Gottfried Rieger (1764-1855)

Ce compositeur appartenant à l’ethnie allemande de Moravie est né le 1er mai 1764 à Opavice (Troplowitz) en Silésie et est décédé à Brno le 13 octobre 1855, à l’âge respectable de 89 ans.

Fils de musicien, il aurait commencé avec son père par s’initier au Cymbalum[1] puis aurait appris rapidement à jouer de plusieurs autres instruments (clarinette, hautbois, violoncelle et orgue). Il débute sa carrière musical à l’âge de 13 ans en entrant comme page dans la chapelle du comte Josef Sedlnitzký (Sedlnický) z Choltic à Linhartovy (Geppersdorf) en Silésie, petite localité proche de la ville de Krnov (Jägerndorf). Les activités de cette chapelle musicale uniquement instrumentale dont la fondation remonte aux années 1770[2] et dont les musiciens étaient quelques-uns des domestiques du comte Sedlnitzký, sont alors étroitement liées à celles du château de Janský Vrch (Johannisberg) à Javorník (Jauernig).) L’adolescent se met à composer et sur la recommandation du compositeur Carl Ditters von Dittersdorf (1739-1799), en poste à Janský Vrch[3], devient l’élève d’Antonín Damasus Brosmann[4] au collège piariste[5] de Bílá Voda (Weisswasser) de 1784 à1785 (?). Rieger considèrera plus tard que ses deux années d’études intenses aux côtés de Brosmann furent les meilleurs moment de sa vie : « Je suis plein de reconnaissance envers le père Damasus pour tout ce qui concerne la théorie musicale. Cet homme plein de bonté et amical m’a consacré tout son temps libre. Je considère cette époque passée auprès de lui comme les plus beaux instants de ma vie »[6]. Il quitte ensuite en 1787, à l’âge de 23 ans, le service du comte Sedlnitzký pour Brno.Après 3 premières années difficiles, il acquiert rapidemment dans cette ville une excellente réputation en particulier comme enseignant. Il est également engagé en 1792 comme Directeur du Théâtre, succèdant au violoniste, compositeur et chef d’orchestre polono-silésien, Jósef Antoni Franciszek Elsner (1769-1854) et comme chef de la musique du régiment Laudon. Sous sa direction l’orchestre du théâtre atteint un excellent niveau. Le nombre de musiciens qui le composent monte à 26, un nombre important d’exécutants alors équivalent à celui de la formation du théâtre Nostic de Prague à la même époque[7]. Il écrit de nombreux singspiels pour son théâtre ainsi que des cantates de circonstances, des pièces pour piano qui font l’objet de publications et d’un grand succès dans les salons de l’aristocratie morave.

Attiré par la réputation artistique de la cour, Rieger « s’absente » ensuite de Brno pendant quatre années pour se mettre au service du comte Jindřich Vilém Haugwitz[8] comme Maître de Chapelle au château de Náměšť nad Oslavou (1804-1808) cédant sa place de chef d’orchestre du Théâtre de Brno au hautboïste, professeur de chant et compositeur d’origine morave, élève de J. G. Albrechtsberger et futur successeur de Carl Maria von Weber à Prague, Joseph Triebensee (1760-1846).

Il n’est pas inutile de présenter plus en détail quelques-uns des aspects spécifiques des activités artistiques de ce haut-lieu de l’histoire musicale en Moravie dans la première moitié du XIXème siècle. Le comte Jindřich Vilém Haugwitz est d’abord lui-même un musicien averti. De son enfance viennoise, il a gardé une passion pour la musique, a appris à jouer du violon avec Franz Kreibich (1728-1797), membre du quatuor à cordes de l’empereur Joseph II, du piano, de la harpe. Antonín Kraft (1749-1820) lui a donné des cours de violoncelle en 1803. Les concerts organisés dans le cadre de la bibliothèque impériale de Vienne par l’aristocrate éclairé, le baron Gottfried van Swieten (1730-1803) que nous connaissons notament pour ses interventions en faveur de Mozart, ont complèté son éducation musicale exemplaire de cet aristocrate éclairé. Il partage cette passion avec sa femme, la comtesse Sophie Haugwitz, née Friess (1769-1835), harpiste et pianiste virtuose. Les époux se sépareront en 1802 pour, semble-t-il, des divergences d’opinion religieuse (J. Sehnal, DHnM, p. 126). Si étonnant que cela puisse paraître, ni cet événement, ni surtout les guerres napoléoniennes et la banqueroute financière de l’empire autrichien en 1811, ne remettent en question les activités musicales du château.

C’est d’abord l’opéra et l’oratorio qui enthousiasment par dessu-tout le comte Haugwitz et qui le décide de faire construire en 1800 un théâtre à cet effet dans son château de Náměšť nad Oslavou (Sehnal, DHnM, p.126). Il en a les moyens grâce au profit que lui rapporte ses usines textiles, fondées en 1795 dans les murs de l’ancien couvent des capucins. Les activités musicales au château iront croissantes de 1805 à 1825 jusqu’à coûter entre 6000 et 8000 florins (Sehnal, DHnM, p. 126).

Il semblerait d’après d’Elvert que la chapelle ait compté dans sa période faste quelques 63 musiciens et le choeur 24 chanteurs. D’après le livre des comptes du château, le nombre de 30 à 40 musiciens paraît plus près de l’effectif réel. Les membres de cette chapelle sont pour la plupart des instituteurs et leurs assistants des villages des larges environs auxquels se joignent quelques employés du comte. A l’âge d’or des activités musicales, l’orchestre peut jouer jusqu’à deux à trois fois par semaine. Des concerts ont également lieu en plein air, dans le temple d’Apollon, près du tout proche pavillon de chasse de Šumvald (Sehnal, DHnM, p.126) ce que peut confirmer la présence d’un ensemble à vent et le répertoire y afférant. On imagine sans difficulté quelles impressions d’émerveillements pouvaient produire ces représentations en milieu rural ! Le comte tenait en plus à ce que les billets d’entrées aux diverses manifestations musicales soient gratuits.

En ce concerne le répertoire, influencé par le goût musical de J. V. Haugwitz, fait figure d’exception dans le contexte morave de l’époque. Alors que triomphent à Vienne et dans la capitale morave les opéras et les singspiels de Wenzel Müller, Ferdinand Kauer, ou encore ultérieurement, la musique lyrique de G. Rossini, on joue à Náměšť nad Oslavou les opéras de C. W. Glück, d’Antonio Salieri et J. G. Naumann et dans les années 1820, quand Brno est pris d’une véritable fièvre rossinienne, les oratorios de G. F. Haendel (J. Sehnal, DHnM, p.126-127). Parmi les autres compositeurs au répertoire, on trouve A. Caldara, J. J. Fux, F. L. Gassmann, J. Haydn, C. H. Graun, L. Cherubini, W. A. Mozart, J. A. Benda. Le comte en personne n’hésite à réaliser la traduction en allemand de certains livrets d’opéra comme Iphigénie en Aulide de Glück, à les copier en une vingtaine d’exemplaires et, pour ce dernier, opéra, va jusqu’à en faire grâver une édition en 1809, édition imprimée à Brno. Bien après le départ de G. Rieger, les festivités musicales se poursuivront au château.

 Gottfried Rieger

C’est donc dans le cadre de ses activités dans cet important château des environs de Brno que G. Rieger dirige quelques-uns des plus célèbres oratorios des compositeurs de la deuxième moitié du XVIIIème siècle tout en poursuivant son travail d’écriture d’œuvres orchestrales, de cantates de célébration et de musique de chambre. C’est à cette période qu’il écrit son oratorio « Thirza und Ihre Söhne » et « Die Schlacht bei Austerlitz », œuvre à programme pour le Forte piano. On ne connaît pas les raisons particulières qui incitèrent Rieger à composer cette pièce à programme mais il est probable que les échos de la bataille des 3 empereurs dans les proches environs de Slavkov (Austerlitz) ont été entendu jusqu’à Náměšť nad Oslavou. Rieger pourrait aussi avoir eu à disposition un ensemble à vent, formé d’instrumentistes de la chapelle musicale constituée pour les représentations d’oratorios et de concerts et avoir écrit ici une partie de sa musique pour ce type de formation. Toutefois, si l’on peut en croire Fétis, « L’insalubrité du lieu décida Rieger à se démettre de son emploi et à retourner à Brünn »[9]. En tous les cas, les deux hommes semblent s’être quittés en mauvais termes.Le compositeur tchèque Josef Ondřej Novotný (1778-1856)[10], déjà en poste dans la chapelle du comte Haugwitz depuis 1801 comme violoncelliste (ČHS, M-Ž, p.207) lui succèdera de1809 à 1820. Il retournera à Brno après s’être lui aussi disputé avec son employeur (J. Sehnal, DHnM, p.155) Jan Sander (?) prendra la suite de 1820 jusqu’à la mort du comte Haugwitz en 1842.

A son retour à Brno, Rieger ne retrouve pas la direction de l’orchestre du Théâtre mais, fort de son expérience précédente, préfèrera se consacrer plutôt à la diffusion d’oratorios dans le cadre des concerts organisés par l’Académie musicale à l’occasion desquels il donne également des œuvres de Beethoven comme la « Missa Solemnis ». Il soutient la fondation de la « Société des amis de la Musique » (Gesellschaft der Musikfreunde) puis fonde en 1814 un internat pour jeunes chanteurs, une institution chargée entre autre de pourvoir aux besoins des effectifs vocaux de ses représentations d’oratorios puis un institut de musique privé en 1828 où il enseigne et forme plus de 200 élèves parmi lesquels on trouve Jan Chmelíček (1825-1891), le guitariste et premier compositeur morave de la Renaissance nationale Ludvík z Ditrichů (1803-1858) auteur de chants populaires patriotiques (hymne morave) et révolutionnaires sur des textes de Václav Hanka et du poète František Ladislav Čelakovský, Leopold Streit (1777 ?-1848), Antonín Emil Titl (1809-1882), Hýnek Vojáček (1825-1916), Friedrich Zvoneček (1817-1848) et également selon toute vraisemblance Pavel Křížkovský.

Bien qu’appartenant à l’ancienne école, Rieger est sans doute le plus remarquable des musiciens et pédagogues moraves de sa génération et la personnalité la plus marquante de la vie musicale régionale avant celle, plus proche de nous, de Pavel Křížkovský. Outre ses compositions d’un style conservateur, ses ouvrages de théorie musicale ont été edités au cours de son existence non seulement à Brno mais également à Vienne et ont été très favorablement accueillis à Leipzig.

Notes

1) Rudolf Quoika, "Rieger Gottfried", Die Musik der Deutschen  in Böhmen und Mähren, Bln, 1956.

2) Olga Settari, "Linhartovy", SČHK, Praha, Editio Supraphon, 1997, p. 517.

3) 1770-1795.

4) 1731-1798, compositeur morave, d’origine moravo-germanique et moine piariste connu sous le nom de Padre Sancto Hyeronimo Damasus, né à Fulnek en Moravie du Nord et mort à Příbor. Il fut Directeur du séminaire archiépiscopal de Kroměříž. Il se lia d’amitié avec le compositeur Karl Ditter von Dittersdorf en poste en Moravie du Nord à Javorník auprès de l’archevêque de Cracovie Philippe Gotthard Schaffgotsch et qui avait la musique d’église de Brosmann en haute estime. Son nom n’est pas cité dans le dictionnaire de G. J. Dlabacž mais il s’agit pourtant d’un des compositeurs les plus populaires et les plus prolifiques de la sphère piariste morave. Sa musique est conservée à Brno, Kroměříž, Opava et Prague.

5) Les moines piaristes fondateurs du collège venaient de Kroměříž. Ils développèrent en Silésie sur le modèle de l’institution Saint Maurice de cette ville et dans le cadre de leur mission éducative, une importante activité musicale (musique d’église, profane et même lyrique) dont la réputation s’étendit à l’ensemble de la Silésie, surclassant même celles d’institutions jésuites renommées comme le collège de Nisa.

6) Gottfried Rieger : Autobiographie, Allgemeinische musikalische Zeitung, Wien 1844, Nr. 24.

Jiří Sehnal, « Hudba u jezuitů a piaristů », Dějiny hudby na Moravě, Brno, Muzejní a vlastivědná společnost, 2001, p. 73.

7) Jiří Sehnal, Rozvoj městanské hudební kultury, DHnM, p. 131.

8) Jindřich Vilém Haugwitz, né le 30 mai 1770 à ?, mort le 19 mai 1842 à Náměšť nad Oslavou.

François Fétis, Dictionnaire des Musiciens, Paris ?, pp. 252-253.

9) Pavel Křížkovský (1820-1855). Le père du compositeur Leoš Janáček, Jiří Janáček (1815-1866), l’aida à obtenir une place « d’élève boursier » à Opava, probablement à l’église de la Vierge Marie. Il fut également l’un des professeurs de Janáček au monastère des Augustins du Vieux Brno.

10) Élève violoniste de Vojtěch Řehoř à Lysa nad Labem, d’A. Kraft (violoncelliste, joueur de violone virtuose et compositeur d’origine tchèque) et de J. G. Albrechtsberger (composition) à Vienne à la demande de J. V. Haugwitz, professeur de musique de la famille du comte, instituteur à l’école du village. Il jouera à Brno en quatuor avec G. Rieger, L. Streit et l’excellent luthier de Brno Bernhard Wutzelhofer (1785-1865). Il initie à Brno dans les années 1830 le mouvement d’éveil de la conscience nationale et fréquentera les partisans du séparatisme morave,ČHS, M-Ž, pp. 207-208.

Sources

 

Catalogue des œuvres de Gottfried Rieger (extrait)

 
Schuster Flink (Le cordonnier Flink)

Die vier Savojarden (Les quatre Savoyards)

Die Herde von Bethlehem

Die Totenglocke (Le glas)

Das wütende Meer

 
Mährens Brüderbund (1797)

Svatopluk

Wonne des wiedersehens (1833)

Therza und ihre sieben Söhne (Oratorio)

 
3 messes
pour solistes, chœur mixte et orchestre

16 messes brêves pour chœur d’hommes et orchestre

Offertoires, Graduels, Asperges me, Salve Regina, 20 Pange lingua.

Requiem

Chants d’église

 
Deutschland Triumph nach der Schlacht bei Leipzig, piano, publiée par František Malý aux éditions Salve Regina, Brno, mai 2005.

Concerto pour piano et orchestre

Sonates pour piano

Variations pour piano

 
Œuvres pour ensembles à vent (source John Gillaspie, Marshall Stoneham, David Lindsey Clark, The Wind Ensemble Catalog, Westport, Greenwood Press, 1998, p. 208) :

Harmonie en si bémol majeur pour 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 cors, 2 bassons, contrebasson et 2 trompettes (collection du couvent des Augustins de Brno)

Casatione en si bémol majeur  pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Parthia en fa majeur, La chasse pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Parthia en do majeur pour 2 clarinettes en ut, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Romance en si bémol majeur pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Variations aus dem zweyter Theil der Zauberflöte pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Marche pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Opern Stücke…nebst einem Contradanse pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou) :

-         Hoffmeister : Der Königssohn aus Ithaka, 1er mouvement.

-          K. Liechtenstein : Der Steinerne Braut, Allegretto.

-          Rieger: Contradanse.

-          Schenk: Der Dorfbarbier, Alla Polacca.

-         Rieger [?] : Thema con Variations.

Ouverture et 6 mouvements extraits de l’opéra Azémia (Die Wilden) de Dalayrac pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons, arrangement de G. Rieger (?), (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Ouverture et 5 mouvements extraits de l’opéra La Clemenza di Tito de Mozart pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Ouverture et 7 mouvements extraits de l’opéra Die Unterbrochene Opferfest de P. von Winter pour 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons (Collection du château de Náměšť nad Oslavou).

Ecrits théoriques : Harmonielehre oder Kunst, den Gb. In sechs Monaten zu erlernen, Wien, 1833, publié par ? Strauss.

Francois Fétis cite de son côté 3 quatuors pour piano, violon, alto et basse, opus 8 (Vienne , Haslinger), des trios pour piano, violon et violoncelle opus 14, (Vienne, Cappi), 3 trios concertants (Vienne, Haslinger), 3 sonates pour piano et violoncelle (Vienne, Haslinger), 3 sonates pour piano et flûte opus 18 (Vienne, Cappi), des sonates pour piano à quatre mains opus 19 (Vienne, Cappi), des rondos pour piano seul opus 24, 25, 26, 29 (Vienne Cappi)…

Eric Baude, Tours le 15 octobre 2005

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