"Sur des chemins recouverts (1)"

(1) "Rien n'est perdu, tout est recouvert." J'ai toujours gardé en mémoire durant mon travail de recherches cette belle expression, pleine de sens, qui revenait souvent dans les propos de Maurice Bourgue durant les cours. "Sur un sentier recouvert" est aussi le titre d'un émouvant cycle pour piano du compositeur morave Leoš Janáček.

Avant de fonder avec quelques instrumentistes à vent en 1992 l'Ensemble Philidor à Tours, j'ai commencé plus tôt l'étude du hautbois avec Philippe Pélissier, hautboïste et ingénieur du son, au Conservatoire de musique de Saint Germain-en-Laye dans les Yvelines. Puis ayant déménagé de France pour la Suisse, j'ai été admis dans la classe de Jean-Paul Goy (soliste de l'orchestre de chambre de Lausanne) au Conservatoire de Fribourg. Après mon retour en France en région parisienne, j'ai poursuivi mes études au CNR de Saint-Maur-des-Fossés, d'abord quelques mois avec Maurice Bourgue (quel choc !) et avec Michel Giboureau obtenant une médaille d'or en hautbois et en musique de chambre (avec la complicité de Michel, Pascal et Pierre Moragues qui n'étaient dejà à cette époque pas en manque d'imagination en musique... et en plaisanteries !). La grande ouverture d'esprit de M. Giboureau, ses patients talents de pédagogue et de musicien, son inépuisable modestie m'ont beaucoup apporté tout comme les rencontres avec David Walter, Bernard Delcambre, Gilbert Flory et d'autres qui restent des amis et toujours de bon conseil (2).

(2) Comme professeur de hautbois dans les conservatoires de Saint Malo, Lorient, Vannes et Chinon, j'ai pu, en ayant reçu ce savoir et cet enseignement, tenter de les transmettre à mon tour aux élèves.

Comment on tombe dans le chaudron de la musique tchèque ? En douceur et par bonheur ! Tout simplement pour ce qui me concerne en jouant en orchestre symphonique (Orchestre Lamoureux (3)) l'un des plus beaux solos de tout le répertoire pour cor anglais, celui de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák. Dvořák n'avait pas prévu initialement de le donner au cor anglais... mais nous l'avons, nous le gardons ! Ce fut le début de cette incroyable aventure qui continue aujourd'hui plus que jamais. Et dire que je ne savais rien sur ce compositeur à ma grande honte !

(3) Au début du siècle, l'un des tous premiers orchestres symphoniques français à avoir programmé des œuvres de Dvorák grâce à son chef fondateur Charles Lamoureux.

Plusieurs bourses dont celles du ministère des affaires étrangères m'ont conduit à Prague, à l'université, en Bohême, en Moravie entre 1990 et 1993 où j'ai découvert que le 18ème siècle et le début du 19ème avaient été un véritable âge d'or de la musique pour hautbois et ensembles d'instruments à vent. Quelle incroyable effervescence autour de ce répertoire dont un bon nombre de manuscrits sont conservés (et éparpillés...) dans les bibliothèques des châteaux et des couvents. Grâce aux bibliothécaires et à l'attentive bienveillance de musiciens et musicologues tchèques passionnés et cultivés (Mirek Hosek, Julius Hulek, František Maly, Zdeněk Šesták, Jiří Mikulas, Jiří Zaloha, Cyril Mesic, Zuzana Petraskova, j'en oublie... Tant de rencontres, de générosité désintéressée si typique des gens de Bohême et de Moravie et de moments d'amitié incroyables !) j'ai pu collecter des informations sur un certain nombre de musiciens, hautboïstes, instrumentistes à vent, compositeurs, accéder et lire des manuscrits, des catalogues d'inventaires, obtenir des microfims... et constituer peu à peu au fil des recherches et des mois de travail un matériel qui sert depuis aux activités de diffusion et d'enregistrements de l'Ensemble Philidor. Bien sûr, toute la musique tchèque n'est pas en Bohême, ce répertoire est disséminé un peu partout en Europe (Italie, Allemagne, Suède, Russie, Pays-Bas, Suisse, France - voir à la BN mais pas seulement..) jusqu'aux Etats-Unis, en fait un peu partout où les compositeurs tchèques ont exercé leur talent. Etre instrumentiste à vent originaire de Bohême au 18ème était un gage de qualité et les musiciens tchèques n'avaient ainsi pas de problème pour trouver des emplois bien mieux payés à l'étranger que chez eux (je pense aux Stamic, Rosetti, Vent, Fiala, Reicha, Krommer, Triebensee, Druzecky, Mysliveček...).

D'abord sur instruments modernes avec d'excellents musiciens, l'ensemble a ensuite permuté sur instruments anciens. Il y a de nombreuses raisons à cela mais sans doute la principale est que la démarche me paraissait absolument nécessaire musicologiquement et organologiquement. Il y a, à cette époque dans le domaine des vents particulièrement, une symbiose étonnante entre l'écriture et la facture instrumentale. Mozart en fait l'éclatante démonstration (Gran Partita, sérénades...). Difficile de dissocier l'une de l'autre...

Entretemps, j'avais été également sensibilisé et convaincu après avoir écouté Bruce Haynes à l'occasion de stages de musique ancienne. Il s'agit d'une démarche différente qui renforce l'expressivité de cette musique par d'autres procédés que ceux utilisés par les instruments modernes, sa spécificité et sa spontanéité. La présence de Vincent Robin en Région Centre, l'enthousiasme de Jean-Marc Philippe ont permis de concrétiser la naissance de l'Ensemble Philidor sur instruments anciens. Le choix du nom de Philidor s'explique par la contribution de cette famille dans le répertoire et l'évolution de la facture instrumentale du hautbois. Philidor l'Aisné est aussi venu, vers la fin de sa vie, s'installer en Région Centre. C'était une facon de lui rendre hommage. Les activités de l'ensemble sont multiples mais cohérentes, le répertoire double, à la fois sur instruments baroques (répertoire français et d'influence française ou italien) et classiques (Europe centrale prioritairement mais aussi français et italien).

Pour avancer dans mes recherches il m'a fallu apprendre la langue tchèque à Paris, à la Sorbonne, plus précisément à l'Institut National des Langues Orientales ! Eh oui, nous sommes déjà en Bohême, d'une certaine manière, aux portes de l'Orient... C'est jusqu'à aujourd'hui ma seule incursion dans le monde universitaire (sauf à Prague, après la révolution de 1989 mais c'est une autre histoire...) avec lequel je n'ai pas d'affinités particulières.

J'ai envie pour terminer, de donner un grand coup de chapeau à tous les musiciens qui ont participé ou qui participent aux activités de l'ensemble et contribuent à sa reconnaissance. C'est grâce aux efforts et à l'enthousiasme de chacun d'entre eux, aux soutiens des collectivités que Philidor poursuit avec enthousiasme et rigueur sa route "hors des sentiers battus".

Eric Baude pour la revue de l'Association Française du Hautbois, mai 2002

Ps - n'hésitez pas à consulter le site de l'Ensemble Philidor !

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