant le néant.

Je veux percevoir sa chevelure, son visage
Et ses yeux, tout ce que la mort a effacé,
Réveillons la défunte, allons à sa rencontre
Quand bien même elle reposerait depuis un siècle.

Un siècle mais plus encore peut-être,
Si seulement je savais où elles se sont réfugiées
Elle et sa bouche chantante
Métamorphosée en un bruissant feuillage.

4

Le temps, tout autour, a déjà fait son œuvre
Et nul ne se souvient,
La terre elle-même a oublié
Où sa voix fut enterrée,

Aucun messager ne peut dire
Où repose Josefina
Le temps, tout autour, a déjà fait son œuvre
Et nul ne se souvient.

Pourtant une image monta en moi ;
Vous avez mûri dans ces lieux belles grappes de raisin
Celui qui vous vendangea cet automne
Se rappelait des lèvres de la bien-aimée ;
Le temps, tout autour, a déjà fait son œuvre.

5

Partout le temps griffe avec ses ongles durs
Et la pluie disperse ses empreintes dans le crépi.
J'imagine en elles le golfe de Naples,
La mer, un volcan, au-dessus un panache de fumée.

Et un vignoble, Rome est si proche,
Il y a tant de fleurs que la tête tourne.
Partout le temps griffe avec ses ongles durs
Et la pluie disperse ses empreintes dans le crépi.

Cette chanson ? sans doute. J'attendrai !
Notre hôtesse de nous l'accordera pas.
Un vigoureux hiver souffle à présent.

Où que ton regard se pose,
Partout le temps griffe avec ses ongles durs.

6

Adieu ma belle flamme !
La mélodie effleura son front
Et celle à qui elle appartenait
Ne dit mot de ce qui n'ose se dire.

N'éclairez pas ! A la nuit tombante
Les mots semblent moins audacieux.
Adieu ma belle flamme !
La mélodie effleura son front.

Dans son trouble elle ouvrit la fenêtre
Les lueurs nocturnes tombaient sur les lumières du jour
Et dans le lointain Praha rougeoyait.
Adieu ma belle flamme !

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