La personnalité de
ce compositeur « hors norme » et
sa musique méritent de s'y attarder. Nous mettrons en
lumière dans cet article quelques aspects de sa biographie.
Jan Dismas Zelenka portait
à l'origine un prénom différent mais
nous ne savons pas pourquoi et dans quelles circonstances il
décida de changer son prénom d'origine,
à savoir Jan Lukas, pour celui d'un larron repenti,
crucifié aux côtés de Jésus.
C'est là l'une des premières énigmes
entourant ce musicien tchèque parmi les plus grands
compositeurs de l'ère baroque.
Le père de Zelenka
exerce le métier exigeant de Kantor, c'est à dire
d'homme « à tout
faire » pour la musique dans son petit village de
Louňovice, dominé par le légendaire Mont
Blaník (1), au sud de Prague.
Ce père chef de
chœur, organiste, instituteur vient avec sa famille de la
Sumava qui fait frontière entre la République
Tchèque et l'Allemagne. Il signera toute sa vie Georges
(Jiřík) le bavarois et occupera les fonctions de kantor
à Louňovice (2) pendant... 48 ans.
Jan Dismas et son
frère commencent à se familiariser à
la musique et à chanter avec lui. On envoie le premier
à Prague, à peine distant d'une trentaine de
kilomètres où il va étudier chez les
bons pères jésuites du collège du
Klementinum, centre intellectuel de la contre-réforme
réputé. Beaucoup de compositeurs
tchèques baroques font leur apprentissage chez les
jésuites qui s'étaient installés dans
cette province rebelle et tentaient de monopoliser un enseignement
religieux et artistique de qualité. Il écrira 3
cantates pour le Klementinum, sa première œuvre
connue datant de 1709 les suivantes de 1712 et 1716.
Parallèlement à ses études au
Klementinum, il fréquente aussi Bohuslav Matěj
Černohorský (3), moine de l'ordre des cordeliers,
maître dans l'art du contrepoint, fortement
influencé par l'école de la polyphonie
vénitienne.
Il n'est pas
étonnant que Zelenka, plus tard, demande à partir
travailler en Italie avec Antonio Lotti (1667-1740), un des derniers
grands représentants de cette tradition
vénitienne. B.M. Černohorský est un personnage
incontournable de l'histoire de la musique des pays
tchèques. C'était très certainement
non seulement un grand musicien mais aussi un pédagogue
habile si l'on en juge par le nombre de compositeurs qui le
fréquentèrent (Seger (4), Tůma (5), Habermann
(6), Brixi (7)...). Malheureusement, une grande partie de sa musique
disparut dans l'incendie qui détruisit sa paroisse.
Au collège du
Klementinum, Zelenka entreprend des études humanistes, suit
des cours de latin, de grec, améliore ses connaissances en
allemand, apprend l'italien. Il chante à l'église
Saint Nicolas de Malá Strana (petit
côté de Prague). Cette grande église
baroque somptueuse appartenait aux jésuites du Klementinum.
En 1709/1710 il joue du violone ou violone grosso (contrebasse de
viole) dans l'orchestre d'un riche mécène
pragois, le comte (vraisemblablement Jan Hubert) Hartig. Il quitte
Prague en 1710/1711 pour Dresde où on l'engage dans
l'orchestre de la cour toujours au pupitre de contrebassiste. Zelenka
sera entouré de quelques-uns des meilleurs musiciens de son
temps dans les instruments à vent et instruments
à cordes.
En 1697, le prince
électeur de Saxe Frédéric Auguste Ier
(il règne de 1697 à 1733) avait du se convertir
au catholicisme pour hériter de la couronne du royaume de
Pologne. Pour preuve de sa sincérité, il avait
fait construire une nouvelle église qui était
administrée par les jésuites de la province de
Bohême. Ceux-ci n'hésitaient pas à y
envoyer de jeunes musiciens tchèques servir la liturgie
catholique laissant aux musiciens de la cour le soin de se produire
pour des occasions plus solennelles et prestigieuses. Entre 1716 et
1719, Zelenka voyage. La réponse à sa demande
rédigée sous forme de lettre écrite en
1712, signée du 31 janvier et accompagnée du
manuscrit de sa messe de Sainte Cécile (ZWV 1, 1711) a pris
plusieurs années mais l'autorisation est enfin
accordée par le Prince Electeur. Zelenka a
demandé à voyager pour étudier et se
perfectionner en écriture en Italie, ce qui n'est pas une
surprise mais aussi en... France. Il souhaite non seulement se
perfectionner dans le style d'église mais pour la France,
c'est le bon goût qu'il veut acquérir.
Frédéric Auguste Ier avait une inclination pour
l'art français. Chanteurs, musiciens, acteurs venus de
France séjournaient et se produisaient dans la capitale
saxonne. Zelenka connaissait personnellement Jean -Baptiste Volumier
(1670-1728), violoniste virtuose formé à Paris,
en poste à Dresde où il diffusa les principes de
l'école française, le hautboïste
Francois le Riche (1662-1733). Un autre musicien français
les rejoindra dans cet orchestre, en 1715, le flûtiste
Pierre-Gabriel Buffardin (1690-1768).
Zelenka aurait pu
être un précurseur des autres compositeurs
tchèques qui séjourneront plus tard en France au
18ème siècle.
Touchante curiosité
pour la musique française de cette époque,
influencée par le goût de son monarque et son
entourage ?
Difficile de savoir comment
Zelenka percevait cette musique. Il n'était sans doute pas
ignorant dans ce domaine non plus (certaines œuvres de
musique française étaient au
répertoire de l'orchestre) mais dans son inventaire de sa
collection de partitions, datant de 1735, il n'y a pas une
œuvre de musique française
répertoriée, au contraire des musiques italienne,
allemande et tchèque qui abondent !
Imaginons malgré
tout un court instant le compositeur contrebassiste arriver
à la cour de Versailles, en découvrir son faste,
sa musique omniprésente, rencontrer Delalande, Couperin,
Marais... et revenir ébloui !
S'il ne réalise pas
son voeu de séjourner en France, il partira bien en Italie
via l'Autriche. C'est un petit groupe de compositeurs et musiciens de
Dresde qui prend la route en 1716 avec Zelenka et non des
moindres : Christian Pezold (1677-1733), Johann Georg Pisendel
(1687-1755), et J.C. Richter (1700-1785), tous au service de la cour de
Dresde à des postes importants. Le musicien originaire de
Louňovice, s'accomodant des obligations de son service, est
envoyé d'abord à Vienne pour se mettre
à la disposition du prince héritier en
quête d'une épouse (8).
Il ne serait pas surprenant
qu'il soit aussi passé par Prague, sur la route entre les
deux capitales. Il pourrait avoir apporté à cette
occasion sa cantate composée pour le Klementinum en 1716.
À Vienne, il rencontre J.J. Fux (1660-1741),
maître de Chapelle de la cour impériale avec
lequel il prend des cours qu'il aurait payé de ses propres
deniers ! Le Bohêmien a 35 ans. Zelenka donne
à son tour des leçons de contrepoint pendant ce
séjour au flûtiste et hautboïste Johann
Joachim Quantz (1697-1733). Et si justement Quantz, aussi brillant
hautboïste que flûtiste, avait
été le destinataire des six sonates pour deux
hautbois et basson (ZWV 181), écrites, d'après
certaines sources, à Vienne (1715-1716 ?) à cette
époque ? À moins qu'elles n'aient
été destinées à Francois Le
Riche ou Antonio Besozzi (1714-1781), deux autres grands virtuoses du
hautbois proches de Zelenka à Dresde. Celui-ci ne manquait
pas d'occasions d'écrire pour l'un de ses instruments
préférés. Pour quelles raisons Zelenka
étudie-t-il avec Fux à l'âge de 35 ans
? Zelenka aurait-il eu d'autres motivations que celles de se
perfectionner dans le domaine de l'écriture ? Envisageait-il
de quitter Dresde ? Fux avait lui-même voyagé en
Italie. Il écrit au Prince Electeur, Roi de Pologne, que
Zelenka est un compositeur accompli, qu'il n'a plus rien à
lui apprendre, qu'il lui faut poursuivre maintenant son chemin jusqu'en
Italie vers Venise à la rencontre d'Antonio Lotti
(1667-1740). Les chemins de Fux et de Zelenka se croiseront une
dernière fois à Prague en 1723.
Pendant que Zelenka va
travailler vraisemblablement (il n'existe là non plus pas de
certitudes) avec Lotti, Pisendel fréquente Vivaldi. Il se
peut encore que pour cette raison le Bohémien et le
prêtre vénitien se soient rencontrés.
Dans tous les cas, l'inventaire de 1735 de sa bibliothèque
indique qu'il possédait des œuvres du musicien
vénitien. Il est possible qu'ensuite les autres musiciens
aient continué dans la direction de Bologne, Padoue, Rome et
Naples. Lotti fut invité quelque temps après
à Dresde mais ne prolongea guère son
séjour (1717-1719). Zelenka rentre (seul ?) via Vienne dans
les brumes et les frimats saxons au moment du carnaval de 1719. Cette
année là, Dresde reçoit la visite de
G.F. Handel.
L'opéra de Dresde
ferme en 1720 pour cause de scandale... Il rouvrira en 1726. Aussi les
activités musicales de la Chapelle royale
redoublent-t-elles. Johann David Heinichen (1683-1729), Maitre de
Chapelle, Zelenka son assistant et G.B. Ristori, Directeur de la
Chapelle polonaise, collaborent afin d'assurer les nombreux services et
cérémonies et une production musicale de
haut-niveau. Zelenka continue malgré des
activités de compositeur de plus en plus lourdes
à jouer de la contrebasse dans l'orchestre. Il assistera
Heinichen jusqu'à sa mort en 1729.
En 1723 a lieu à
Prague un événement exceptionnel. Charles VI de
Habsbourg (9) et son épouse Elisabeth Christine se font
couronner roi et reine de Bohême. Ce geste symbolique d'une
grande importance, non dénué
d'arrière-pensées politiques, donne lieu
à des festivités somptueuses.
Prague est alors la capitale
d'une province de l'empire encore parcourue fréquemment de
révoltes et de soulèvements paysans dus
à une situation économique difficile et une
lourde imposition. Les pays de Bohême, sous administration
autrichienne, ont subi de longues années de guerres de
succession où ils ont perdu une partie de leur territoire
(la Lusace). Le 28 août 1723, dans un
théâtre en bois construit spécialement
dans les jardins du château de Prague, Caldara dirige en
présence de Fux malade l'opéra
« La Constanza e Fortezza » dans
une mise en scène impressionnante de Giuseppe Galli-Bibieni
(1695-1757). Le théâtre peut accueillir 4000
spectateurs et a été
réalisé selon les plans de Galli-Bibieni
lui-même. Pour l'anecdote, le théâtre
sera démonté peu après et vendu en
pièces détachées aux habitants du
quartier juif ! Pour cet opéra le chœur
et surtout l'orchestre sont prestigieux. Il y a là les
meilleurs musiciens d'Allemagne, de Bohême, d'Italie,
d'Autriche réunis pour la circonstance : Caldara,
Tartini, Quantz, Buffardin, Veracini, Weiss, Tůma, Zelenka, un tout
jeune inconnu, František Benda (1709-1786) et bien d'autres
encore.
Zelenka a gardé
depuis le début de sa carrière à la
cour de Dresde un contact régulier avec son ancien
collège. Pour cet évènement celui-ci
lui a commandé un mélodrame. Cette commande porte
un nom digne de ces festivités : le
mélodrame de saint Venceslas (10) ou la resplendissante
couronne royale tchèque sous les branches de l'olivier
pacifique et de la palme de la vertu (Sub olea pacis et palma virtutis
conspicua Orbi regia Bohemia corona ZWV 175) !
Le texte latin de cette
œuvre allégorique, dansée (11) et
dévote mais sans véritable intrigue
théatrale, a été écrit par
le jésuite P. Matouš Žill.
Zelenka en dirige la
préparation et la représentation à la
bibliothèque du Klementinum le 12 septembre 1723 devant
l'empereur et son épouse. František Benda
(1709-1786), âgé de 14 ans, membre de la chapelle
de la cour de Dresde, chante l'une des 8 parties solistes, toutes
confiées, selon la tradition, à des
tchèques ayant étudié ou
étudiant encore au Klementinum. L'œuvre parcourue
d'influences italiennes remporte un immense succès, certains
aristocrates allant même jusqu'à
préférer l'œuvre de Zelenka
à celle de Fux. Le mélodrame dure plus de 3
heures. Il demande un effectif considérable dans sa forme
intégrale (solistes, chœur, orchestre, danseurs,
acteurs, figurants...). Jamais celui-ci ne sera repris plus
tard ! Zelenka réutilisera seulement certains
passages pour son Te Deum de 1724 (ZWV 145). Il aurait semble-t-il
écrit aussi pour ces festivités plusieurs de ses
pièces instrumentales pour orchestre. Elles sont
datées précisément de
l'année 1723 et portent la mention de Prague. Notre
compositeur bohémien, fêté et
admiré, heureux de ce séjour parmi les siens,
peut rentrer à Dresde satisfait et avec l'espoir de
succéder un jour au poste de maître de chapelle de
la cour qu'il assiste désormais de plus en plus. Le pauvre
Heinichen, fatigué, est débordé et n'a
plus la force de répondre à toutes les
sollicitations d'écrire de la musique pour le service de
l'église. Zelenka en assume désormais l'essentiel
tout en continuant d'être
rémunéré comme instrumentiste de
second rang...
Le prince-électeur,
soucieux de rouvrir d'abord l'opéra a d'autres projets et le
fait patienter. Zelenka commence à rédiger en
1726 l'inventaire de sa bibliothèque musicale (inventarium
rerum musicarum ecclesiae servencium) qui a été
conservé et contient des informations passionnantes sur le
contenu de la collection et la connaissance de Zelenka de la musique de
son époque. Pas une seule trace d'une copie d'un manuscrit
de musique française dans cet inventaire comme il a
été dit auparavant.
Heinichen meurt en 1729.
Zelenka signe maintenant « Compositor di
S : M :Re di Polonia » mais rien
ne se passe, aucune nouvelle de sa nomination. G. B. Ristori, J.B.
Volumier, espèrent aussi succèder à
Heinichen. Entretemps, une troupe de chanteurs italiens est
arrivée et dans la capitale saxonne en 1730. Elle
prélude à une autre arrivée, celle de
Hasse en 1731. L'opéra revient à la mode...
La venue de Hasse et son
installation à Dresde va bouleverser le destin de Jan Dismas
Zelenka. Curieusement sa production commence à diminuer peu
après même si son style compositionnel atteint son
apogée avec les cinq messes des années 1736-1741,
la Missa Sancti Trinitatis, ZWV 17 (1736), la Missa Votiva ZWV 18
(1739), la Missa Dei Patris ZWV 19 (1740), la Missa Dei Filii ZWV 20
(1740) et la dernière grande messe, la Missa Omnium
Sanctorum ZWV 21 datant de 1741. On trouve encore datant de cette
période l'extraordinaire Miserere en do mineur ZWV 57
(1738).
Frédéric Auguste I meurt en 1733. Zelenka compose
la musique de la cérémonie, les requiem ZWV 46
et47 et présente à l'automne, le 18 novembre
1733, à son successeur Frédéric
Auguste II (12) une émouvante requête pour
être nommé au poste de maître de
chapelle. Il y a si longtemps qu'il patiente ! Il demande
également à ce qu'on lui rembourse certaines de
ses dépenses datant de son passage à Vienne, un
supplément de salaire pour avoir suppléer
Heinichen avant qu'il ne meure et remplacé après.
« Après
mon retour de Vienne, je me suis chargé, en commun avec le
maître Heinichen, pendant de longues années de la
musique sacrée du Roi, mais après le
décès du maître Heinichen, j'ai
composé et dirigé presque seul ; pour ces
raisons, et pour obtenir les manuscrits musicaux étrangers
que j'ai du faire copier tout comme mes propres pages, il m'a fallu
dépenser presque la moitié de mon traitement
actuel à mon plus grand détriment
personnel...Ainsi je vous implore avec mon plus grand
dévouement de bien vouloir daigner gracieusement me
conférer le poste du maître de chapelle devenu
vacant après le décès de Heinichen, en
plus d'ajouter à mon salaire actuel une partie de son
traitement à partir de sa mort ; également de
m'accorder selon la disposition gracieuse de Sa Majesté
quelque réjouissance pour les grandes dépenses
que j'ai eues à Vienne tout comme ici pour les copies
d'œuvres musicales... »
Cette supplique en
français est encore accompagnée de 8 arias
italiens (ZWV 176, octobre 1733) destinés à
montrer ses qualités de compositeur de musique profane.
Zelenka avait manifestement compris que l'intérêt,
le goût et la mentalité de la cour
étaient en train de changer et se portaient
désormais de plus en plus vers l'opéra. Un vent
au parfum de bel canto napolitain souffle sur Dresde. Zelenka tente de
« réactualiser » en
partie son style musical mais en vain. L'intérêt
pour sa musique commence à décliner.
Il n'est pas sur que
Frédéric-Auguste II ait
apprécié cette requête ou tout
simplement ne goûtait-il plus le style de la musique, la
personnalité du musicien tchèque ou encore
nourrissait-il d'autres projets ? Il choisit le compositeur
d'opéra Johann Adolf Hasse (1699-1783), de 20 ans son cadet,
au poste de maître de Chapelle (1733). Sa femme, la
cantatrice Faustina Bordoni (1700-1781) devient prima
donna et virtuosa
da camera de la cour
électorale.
Zelenka est officiellement
nommé compositeur
d'église (Kirchen-compositeur)
en 1735. Cette nomination ne change rien à sa situation
psychologique et matérielle. Pire ! Sa production
chute vertigineusement de 1741 à la fin de sa vie. Quel
contraste avec la période 1723-1733 ! Il passe les
dernières années de plus en plus isolé
sans pouvoir entendre sa propre musique qui tourne le dos aux effets de
mode et reste compositeur d'église jusqu'à sa
mort le 23 décembre 1745. Dresde est menacée. Les
troupes prussiennes de Frédéric II font le
siège de la ville, la bombarde. Sa disparition passe presque
inapercue.
Les activités
importantes de compositeur d'église de Zelenka l'ont
certainement malgré lui confiné presque
exclusivement dans ce type de répertoire. Sur un catalogue
de près de 250 œuvres, une petite vingtaine
appartient au genre instrumental et profane. Pourtant à
chaque fois qu'il a pu s'exprimer dans ce domaine, il a fait montre
d'un génie très particulier de
l'écriture.
Zelenka n'est pas à
proprement parlé un compositeur précoce. Il
n'écrit guère avant l'âge de 30 ans. Il
combine ensemble de facon très personnelle, habile et
inventive science du contrepoint, formules mélodiques et
carrures rythmiques puisées dans la musique populaire de son
pays natal. La musique de Zelenka, robuste, enracinée,
pleine de caractère à la fois fascine, captive
l'attention et en même temps ne se laisse pas facilement
apprivoisée. Elle dramatise, interpelle, semble parfois se
battre contre elle-même. Reflète t-elle les
conflits internes du compositeur, sa personnalité complexe ?
Elle tient avec brio une place à part dans le
répertoire baroque. Elle est attachée
à cet univers par des liens étroits et
inhabituels, par sa dissymétrie en profondeur, son
exubérance et son émotion intime. Rarement la
musique baroque européenne a atteint une telle
densité de langage. Bach et Telemann ne s'y
étaient pas trompés. L'œuvre de Zelenka
se rattache à un mouvement baroque spécifique,
tourmenté, passionné, parfois
fiévreux, un baroque différent appartenant aux
artistes tchèques, d'origine ou d'adoption. On ne peut pas
s'empêcher de penser aux contemporains de Zelenka qui
s'exprimèrent chacun à leur manière,
à l'architecte Kilian Ignác Dienzenhofer
(1689-1751), adepte du baroque monumental et imposant, au sculpteur
Ferdinand Brokoff, ou à Bernard Matias Braun qui travailla
pour le comte Špork dans son domaine de Kuks.
Il ne faut pas oublier non plus
que Zelenka était contrebassiste et que cette
expérience, cette position dans l'orchestre pourraient avoir
exercé une influence sur sa manière
d'écrire. Dans certaines de ces sonates ZWV 181 une des deux
parties indépendantes de la basse est
expressément destinée au violone, l'instrument de
Zelenka.
Un solide contrepoint renforce
en général le rôle rempli par les
basses et l'ensemble de l'architecture est souvent parcouru d'effets,
de frissons rythmiques répétitifs,
syncopés, de ruptures, de changements d'accentuation qui
font de sa musique une sorte de volcan en activité
imprévisible dont le cœur bouillonnerait de lave.
Tout sauf un long fleuve tranquille ! « La
musique de Zelenka ne coule pas comme un fleuve paisible mais
plutôt comme un torrent de montagne qui se brise
continuellement sur un rocher » (Wolfgang Horn).
Zelenka apporte encore un soin très
détaillé à la dynamique en indiquant
un grand nombre de nuances.
Zelenka a sans doute
été incité à soigner son
écriture et à confier des parties d'une grande
difficulté à certains instruments par son
entourage orchestral et les musiciens exceptionnels qui
séjournaient et travaillaient à Dresde
à ses côtés.
Pédagogue
à certaines heure, Zelenka n'a, pour autant, pas
formé de disciple.
Son œuvre
instrumentale comprend les 4 capriccios de Vienne (1717-18), les
œuvres de Prague (1723) au nombre de 4 également
(Hypocondrie à 7, ZWV 187, le concerto à 8, ZWV
186, l'ouverture à 7, ZWV 188 et la simphonie à
8, ZWV 189) , les impressionnantes six sonates en trio et en quatuor
(ZWV 181, 1-6) vers 1715-16 ou 1721-22 (?), 9 canons sur un hexacorde
(1721) et diverses autres pièces. Après un
dernier capriccio (Dresde, 1729) il ne revient plus à ce
genre musical.
Ses contemporains regardaient
Zelenka comme un homme célibataire distant, infatigable
travailleur, réservé, paisible, fervent
catholique (?), peut-être vers la fin de sa vie
hypocondriaque et amère.
La destinée de sa
musique est restée longtemps incertaine. Les
œuvres de Zelenka composées en Saxe ont
continué à être jouées
uniquement à Dresde jusqu'à la mort de
Frédéric Auguste II en 1763 puis elles sont
regroupées, soigneusement archivées dans la
bibliothèque royale et tombent dans l'oubli. Elles seront
redécouvertes en partie par le musicologue F. Rochlitz dans
les années 1830 dont les travaux attireront l'attention de
l'historien tchèque F. Palacký et de B. Smetana.
Plus proches de nous, les recherches de C. Schönbaum, G.
Hausswald, H. Unverricht, V. BĚlský, W. Horn, T. Kolhase, J.
B. Stockigt ont ressorti de l'ombre sa musique. Les œuvres
manuscrites de Zelenka n'ont pas échappé aux
bombardements de la fin de la deuxième guerre mondiale, deux
cents ans après ceux des prussiens. Une partie
conséquente de ce patrimoine a disparu
définitivement. À moins... qu'on ne retrouve par
miracle quelques manuscrits à l'occasion de la restitution
d'archives d'europe orientale.
Zelenka et sa musique
étaient connus et admirés de ses contemporains.
Son nom est inscrit dans l'un des plus anciens dictionnaires de la
musique, réalisé par JG Walther en 1732. Par
contre il a disparu dans celui de Johann Mattheson, Grundlage
eine Ehrenpforte 1740. Il manque
aussi celui de Bach qui refusa de transmettre sa biographie
à Mattheson ! Zelenka pourrait en avoir fait de
même...
Bach et Telemann le
rencontrèrent et correspondirent avec lui
appréciant plus particulièrement deux
caractéristiques de sa musique, sa science du contrepoint et
son inventivité harmonique. Lorsque Bach rend visite
à son fils Wilhem Friedmann, organiste à Dresde,
il rencontre Zelenka et demande à copier certaines de ses
œuvres mais ne s'en voit pas accordé
l'autorisation. Le roi le refusa. Ni Bach, ni Telemann, ni
Händel ne pourront le faire.
Eric Baude, juillet 2002
Nous citerons
également en complément certaines
œuvres de musique sacrées (messes, cantates,
oratorios, lamentations...) dans lesquelles le ou les hautbois ont des
parties solistes importantes et dialoguent avec les voix.
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