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Si les liens entre le compositeur tchèque Antonín Dvořák et le France de son époque sont restés quasi inexistants (voir Dvořák et la France), la situation n'était pas du tout la même outre-Manche. Sa musique y est jouée dès la fin des années 1870 et la Société Philharmonique de Londres invite officiellement le compositeur en 1884. Ce premier séjour sera suivi de huit autres - tous seront couronnés de succès et le dernier d'entre eux, en 1896, verra même le compositeur diriger en première audition son propre Concerto pour violoncelle en si mineur.
Svatá
Ludmila (en langue
française, Sainte Ludmila)
est la troisième partition écrite pour
l'Angleterre, après la cantate Les
chemises de noces
et la Septième
Symphonie en ré mineur.
Cette nouvelle commande du Festival de Leeds occupe Antonín
Dvořák de septembre
1885 à mai 1886. Après avoir
hésité sur le
livret, il a porté son choix sur un texte de
l'écrivain contemporain Jaroslav
Vrchlický. L'oratorio sera en trois parties :
Le peuple et les
prêtres chantent les louanges de la
déesse païenne Bába. Ils sont
bientôt rejoints
par Ludmila, qui fit ériger la statue de l'idole. Survient
Ivan,
proclamant que la seule lumière provient de la croix du
Christ.
La statue païenne s'effondre, foudroyée. Ludmila a
la
révélation et veut suivre l'enseignement d'Ivan,
alors
que le peuple se lamente.
La quête du vrai dieu
conduit Ludmila et sa servante Svatava
au cœur d'une forêt, près du refuge de
l'ermite Ivan, une
grotte surmontée d'une croix. L'ermite constate que Ludmila
est
parvenue à la suivre malgré les
embûches du chemin
et lui promet de lui révéler la
vérité de
la croix. Un tumulte survient : c'est le prince Bořivoj chassant
à cour avec sa suite. La troupe se dirige tout droit vers
la demeure de l'ermite, pourchassant une biche blessée.
L'animal mourant vient s'étendre aux pieds d'Ivan
et celui-ci retire la flèche sans difficulté. La
biche
est miraculeusement guérie et se met à lui
lécher
les mains.
Le prince et sa suite sont subjugués, à la fois
par le
prodige et par la beauté de Ludmila. Bořivoj se
déclare
prêt à embrasser la nouvelle religion pour gagner
le cœur de Ludmila.
Un choral angélique bénit la conversion
chrétienne
de la terre tchèque.
Cérémonie
de baptème de Ludmila et Bořivoj. Le
peuple, les gentilhommes, les prêtres, glorifient le vrai
dieu
et la foi nouvelle en Jésus-Christ. Apothéose.
Cette partition "monumentale" s'imposa immédiatement aussi bien en Bohême qu'en Angleterre. On a pu s'étonner des raisons du succès de Dvořák outre-Manche. Celles-ci tinrent peut-être à une esthétique capable de séduire aussi bien les avant-gardistes que les conservateurs. Si cela est exact, Svatá Ludmila serait un excellent exemple de cette caractéristique de l'écriture de Dvořák, cette faculté à dépasser le phénomène de mode et s'imposer de façon intemporelle : l'admiration d'un Brahms, d'un Janáček, d'un Arnold Schoenberg sauraient nous le rappeler.
Encore faudrait-il ranger Svatá Ludmila parmi les très rares œuvres de Dvořák sévérement condamnées par Brahms. Ce dernier n'aurait-il pas confié à Richard Heuberger :
Brahms, précisons-le, était en dépit de sa culture protestante, un athée résolu. Il voyait d'un mauvais œil les succès de son protégé en Grande-Bretagne, et était sans doute également irrité par la légende nationaliste slave du texte de Vrchlický. Autant de raisons qui purent influencer son jugement - et, notons-le, uniquement des raisons extra-musicales. Car l'oratorio regorge de beautés mélodiques, l'orchestre et le chœur sont très bien servis par une écriture ne sacrifiant jamais à la détestable volonté de "faire moderne". Il reste à préciser que cet oratorio présente une image de Dvořák différente de celle des symphonies, de la musique de chambre, des Danses Slaves. Son écriture offre un caractère plus intériorisé et s'avère plus exigente pour l'auditeur. L'action très statique n'a pas permis à une version scénique, intitulé "Opéra sacré en 3 parties", composé en 1901 avec l'aide de Václav Juda Novotný, de s'imposer au-delà du succès de ses premières auditions.
Captée en plein
Festival du Printemps de Prague 2004, la nouvelle parution
proposée par Arco Diva vient s'ajouter à une
courte liste d'interprétations historiques
(Smetáček, Krombholc...) et plus récentes
(Albrecht). Sans remettre en cause les qualités
intrinsèques de ces enregistrements - tous
réalisés par des connaisseurs assidus de
Dvořák, comptant parmi les meilleurs défenseurs du
compositeurs au
XXème siècle - cette récente parution
parvient à susciter un plaisir particulier. Les
interprètes semblent
avoir eu à cœur d'honorer le centenaire de la disparition du compositeur. La
réelle beauté des solistes Eva
Urbanová, Bernarda Fink, Stanislav Matis, Aleš
Briscein, Peter Mikuláš, la direction
très précise et comme toujours
appliquée du grand Jiří Bĕlohlávek,
les musiciens de la Philharmonie Tchèque, le Chœur
Philharmonique de Prague de Jaroslav Brych auquel viennent s'adjoindre
les voix des merveilleux Bambini di Praga de Bohumil
Kulínský, tous ces ingrédients
concourrent à nous faire redécouvrir une
partition de premier ordre. Ajoutons que le SACD multicanal hybride
(lisible par un lecteur de CD standard) est fort bien
enregistré et que le livret propose, chose assez rare pour
être encouragée, le livret en langue
française.
Seul petit regret, la présentation de l'œuvre en
français reprend celle rédigée par
Pierre-Émile Barbier pour la collection Praga alors que les
lecteurs tchèques - et anglais - ont droit à une
notice de Václav Holzknecht, biographe du compositeur.
Soulignons pour terminer la beauté du mini-coffret contenant
à la fois la notice et les deux CD. La couverture reproduit
une magnifique peinture de Josef Václav Hellich (1807-1880)
consacrée à Saint Venceslas. Le dos du
boîtier permet d'admirer la Sainte Ludmila du Pont Charles de
Prague. L'ensemble se déplie comme un tryptique, la notice
étant solidaire de la partie gauche. Un réel
effort de présentation qui nous fait un peu moins regretter
l'époque où la taille des disques 33 tours
autorisait les éditeurs à proposer davantage
d'efforts artistiques que le seul contenu du microsillon. Une vraie
réussite.
Antonín
Dvořák, Svatá Ludmila,
Czech Philharmonic Orchestra,
Jiří Bĕlohlávek, Arco Diva UP 0078-2 232 (2 SACD
multicanaux hybrides lisibles par un lecteur de CD).
Alain Chotil-Fani, octobre 2005
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