Il est rare que l'homme
de la rue, même érudit,
ait une idée précise de ce qu'est une symphonie.
Cela
n'étonnera personne. Nul n'ignore que l'enseignement de
la musique n'est pas aussi poussé que celui de la
littérature, et si chacun apprend à
l'école ce que représente un sonnet, un drame ou
un roman, il n'en va pas de même pour les formes musicales. A
moins d'être mélomane, difficile de proposer une
réponse éclairée à la
simple interrogation « qu'est-ce qu'une symphonie ?
»
Pour me faire une idée plus précise de la
situation, j'ai consulté autour de moi quelques
férus de littérature. Pour beaucoup, symphonie
est synonyme d'harmonie, de consonance, explication certes
cohérente d'un point de vue étymologique. Une
symphonie serait donc une musique agréable ? Pas uniquement,
car d'autres, mieux renseignés, assimilent ce terme
à la musique orchestrale, de
préférence sérieuse et
possédant une certaine durée.
Or, en vérité, la symphonie n'est rien de tout
cela. Plus exactement, elle peut l'être, sans que cela soit
nécessaire. En effet, si les mots ont un sens, la symphonie
suppose autre chose qu'une longue chanson pour orchestre ou une simple
succession de mélodies. La Petite Musique de Nuit, le Beau
Danube Bleu ou le Boléro ne sont pas des symphonies. Car la
symphonie possède des exigences propres à son
genre : un découpage, une structure, une forme. Prenons une
pièce de théâtre classique : elle est
découpée en actes, eux-mêmes
divisés en scènes. Par analogie, une symphonie
serait une pièce en quatre actes, quatre parties, quatre
mouvements.
Le premier mouvement est dramatique. Imaginons un acte en cinq
scènes. L'histoire est simple. Un personnage entre en
scène et se présente au public. Il prend la
parole le temps suffisant pour que nous sachions bien sa nature. Au
terme de sa présentation, aucun de ses traits de
caractère essentiels ne nous échappe. Cela fait,
il disparaît, faisant place à un second
protagoniste. Le nouveau venu se raconte son tour. Nous
découvrons un caractère à
l'opposé de son prédécesseur.
Celui-là était viril, martial,
héroïque ? Il s'exprimait avec une assurance
presque bravache ? Celui-ci est féminin, doux, apaisant. Son
discours est d'une grande délicatesse. Alors que
l'accoutrement du premier était bigarré, empli de
panache, nous observons maintenant des habits sobres, modestes, presque
austères. Rien ne saurait mieux aller ensemble que ces deux
personnages-là ; et naturellement, la rencontre finit par
advenir. La troisième scène confronte les deux
acteurs. Tout les oppose ! La discussion est vive, les arguments fusent
de part et d'autre. Chacun expose sa rhétorique avec
éloquence. La véhémence du spectacle
rend les échanges difficiles à suivre. L'acte se
termine sur une nouvelle présentation des deux personnages,
tour à tour. Le premier reprend son discours initial. Mais
ensuite quelque chose change : le second rôle
déclame sa présentation en ayant revêtu
les habits de son interlocuteur. Nous découvrons avec
surprise un personnage transcendé par l'épreuve
de la confrontation, enrichi même par le conflit. Son
discours est le même mais la façon de l'exprimer a
changé ; c'est pour ainsi dire contempler la même
scène qu'au début, mais d'un autre point de vue.
Un sentiment de plénitude parachève le premier
acte.
Ainsi se déroule le premier mouvement d'une symphonie.
Naturellement, il n'y a pas deux individus se chamaillant au beau
milieu de l'orchestre : les personnages sont des airs, des
mélodies, des thèmes musicaux. Le second
thème doit, à la fin de la pièce,
emprunter la tonalité du premier thème (l'emprunt
des habits de l'autre) (2). La musique donne à entendre ce
conflit et la façon dont il est résolu. Une telle
progression dramatique se nomme forme sonate. Sans elle, une symphonie
n'existerait pas.
Suit un mouvement lent. Il peut être méditatif,
solennel ou nostalgique. Certains compositeurs écrivent un
nocturne, une rêverie, un intermède bucolique,
d'autres une marche funèbre ou un hymne, parfois
même un mélange de tout cela. Il n'y a pas de
règle plus précise.
La partie suivante sera dansante. Du temps de Mozart et Haydn, l'on
trouve en guise de troisième mouvement un menuet, ou une
danse paysanne stylisée pour l'orchestre. Plus tard, le
menuet évolue en scherzo (« plaisanterie
» en langue italienne, pièce animée,
souvent pleine d'esprit) ou est même remplacé par
une valse.
Le dernier mouvement doit être un couronnement. Son
animation, son impétuosité doivent emporter
l'adhésion du public. Il est rituel à ce titre de
l'achever en apothéose dans laquelle le compositeur,
jugé sur un char triomphal, culmine en une série
d'accords retentissants pour provoquer l'approbation tout aussi
bruyante de l'assistance.
La symphonie est destinée à un orchestre. Mais
toute musique orchestrale n'est pas symphonie. Les Danses Hongroises de
Brahms sont autant de courts morceaux indépendants et
réunis dans un recueil. Chacun, en
réalité, est une œuvre en soi, et il
n'y a pas de difficulté à en exécuter
un extrait ou à en inverser les numéros sans que
cela nuise à l'ensemble. La suite intitulée Peer
Gynt, de Grieg, est écrite pour accompagner un drame
théâtral d'Ibsen. L'œuvre a beau
être destinée à l'orchestre et
consister en une suite de morceaux, elle n'est pas en revanche
composée de quatre mouvements, et l'on n'y retrouve
guère le découpage caractéristique des
« quatre actes ». C'est aussi le cas pour les
ballets en général : le Lac des Cygnes,
Coppélia, etc.
La Petite musique de nuit, avec ses quatre mouvements,
évoque davantage une symphonie. En
réalité elle appartient au genre de la
sérénade, divertissement sans recherche
d'intensité dramatique, à l'origine
destinée à flatter le goût d'un riche
commanditaire. De plus son effectif réduit (cinq musiciens)
ne la destine pas initialement à une
interprétation orchestrale, même si l'usage
l'admet parfois.
Il suffit d'énoncer une règle
générale pour trouver aussitôt une
multitude de contre-exemples : il existe tant de symphonies atypiques !
L'exemple le plus célèbre est
l'Inachevée de Schubert, ainsi nommée car son
auteur n'a mené à leur terme que les deux
premiers mouvements. Mozart omet le menuet dans la 38e symphonie.
Inversement, la Pastorale de Beethoven propose cinq mouvements. Le
même Beethoven décide d'inverser l'ordre du
Scherzo et de l'Adagio de sa 9e symphonie. Le mouvement lent vient donc
en troisième position, préparant le contraste
avec le merveilleux final et son Ode à la joie, dans lequel
interviennent des chanteurs - encore une invention de Beethoven.
La forme sonate elle-même est l'objet d'innombrables
entorses. Les plus belles illustrations du genre, comme souvent dans
l'art, prennent soin de transcender les règles
d'école.
Notes
(2) En principe, le premier thème est donné
à la tonique, et le second, initialement, à la
dominante, cinquième degré de la gamme. Le
« conflit » naît de la juxtaposition de
ces deux tonalités. Il est résolu quand le second
thème revient joué à la tonique.
Alain Chotil-Fani - Voir la suite ici : http://musicabohemica.blogspot.com/2010/01/air-amerique-3.html