« À l'occasion de mon admission au Conservatoire de Prague, mon père me conseilla d'apprendre à jouer d'un instrument à vent. J'arrêtais mon choix sur le hautbois et je n'eus jamais à regretter cette décision. Le hautbois est un instrument magnifique et je l'adore encore aujourd'hui. Puis j'ai, bien sûr, fait des études d'écriture, de direction d'orchestre et enfin j'ai suivi les cours de musicologie de l'Université Charles IV de Prague. Tout cela n'était pas facile. J'ai dû vraiment travailler pour réussir. Mais ces efforts ont été récompensés. J'étais bien préparé pour suivre la voie de chef d'orchestre. » (1)
Václav Smetáček fut lauréat, grâce à sa remarquable performance à l'examen final du Conservatoire de Prague (classe de hautbois), du prix Schubert qui récompensait les meilleurs élèves. La direction du conservatoire lui offrit un bel instrument d'un facteur français dont V. Smetáček joua aussitôt en orchestre. (2)
« En 1931, je fus hautbois remplaçant à l'Orchestre du Théâtre National de Prague. Pendant cette période de plus de 3 mois, je jouais quelques 90 représentations sous la baguette de chefs comme Ostrcil, Brzobohaty, Maixner, Charvat, Vinkler, Skvor, Nikolai Malko, chef russe, ou le chef invité yougoslave Rukavina. Je jouais beaucoup d'opéras et de ballets sans même une seule répétition ! J'emmenais chez moi la partie de hautbois et déchiffrais les uvres avec mon ami pianiste Tonda Svoboda afin de pouvoir me repérer avant la représentation. Jouer dans cette situation la Fiancée vendue, Les Deux Veuves, Rusalka, Don Carlos ou encore Carmen, n'était pas une mince affaire. Et Rusalka qui a des allures de concerto pour hautbois et autres instruments à vents ! Quelle expérience et quelle école pour un tout nouveau diplômé du conservatoire ». (3)
« Après avoir terminé mes études au conservatoire de Prague et à la suite de mon expérience dans l'orchestre du Théâtre National, je fus l'assistant du professeur Josef Deda, premier hautbois solo de la Philharmonie Tchèque et donc membre de cette formation. Le chef était alors Václav Talich, le chef en second František Stupka. Beaucoup de chefs invités venaient diriger la Philharmonie Tchèque, comme Bruno Walter, Erich Kleiber, Nikolaï Malko ou Zemlinski, celui-ci étant alors chef d'orchestre à l'Opéra de Prague. J'avais devant moi ces immenses exemples. C'est dans ces circonstances que je me suis décidé à devenir chef d'orchestre ». (4)
Václav Smetáček n'avait pas encore terminé ses études au Conservatoire de Prague quand il fonda avec ses camarades le Quintette à vent de Prague (en tchèque Prazké Dechové Quintetto) en 1929 après une année de travail intensif de préparation. Les activités du quintette à vent durèrent 27 années. Avec Václav Smetáček les membres fondateurs étaient : Rudolf Hertl, flûte, flûte solo de l'Orchestre de la Radio, Vladimir Riha, clarinette de la Philharmonie Tchèque, Emmanuel Kaucky, cor, et Karel Bidlo, basson et membre de la Philharmonie Tchèque depuis de nombreuses années. (2)
« Václav Talich (*) était considéré en Bohême comme un dieu de l'interprétation et la moindre des critiques à son égard ressemblait à une hérésie.
Je l'ai vivement ressenti pendant mes 3 ans comme hautboïste au sein de la Philharmonie Tchèque. Il était alors au sommet de son art et avait entre 45 et 50 ans. J'étais impressionné en permanence par l'insurpassable sonorité qu'il arrivait à tirer de l'orchestre surtout dans les oeuvres de ses compositeurs préférés comme Dvořák, Suk, les impressionistes français. Par contre, en tant que musicien et parfois auditeur de ses concerts, j'acceptais beaucoup moins quand il perdait le contrôle de ses instincts colériques. Il n'avait alors aucun égard pour l'orchestre et les mélomanes. Ses arrêts brusques de répétitions ou même de concerts était une expérience douloureuse. J'ai vécu un certain nombre de fois ces terribles instants. Talich était convaincu que son génie lui permettait tout et il était ainsi. La Philharmonie n'avait pas encore avant la guerre de « conseil » de musiciens pour gérer ce genre de situation. Plus tard le « conseil » permit d'endiguer ces accès de colères et les chefs ne se permirent plus de blâmer l'orchestre, d'être injurieux, de faire des remarques déplacées. Le conseil réprima également certains comportement comme les retards, les absences, le bruit et même la lecture des journaux dans certains pupitres du fond de l'orchestre et le manque de travail personnel ! Ces mauvaises habitudes furent l'objet d'amendes afin de maintenir une discipline plus facilement ». (Journal de Václav Smetáček)
Cette expérience de longues années de hautboïste, ses études de violon, d'alto et de musique de chambre avec la quatuor Reissig avaient apporté à Václav Smetáček une connaissance approfondie du jeu sur ces instruments. Celui lui fut d'une aide précieuse dans son métier de chef d'orchestre. En tant qu'instrumentiste à vent, il connaissait par-dessus tout toutes les difficultés techniques, ce qui lui permit de ne jamais exiger des musiciens l'impossible. Grâce à l'enseignement et aux méthodes de son professeur de hautbois du Conservatoire L. Skuhnovský, Václav Smetáček était capable de jouer à vue n'importe quel passage des parties orchestrales, lyriques et symphoniques de hautbois. Une répétition avec l'Orchestre Symphonique de Budapest lui offrit exceptionnellement l'occasion de le prouver. Après quelques remarques à cause d'un passage mal interprété, le premier hautbois déclara : « Maître, il est impossible de jouer cela comme vous le voulez ». Il aurait mieux fait de se taire. Il ne savait pas, le pauvre, qu'il avait devant lui un virtuose du hautbois. Smetáček ne répondit pas. Dans un silence total, il se faufila entre les pupitre jusqu'au hautboïste récalcitrant. L'orchestre s'immobilisa et se demanda de quelle façon le chef d'orchestre allait résoudre ce problème. Smetáček s'inclina devant le musicien en lui disant « Permettez cher collègue ». Il prit doucement l'instrument des mains du hautboïste stupéfait, essuya le bout de l'anche avec précaution, inspira et joua d'un seul souffle et sans hésitation le passage, en le phrasant tel qu'il l'avait demandé.
Une tempête d'applaudissements secoua tout l'orchestre. « Excusez-moi, cher collègue, je vous demandais de jouer de cette façon », puis il revient tranquillement à son podium. Le hautboïste passa un moment difficile mais tout le reste de l'orchestre le considéra comme un véritable héros. » (2)
« Je dus bientôt consacrer tout mon temps à la direction d'orchestre. Celle-ci accaparait toutes mes forces et tout mon temps. J'arrêtais donc de pratiquer régulièrement le hautbois mais je continuais malgré tout à donner des cours au conservatoire. J'eus la chance d'avoir des élèves très doués. ». (3)
Le professeur de hautbois du Conservatoire de Prague L. Skuhnovský confiait volontiers la classe de hautbois à son ancien élève lorsque le planning l'imposait. Smetáček considérait Skuhnovský un peu comme son père, il le tenait en haute estime, transmettant ce même rapport à ses élèves. De l'un comme de l'autre émanait une sincère considération, dans laquelle l'autorité du professeur aimé dominait souverainement. (2)
Václav Smetáček a été pour nous un modèle. Nous éprouvions pour lui une profonde vénération. Le professeur Skuhnovský avec qui il avait étudié nous disait : « Mes garçons, vous pouvez l'avoir en très haute estime car c'est un grand artiste et il peut vous apprendre beaucoup de choses. Et il nous en a appris ! Prenez par exemple son éducation, on ouverture d'esprit, sa connaissance impressionnante du répertoire soliste et de la musique de chambre qu'il a acquise en plus de son expérience orchestrale. De plus Václav Smetáček se comportait toujours et partout en homme distingué à l'orchestre comme au conservatoire. Jamais une vulgarité ni une médisance envers autrui, jamais une attitude présomptueuse. Je crois que je n'ai jamais rencontré dans mon existence quelqu'un d'aussi bon ! C'est vrai qu'il arrivait parfois qu'il soit très fatigué quand il enchaînait directement les cours après les répétitions. Cela se voyait et il n'était pas étonnant qu'il s'assoupisse pendant que nous jouions. Il nous priait souvent de le lui pardonner. En fait le plus étonnant était qu'il entendait parfaitement ce que nous jouions et comment nous interprétions les uvres pendant ces moments d'assoupissement. Zdeněk Hebda, ancien hautbois solo de l'Orchestre Symphonique de la Radio Tchécoslovaque et élève de Václav Smetáček au Conservatoire de Prague. (2)
« Jouer sous la direction de V. Smetáček est une expérience exceptionnelle. Il a une connaissance très précise de la partition, dirigeant toujours de mémoire, une conception de l'oeuvre très claire, rigoureuse, en plus une gestuelle élégante et une bonne dose d'humour. Dès le début on se dit que ce concert sera superbe parce que l'orchestre et le chef parlent le même langage. Car au-delà de ses blagues, V. Smetáček est un grand artiste. » (Témoignage d'un musicien de l'orchestre de la radio de Hambourg).
Je n'ai pas beaucoup composé dans ma vie. J'ai suivi des classes de composition et écrit quelques oeuvres qui sont encore jouées mais jamais je ne me suis considéré comme compositeur. Quand j'entends, de temps à autre ma marche Vivat Olympia ou ma suite De la vie des insectes pour quintette à vent, je n'arrive pas à croire que j'en suis l'auteur. Tout cela n'est que péché de jeunesse. Il faut beaucoup de temps pour composer et je n'en eus jamais assez de toute ma vie. (5)
« Après le déjeuner, j'ai ouvert la partition du printemps et du désir de Foerster et j'ai longtemps réfléchi comment je pourrai exprimer toute la beauté cachée dans cette oeuvre. Il s'agit à l'évidence d'amour (le printemps) et de passion (le désir). J'ai repéré les thèmes l'un après l'autre. J'ai écouté combien l'écriture et la structure polyphonique sont élaborées. Parfois il m'arrivait de changer légèrement le tempo indiqué et d'accentuer un thème particulièrement expressif pour que les autres voix ne risquent pas de le couvrir. Cela m'a donné beaucoup de travail mais j'y arriverai peut-être ». (3) (20 juillet 1985)
Vasek était la plupart du temps de bonne humeur pendant les répétitions et il essayait toujours de résoudre les problèmes d'une manière humoristique ou par des blagues. L'orchestre riait sincèrement de ses plaisanteries et de ses tours. Lorsque les cordes jouaient approximativement et manquaient d'homogénéité, il déboutonnait sa veste et la reboutonnait de travers. Puis il la montrait en disant : « Vous avez joué de cette façon, messieurs ! » L'orchestre riait, se détendait et il était possible d'aborder d'autres passages difficiles. Avec les orchestres peu disciplinés, il travaillait intensivement en parlant le moins possible, laissant à peine le temps de souffler. Il donnait ses instructions d'une voix douce qui demandait l'attention des musiciens.
Quand il rencontrait malgré tout un orchestre du genre bavard ou quand il répétait avec un petit groupe de musiciens, il avait sa « recette » qui fonctionnait toujours. Aux musiciens qui travaillaient avec lui, il demandait de jouer piano, encore plus piano. « Non, non, c'est trop fort encore, pianissimo s'il vous plaît ». Il y avait toujours un membre de l'orchestre, souvent des plus bavards pour faire remarquer : « Mais maestro, nous avons écrit ici forte » ce à quoi Vasek répondait haut et fort : « Bien sûr, messieurs, je le sais, seulement si nous jouons forte ici, nos amis du fond ne pourront plus se comprendre. Ne les dérangeons pas ! »
Si un musicien commençait en retard ou trop tôt et si un désordre s'installait, il posait sa baguette sur le pupitre, étendait les bras comme pour nager et lançait à la ronde : « Vous nagez messieurs, vous nagez ! » (2)
« J'ai vraiment d'excellents souvenirs de Václav Smetáček. Il produisit sur moi une impression extraordinaire pendant mes années de lycée lorsqu'il jouait avec le quintette à vent de Prague. Je le considérais alors un peu comme un dieu et une référence idéale. Il y eut aussi son interprétation du concerto pour hautbois et orchestre attribué à Joseph Haydn qui fut retransmise à la radio. Après la mort de Josef Deda, mon professeur de hautbois au conservatoire pendant un bombardement de Prague en 1945, je fus l'élève de Václav Smetáček pendant ma dernière année et j'ai passé mon prix dans sa classe. Je me souviens très bien que pendant la visite du grand hautboïste Léon Goossens en 1946 il me choisit pour jouer et représenter sa classe de hautbois du conservatoire de Prague devant ce virtuose international.
Václav Smetáček était vraiment un homme à l'éducation exemplaire, raffiné, toujours chaleureux et d'une tenue parfaite. Il lui arrivait parfois d'être fatigué en cours de hautbois à cause des répétitions qu'il avait assurées en tant que chef d'orchestre mais malgré tout il s'investissait sans compter et j'avais beaucoup de respect et d'admiration pour son incroyable énergie et sa culture générale. Je correspondais longtemps avec lui depuis l'Australie où je m'étais installé. Il m'écrivit à l'âge de 50 ans que jouer commençait désormais à le fatiguer et qu'il avait à regret décidé d'arrêter le hautbois. Je crois que malheureusement il ne fut jamais invité comme chef d'orchestre en Australie mais par contre il dirigea à de maintes reprises en Nouvelle-Zélande et la population et l'orchestre l'adorèrent. J'ai son dernier enregistrement de Má vlast de Smetana avec la Philharmonie tchèque. C'est admirablement dirigé et représente un témoignage de son génie de la direction d'orchestre et de sa sensibilité musicale, l'une des plus impressionnante de son époque.
Jiří Tancibudek, lettre à Miroslav Hosek, Melbourne, 29 septembre 1989...
(traduit par Éric Baude)