Petite chronologie de la vie de Josef Mysliveček (1737-1781)

Josef Mysliveček (en français "petit chasseur") est né avec son frère jumeau Jáchym le 9 mars 1737 à Horni Sarka près de Prague (aujourd'hui dans la proche banlieue de Prague), dans la famille d'un meunier prospère. Les parents de Josef et Jáchym s'appellent Matej et Anna Mysliveček. Matej mourra en janvier 1749. De 1744 à 1753 Josef fait ses études à Prague chez les dominicains puis chez les jésuites et commence l'apprentissage de la musique en chantant dans le chœur de l'église saint Michel (chef de chœur Felix Benda).

Le jeune Mysliveček assiste aux premières pragoises des opéras de Glück Ezio (1750) et Issipile (1752) par la troupe de Locatelli.

À partir de 1753 Josef et Jáchym Mysliveček deviennent à la demande de leur père apprentis meuniers. Tout d'abord meuniers ordinaires si l'on en croit le guide des meuniers de Prague de 1758, ils obtiennent ensuite trois ans plus tard leur diplôme de "Maître Meunier".

De 1760 à 1762 Josef, qui a abandonné son précedent métier de meunier et cédé sa propriété sur les moulins à son frère à la mort de son père, approfondit ses études musicales auprès de František Václav Habermann (1706-1783, maître de chapelle du prince Louis-Henri de Condé puis kantor à Prague et chef des chœurs à Cheb) pour le contrepoint et pour l'orgue et la composition avec l'incontournable, remarquable pédagogue et kantor Josef Ferdinand Norbert Seger (1) (1716-1782) qui formera tant de compositeurs tchèques du pré-classicisme et classicisme. Dès 1760 il fera éditer sa première œuvre de manière anonyme, les six symphonies intitulées d'après les six premiers mois de l'année. La création de ces symphonies a lieu au théâtre du palais du comte Vincenz z Valdstejn.

(1) Né à Repin près de Melnick en Bohême du nord, choriste au cloître des minorites (église Saint Jacques), élève de Bohuslav Cernohorsky, organiste et maître de chapelle en Italie pendant 10 ans. Il étudie la philosophie. Après la mort de Jan Zach il est organiste chez les pères croisés. Connu et réputé comme pédagogue il forme Mysliveček, František Xaver Brixi, Jan Evangelista Koželuh, Vincez Másek, Václav Pichl, Václav Praupner, JK Kuchar, Jan Křtitel Vaňhal...

Le quartier de la mala Strana à Prague, avec le pont Charles et le moulin de la famille Mysliveček.

En 1763, il trouve un emploi comme violoniste d'église. C'est avec le soutien du comte Vincenz z Valdstejn, de bénédictins et de cisterciens qu'il part en Italie. Il travaille alors le chant et la composition d'opéras avec Giovanni Battista Pescetti (2) (1706-1766), rencontre et a une liaison de plusieurs années avec la cantatrice Lucrezia Aguiari. Six symphonies de sa main sont publiées à Nuremberg. Il inaugure sa brillante carrière de compositeur d'opéra avec Medea tiré du livret de F.W. Gotter (parmi les autres compositeurs contemporains inspirés par ce sujet mythologique on trouve le Tchèque Jiří Benda (3) qui écrira un mélodrame) au théâtre ducal de Parme en 1764 à l'occasion du carnaval. Medea est en fait le deuxième opéra de Mysliveček. Sa première composition, Il Parnasso Confuso, sur un livret de P. Metastasio, ne sera créé qu'après Medea à Parme en 1765.

(2) Né à Venise, élève d'Antonio Lotti, organiste à la basilique Saint Marc à partir de 1762. Il devait écrire chaque année un opéra pour sa ville.

(3) F. W. Gotter (1746 - 1797), ami de Jiří Benda, était archiviste de la cour de Gotha et appartint au cercle des amis de Goethe.

En 1766 Josef Mysliveček reçoit la commande d'un opéra du théâtre de la cour de Naples. Il commence son Bellorofonte. Cet opéra est joué le 20 janvier de l'année 1767 pour fêter l'anniversaire du roi à Naples. La distribution inclut de célèbres chanteurs comme Anton Raaff et Caterina Gabrieli avec laquelle Mysliveček noue une idylle romantique. Ce nouveau triomphe incite les plus grands théâtres italiens à lui passer commande de nouveaux ouvrages (Rome, Venise, Bologne, Florence, Turin, Milan...). Les Vénitiens lui écrivent des sonnets d'admiration et le nomment "Il divino Boemo", les Napolitains "Il Venatorini". Des émissaires de la cour du roi du Portugal font copier à Naples et à Gênes les opéras de Mysliveček pour la bibliothèque Ajuda afin de les faire représenter à Lisbonne (c'est dans cette ville que l'on trouve aujourd'hui pour cette raison la collection la plus importante des opéras de Mysliveček). Cette même année il fait représenter après le succès du premier un autre opéra Il Farnace (4 novembre 1767) dans cette ville, publie six quintettes à cordes à Lyon et Paris. Sa mère décède au mois de décembre alors que Il trionfo di Clelia est interprété à Turin (26 décembre 1767).

Josef Mysliveček revient à Prague en 1768 où les échos de ses succès musicaux italiens et ses conquêtes alimentent les conversations. Il supervise les représentations de Farnace et de Semiramide. En Italie, Il trionfo di Clelia est donné pendant le carnaval de Turin. Il écrit l'oratorio Giuseppe Riconosciuto. Ses six trios à cordes opus 1 sont édités à Paris. En 1769 on donne Demofoonte pendant le carnaval de Venise (théâtre San Benedetto en janvier), l'oratorio La famiglia di Tobia à Padoue et Ipermestra à Florence le 28 mars.

Mozart rencontre Mysliveček en 1770 à Bologne. Première rencontre et début d'une longue amitié et estime réciproque entre les deux hommes, entre le Tchèque au sommet de sa reconnaissance et le jeune compositeur et virtuose autrichien âgé de 13 ans. Mysliveček en a 33 ! La Ninetti est représentée à Bologne au printemps et l'oratorio I Pelligrini à Padoue. Tant de villes d'Italie saluent et s'inclinent devant cet ancien meunier.

En 1771 Mysliveček et Mozart se revoient à Milan dans la ville où est donné Il gran Tamerlano (décembre) et l'oratorio Adamo e Eva durant le carême. Mysliveček est reçu comme membre de l'académie philarmonique de Bologne. On joue Montezuma pendant le carnaval de Florence, la Betulia Liberata à Padoue.

Mysliveček voyage et obtient un véritable triomphe à la création de chacune de ses compositions. Il retrouve encore une fois Mozart à Milan, fait la connaissance de Charles Burney à Vienne, rentre à Prague et y séjourne peut-être pour la dernière fois. Il gran Tamerlano est joué à l'occasion du carnaval de Milan. Il publie à Londres six trios d'orchestre et six autres trios opus 4 (Paris 1772).


Venise : Piazza San Marco (vers 1760) par Francesco la GUARDI (1712-1793)

Une dernière rencontre avec la famille Mozart en Italie a lieu en 1773. Mysliveček séjourne à Munich pour la préparation d'un de ses ouvrages (Erifile) dont la représentation ne soulèvera pas l'enthousiasme. Mysliveček prétexte que seuls l'Italie et la couleur de ses ciels l'inspirent ! L'oratorio La passione di Gesù Cristo est interprété durant le carême à Florence et Prague (création dans cette ville), Il Demetrio à Pavie en mai pour l'inauguration du nouveau théâtre, Romolo ed Ersilia à Naples le 13 août (livret de Métastase), la Clemenza di Tito le 26 décembre à Venise et Antigona le même jour à Turin. Deux opéras sont montés, Atide à Pavie en juin et Artaserse à Naples au mois d'août. Georg Joseph Vogler est son élève durant ce dernier séjour en Italie. Il dirige à Naples l'Orfeo de Glück avec des arias supplémentaires de Jean-Chrétien Bach et ses propres modifications de l'œuvre.

En 1775 on donne ses grands chefs d'œuvre, le Demofoonte en deuxième mise en scène à Naples en janvier, la Liberazione d'Israele, un oratorio à Prague durant le carême, Ezio encore à Naples en mai. Six sonates pour clavecin et violon sont publiées à Londres pendant ce temps. Malgré ses exceptionnels succès, Mysliveček rencontre régulièrement des problèmes financiers. Il faut dire qu'il mène grand train et dépense sans compter. Un de ses élèves, Sir Edward Barry, le prend sous sa protection matérielle. Peu après il ressent les premiers symptômes d'une maladie vénérienne. Mysliveček fait entendre en 1776 à Florence son oratorio Abramo e Isacco (création le 10 mars au Casino della Nobilta) ainsi que son opéra Adriano in Siria (première en automne au théâtre del Cocomuro). Parmi les interprètes on retrouve quelques-uns des plus grands chanteurs du moment, Valentino, Adamberger, qui sera le premier Belmonte de l'Enlèvement au Sérail de Mozart, le soprano Tommaso Guarducci, dans le rôle d'Isacco. L'œuvre aurait été attribuée un certain temps par erreur à Mozart ou Haydn comme en attestent les copies manuscrites conservées à Berlin et Florence. Le livret est de Pietro Metastasio, poète de la Cour Impériale de Vienne. Mysliveček s'inspira à de nombreuses reprises des livrets de Metastasio pour ses opéras et oratorios.

Mysliveček revient à Munich à l'invitation de l'électeur de Bavière Maximilien, il y est acclamé pour son opéra Ezio et son oratorio Abramo ed Isacco (1777). On lui suggère l'ablation du nez afin de soigner sa maladie vénérienne. Mozart lui rend visite à l'hopital et celui-ci est impressionné par le visage du Tchèque. Il écrit "S'il n'y avait pas son visage, ce serait le même Mysliveček, plein de feu, d'esprit et de vie..." Mysliveček conseille à Mozart en peine de protection d'aller en Italie où il pourra l'aider.

Pendant ce temps, toute la ville parle de son oratorio. Mysliveček échoue dans sa tentative d'aider Mozart à obtenir la commande d'un opéra et cet échec provoque chez Mozart une grande déception et un sentiment d'incompréhension s'installe entre les deux compositeurs. De Munich, il repart en Italie et continuera pendant les 2 prochaines années de sa vie à écrire des opéras dont le succès ne se dément pas. On donne La Calliroe le 30 mai 1778 à Naples, l'Olimpiade le 4 novembre. Six quatuors à cordes sont édités chez Offenbach. Au printemps suivant on joue Circe à Venise (mai 1779), Demetrio encore à Naples (13 août). Le 26 décembre un nouvel opéra Armida est monté au théâtre de la Scala et pour la première fois le succès attendu n'arrive pas. C'est le début du déclin du "Divino Boemo" qui va l'entrainer jusque dans la plus grande misère. Medonte, donné au théâtre Argentina de Rome (1780) connait un demi-échec tout comme son dernier opéra Antigone au printemps de cette même année. La santé et les ennuis financiers de Mysliveček s'aggravent. Malade, ruiné, oublié, il meurt dans une chambre louée à Rome le 4 février 1781 à 43 ans d'une vie d'une intensité incroyable. Ses biens se résument au contenu d'une malle de voyage, "divers papiers de musique" et huit reçus du mont de piété. Le monument que lui érige Sir Edward Barry dans l'église Saint Laurent à Lucina disparaît rapidement !


Une représentation au Teatro Argentina par Giovanni Paolo Pannini (1691-1765)

Un sens inné de l'écriture vocale complété d'un foisonnement d'idées, d'effets et d'invention mélodiques, d'expressions dramatiques ont permis au compositeur tchèque de tenir le devant de la scène théatrale italienne dans le domaine traditionnel de l'opéra seria et de l'oratorio pendant près de quinze ans. Ses ouvrages alternent savamment des arias da capo avec ritournelles développées et d'impressionnants passages de virtuosité vocale (coloratura) dans une variété de tonalités contrastées tout en préservant voire exacerbant l'intérêt dramatique. Mysliveček avait aussi parfaitement assimilé la subtilité, la théatralité, la musicalité de la langue italienne comme Mozart. Son orchestration est soignée, subtile, d'une intense dynamique, liée intimement aux parties chantées. A cela s'ajoutent des influences de la musique populaire des pays de Bohême, terre d'origine du compositeur, au phrasé et à la rythmique si caractéristique. Cela est particulièrement sensible dans sa musique de chambre, elle-même proche de sa musique vocale et dans ses compositions pour ensembles à vent (structures thématiques). Certains mouvements évoquent les cavatines de ses opéras, les passages de grande virtuosité ressemblant à des arias coloratures, ponctués par des cadences comme si le compositeur faisait appel dans cette musique instrumentale à un texte imaginaire, chaque groupe d'instruments pouvant évoquer des personnages intervenant sur scène. Pas étonnant dans ces circonstances que Mozart prenne Mysliveček comme modèle pour certaines de ses œuvres (aria ridente la calma, le concerto pour violon en la majeur K. 219 ou encore le concerto pour basson K. 191). L'oratorio Isacco de Mysliveček fut attribué à Mozart un certain temps. Mysliveček d'après C. Burney était aussi populaire pour sa musique de chambre que pour ses opéras.

Comme de nombreux autres compositeurs tchèques de la même époque, pour la plupart exilés aux quatre coins de l'Europe, Mysliveček crée son style et son langage propres, synthèse harmonieuse à la fois d'éléments tchèques et d'influence italienne et comme Jan Stamic à Mannheim par exemple ouvre le chemin qui conduira au classicisme.

Quelques œuvres

Opéras (sélection)

  • Il Bellorofonte (copie à Paris, Bibliothèque Nationale avec un superbe aria pour soprano accompagné par un solo de cor)
  • Il Demoofonte
  • Montezuma
  • Il Demetrio
  • Antigona
  • Atide
  • La Clemenza di Tito
  • Ezio
  • Merope
  • L'Olimpiade
  • Armida
  • Medonte
  • Antigono
  • Oratorios (sélection)

  • La famiglia di Tobia
  • Adamo ed Eva
  • La passione di Gesu Cristo
  • La liberazione d'Israëla
  • Isacco figura del Redentore
  • Musique de chambre

  • Sonates en trio, quatuors, divertimentos, sonates, trios, musique de chambre pour instruments à vent, octuors.
  • Autres genres

  • Cantates, litanies, sinfonies, sinfonies concertantes, concertos (violon, flûte, violoncelle...), quintettes, trios orchestaux, ouvertures, divertimentos.
  • Bibliographie

  • The New Grove Dictionnary volume 13.
  • Josef Mysliveček und sein Opernepilog, R. Pecman, Universita J. E. Purkyne v Brne (Brno 1970)
  • Josef Mysliveček, A Thematic Catalogue of his instrumental and orchestral works, Angela Evans/Robert Dearling (Musikverlag Katzbichler, Munchen 1999)
  • Un oublié:" Il Divino Boëmo", Max Pincherle (Paris 1927)
  • Un ami de Mozart: Joseph Mysliweczek (sic!), revue musicale 1928.
  • "Il Divino Boëmo", S. Spatova-Ramesova (Prague 1957)
  • Mozart und Mysliveček, Paul Nettl, Prager Rundschau (Prague 1937)
  • Il serait très heureux qu'on puisse, au-delà de quelques trop rares enregistrements (Supraphon et Panton pour les opéras. Sinon il existe d'excellents enregistrements de sa musique de chambre pour cordes et pour vents ainsi que de ses concertos) réentendre cette musique oubliée dans sa dimension théatrale. A ma connaissance aucun théatre lyrique français n'a programmé un opéra de Mysliveček durant tout le XXième siècle ! Pour un des plus remarquables prédécesseurs de Rossini, Bellini et Verdi, c'est un fâcheux oubli que l'on devrait se dépêcher de réparer. Mais avec un nom pareil, a-t-on idée d'écrire de la musique ?

    Eric Baude, Tours le 24 février 2002

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