Jan Dismas Zelenka (1679-1745), le Bohémien

La personnalité de ce compositeur « hors norme » et sa musique méritent de s'y attarder. Nous mettrons en lumière dans cet article quelques aspects de sa biographie.

Jan Dismas Zelenka portait à l'origine un prénom différent mais nous ne savons pas pourquoi et dans quelles circonstances il décida de changer son prénom d'origine, à savoir Jan Lukas, pour celui d'un larron repenti, crucifié aux côtés de Jésus. C'est là l'une des premières énigmes entourant ce musicien tchèque parmi les plus grands compositeurs de l'ère baroque.

Le père de Zelenka exerce le métier exigeant de Kantor, c'est à dire d'homme « à tout faire » pour la musique dans son petit village de Louňovice, dominé par le légendaire Mont Blaník (1), au sud de Prague.

(1) Le mont Blaník, lieu symbole, est auréolé de légendes. Une armée de valeureux chevaliers dort dans ses flancs. Ils sortent une fois par an, vont abreuver leurs montures à une source et s'exercent au combat entre eux à la lumière de la lune. La légende dit aussi qu'un forgeron de Louňovice fut enlevé par ces chevaliers de Bohême. Il ferra un grand nombre de chevaux et fut reconduit dehors sans récompense. Il revint au village qu'il avait quitté depuis un an, décu de n'avoir reçu qu'un sac de crottin pour son travail. Lorsqu'il raconta son aventure, le peu de crottin qui restait dans le sac, tomba par terre et se transforma en or. L'armée des chevaliers du mont Blaník veille sur la nation tchèque, prête à surgir et à se battre pour la protéger, saint Venceslas sur son cheval blanc en tête ! Smetana a donné le titre de Blaník à l'un des mouvements de son cycle Má vlast (ma patrie), Zdeněk Fibich composa un opéra en 3 actes du même nom entre 1874 et 1877 sur un livret de Eliška Krasnohorská (première le 25 novembre 1881 au Nouveau Théatre tchèque à Prague sous la direction d'Adolf Čech).

Ce père chef de chœur, organiste, instituteur vient avec sa famille de la Sumava qui fait frontière entre la République Tchèque et l'Allemagne. Il signera toute sa vie Georges (Jiřík) le bavarois et occupera les fonctions de kantor à Louňovice (2) pendant... 48 ans.

(2) La petite église de Louňovice a été agréablement rénovée. La tribune et le petit orgue baroque, sur lequel jouait la famille Zelenka ont été restaurés plus ou moins fidèlement...

Jan Dismas et son frère commencent à se familiariser à la musique et à chanter avec lui. On envoie le premier à Prague, à peine distant d'une trentaine de kilomètres où il va étudier chez les bons pères jésuites du collège du Klementinum, centre intellectuel de la contre-réforme réputé. Beaucoup de compositeurs tchèques baroques font leur apprentissage chez les jésuites qui s'étaient installés dans cette province rebelle et tentaient de monopoliser un enseignement religieux et artistique de qualité. Il écrira 3 cantates pour le Klementinum, sa première œuvre connue datant de 1709 les suivantes de 1712 et 1716. Parallèlement à ses études au Klementinum, il fréquente aussi Bohuslav Matěj Černohorský (3), moine de l'ordre des cordeliers, maître dans l'art du contrepoint, fortement influencé par l'école de la polyphonie vénitienne.

(3) Bohuslav Matěj Černohorský (1684-1742) : compositeur, organiste, pédagogue, moine de l'ordre des minorites. Après des études à l'université de Prague il part en Italie comme organiste dans les cathédrales d'Assise et Padoue. Il rentre en Bohême (1720) et obtient le titre de Magister musicae en 1723. Il exerce au monastère de saint Jacques à Prague de 1720 à 1727, un des centres musicaux de la ville, puis à Horazdovice et de nouveau à Prague. Rappelé en Italie, il repart en 1733 à Padoue. Černohorský mourra en rentrant en Bohême en 1742. Surnommé « le Bach tchèque », il est le fondateur d'une école pragoise du baroque tardif qui ouvrira la voie au pré-classicisme. De nombreux compositeurs tchèques suivent son enseignement. La plupart de sa musique a brûlé dans un incendie. Nous sont parvenu quelques œuvres remarquables de musique religieuse (vêpres, litanies, motets, un offertoire, un Regina coeli, des œuvres pour orgue dont l'attribution reste incertaine).

Il n'est pas étonnant que Zelenka, plus tard, demande à partir travailler en Italie avec Antonio Lotti (1667-1740), un des derniers grands représentants de cette tradition vénitienne. B.M. Černohorský est un personnage incontournable de l'histoire de la musique des pays tchèques. C'était très certainement non seulement un grand musicien mais aussi un pédagogue habile si l'on en juge par le nombre de compositeurs qui le fréquentèrent (Seger (4), Tůma (5), Habermann (6), Brixi (7)...). Malheureusement, une grande partie de sa musique disparut dans l'incendie qui détruisit sa paroisse.

(4) Josef Norbert Seger (1716-1782) compositeur, organiste et pédagogue.
Organiste à Notre Dame de Tyn et chez les pères croisés. À l'image de Černohorský, Seger forma toute une génération de compositeurs tchèques (J. Jelinek, J.A. Koželuh, K. Kopřiva, J. Kuchař, V. Mašek, J. Mysliveček, V. Pichl...).

(5) František Ignác Antonín Tůma (1704-1774) fréquenta également le collège du Klementinum

(6)František Václav Habermann (1706-1783) compositeur et chef de chœur, né à Kynžvart en Bohême de l'Ouest, élève chez les jésuites à Klatovy, en composition à Prague avec probablement F.J. Dollhopf. Il devient Maître de musique du prince Louis Henri de Condé (1731) et par la suite du duc de Toscane à Florence. Il revient à Prague comme chef de chœur, écrit un opéra comique pour le couronnement de Marie-Thérèse comme reine de Bohême (1743) à la demande des jésuites. Il occupe le poste de kantor à Cheb de 1773 à sa mort.
Mysliveček, Dušek, Oehlschlägel, C. Vogel comptent parmi ses élèves. Deux de ses frêres, Anton et Karl furent également musiciens. Händel copia certains passages de ses messes et en réutilisa les motifs dans sa musique. Son style évolue du baroque tardif vénitien au premier classicisme.

(7) � imon (1693-1735) et František Xaver (1732-1771) Brixi, membres (père et fils) d'une famille de musiciens, organistes et compositeurs tchèques.
Des liens familiaux unissaient la famille Brixi aux Benda, autre grande dynastie de musiciens de Bohême. Dorota Brixi (1686-1762) épouse en 1706 Jan Jiří Benda (1686-1757). Cinq de leurs six enfants qui survécurent exercèrent la profession de musiciens : František, Jiří, Jan, Josef et Anna. La fille de František Benda épousa le compositeur allemand Johann Friederich Reichardt (1752-1814). Une famille incroyablement douée pour la musique dont certains descendants sont encore de brillants musiciens aujourd'hui (le violoncelliste Christian Benda par exemple...)
Bohuslav Matěj Černohorský célèbra le mariage de son élève � imon Brixi (1724). Son fils František poursuit la tâche confiée à son père d'écrire des musiques navales pour les festivités annuelles pragoises organisées en l'honneur de saint Jean Népomucène sur la Vltava. Il devient Maître de chapelle de la cathédrale saint Guy à l'âge de 27 ans, une des fonctions les plus importantes d'alors. František Brixi a écrit près de 500 œuvres dont une centaine de messes, des œuvres comiques et pédagogiques, des oratorios, des cantates, des interludes... influencés par l'école napolitaine, les compositeurs Alexandre Scarlatti, Francesco Durante et par Vienne et ses représentants J.J. Fux et A. Caldara. Il meurt de tuberculose à l'hôpital des frères de la charité. Sa musique fit une profonde impression sur Mozart et ses contemporains tchèques.
Les autres membres de la famille Brixi musiciens ont été Jan Josef (1712 ?-1762), Václav Norbert (1738-1803), Viktorin Ignác (1716-1803).

Au collège du Klementinum, Zelenka entreprend des études humanistes, suit des cours de latin, de grec, améliore ses connaissances en allemand, apprend l'italien. Il chante à l'église Saint Nicolas de Malá Strana (petit côté de Prague). Cette grande église baroque somptueuse appartenait aux jésuites du Klementinum. En 1709/1710 il joue du violone ou violone grosso (contrebasse de viole) dans l'orchestre d'un riche mécène pragois, le comte (vraisemblablement Jan Hubert) Hartig. Il quitte Prague en 1710/1711 pour Dresde où on l'engage dans l'orchestre de la cour toujours au pupitre de contrebassiste. Zelenka sera entouré de quelques-uns des meilleurs musiciens de son temps dans les instruments à vent et instruments à cordes.

En 1697, le prince électeur de Saxe Frédéric Auguste Ier (il règne de 1697 à 1733) avait du se convertir au catholicisme pour hériter de la couronne du royaume de Pologne. Pour preuve de sa sincérité, il avait fait construire une nouvelle église qui était administrée par les jésuites de la province de Bohême. Ceux-ci n'hésitaient pas à y envoyer de jeunes musiciens tchèques servir la liturgie catholique laissant aux musiciens de la cour le soin de se produire pour des occasions plus solennelles et prestigieuses. Entre 1716 et 1719, Zelenka voyage. La réponse à sa demande rédigée sous forme de lettre écrite en 1712, signée du 31 janvier et accompagnée du manuscrit de sa messe de Sainte Cécile (ZWV 1, 1711) a pris plusieurs années mais l'autorisation est enfin accordée par le Prince Electeur. Zelenka a demandé à voyager pour étudier et se perfectionner en écriture en Italie, ce qui n'est pas une surprise mais aussi en... France. Il souhaite non seulement se perfectionner dans le style d'église mais pour la France, c'est le bon goût qu'il veut acquérir. Frédéric Auguste Ier avait une inclination pour l'art français. Chanteurs, musiciens, acteurs venus de France séjournaient et se produisaient dans la capitale saxonne. Zelenka connaissait personnellement Jean -Baptiste Volumier (1670-1728), violoniste virtuose formé à Paris, en poste à Dresde où il diffusa les principes de l'école française, le hautboïste Francois le Riche (1662-1733). Un autre musicien français les rejoindra dans cet orchestre, en 1715, le flûtiste Pierre-Gabriel Buffardin (1690-1768).

Zelenka aurait pu être un précurseur des autres compositeurs tchèques qui séjourneront plus tard en France au 18ème siècle.

Touchante curiosité pour la musique française de cette époque, influencée par le goût de son monarque et son entourage ?

Difficile de savoir comment Zelenka percevait cette musique. Il n'était sans doute pas ignorant dans ce domaine non plus (certaines œuvres de musique française étaient au répertoire de l'orchestre) mais dans son inventaire de sa collection de partitions, datant de 1735, il n'y a pas une œuvre de musique française répertoriée, au contraire des musiques italienne, allemande et tchèque qui abondent !

Imaginons malgré tout un court instant le compositeur contrebassiste arriver à la cour de Versailles, en découvrir son faste, sa musique omniprésente, rencontrer Delalande, Couperin, Marais... et revenir ébloui !

S'il ne réalise pas son voeu de séjourner en France, il partira bien en Italie via l'Autriche. C'est un petit groupe de compositeurs et musiciens de Dresde qui prend la route en 1716 avec Zelenka et non des moindres : Christian Pezold (1677-1733), Johann Georg Pisendel (1687-1755), et J.C. Richter (1700-1785), tous au service de la cour de Dresde à des postes importants. Le musicien originaire de Louňovice, s'accomodant des obligations de son service, est envoyé d'abord à Vienne pour se mettre à la disposition du prince héritier en quête d'une épouse (8).

(8) C'est à Vienne, d'après le musicologue Wolfgang Horn, que Zelenka écrit 4 de ses 5 capriccios (ZWV 182, 183, 184, 185) pour un petit effectif instrumental de cordes et de vents, assez virtuoses dans l'écriture en particulier pour le cor que le prince héritier (le futur Frédéric Auguste II) , grand chasseur devant l'éternel, tenait en haute estime. Le prince, en résidence à Vienne pour son futur mariage, était accompagné de plusieurs musiciens de Dresde. Il épousera la princesse Maria Josèpha de Habsbourg, fille de l'empereur Joseph Ier.
Zelenka avait rejoint Vienne pour assurer avec d'autres musiciens de Dresde un service musical auprès du prince héritier. C'est pour ces occasions qu'il aurait composé ses capriccios concertants d'écriture non conventionnelle et peut-être aussi ses 6 sonates pour hautbois et basson. Le cinquième capriccio, sera écrit plus tardivement à Dresde en 1729.

Il ne serait pas surprenant qu'il soit aussi passé par Prague, sur la route entre les deux capitales. Il pourrait avoir apporté à cette occasion sa cantate composée pour le Klementinum en 1716. À Vienne, il rencontre J.J. Fux (1660-1741), maître de Chapelle de la cour impériale avec lequel il prend des cours qu'il aurait payé de ses propres deniers ! Le Bohêmien a 35 ans. Zelenka donne à son tour des leçons de contrepoint pendant ce séjour au flûtiste et hautboïste Johann Joachim Quantz (1697-1733). Et si justement Quantz, aussi brillant hautboïste que flûtiste, avait été le destinataire des six sonates pour deux hautbois et basson (ZWV 181), écrites, d'après certaines sources, à Vienne (1715-1716 ?) à cette époque ? À moins qu'elles n'aient été destinées à Francois Le Riche ou Antonio Besozzi (1714-1781), deux autres grands virtuoses du hautbois proches de Zelenka à Dresde. Celui-ci ne manquait pas d'occasions d'écrire pour l'un de ses instruments préférés. Pour quelles raisons Zelenka étudie-t-il avec Fux à l'âge de 35 ans ? Zelenka aurait-il eu d'autres motivations que celles de se perfectionner dans le domaine de l'écriture ? Envisageait-il de quitter Dresde ? Fux avait lui-même voyagé en Italie. Il écrit au Prince Electeur, Roi de Pologne, que Zelenka est un compositeur accompli, qu'il n'a plus rien à lui apprendre, qu'il lui faut poursuivre maintenant son chemin jusqu'en Italie vers Venise à la rencontre d'Antonio Lotti (1667-1740). Les chemins de Fux et de Zelenka se croiseront une dernière fois à Prague en 1723.

Pendant que Zelenka va travailler vraisemblablement (il n'existe là non plus pas de certitudes) avec Lotti, Pisendel fréquente Vivaldi. Il se peut encore que pour cette raison le Bohémien et le prêtre vénitien se soient rencontrés. Dans tous les cas, l'inventaire de 1735 de sa bibliothèque indique qu'il possédait des œuvres du musicien vénitien. Il est possible qu'ensuite les autres musiciens aient continué dans la direction de Bologne, Padoue, Rome et Naples. Lotti fut invité quelque temps après à Dresde mais ne prolongea guère son séjour (1717-1719). Zelenka rentre (seul ?) via Vienne dans les brumes et les frimats saxons au moment du carnaval de 1719. Cette année là, Dresde reçoit la visite de G.F. Handel.

L'opéra de Dresde ferme en 1720 pour cause de scandale... Il rouvrira en 1726. Aussi les activités musicales de la Chapelle royale redoublent-t-elles. Johann David Heinichen (1683-1729), Maitre de Chapelle, Zelenka son assistant et G.B. Ristori, Directeur de la Chapelle polonaise, collaborent afin d'assurer les nombreux services et cérémonies et une production musicale de haut-niveau. Zelenka continue malgré des activités de compositeur de plus en plus lourdes à jouer de la contrebasse dans l'orchestre. Il assistera Heinichen jusqu'à sa mort en 1729.

En 1723 a lieu à Prague un événement exceptionnel. Charles VI de Habsbourg (9) et son épouse Elisabeth Christine se font couronner roi et reine de Bohême. Ce geste symbolique d'une grande importance, non dénué d'arrière-pensées politiques, donne lieu à des festivités somptueuses.

(9) Charles VI de Habsbourg (1685-1740), empereur romain germanique, dernier descendant mâle de cette famille était lui-même instrumentiste et compositeur. Il avait étudié avec J.J. Fux. Il aimait l'opéra et dirigea lui-même certaines représentations. Politiquement il réussit à obtenir la ratification de la pragmatique sanction laquelle permit à sa fille Marie-Thérèse de lui succéder. Le texte du mélodrame insiste pesamment sur le droit des Habsbourg à la couronne de Bohême...

Prague est alors la capitale d'une province de l'empire encore parcourue fréquemment de révoltes et de soulèvements paysans dus à une situation économique difficile et une lourde imposition. Les pays de Bohême, sous administration autrichienne, ont subi de longues années de guerres de succession où ils ont perdu une partie de leur territoire (la Lusace). Le 28 août 1723, dans un théâtre en bois construit spécialement dans les jardins du château de Prague, Caldara dirige en présence de Fux malade l'opéra « La Constanza e Fortezza » dans une mise en scène impressionnante de Giuseppe Galli-Bibieni (1695-1757). Le théâtre peut accueillir 4000 spectateurs et a été réalisé selon les plans de Galli-Bibieni lui-même. Pour l'anecdote, le théâtre sera démonté peu après et vendu en pièces détachées aux habitants du quartier juif ! Pour cet opéra le chœur et surtout l'orchestre sont prestigieux. Il y a là les meilleurs musiciens d'Allemagne, de Bohême, d'Italie, d'Autriche réunis pour la circonstance : Caldara, Tartini, Quantz, Buffardin, Veracini, Weiss, Tůma, Zelenka, un tout jeune inconnu, František Benda (1709-1786) et bien d'autres encore.

Zelenka a gardé depuis le début de sa carrière à la cour de Dresde un contact régulier avec son ancien collège. Pour cet évènement celui-ci lui a commandé un mélodrame. Cette commande porte un nom digne de ces festivités : le mélodrame de saint Venceslas (10) ou la resplendissante couronne royale tchèque sous les branches de l'olivier pacifique et de la palme de la vertu (Sub olea pacis et palma virtutis conspicua Orbi regia Bohemia corona ZWV 175) !

(10) Saint Venceslas (ou Václav) petit-fils de la reine Ludmila (celle qui aime le peuple littéralement...), assassiné par son frère est le saint patron de la Bohême.

Saint Venceslas

Le texte latin de cette œuvre allégorique, dansée (11) et dévote mais sans véritable intrigue théatrale, a été écrit par le jésuite P. Matouš Žill.

(11) La musique de danse n'a pas été retrouvée.

Zelenka en dirige la préparation et la représentation à la bibliothèque du Klementinum le 12 septembre 1723 devant l'empereur et son épouse. František Benda (1709-1786), âgé de 14 ans, membre de la chapelle de la cour de Dresde, chante l'une des 8 parties solistes, toutes confiées, selon la tradition, à des tchèques ayant étudié ou étudiant encore au Klementinum. L'œuvre parcourue d'influences italiennes remporte un immense succès, certains aristocrates allant même jusqu'à préférer l'œuvre de Zelenka à celle de Fux. Le mélodrame dure plus de 3 heures. Il demande un effectif considérable dans sa forme intégrale (solistes, chœur, orchestre, danseurs, acteurs, figurants...). Jamais celui-ci ne sera repris plus tard ! Zelenka réutilisera seulement certains passages pour son Te Deum de 1724 (ZWV 145). Il aurait semble-t-il écrit aussi pour ces festivités plusieurs de ses pièces instrumentales pour orchestre. Elles sont datées précisément de l'année 1723 et portent la mention de Prague. Notre compositeur bohémien, fêté et admiré, heureux de ce séjour parmi les siens, peut rentrer à Dresde satisfait et avec l'espoir de succéder un jour au poste de maître de chapelle de la cour qu'il assiste désormais de plus en plus. Le pauvre Heinichen, fatigué, est débordé et n'a plus la force de répondre à toutes les sollicitations d'écrire de la musique pour le service de l'église. Zelenka en assume désormais l'essentiel tout en continuant d'être rémunéré comme instrumentiste de second rang...

Le prince-électeur, soucieux de rouvrir d'abord l'opéra a d'autres projets et le fait patienter. Zelenka commence à rédiger en 1726 l'inventaire de sa bibliothèque musicale (inventarium rerum musicarum ecclesiae servencium) qui a été conservé et contient des informations passionnantes sur le contenu de la collection et la connaissance de Zelenka de la musique de son époque. Pas une seule trace d'une copie d'un manuscrit de musique française dans cet inventaire comme il a été dit auparavant.

Heinichen meurt en 1729. Zelenka signe maintenant « Compositor di S : M :Re di Polonia » mais rien ne se passe, aucune nouvelle de sa nomination. G. B. Ristori, J.B. Volumier, espèrent aussi succèder à Heinichen. Entretemps, une troupe de chanteurs italiens est arrivée et dans la capitale saxonne en 1730. Elle prélude à une autre arrivée, celle de Hasse en 1731. L'opéra revient à la mode...

La venue de Hasse et son installation à Dresde va bouleverser le destin de Jan Dismas Zelenka. Curieusement sa production commence à diminuer peu après même si son style compositionnel atteint son apogée avec les cinq messes des années 1736-1741, la Missa Sancti Trinitatis, ZWV 17 (1736), la Missa Votiva ZWV 18 (1739), la Missa Dei Patris ZWV 19 (1740), la Missa Dei Filii ZWV 20 (1740) et la dernière grande messe, la Missa Omnium Sanctorum ZWV 21 datant de 1741. On trouve encore datant de cette période l'extraordinaire Miserere en do mineur ZWV 57 (1738). Frédéric Auguste I meurt en 1733. Zelenka compose la musique de la cérémonie, les requiem ZWV 46 et47 et présente à l'automne, le 18 novembre 1733, à son successeur Frédéric Auguste II (12) une émouvante requête pour être nommé au poste de maître de chapelle. Il y a si longtemps qu'il patiente ! Il demande également à ce qu'on lui rembourse certaines de ses dépenses datant de son passage à Vienne, un supplément de salaire pour avoir suppléer Heinichen avant qu'il ne meure et remplacé après.

(12) Frédéric Auguste II règne de 1733 à 1763.

« Après mon retour de Vienne, je me suis chargé, en commun avec le maître Heinichen, pendant de longues années de la musique sacrée du Roi, mais après le décès du maître Heinichen, j'ai composé et dirigé presque seul ; pour ces raisons, et pour obtenir les manuscrits musicaux étrangers que j'ai du faire copier tout comme mes propres pages, il m'a fallu dépenser presque la moitié de mon traitement actuel à mon plus grand détriment personnel...Ainsi je vous implore avec mon plus grand dévouement de bien vouloir daigner gracieusement me conférer le poste du maître de chapelle devenu vacant après le décès de Heinichen, en plus d'ajouter à mon salaire actuel une partie de son traitement à partir de sa mort ; également de m'accorder selon la disposition gracieuse de Sa Majesté quelque réjouissance pour les grandes dépenses que j'ai eues à Vienne tout comme ici pour les copies d'œuvres musicales... »

Cette supplique en français est encore accompagnée de 8 arias italiens (ZWV 176, octobre 1733) destinés à montrer ses qualités de compositeur de musique profane. Zelenka avait manifestement compris que l'intérêt, le goût et la mentalité de la cour étaient en train de changer et se portaient désormais de plus en plus vers l'opéra. Un vent au parfum de bel canto napolitain souffle sur Dresde. Zelenka tente de « réactualiser » en partie son style musical mais en vain. L'intérêt pour sa musique commence à décliner.

Il n'est pas sur que Frédéric-Auguste II ait apprécié cette requête ou tout simplement ne goûtait-il plus le style de la musique, la personnalité du musicien tchèque ou encore nourrissait-il d'autres projets ? Il choisit le compositeur d'opéra Johann Adolf Hasse (1699-1783), de 20 ans son cadet, au poste de maître de Chapelle (1733). Sa femme, la cantatrice Faustina Bordoni (1700-1781) devient prima donna et virtuosa da camera de la cour électorale.

Zelenka est officiellement nommé compositeur d'église (Kirchen-compositeur) en 1735. Cette nomination ne change rien à sa situation psychologique et matérielle. Pire ! Sa production chute vertigineusement de 1741 à la fin de sa vie. Quel contraste avec la période 1723-1733 ! Il passe les dernières années de plus en plus isolé sans pouvoir entendre sa propre musique qui tourne le dos aux effets de mode et reste compositeur d'église jusqu'à sa mort le 23 décembre 1745. Dresde est menacée. Les troupes prussiennes de Frédéric II font le siège de la ville, la bombarde. Sa disparition passe presque inapercue.

Les activités importantes de compositeur d'église de Zelenka l'ont certainement malgré lui confiné presque exclusivement dans ce type de répertoire. Sur un catalogue de près de 250 œuvres, une petite vingtaine appartient au genre instrumental et profane. Pourtant à chaque fois qu'il a pu s'exprimer dans ce domaine, il a fait montre d'un génie très particulier de l'écriture.

Zelenka n'est pas à proprement parlé un compositeur précoce. Il n'écrit guère avant l'âge de 30 ans. Il combine ensemble de facon très personnelle, habile et inventive science du contrepoint, formules mélodiques et carrures rythmiques puisées dans la musique populaire de son pays natal. La musique de Zelenka, robuste, enracinée, pleine de caractère à la fois fascine, captive l'attention et en même temps ne se laisse pas facilement apprivoisée. Elle dramatise, interpelle, semble parfois se battre contre elle-même. Reflète t-elle les conflits internes du compositeur, sa personnalité complexe ? Elle tient avec brio une place à part dans le répertoire baroque. Elle est attachée à cet univers par des liens étroits et inhabituels, par sa dissymétrie en profondeur, son exubérance et son émotion intime. Rarement la musique baroque européenne a atteint une telle densité de langage. Bach et Telemann ne s'y étaient pas trompés. L'œuvre de Zelenka se rattache à un mouvement baroque spécifique, tourmenté, passionné, parfois fiévreux, un baroque différent appartenant aux artistes tchèques, d'origine ou d'adoption. On ne peut pas s'empêcher de penser aux contemporains de Zelenka qui s'exprimèrent chacun à leur manière, à l'architecte Kilian Ignác Dienzenhofer (1689-1751), adepte du baroque monumental et imposant, au sculpteur Ferdinand Brokoff, ou à Bernard Matias Braun qui travailla pour le comte Špork dans son domaine de Kuks.

Il ne faut pas oublier non plus que Zelenka était contrebassiste et que cette expérience, cette position dans l'orchestre pourraient avoir exercé une influence sur sa manière d'écrire. Dans certaines de ces sonates ZWV 181 une des deux parties indépendantes de la basse est expressément destinée au violone, l'instrument de Zelenka.

Un solide contrepoint renforce en général le rôle rempli par les basses et l'ensemble de l'architecture est souvent parcouru d'effets, de frissons rythmiques répétitifs, syncopés, de ruptures, de changements d'accentuation qui font de sa musique une sorte de volcan en activité imprévisible dont le cœur bouillonnerait de lave. Tout sauf un long fleuve tranquille ! « La musique de Zelenka ne coule pas comme un fleuve paisible mais plutôt comme un torrent de montagne qui se brise continuellement sur un rocher » (Wolfgang Horn). Zelenka apporte encore un soin très détaillé à la dynamique en indiquant un grand nombre de nuances.

Zelenka a sans doute été incité à soigner son écriture et à confier des parties d'une grande difficulté à certains instruments par son entourage orchestral et les musiciens exceptionnels qui séjournaient et travaillaient à Dresde à ses côtés.

Pédagogue à certaines heure, Zelenka n'a, pour autant, pas formé de disciple.

Son œuvre instrumentale comprend les 4 capriccios de Vienne (1717-18), les œuvres de Prague (1723) au nombre de 4 également (Hypocondrie à 7, ZWV 187, le concerto à 8, ZWV 186, l'ouverture à 7, ZWV 188 et la simphonie à 8, ZWV 189) , les impressionnantes six sonates en trio et en quatuor (ZWV 181, 1-6) vers 1715-16 ou 1721-22 (?), 9 canons sur un hexacorde (1721) et diverses autres pièces. Après un dernier capriccio (Dresde, 1729) il ne revient plus à ce genre musical.

Ses contemporains regardaient Zelenka comme un homme célibataire distant, infatigable travailleur, réservé, paisible, fervent catholique (?), peut-être vers la fin de sa vie hypocondriaque et amère.

La destinée de sa musique est restée longtemps incertaine. Les œuvres de Zelenka composées en Saxe ont continué à être jouées uniquement à Dresde jusqu'à la mort de Frédéric Auguste II en 1763 puis elles sont regroupées, soigneusement archivées dans la bibliothèque royale et tombent dans l'oubli. Elles seront redécouvertes en partie par le musicologue F. Rochlitz dans les années 1830 dont les travaux attireront l'attention de l'historien tchèque F. Palacký et de B. Smetana. Plus proches de nous, les recherches de C. Schönbaum, G. Hausswald, H. Unverricht, V. BĚlský, W. Horn, T. Kolhase, J. B. Stockigt ont ressorti de l'ombre sa musique. Les œuvres manuscrites de Zelenka n'ont pas échappé aux bombardements de la fin de la deuxième guerre mondiale, deux cents ans après ceux des prussiens. Une partie conséquente de ce patrimoine a disparu définitivement. À moins... qu'on ne retrouve par miracle quelques manuscrits à l'occasion de la restitution d'archives d'europe orientale.

Zelenka et sa musique étaient connus et admirés de ses contemporains. Son nom est inscrit dans l'un des plus anciens dictionnaires de la musique, réalisé par JG Walther en 1732. Par contre il a disparu dans celui de Johann Mattheson, Grundlage eine Ehrenpforte 1740. Il manque aussi celui de Bach qui refusa de transmettre sa biographie à Mattheson ! Zelenka pourrait en avoir fait de même...

Bach et Telemann le rencontrèrent et correspondirent avec lui appréciant plus particulièrement deux caractéristiques de sa musique, sa science du contrepoint et son inventivité harmonique. Lorsque Bach rend visite à son fils Wilhem Friedmann, organiste à Dresde, il rencontre Zelenka et demande à copier certaines de ses œuvres mais ne s'en voit pas accordé l'autorisation. Le roi le refusa. Ni Bach, ni Telemann, ni Händel ne pourront le faire.

Eric Baude, juillet 2002

Nomenclature des œuvres instrumentales

  • Six sonates ZWV 181 en fa majeur, sol mineur, si bémol majeur, sol mineur, fa majeur et do mineur à due hautbois et basson con due bassi obligati. Le premier dessu de la troisième sonate est exceptionnellement confiée au violon.
  • Cinq capriccios ZWV 182-5 et ZWV 190 en ré majeur, sol majeur, fa majeur, la majeur et sol majeur pour deux cors, deux hautbois, basson, deux violons, alto et basse continue
  • Concerto ZWV 186 à 8 concertanti en sol majeur pour hautbois, violon, deux violons in ripieno, alto, violoncelle, basson et basse continue
  • Hipocondrie ZWV 187 à 7 concertanti en la majeur pour deux hautbois, deux violons, alto, basson et basse continue
  • Ouverture ZWV 188 à 7 concertanti en fa majeur pour deux hautbois, deux violons, alto, basson, violoncelle et basse continue
  • Simphonie ZWV 189 à 8 concertanti en la mineur pour deux hautbois, deux violons, alto, basson, violoncelle et basse continue
  • Neuf canons ZWV 191 sur l' hexacorde
  • Six fanfares ZWV 212 pour trompettes en do majeur (attribution douteuse)
  • Cinq concertos ZWV 246 (1723) ont été perdus
  • Nous citerons également en complément certaines œuvres de musique sacrées (messes, cantates, oratorios, lamentations...) dans lesquelles le ou les hautbois ont des parties solistes importantes et dialoguent avec les voix.

  • Agnus Dei à 4 en sol majeur ZWV39 ; hautbois concertant, violons, alto et basse continue (1725)
  • Aria Sustinuit anima mea extrait du De Profondis en ré mineur ZWV 50 ; alto et ténor solos, hautbois et basse continue (1724)
  • Aria n� 9 extrait de la cantate sacrée Il Serpente di Bronzo en do mineur ZWV 61 ; alto solo, 2 hautbois avec sourdine (sic) et basse continue (1730)
  • Aria Agnus Dei extrait de la Missa Sanctissimae Trinitatis en la mineur ZWV 17 ; ténor, basse solos, 2 hautbois ou hautbois et chalumeau et basse continue (1736)
  • Aria Agnus Dei extrait de la Missa Circumcisionis en ré majeur ZWV 11 ; ténor solo, 3 hautbois et basse continue (1728)
  • Lamentation pro di Veneris Sancto extraite des lamentationes Jeremiae Prophetae en fa majeur ZWV53 ; alto solo, violon, hautbois ou chalumeau, basson obligé et basse continue (1722)
  • Aria Recordare, Domine, testamenti tui extrait du psaume Immisit Dominus pestilentiam en sol mineur ZWV 58 ; alto solo, hautbois ou violon solos, alto concertant et basse continue (1709/1729) A noter un arrangement datant de 1729 de la main de � imon Brixi
  • Aria Benedictus extrait de la Missa Gratias agimus tibi en sol majeur ZWV13 ; ténor solo, flûte, hautbois et basse continue (1730)
  • Aria Anima poenitentis en do mineur ; basse solo, violon, hautbois, basse continue (1730 ? perdu)
  • Aria Recordare Jesu pie ZWV 46 ; soprano, alto, ténor solos, hautbois, violon et basse continue (1733)
  • Aria extrait du requiem ZWV 46 ; alto, ténor solos, hautbois, violon et basse continue (1733)
  • Alma redemptoris en ré mineur ZWV 127 ; soprano, alto, violon, hautbois et basse continue (1728)
  • Aria Christi eleison extrait du requiem ZWV 46 ; soprano solo, hautbois ou chalumeau, flûte, violons et basse continue (1733)
  • Pange Lingua en do mineur ZWV 159 ; contra (?) solo, hautbois concertant, violons, alto et basse continue (?)
  • Aria Agnus Dei extrait de la Missa Purificationes en ré mineur ZWV 16 ; alto solo, hautbois, violons, alto et basse continue (1733)
  • Lamentatio I pro die Jovis Sancto extraite des Lamentationes Jeremiae Prophetae en si bémol majeur ZWV 53; ténor solo, 2 hautbois, 2 violons, alto et basse continue (1722)
  • Lamentatio I pro di Mercurii sancto et Lamentatio II pro die Jovis Sancto en do et sol mineur extraites des Lamentationes Jeremiae Prophetae ZWV 53 ; basse solo, 2 hautbois, 2 violons, alto et basse continue (1722)
  • Sources bibliographiques

  • Wolfgang Horn : Die Dresdner Hofkirchenmusik 1720-1745 : Studien zu ihren Voraussetzungen und ihrem Repertoire, Kassel und Stuttgart, 1987
  • Wolfgang Horn and Thomas Kolhase, eds :Zelenka-Dokumentation: Quelle und Materielen, Wiesbaden, 1989
  • S. Oschmann: Jan Dismas Zelenka: seine geistlichen italienischen Oratorien, Mainz, 1986
  • Jan dismas Zelenka, The New Grove Dictionnary of music and musicians, edited by Stanley Sadie, Macmillan publishers limited, London 2001
  • Music for Oboe 1650to 1800, a bibliography, second edition by Bruce Haynes, Fallen Leaf Press, Berkeley USA 1992
  • Prague, Bohême, Moravie Guide littéraire et touristique par Xavier Galmiche, Jacques Damaze éditeur, Paris 1989
  • Malá encyclopedie české opery, éditions Paseka, Litomyšl 1999
  • Vratislav BĚlský, Sub olea pacis et palma virtutis, Musica Florea, Musica Aeterna, Ensemble Philidor, Boni Pueri, dir. Marek � tryncl, enregistrement Supraphon SU 3520-2 232, 2001
  • Guide de la musique baroque, Julie Anne Sadie, éditions Fayard, les indispensable de la musique 1992
  • J. Slipka et F. Pézard,Contes et légendes de Bohême, éditions Fernand Nathan, Paris 1963
  • Jan Dismas Zelenka, complete orchestral works, I, II,III, das Neue-Eröffnete Orchester, J�rgen Sonnentheil, enregistrements CPO 999 458-2, 999 629-2, 999 697-2, textes de Wolgang Horn
  • Jan Dismas Zelenka: sonates pour deux hautbois et basson, Ensemble Zefiro, enregistrement Astrée E8511 et 8563, textes d'Alfredo Bernardini, 1995
  • Jan Dismas Zelenka : six sonates en trio, Heinz Holliger, Maurice Bourgue, enregistrement Archiv produktion 423-937-2
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