Pisa

Lorsqu'un jeune compositeur avait la chance d'intéresser un major de l'édition, tel, dans la sphère de l'Europe Centrale, Universal Edition à Vienne, Peters à Leipzig ou Simrock à Berlin, ce jeune compositeur mettait de son côté toutes les chances de voir sa musique interprétée par des chefs et des solistes aux quatre coins de l'Europe. Ses partitions étant faciles à trouver, si la rumeur publique ou critique le propulsait sur le devant de la scène, il était donc fort probable que d'autres musiciens s'intéresseraient à ses compositions.

La géographie politique induisait la notoriété ou la méconnaissance. Revenons un instant sur la situation géopolitique de la Moravie. Le développement des moyens de communication dans la deuxième moitié du 19ème siècle donnait une chance de désenclavement à la Moravie, et Brno en particulier, à peu de distance de Vienne, la capitale de l'empire autrichien. Mais la volonté politique de la plupart de ses habitants d'origine morave repoussait la Moravie et Brno vers la Bohème et Prague, la capitale historique des pays tchèques. Contradictoirement l'histoire politique ancienne contraignait les Moraves, les Tchèques en général à subir l'influence du dominateur, y compris dans le domaine de la culture et de l'art.

Malgré la résistance d'un nombre de plus en plus important d'écrivains, de peintres, de musiciens, l'emprise de la culture germanique sur les pays tchèques existait bel et bien.

On sait déjà que Janáček, fier de sa "moravité", fier d'appartenir à la belle lignée des kantors tchèques, à travers son père et son grand-père, revendiquait haut et fort sa culture originelle. Par ses positions nationalistes, par sa liberté revendiquée face à la culture germanique, lui qui refusait de parler allemand et de franchir la porte du Théâtre Allemand à Brno, il se coupait naturellement des cercles du pouvoir.

L'histoire vérifia ce fait. Il fallut à Janáček patienter longtemps avant que son génie fût reconnu à Vienne. Lorsque Jenufa y triompha en 1918, il était âgé de 64 ans.

Parce que les conditions géopolitiques lui étaient défavorables et également parce que sa volonté farouche le poussait à accepter le moins possible de compromis avec les autorités autrichiennes politiques ou culturelles, les compositions de Janáček ne furent éditées que localement et encore pas toutes !

Ainsi, plusieurs éditeurs locaux, basés à Brno, se partagèrent les tâches d'édition. Parmi eux, Arnošt Piša. En 1891 et en 1893, il imprima les 3 volumes des Narodni tance na Moravé (Danses populaires de Moravie) que Janáček avait rassemblées en collaboration avec Lucie Bakesova, Xavera Behalkova et Martin Zeman. En 1899, l'activité pédagogique du compositeur vit la publication, chez cet éditeur, d'un Manuel pour l'éducation des chanteurs. La même année, parurent chez Piša les treize chants avec accompagnement de piano constituant Ukvaldska lidova poesie v pisnich (chants et poésie populaire de Hukvaldy), hommage à son village natal et aux folkoristes rassemblés dans le groupe du Petit cercle sous l'Acacia. Janáček fit publier sous le titre Moravské Tance (Danses moraves) deux courtes danses Celadensky et Pilky dans le courant de l'année 1905, pièces collectées au cours des étés 1888 et suivants lors de l'intense période de collectage de musique populaire. En 1911, après une parution partielle chez un autre éditeur morave, Pisa publia les dix pièces pour piano du recueil Sur un sentier recouvert, une magnifique oeuvre.

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Ceska ulice
Ceska ulice : cette rue en plein centre de Brno, en plus des commerces habituels, abritait des activités culturelles (l'Ecole d'orgue pendant 12 ans, le journal Lidove noviny, le siège du Club des Amis de l'Art, les éditeurs Pisa et Barvic).

D'autres éditeurs locaux - dont je n'ai pas précisé l'emplacement sur le plan de Brno - tel Winckler basé à Brno, place de la Liberté (Svobody namesti) ou Barvic, au même emplacement que Pisa publièrent quelques oeuvres de Janáček. Pour Winckler, les Ceské cirkovni zpevy z Lehnerova mesniho kancional (Hymnes tchèques du livre de Lehner pour la messe), composés sans doute en 1881 et édités en 1882, les Ctvérice muzskych sboru (Quatre choeurs pour voix masculines) dédiés à son ami Antonín Dvořák - IV/17 - comprenant les quatre choeurs suivants : Vyhruzk (Menace), O lasko (Oh, cet amour !), Ach vojna, vojna (Ah, la guerre !), Krasné oci tvé (Tes beaux yeux) composés en 1885 et édités l'année suivante et pour Barvic Kacena divoka (le canard sauvage), occupant au catalogue le numéro IV/18, choeur composé en 1885 et édité la même année.

Joseph Colomb - mai 2004

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