Václav Talich (1883-1961)

« Je ne suis pas un virtuose mais seulement un honnête travailleur et un artiste tchèque ! »
V. Talich

Václav Talich appartient avec Karel Ančerl (1908-1973) au cercle très fermé des chefs d'orchestres légendaires. Son père, Jan Talich (1851-1915), instituteur de formation, est professeur de musique et de chant à Kroměříž en Moravie du sud, lieu de naissance de son fils, et devient maître de chapelle à Roznov et à Klatovy, petites villes de Moravie. Il occupe ces mêmes fonctions par la suite en Croatie. Václav Talich a un frère, Jan (1881-1953), qui joue du violoncelle et organisera des concerts à Plzen.

Václav Talich commence par suivre des études générales au lycée de Klatovy où sa famille a déménagé. Il intègre le conservatoire de Prague en 1887 dans la classe de violon de Jan Marak (1) et dans celle du renommé Otakar Sevcik (2) (1852-1934), deux incontournables représentants de la remarquable école tchèque de violon.

(1) Jan Marak (1870-1932)
Violoniste et pédagogue tchèque d'origine hongroise, cousin du peintre Julius Marak. Professeur au Conservatoire de Prague de 1897 jusqu'à sa mort. Il forma de remarquables musiciens qui perpétueront la grande tradition de l'école tchèque de violon.

(2) Otakar Sevcik (1852-1934)
Violoniste, fils d'un instituteur patriote, maître de chapelle. Musicien virtuose à l'image de Paganini, il fut violon solo de l'orchestre du Mozarteum de Salzbourg (1870-1873), de l'opéra comique à Vienne, professeur au Conservatoire de Prague (1892-1906), à l'Académie de musique de Vienne (1909-1918) puis responsable de cours magistraux de violon à Prague (1919-1921). Il enseigna aux Etats-Unis, en Allemagne... Parmi ses élèves apparaissent les noms de Jan Kubelík, Jaroslav Kocian, Mary Hall, Václav Talich, Érica Morini... O. Sevcik est un des fondateur de la pédagogie moderne du violon.

Il est lauréat de l'établissement en 1903, rentre alors dans les rangs de la Philharmonie de Berlin placée sous la baguette d'Arthur Nikisch (3).

(3) Arthur Nikisch (1855-1922)
Chef d'orchestre, né d'un père morave et d'une mère hongroise. Musicien polyvalent, il pratique le violon, le piano et compose. Il joue sous la direction de R. Wagner à Bayreuth, sous celles de Brahms, Liszt, Verdi... à Vienne. Après avoir dirigé à Leipzig, Boston, Budapest, il succède à Hans von Bülow à la tête de la Philharmonie de Berlin.

Son talent lui permet d'être nommé peu de temps après violon solo de l'orchestre mais malade il quitte Berlin en 1904. Pourtant la rencontre avec A. Nikisch l'a impressionné profondément et a renforcé sa volonté de devenir chef d'orchestre. En attendant, il s'installe à Odessa et joue avec l'orchestre du théâtre municipal. Il commence aussi à faire quelques premières apparitions au pupitre de direction. À l'automne 1905, V. Talich a rejoint Tbilissi et l'Académie impériale russe. Le voilà professeur de violon et chef de l'orchestre des élèves (auditeurs). La situation interne russe n'est guère plus stable à Tbilissi qu'à Odessa. Il prend la décision de rentrer en Bohême, à Prague (1906).

Vaclav Talich
Václav Talich

Dans la capitale en pleine effervescence musicale ses activités se partagent entre des cours privés, des concerts avec des orchestres amateurs, des liens avec l'orchestre symphonique Podskalka, des séances de corépétiteur et de direction à l'école de chant M. Langova. Il fait aussi la connaissance du compositeur et violoniste du Quatuor Tchèque Josef Suk (1874-1935), gendre d'A. Dvořák depuis son mariage avec sa fille Otilie (1898).

En 1908, il repart à l'étranger et prend la tête de la Philharmonie de Lublin en Pologne avec laquelle il donne l'opéra Rusalka de Dvořák et La fiancée vendue de Smetana. Il complète en parallèle sa formation musicale avec Max Reger (1873-1916) et Hans Sitt (1850-1922, violoniste et chef d'orchestre tchèque en poste au conservatoire) à Leipzig, assiste aux cours d'A. Nikisch (hiver 1910). Il séjourne également à Milan (1911).

Il est à Plzen à partir de 1912 à l'opéra municipal mais rompt son contrat trois ans plus tard pour retourner à Prague et retrouver un statut de professeur de violon indépendant. Cela lui permet de donner des cours privés et d'avoir surtout la disponibilité de se préparer en premier lieu à son avenir de chef d'orchestre à plein temps. Il lui arrive aussi de jouer à cette période avec le Quatuor Tchèque comme deuxième alto, une formation de chambre dont les membres sont ses amis. Sur la suggestion de Karel Kovarovic (1862-1920), V. Talich est invité à diriger pour la première fois officiellement la Philharmonie Tchèque, fondée en 1894. Le concert a lieu le 12 décembre 1917 avec au programme des œuvres de V. Novak, O. Ostrcil et la Symphonie n. 7 en ré mineur d'A. Dvořák. Son ami J. Suk lui confie la création avec le même orchestre de son œuvre Zrani (Maturation) le 30 octobre 1918. L'immense succès de cette manifestation favorisera l'établissement de liens profonds et durables entre le jeune chef et la Philharmonie Tchèque.

Dès l'ouverture de la saison 1919-1920, V. Talich en devient l'unique chef titulaire. L'ère Talich venait de commencer. Elle ne se refermera qu'en 1941 à l'exception d'une interruption de 3 années (1931-1934) due à un engagement à la tête de l'orchestre de la société des concerts de Stockholm. En 1926, Václav Talich crée la Sinfonietta de L. Janáček (1854-1928). Il conduit le premier enregistrement de l'histoire de son orchestre en 1929 (Má vlast de B. Smetana) et en produira bien d'autres qui restent d'incontestables références. À la mort d'Otakar Ostrcil (1879-1935), il se voit confier l'administration du Théâtre National ; il y dirige Rusalka (1936) et assume les deux lourdes responsabilités pendant plus de 6 années en donnant encore des cours magistraux de direction d'orchestre au Conservatoire de Prague (à partir de 1932).

En avril 1940, pendant l'occupation allemande, V. Talich se fait porter malade pour ne pas avoir à diriger l'opéra Lohengrin au Théâtre National pour l'anniversaire de Hitler (d'après V. Holzknecht). Il dirige par contre le cycle symphonique Má vlast de B. Smetana à Berlin et Dresde et refuse de donner Jenůfa en Allemagne (Berlin 1942). En février 1944, il quitte le Théâtre National quand le ministre de la culture tchèque du gouvernement du protectorat de Bohême-Moravie et son supérieur nazi viennent saluer la troupe pendant une représentation de l'opéra Fidelio de Beethoven. Le Théâtre National sera fermé en mai 1944 et V. Talich interrogé par la Gestapo.

V. Talich fut aussi inquiété à la fin de la guerre, soupçonné de complaisance avec l'occupant et emprisonné 6 semaines, enfin libéré, faute de preuves et réhabilité. Bien des chefs d'orchestre réputés s'étaient enfuis (B. Walter, A. Toscanini...) d'autres avaient à l'image de W. Fürtwaengler choisi de rester et tenter de préserver par un compromis incertain leur indépendance artistique dans les bouleversements politiques de cette période. V. Talich partageait « naïvement » ce sentiment avec W. Fürtwaengler. Autour de lui s'étaient produits pourtant un certain nombre d'événements inquiétants dans le monde musical tchèque qui auraient du l'inciter à prendre une position plus radicale. Il suffit de penser à son élève Karel Ančerl et aux compositeurs tchèques d'origine juive, enfermés au camp de Terezin puis déportés. Il serait nécessaire de tenter de trouver les raisons profondes qui motivèrent le choix de V. Talich.

Pendant sa « retraite » à Beroun, il écrit à son ami Rudolf Stransky :

« Dans la mesure où ma santé me le permet, je travaille avec un intense enthousiasme et me réjouis de donner un sens et une pérennité à mon travail. J'ai déjà pourtant consacré 3 mois à celui-ci et je me plais maintenant à penser au moment où, retrouvant mes activités publiques, je pourrai donner beaucoup plus aux gens. Mon silence d'aujourd'hui me semblera bien loin... » (janvier 1945).

Le 9 mai 1945, il part à pied de Beroun à Prague (25 km), accompagné de sa fille Vita avec pour seul but de prendre la direction du Théâtre National et de diriger la première représentation après la libération, du merveilleux et symbolique opéra de B. Smetana Libuše. (V. Talich n'avait plus été autorisé à la diriger depuis le 2 juin 1939 et durant toute la durée de la guerre, la partition resta sur sa table de travail).

La Philharmonie Tchèque lui confie, lors de la saison 1946-1947, 4 concerts. C'est à cette époque qu'il fonde avec de jeunes musiciens parfois encore étudiants au Conservatoire l'Orchestre de Chambre Tchèque (1946). Il revient à la tête l'orchestre du Théâtre National de juillet 1947 à juin 1948 puis il dirige et fonde divers orchestres en Slovaquie dont la Philharmonie Slovaque (1949-1952) et collabore épisodiquement avec la radio de Prague. Après une longue absence (Talich est atteint d'une sclérose en plaque) il assure un concert le 5 mars 1954 à la tête de la Philharmonie Tchèque et dirigera jusqu'au mois de novembre de cette même année. Il se libère pour des enregistrements mais ne peut poursuivre ses activités à cause de sa maladie. Très diminué physiquement, il se retire dans sa maison de Beroun, à l'ouest de Prague où il meurt le 16 mars 1961 à l'âge de 78 ans.

Václav Talich a marqué de son inlassable exigence la personnalité de la Philharmonie Tchèque. Sans doute a-t-il permis à cet orchestre de traverser des périodes difficiles de son existence et de l'histoire tchèque et de préserver son avenir. Il a su lui donner au moment opportun une personnalité, une maturité artistique encore perceptibles aujourd'hui, à en faire un orchestre de très haut niveau et à la personnalité unique. Il se servit dans son travail de chef d'orchestre de son expérience d'instrumentiste de chambre, de son intuition musicale, de son énergie inépuisable, réagissant parfois de manière impulsive (ses colères étaient redoutées...) veillant en permanence dans le détail à la qualité du phrasé et des couleurs sonores de chacun des pupitres de l'orchestre, à la précision des nuances, à l'intensité de la dynamique, étudiant seul et répétant longuement les œuvres avant de les interpréter en concert ou de les enregistrer. Sa direction fascinait non seulement l'orchestre mais aussi les auditeurs des concerts.

V. Talich aimait plus particulièrement interpréter les œuvres de son ami J. Suk, de Dvořák, Smetana, Janáček, Martinů, Mozart, les impressionnistes français, la musique russe et les compositeurs tchèques de son temps qu'il soutiendra activement (Martinů lui dédicaça son opéra Juliette ou la clef des songes. Talich le dirigera en création le 15 mars 1938). Il effectua avec son orchestre de nombreuses tournées à l'étranger. V. Talich est le fondateur du Chœur Philharmonique Tchèque (1922) et fut un des précurseurs du festival du Printemps de Prague. Parmi ses élèves, on trouve les noms de K. Ančerl, J. Krombholc, C. Mackerras, L. Slovak, Z. Folprecht, V. Kaslik...

Éric Baude, novembre 2002

Un extrait du catalogue Supraphon   Talich chez Tahra
La majeure partie des enregistrements de Václav Talich se trouve chez Supraphon.
De beaux inédits chez Tahra.

Sources bibliographiques

  • Mala encyklopedie Česke Opery, Dalibor Janota, Jan P. Kucera, Editions Paseka, Praha-Litomyšl, 1999
  • Das Atlantisbuch der Dirigenten, eine Enzyklopedie, Stefan Jaeger, Atlantis--Musikbuchverlag, Zürich, 1985
  • Václav Talich, M. Kuna, Prague, 1980
  • Katalog pozustalosti narodniho umelce Václava Talicha, Okresni Muzeum v Beroune, 1979
  • Československy hudebni slovnik, SHV, Praha, 1963
  • Česka Philarmonie, pribeh orchestru, Václav Hozknecht, SHV, Praha, 1963
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