Coup de cœur pour Theodor Rogalski

En écoutant diverses compilations de musique symphonique roumaine, mon attention a été très rapidement captivée par des miniatures symphoniques au pouvoir étonnamment suggestif. Et c'est ainsi que je découvris l'existence d'un compositeur très rare, y compris dans les encyclopédies musicales - Theodor Rogalski (1901 - 1954).

Par Alain Chotil-Fani


Un maître de l'orchestration

 

Theodor Rogalski a étudié aux conservatoires de Bucarest, Leipzig et, comme tant de Roumains, à Paris. À la Schola Cantorum il a comme professeurs des maîtres prestigieux comme Vincent d'Indy et Maurice Ravel.

Devenu lui-même professeur en Roumanie, Theodor Rogalski assure également la direction de la Philharmonie de Bucarest et de l'orchestre de la radio, les deux principales formations symphoniques de la capitale roumaine. Ses compositions rencontrent le succès : second prix du Concours Enescu de 1919 avec sa Sonate pour Piano, premier prix sept années plus tard quand il présente Quatuor à Cordes (1).

(1) Ce prix du Concours de composition George Enescu de 1926 est partagé avec un autre quatuor, celui de Ionel Perlea. Celui-ci fera au cours du XXème siècle une éblouissante carrière internationale de chef d'orchestre, qui éclipse encore ses dons de compositeur.

Il exploite la musique populaire de son pays, comme dans ses Deux Danses Roumaines pour Vents, Percussions et Piano à Quatre Mains de 1926 et ses pièces symphoniques comme Fresque Antique et surtout ses Deux Scènes Symphoniques, qui suscitent l'admiration de ses contemporains : c'est George Enescu en personne qui dirige, à la tête de la Philharmonie de New York, la création outre-Atlantique de Funérailles à Patrunjelu.

Le langage classique de ses compositions, bien éloignées des études rythmiques de Bartók ou de la complexité enescienne, révèle cependant un don indéniable pour l'orchestration symphonique. Aucune des compositions de Rogalski que je connaisse ne dépasse les 6 minutes. Mais chacune d'entre elles est un joyau finement ciselé : Rogalski s'y affirme, comme autrefois Liadov, un maître de la miniature symphonique.

Trois danses symphoniques : Joc din Ardeal, Gaida, Hora din Muntenia

 

Les "trois danses symphoniques" surprennent par leur gravité qui ne font pas d'elles des petites sœurs des rhapsodies d'Enescu. Il s'agit ici d'authentiques danses roumaines, contrastées et virtuoses. La première, de la région de Transylvanie - "Ardeal" étant le nom hongrois de cette région - utilise de façon plaisante le claquement des archets pour simuler la frappe des mains des danseurs. La seconde, au climat oppressant, trahit une influence orientale manifeste - l'occupation turque a laissé des traces dans le folklore roumain. La puissance de l'orchestre symphonique produit un effet extraordinaire dans la furia de la réexposition du thème initial. Plus virtuose, mais aussi plus conventionnelle, la Hora (ronde) de Muntenie (sud-est du pays, région de Bucarest) termine en apothéose ce tryptique symphonique trop méconnu.

Inmormantare la Patrunjelu (Funérailles à Patrunjelu)

 

Quand un villageois meurt, son cadavre est conservé trois jours dans la maison où il vécut, avant d'être amené au cimetière en une lente procession. Les "Funérailles à Patrunjelu" nous font vivre ce triste spectacle du bord du chemin. Un tenu pianissimo des violons, le son crescendo du tambour, les sonorités "vulgaires" des vents, mènent vers un bref et fascinant sommet orchestral, évoquant sans aucun doute la marche funèbre de la première symphonie de Gustav Mahler. Après la réexposition des instruments à vents, la coda introduit in extremis quelques accords inattendus en mode majeur.

Cette pièce est éminemment descriptive, non pas de l'événement en soi - l'enterrement proprement dit - mais bien de la fanfare villageoise accompagnant le cortège. Celle-ci est évoquée avec force détails réalistes : que l'on écoute le décalage dans l'entrée des différents parties ou le son ingrat des cuivres. Ces procédés, loin d'apporter une touche de grotesque, ne nous rendent que davantage poignante cette scène de la vie paysanne.

Enterrement villageois

Paparudele

 

Les "paparudele" (singulier : "paparuda") sont des groupes de jeunes femmes chargées de provoquer la pluie quand la sécheresse se fait trop insistante. Dansant et chantant au milieu des villages, elles apostrophent les habitants, les incitant à venir leur jeter des seaux d'eau : "Paparuda-ruda, vino vino si ne uda !" (Paparuda-ruda, viens et asperge-moi !). Theodor Rogalski nous présente ici un regard plein d'ironie sur cette coutume populaire. Danse de la pluie d'inspiration païenne aux sonorités barbares - le Prokofiev de la Suite Scythe (peuple de l'antiquité établi sur les rives de la Mer Noire) n'est pas très éloigné.

Consulter les paroles (très rythmées) de ce chant païen.

Synthèse discographique

 

Trois danses symphoniques (1950)

Joc din Ardeal (Danse de transylvanie), 2 à 3 mn
Gaida, 5 à 6 mn
Hora din Muntenia (Ronde de Muntenie), 4 à 5 mn

Perenial Romania, IMCD 1109

Perenial Romania, IMCD 1109, Intercont Music 1995

Deux scènes symphoniques (1926)

Inmormantare la Patrunjelu (Funérailles à Patrunjelu), 4 à 5 mn
Paparudele, 4 à 5 mn

Perenial Romania volume II, IMCD 1114

Perenial Romania volume II, IMCD 1114, Intercont Music 1996

On trouvera sur ce même CD "Perenial Romania volume II" l'orchestration de la Sérénade pour violon et orchestre, de Ion Chiriac (4 à 5 mn)

Autres œuvres symphoniques

Fresca antica (Fresque Antique), 1923
Viata invinge (La Vie gagne), 1952

Musique de chambre

Sonata pentru pian (sonate pour piano), 1919
Quatuor pentru coarde (quatuor à cordes), 1925
Doua dansuri romanesti pentru suflatori, baterie si pian la patru maini (Deux danses roumaines pour vents, percussions et piano à quatre mains), 1926

Orchestrations d'œuvres d'autres compositeurs

Ciprian Porumbescu : Ballade pour violon et orchestre, 10 à 12 minutes
Ion Scarlatescu : Bagatelle, 3 à 4 minutes

A Romanian Prom Concert, Electrecord ELCD 105

"A Romanian Prom Concert", Electrecord ELCD 105

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