La petite renarde rusée - un enregistrement DVD

Origine Historique Argument Symbolique Création Diffusion

diffusion
par supports techniques
diffusion
sur les scènes d'opéra

En mai 1957, les mélomanes de la région parisienne qui eurent la bonne idée de jeter leur dévolu sur une certaine séance, dans le cadre du Théâtre des Nations, donnée par le Komische Oper de Berlin, découvrirent un opéra inconnu en France, d'un auteur également pratiquement inconnu. Ils suivirent une représentation, devenue mythique depuis, de la Petite Renarde rusée, Příhody Lišky Bystroušky en langue originale, Das Schláue Füchslein dans la langue dans laquelle l'opéra fut montré, accréditant peut-être dans l'idée des auditeurs que le pays d'origine de cet opéra pouvait avoir

 accointances avec l'Allemagne. Depuis le partage de l'Europe par l'application des accords de Yalta, et surtout depuis le "coup de Prague" de 1948 au cours duquel les communistes prirent le pouvoir dans la capitale tchèque, les relations franco-tchèques s'étaient beaucoup ralenties par rapport à ce qui existait avant guerre. Et l'on avait un peu de peine à identifier clairement la Tchécoslovaquie et à distinguer sa culture de celle de sa puissante voisine, l'Allemagne.

La Petite Renarde rusée fut le premier opéra de Janáček à pénétrer en France. Aucun n'avait encore été monté sur une scène de l'Hexagone jusque là et il fallut attendre cinq ans pour qu'enfin, près de soixante ans après sa création à Brno, Jenůfa déroula son drame sur la scène strasbourgeoise sous la baguette d'Ernest Bour. La Petite Renarde rusée, par ces représentations au Théâtre des Nations, signa l'entrée en France de Janáček, compositeur d'opéra.

Nous ne parlerons pas ici des enregistrements audio dont nous disposons de cet opéra. Mais des enregistrements vidéo. La création parisienne au Théâtre du Chatelet, en 1995 a été captée et reportée sur un DVD de la marque Arthaus Musik. Un disque toujours disponible dans notre pays. Si l'interprétation musicale due à la direction de Charles Mackerras comble nos attentes, ni la poésie de l'opéra, ni sa fantaisie, ni son humour, ni sa gravité ne sont traduits par une mise en scène superficielle où l'agitation supplante l'expression et où des couleurs criardes appliqués à des costumes sans imagination transforment la plupart des protagonistes en pantins ridicules leur enlevant quasiment toute trace d'humanité.

Mais un autre disque vient de paraître, une production Immortal qui propose justement cette réalisation du Komische Oper de Berlin en 1956 dans la mise en scène de Walter Felsenstein et sous la direction du chef tchèque Václav Neumann. Certes, le son est mono, certes la qualité visuelle laisse à désirer par rapport à une production récente. Mais on s'habitue vite à ces images un peu floues, à la dominante verte et qui ferait passer la réalisation pour plus ancienne qu'elle ne l'est, cinquante ans tout de même ! Certes, l'auditeur non familier de la langue de Goëthe ne trouvera pas d'aide dans les sous-titrages. Ils sont tout simplement absents. On aurait transcrit purement et simplement une prise vidéo du support bande magnétique au support DVD sans aucun des avantages qu'offre cette technique par rapport à un plus ancien support qu'on ne s'y serait pas pris autrement. N'attendons pas du livret des explications détaillées. Il se réduit à un austère 4 pages, en anglais, avec un résumé des trois actes de l'opéra et quelques considérations sur les circonstances de la composition. Et rien de plus.

Malgré ces inconvénients, on suit facilement le déroulement  de l'opéra pourvu que l'on connaisse la trame de cette histoire mêlant les animaux aux hommes souvent plus ridicules que leurs frères à quatre pattes. On découvre cette mise en scène fameuse, réaliste quand elle dépeint le monde des humains, teintée d'une légère touche de féérie lorsque l'intrigue se déplace en forêt. Mise en scène datée, bien sûr et le jeu des chanteurs l'est également avec une tendance à surjouer, un peu comme dans un film muet. Côté musical, on ne peut que se déclarer satisfait malgré un son orchestral qui ne se déploie pas aussi largement qu'on le souhaiterait. Malheureusement pour toutes les scènes chantées, on perd la musicalité de la langue tchèque doublée du soin que prenait Janáček pour adapter sa mélodie aux inflexions de sa langue. C'est probablement le plus gros écueil que l'on rencontre dans cette écoute. Autre écueil tout de même, cette version utilise une voix masculine pour le renard alors que le compositeur souhaitait une voix aiguë de femme. Relevons le charme qu'apporte Irmgard Arnold dans sa composition du rôle principal, la renarde.

Neumann et Felsenstein utilisent non pas la version allemande de Max Brod, la plus fidèle aux intentions du compositeur puisque agréée par lui-même, mais la propre traduction de Felsenstein. Replaçons nous cinquante ans en arrière, à l'époque de cette production. Cet opéra n'a pas connu une diffusion aussi large et aussi rapide que celle de Jenůfa. Avant 1939, hors Tchécoslovaquie,  seuls les opéras de Mayence et de Zagreb en présentèrent une version à leur public. Cette diffusion fut lente, mais la production de Felsenstein eut le mérite de dépasser les 200 séances. Malgré les inconvénients dus à une version dans laquelle la langue d'origine est ignorée, le prestige qu'acquit au fur et à mesure des représentations cette réalisation servit bien la cause du compositeur morave.

Lecteurs mélomanes, vous aurez peut-être du mal à vous procurer ce DVD en France. A la date à laquelle j'écris cette petite chronique, il faudra probablement en passer par un distributeur tchèque. Voir des adresses dans la partie discographie.

Qui a imaginé ce récit où les animaux se conduisent avec autant d'intelligence, mais également avec autant de fourberies que les humains ? Un certain Rudolf Tĕsnohlídek dont vous pourrez goûter la prose dans une traduction française savoureuse (La petite renarde rusée - Fayard - 2006).

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La jaquette du DVD de la Petite renarde rusée

Avant de clore cet article, étendons nous un instant sur les qualités de Walter  Felsenstein (1901 - 1975), le metteur en scène. Comédien à l'origine, il se tourna rapidement vers la mise en scène. Après différentes expériences menées en Allemagne pendant les années 30, sa grande œuvre se déroula dans une salle reconstruite après la fin de la guerre dans le secteur est de l'Allemagne, sous domination soviétique. Il obtint les coudées franches de la part des nouvelles autorités. De 1947 à 1975, à la tête du Komische Oper de Berlin, il monta nombre de productions opératiques auxquelles il appliqua les principes qu'il avait longuement mûri. On pourrait raisonnablement comparer le travail qu'il effectua dans le cadre de l'opéra à celui de Jean Vilar en France dans le domaine du théâtre. Felsenstein souhaitait que ses mises en scène soient intelligibles par tout un chacun, il désirait attirer à l'opéra le public qui n'y venait pas habituellement. Sur scène, il insistait sur le fait que les interprètes devaient devenir des chanteurs-acteurs et banissait tout ce qui s'apparentait à mettre seulement en valeur la belle voix d'un ténor ou d'une soprano. Vérité de l'action, vérité du chant, c'est ce qu'il recherchait au prix d'une longue préparation. Il s'appuya sur les qualités musicales de chefs tels Václav Neumann et Kurt Masur et sur le talent de décorateurs comme Rudolf Heinrich qui signa les costumes de la réalisation de la Petite renarde rusée. Si sa troupe effectua des tournées en France, en Italie, en Allemagne (de l'Ouest), la construction du mur de Berlin en 1961 les restreignirent dans les pays "de l'Est" sous influence soviétique.

Remercions Walter  Felsenstein de nous avoir offert avec cette Petite renarde une mise en scène sensible, poétique et finalement respectueuse dans les grandes lignes de la composition de Janáček.
 
Joseph Colomb - mai 2007