ténor solo Chœur Ténor solo Vois toi-même la pluie de fleurs vives Chœur Et pourtant l'esprit triomphe de la mort, Là-haut, dans un flot de lumière, Maria Veveritsa |
Quelques semaines après la mort de sa fille Olga, comme pour lui rendre un ultime hommage, mais un hommage qui perdurerait, Janáček composa une Élégie sur la mort de {sa} fille Olga. La jeune amie d'Olga, Marie Veveritsa, professeur de russe à Brno, s'associa à cet hommage en proposant au père de son amie un poème qu'elle venait d'écrire sous le coup de la forte émotion due à la disparition de la jeune fille.
Janáček venait de terminer l'écriture de Jenufa en janvier. Entre la composition de chacune des scènes de son opéra, il avait réussi à glisser quelques pièces pour harmonium qu'il reprendra plus tard pour les adapter au piano en leur donnant le titre général de Sur un sentier recouvert.
Ces trois compositions contemporaines à quelques semaines de distance appartiennent en fait au même Janáček. Un nouveau Janáček qui a trouvé sa voie, son langage, une langue inimitable. À partir de cette époque, Janáček se dresse en solitaire non seulement dans le monde musical tchèque, mais dans le monde musical européen. Dans cette première décennie du XXè siècle, en dehors de ses chers compatriotes moraves, aucun mélomane, très peu de musiciens entendent cette musique si particulière.
Cette musique nécessite une approche particulière. À partir de cette époque, Janáček ne compose comme personne. Pas d'exposition, pas de développement, pas de variations. Ce temps révolu appartient à une époque antérieure. Maintenant, l'auditeur doit se laisser entraîner, doit trouver lui-même ses propres repères harmoniques et rythmiques. Janáček raconte une tranche de vie. Il utilise toutes les techniques qu'il a découvertes lors des collectes de musiques populaires, il emploie les procédés qu'il a notés lors des écoutes des mélodies du langage parlé.
Pour écouter les thèmes signalés par une lettre suivi d'un chiffre (ex : E3), cliquer sur leur numérotation.
Dans quel genre musical placer l'Élégie sur la mort de ma fille Olga ? Ni une mélodie, ni un chœur. Une petite cantate peut-être ? Cette œuvre fait appel à un ténor (représentant Janáček lui-même ?), un chœur mixte et un piano. D'une durée de six minutes environ, elle débute par l'intervention du pianiste pendant deux minutes, soit le tiers de son temps. À première audition, il est assez difficile d'entendre plusieurs thèmes tant ceux-ci sont proches, Janáček se contentant de répéter un court motif de quatre notes (E1) à l'intérieur d'un motif à peine plus développé, parfois avec une transposition dans une autre tonalité, parfois avec des ruptures de rythmes. Ensuite le ténor déclame, « parle » (E2), puisque son chant reste sur une seule note sauf la fin du dernier mot. Nouvelle intervention, après celle du piano, pour annoncer dans le calme et la méditation le sommeil de la jeune fille.
Le chœur intervient (E3), puis le ténor reprend d'un ton toujours tranquille, ensuite il s'anime, comme dans certains airs de l'opéra Jenufa. Le chœur s'anime à son tour accompagné par le piano qui répète obstinément le premier motif de son introduction. L'œuvre se termine par un dialogue permanent (E4) pendant lequel chacun intervient pendant quelques secondes, le chœur, le piano, le chœur, le piano, etc. Le piano termine par un court motif (E5) toujours aussi apaisé.
L'Élégie sur la mort de ma fille Olga, courte pièce, manifeste de manière éclatante la nouveauté du langage musical de Janáček et démontre une beauté sans artifices. Cette expression si personnelle rejoint l'expression des pièces lentes du recueil Sur un sentier recouvert. Cette Élégie mérite une écoute attentive, en essayant de suivre le texte tchèque (difficile pour nous, Français). Cette musique n'est pas du tout rébarbative, mais sa nouveauté nécessite d'abandonner les habitudes confortables que chaque mélomane a acquises lors d'écoute d'œuvres classiques ou romantiques ou même lors d'écoutes d'œuvres chorales dont la progression avance dans une certaine logique. Janáček n'utilise pas une logique cérébrale, mais une logique émotionnelle. Il se livre à nu, transcrivant les émotions ressenties à un moment daté. Il n'empêche, il atteint l'universalité, par de tous autres moyens que ceux utilisés par ses contemporains.
Cette pièce magnifique, pourrait paraître cousine du Requiem de Gabriel Fauré, alors que les deux compositeurs apparaissent aux antipodes l'un de l'autre. Janáček connaissait-il l'œuvre religieuse du maître français ? Il n'existe pas d'influence de Fauré sur Janáček tant les langages respectifs de chacun des compositeurs sont éloignés. Il reste la même atmosphère de recueillement, de sérénité, de calme pour ces deux compositions.
Auparavant, en composant en 1896, une courte pièce basée sur un chant populaire, Leos Janáček rendait un hommage à sa fille Olga, en citant son prénom dans le titre de cette pièce, Své Olze (Pour mon Olga) sans imaginer qu'il la perdrait sept ans plus tard. Cette pièce fut redécouverte il y a une vingtaine d'années (voir la note en fin de page).
Une autre comparaison doit être faite avec une œuvre de Gustav Mahler, autre compositeur morave. Par une similitude étrange, les deux grands compositeurs moraves que la postérité retiendra, Gustav Mahler et Leoš Janáček, tous deux composent à quelques mois d'intervalle, deux œuvres étranges : Kindertotenlieder pour le premier, l'Élégie pour le second. Quelques différences. Janáček écrit sa cantate immédiatement après la mort de sa fille, sur un poème d'une amie d'Olga. Mahler, lui, utilise des poèmes rédigés par Fredrich Rückert (1788-1866) en hommage à la disparition des jeunes enfants du poète. Composition pendant l'été 1901 pour les trois premiers poèmes, pendant l'été 1904 pour les deux derniers, alors que le compositeur a de son mariage avec Alma Schindler deux belles petites filles en pleine santé. Mais étrange prémonition ou simple coïncidence ? Maria, la fille aînée de Mahler, disparaîtra en 1907. La contralto (on pense immédiatement à l'interprétation si hautement émotionnelle, expressive et musicale de Kathleen Ferrier (1) ) chante les cinq poèmes de Rückert accompagnée par un orchestre presque diaphane alors que Janáček confie l'évocation de sa fille à un ténor et à une formation chorale simplement accompagnés par un piano. Mais si les deux œuvres baignent dans le même climat de recueillement, d'une tristesse poignante, leur langage musical respectif reste bien différent. Enfin si Mahler dirige lui-même son œuvre lors de la création à Vienne le 29 janvier 1905 à Vienne, Janáček n'entendra jamais, semble-t-il, l'Elégie puisqu'elle ne sera créée à Brno qu'en décembre 1930 sous la direction du fidèle Břetislav Bakala.
Que l'on connaisse ou non les circonstances de composition de ces deux œuvres, on ne peut rester insensible à l'émotion qui s'en dégage.
Pour écouter les différents extraits de l'Elégie sur la mort de ma fille Olga, cliquer ici.
J. Colomb - juillet 2003 - révision de juillet 2005 pour les
extraits musicaux.
La lecture de nouvelles sources documentaires me permet d'affiner l'époque de composition de cette pièce. Elle date du 5 octobre 1896. Janáček adapte pour le piano un chant slovaque « Sur les rives du Danube ».
Mars 2004
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