À la découverte d'une princesse moldave (4)

Où je réussis enfin à rencontrer la petite-fille de la Princesse... et à lui confier les Mémoires de sa grand-mère.

Par Alain Chotil-Fani

La petite-fille de Maruca

 

C'est par une chaude journée d'été que la petite-fille de la Princesse nous accueillit les bras ouvert. Sa petite maison était un étonnant mélange de genres, empruntant à la tradition roumaine la galerie en plein air qui entourait la demeure, parsemée d'objets évocateurs telle cette étonnante collection d'assiettes peintes de Roumanie dans laquelle elle avait malicieusement glissé une assiette nord-africaine, qu'elle mettait au défi ses visiteurs de découvrir (ce à quoi nous échouâmes).

Elle nous offrit un repas mémorable, en une délicieuse synthèse d'influences gastronomiques - un hors-d'œuvre de moules à la crème acidulée, un plat de viande en sauce avec des champignons chinois... le tout bien arrosé de vin fort à propos, et fort tout court, surtout pour moi qui ne suis pas grand buveur !

Du reste je garde un bon souvenir de la rencontre, enivrés par les vins précieux et les senteurs du jardin tout proche, fêté par la bande de chiens tout joyeux de cette nouvelle rencontre. J'avais enfin réussi à remettre les mémoires de la princesse Moldave à sa petite-fille installée en France.

C'était, en soi, un aboutissement dont j'étais heureux.

J'étais également heureux de rencontrer cet écrivain au destin hors du commun. Résistante à l'époque communiste, emprisonnée adolescente, puis réussissant à fuir la dictature pour s'installer en France, cette artiste a fait preuve d'une étonnante force intérieure. Elle m'a raconté comment les plus hautes instances, de Roumanie ou de France - François Mitterrand en personne - ont manœuvré pour rapatrier la tombe d'Enesco (aujourd'hui au Père Lachaise) dans son pays natal. Unique détentrice des droits et dépositaire des dernières volontés d'Enesco, elle s'y est toujours opposée, pour éviter que cet événement soit récupéré par calcul politique.

On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec le pouvoir communiste tchécoslovaque qui organisa à la sauvette la déménagement du tombeau de Martinu - cet autre immense compositeur contemporain d'Enesco, réfugié puis inhumé en France - pour son installation en grande pompe dans son village natal, avec force propagande. Milan Kundera consacre des passages entiers de son essai les Testaments trahis à cet hold-up posthume. L'écrivain franco-tchèque aurait tout aussi bien pu évoquer Enesco...

Aujourd'hui, le lieu de repos définitif d'Enesco et de Maruca devrait être, par testament, le cimetière de Tescani. Mais voilà, Tescani est une petite ville loin de tout, et surtout à l'écart des grands circuits touristiques qui draînent les foules du côté de Sinaïa, où beaucoup verraient bien le mausolée Enesco, aux abords de la villa Luminis où le compositeur aimait à se recueillir... Il n'est pas inutile de préciser que Sinaïa, station touristique de moyenne montagne, n'est qu'à deux heures de route de Bucarest.

Aux dernières nouvelles pourtant, la petite-fille de la princesse s'oppose également au projet de transférer les corps à Tescani. Elle garde un souvenir exécrable de la dernière fois qu'elle a visité les lieux, choquée par des traces de vomi sur le monument qui devait accueillir les tombeaux. D'une façon plus générale, j'imagine qu'elle évite les contacts la Roumanie actuelle, ce pays à la traîne de l'Europe et qui tarde à se remettre du profond traumatisme ceausesquien.

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