Jan VENT (1745-1801) ou de la campagne tchèque à l'Harmonie Impériale
Bref récit d'une ascension sociale

Jan VENT (ou plusieurs variantes orthographiques telles que Went, Wend, Wendt, Johann Nepomuk) naquit le 27 juin 1745 dans le village de Divice près de la petite ville de Louny en Bohême de l'ouest à environ une soixantaine de kilomètres de Prague. Son père exerce le métier de cordonnier dans le domaine des comtes Pachta auquel appartient son village, et joue du violon. Le château des comtes Pachta se trouve à quelques kilomètres de Divice. Cette famille aristocratique aime la musique et encourage son étude et sa pratique, qu'elle soit religieuse ou profane. Jan Vent est très tôt initié à la musique et comme il manifeste des dons évidents, on l'envoie étudier le hautbois et se perfectionner avec Jan Stastny (1) (né à Klatovy en Bohême, mort à Prague en 1779) membre de l'orchestre du théâtre de Prague.

(1) Le hautboïste et compositeur Josef Fiala (1748-1816) a aussi été l'élève de J. Stastny.

Il fréquente également les compositeurs rattachés au château de Citoliby V.J. KopÅ™iva, J.A. Gallina et intègre le petit orchestre qu'entretient la famille Pachta tout en servant de maître d'hôtel au Comte Ernst Pachta. Cette double situation de domestique et de musicien est fréquente à cette époque en Bohême. Le droit de servage (Leibangenschaft) du seigneur sur ses vassaux existe encore. Ce statut de domestique corvéable à merci ne convient guère au tempérament de Jan Vent qui tentera de s'enfuir à 3 reprises, la troisième fois étant enfin la bonne. D'autres musiciens tchèques comme le hautboïste Fiala (2), le corniste Stich-Punto s'enfuiront de la même façon et seront poursuivis par les polices de leurs employeurs aristocratiques !

(2) Josef Fiala est condamné, en 1771, à 3 ans de prison pour s'être enfui de chez la comtesse de Netolice.

Jan VENT choisit de rejoindre la Bohême du sud et d'entrer au service plus prestigieux du Prince Joseph Adam de Schwarzenberk (1771). La famille Schwarzenberk alterne ses lieux de résidence entre Vienne, capitale impériale et ses châteaux de Trebon et de ÄŒesky Krumlov. Le Prince J.A. Schwarzenberk est un grand amateur de musique et il a surtout l'idée de demander à Jan Vent de fonder un ensemble à vent. Jan Vent y joue non seulement du cor anglais mais doit se charger du répertoire de cet ensemble. Il commence à transcrire les opéras et les ballets à succès et écrit de la musique de chambre pour instruments à vent dont les manuscrits sont conservés aujourd'hui pour la plupart dans les archives du château de ÄŒesky Krumlov. Après son départ pour l'Harmonie Impériale de Vienne, l'extraordinaire Kaiserlich-Köngliche Harmonie de Joseph II fondé fin 1781 début 1782, Vent continuera à renouveler le répertoire de l'Ensemble à vent du Prince Schwarzenberk.

Lorsque Jan Vent est engagé chez le Prince Joseph Adam Schwarzenberk, le 1er juillet 1771, un autre cor anglais prend son service en même temps que lui, Ignác Teimer. Sur place, ils trouvent déjà en activité les hautboïstes Ludvík Partl et JiÅ™í Triebensee (1746-1813), père de Josef. Le prédécesseur de Ludvík Partl, Jan Schlechta, JiÅ™í Triebensee et Ludvík Partl lui-même avaient été envoyés par le Prince, semble-t-il pas totalement satisfait des performances de ses 3 musiciens (!), se perfectionner à la cour de Dresde auprès du hautboïste Carlo Bessozi (1738-1791) (petit-fils et fils de hautboïstes, Carlo Bessozi a été considéré comme un virtuose dès l'âge de 16 ans et pourrait aussi avoir été l'un des maîtres de JiÅ™í Druzecky (3)). L'arrivée de Jan Vent et de son collègue permit la création d'un ensemble à vent permanent au sein de la cour dans une formation de deux hautbois (Triebensee et Partl), deux cors anglais (Vent et Teimer), deux cors (Fikar et Bradac) et deux bassons (Vodecka et Kautzner, celui-ci à partir de 1776).

(3) JiÅ™í Druzecky (1745-1819), compositeur prolifique pour les vents est l'exact contemporain de Jan Vent. Il est né à Jemnicky, distant d'à peine 50 km de Citoliby. Druzecky composa également pour l'harmonie des Schwarzenberk.

Cette formation menait ses activités de concerts au château de ÄŒesky Krumlov, mais aussi à Vienne. Il n'est pas impossible que ce soit à la suite d'un concert de cette harmonie ou de celle d'une autre famille aristocratique (l'harmonie des Princes Esterhazy ?) que Joseph II de Habsbourg décida de la fondation de sa propre harmonie impériale.

En 1777, Triebensee et Vent acceptent conjointement et sans quitter leurs fonctions dans l'harmonie princière un engagement supplémentaire de premier (Triebensee) et second hautbois (Vent) dans l'orchestre du Burgtheater de Vienne. Bien que le Prince ait acheté à Triebensee en 1780 un nouvel instrument (un hautbois à trois clefs du facteur viennois Kristian Schumann) et que celui-ci ait solennellement promis de lui rester fidèle et de refuser toute autre proposition de contrat, Triebensee quitte en 1782 son service auprès du prince pour devenir membre fondateur de l'Harmonie Impériale de Joseph II et musicien de chambre de la cour de Vienne. Il entraîne avec lui Jan Vent qui prend le poste de second hautbois aux côtés de Triebensee. Le musicien-laquais est désormais musicien de la cour impériale, membre du plus extraordinaire ensemble à vent de toute l'Europe. Comme précédemment, Jan Vent, avec quelques-uns de ses collègues, se charge jusqu'à sa mort de renouveler le répertoire de l'harmonie. Entre-temps, son ancienne formation cesse ses activités en 1796 semble-t-il à cause de la guerre avec la France et Bonaparte. Un concert prévu chez le Prince Schwarzenberk au printemps 1797 est même annulé en raison de nouvelles catastrophiques pour l'Autriche !

L'instrumentarium de l'Harmonie impériale est différent de celle du Prince Schwarzenberk. Les clarinettes ont remplacé les deux cors anglais. Les membres fondateurs de ce prestigieux ensemble sont les musiciens suivants : JiÅ™í Triebensee, Jan Vent, hautboïstes, les frères et remarquables clarinettistes virtuoses et amis de Mozart, Anton et Johann Stadler, les cornistes Martin Rupp et Jakub Eisen et les bassonistes Wenzel Kauzner et Ignác Drobny. D'autres musiciens se joindront plus tard aux membres fondateurs, comme les hautboïstes S. Grehman, J. Khayll, E. Kräner, F.J. Cervenka (4) et Joseph Sellner en personne, bien connu des hautboïste du XXème siècle pour ses œuvres pédagogiques !

(4) F.J. Cervenka, hautboïste tchèque, est le dédicataire du concerto pour hautbois opus 37 en Fa majeur du compositeur morave F. V. KramáÅ™-Krommer (1759-1831). Le deuxième concerto pour hautbois, opus 52, également en Fa majeur, est composé à l'intention de Louis Montecucoli.

Le niveau de jeu individuel et collectif, la virtuosité de ces instrumentistes à vent a largement contribué à populariser ce type de répertoire et à en faire un véritable phénomène de mode à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème. La qualité du répertoire original (les sérénades Kv 375, Kv 388, la Gran Partita Kv 361 de Mozart pour ne citer que celles-ci) et des transcriptions amplifie le succès des œuvres de Mozart. Le travail de Jan Vent, de ses collègues de l'Harmonie, de son beau-fils Josef Triebensee (il épousera la fille de Jan Vent, Maximiliana, aînée de 10 (?) enfants (5) issus de deux mariages) donne ses lettres de noblesse à l'octuor et au répertoire de musique de chambre classique pour instruments à vent. Sans doute est-ce pour quelques-unes de ces raisons que Constance Mozart recommande Jan Vent, le clarinettiste Johann Stadler et le chef d'orchestre Pavel Vranický auprès de l'éditeur allemand André pour veiller au bon déroulement de l'édition posthume des œuvres pour vents de son mari.

(5) On sait que deux des enfants de Jan Vent furent musiciens. Wilhem jouait du hautbois et Josef fit une carrière de chanteur d'opéra. Maximaliana devint actrice.

Jan Vent reste pendant près de 20 ans responsable du répertoire de l'harmonie impériale, transcrivant près de 50 opéras (dont ceux de Mozart) et ballets à succès, composant des symphonies, des œuvres de musique de chambre pour vents, des quatuors à cordes (6).

(6) Seuls 3 de ses quatuors à cordes opus 1 (Offenbach 1791) et 23 pièces « en harmonie » (Paris 1790-1795) ont été publiés de son vivant.

Ses différentes fonctions d'arrangeur, d'instrumentiste de l'Harmonie Impériale, du Théâtre National et de La Chapelle de la Cour en font un des musiciens les mieux payés de la capitale autrichienne (7) loin, bien évidemment, de ses misérables émoluments de musicien-laquais au service du Comte Pachta à Citoliby.

(7) Jan Vent touchait pour l'ensemble de ses activités viennoises un salaire supérieur à celui de Mozart comme compositeur de la cour...

(Eric BAUDE)

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