Lidové noviny

Dans le journal Lidové noviny (Journal populaire ou Journal du peuple), Janáček continua sa tâche journalistique sur des sujets divers, mais dans lesquels la patte du compositeur se reconnaissait. Après sa phase d'apprentissage et sa collaboration éphémère avec Hudebni listy, du tournant du siècle jusqu'à la fin de sa vie, les lecteurs de ce journal trouvèrent assez régulièrement la signature du compositeur morave au bas de quelque article (une soixantaine environ).

Ce journal quotidien naquit en 1893 par la volonté du parti populaire tchèque et de l'un de ses dirigeants, Jan Stransky, d'offrir à ses compatriotes un organe de presse où ses idées libérales et nationalistes purent se répandre. Les Moraves ne représentaient qu'une très forte minorité (environ 40 %) de la population de Brno (entre 80 et 90 000 habitants vers 1890). Fait significatif, ce journal accordait une place non négligeable à la culture et particulièrement à la musique. Cet intérêt pour la musique ne pouvait que toucher Janáček d'autant plus que les orientations politiques correspondaient grosso modo aux siennes.

[Cliquer sur l'image pour agrandir]
Ceska ulice
Ceska ulice : cette rue en plein centre de Brno, en plus des commerces habituels, abritait des activités culturelles (l'Ecole d'orgue pendant 12 ans, le journal Lidove noviny, le siège du Club des Amis de l'Art, les Editeurs Pisa et Barvic).

Il continua son rôle de critique musical en signalant son intérêt pour la Dame de pique, l'opéra de Tchaïkovski, en 1896, tandis qu'en 1924, date du centenaire de la naissance de Smetana, il signala l'importance de son aîné dans l'histoire récente de la musique tchèque.

Il entretint assez régulièrement les lecteurs sur la genèse de ses propres oeuvres. C'est ainsi qu'en 1901, il expliqua son nouvel ouvrage, Otce Nas. Plus tard, il raconta longuement, dans son style bien particulier, le pourquoi de sa Messe glagolitique, de Rikadla ou du Journal d'un disparu. D'autres chroniqueurs donnèrent leur avis sur des oeuvres en gestation, Danube et l'opéra La petite renarde rusée.

Mais Leoš Janáček se conduisit aussi en journaliste. Il rédigea des reportages sur des paysages, des régions, des faits sociaux. Ainsi, à l'occasion d'une excursion en Slovaquie, il donna ses impressions sur les montagnes Tatras. Lors d'un concert où l'une de ses oeuvres fut jouée à Berlin, il en profita pour délivrer sa vision de la grande ville. A d'autres moments, il raconta la quête d'une danse populaire de l'épée ou d'un chant populaire qu'il vint écouter dans le village où il était encore chanté par les habitants du crû. Ses préoccupations linguistiques et ses recherches sur la "mélodie du langage", il les exposa plusieurs fois. De même, il fit part de ses réflexions sur la nécessité de créer un conservatoire de musique à Brno, au moment de l'établissement de l'indépendance de la Tchécoslovaquie et de la république tchèque. Vers la fin de sa vie, en 1926, il éprouva la nécessité de rendre hommage à son compagnon de collectes de musique populaire, František Bartoš ; il lui consacra un article entier.

Ce journal Lidove noviny joua occasionnellement le rôle d'un éditeur puisqu'en 1911, la partition de la première des pièces de la seconde série de Sur un sentier recouvert fut offerte aux mélomanes moraves ainsi qu'un chant avec accompagnement de piano Podme, mila, podme (Viens, chèrie, viens) et l'année suivante, ce fut une pièce de musique populaire, Krajcpolka.

Enfin, pour clore ce rapide tour d'horizon, n'oublions pas que Janáček était un lecteur assidu de ce journal. Et que plusieurs fois, ces lectures l'intriguèrent, l'intéressèrent et l'inspirèrent. Un jour de mai 1916, il tomba sur un cycle de poèmes curieux qui racontait le départ de son village d'un jeune homme suivant une jeune Tzigane. Il s'en saisit pour écrire un peu plus tard le Journal d'un disparu. En 1920, Janáček découvrit dans un exemplaire de Lidove noviny le début d'un feuilleton illustré par des dessins au trait racontant les aventures d'une renarde vivant dans une forêt, capturé par un fermier, s'échappant de sa prison, recommençant sa vie libre dans sa forêt, s'éprenant d'un beau renard, donnant naissance à une portée de renardeaux, tombant enfin sous les balles d'un braconnier. A partir de ce récit du à Rudolf Tesnohlidek, écrivain et rédacteur habituel du journal, l'idée mûrit dans la pensée de Janáček de se servir de ce récit pour écrire un nouvel opéra auquel il donna le titre Prihody lisky bystrousky, la petite renarde rusée, un opéra d'une réussite totale et d'une beauté enchanteresse. Rien que pour ce récit, prétexte d'un magnifique opéra, Lidové noviny méritait une citation dans le cadre de ce site consacré à la musique tchèque.

Joseph Colomb - mai 2004

Retour au plan de Brno  |   Retour vers le chapitre Janáček  |   Accueil du site