De même que certains peintres célèbres griffonnaient une esquisse sur la nappe d'une table et l'abandonnaient à une existence éphémère, Leo Janáček écrivit des pièces très courtes qu'il destinait à son journal, Lidovy noviny ou à d'autres quotidiens tchèques ou non ainsi que des pièces plus intimes qu'il réservait à un usage privé. Publications temporaires qui n'assuraient pas une diffusion sérieuse dans le monde musical. Mais, le bouillonnant Janáček, s'il était capable de canaliser ses élans musicaux tout au long de la composition d'un de ses opéras, laissait libre cours à son inspiration à de nombreuses reprises. Probablement, d'assez nombreuses piécettes furent jetées à la hâte sur des feuilles volantes, et probablement, un certain nombre de ces pages ont été égarées et perdues à tout jamais. Certes, ces productions, pour la plupart, ne peuvent être considérées que comme des idées, des esquisses, sans grande valeur musicale. Le mélomane ne perd rien d'essentiel à la méconnaissance de ces oeuvrettes. Cependant, tout ouvrage, même de durée très courte (quelques mesures), renseigne sur les hésitations, les directions, les errances ou au contraire la démarche assurée de leur auteur. Nous devons ouvrir une oreille attentive à toute partition, fût-elle extrêmement brève.
Ainsi, une miniature, Své Olze (Pour mon Olga), fut-elle découverte vers la fin des années 1980. Une toute petite minute de musique. Sa composition découla-t-elle de la disparition de sa fille en février 1903 ou lui fut-elle inspirée par les ébats d'une jeune enfant ou encore les performances théâtrales d'Olga à l'âge de l'adolescence ? Je n'en sais rien. Cette pièce, émouvante quand on connaît les liens unissant le père à sa fille, possède une structure extrêmement simple, assez caractéristique de la démarche du compositeur refusant la composition traditionnelle. Elle consiste en deux thèmes juxtaposés et répétés chacun deux fois, AABB, le premier (A), très retenu, de douze notes tendres, le second (B) pouvant être entendu comme une berceuse un peu triste, murmurée à une enfant.
La connaissance de cette piécette n'ajoute rien au génie musical de Janáček s'exprimant de manière forte à partir de la composition de la cantate Amarus et de manière encore plus éclatante à partir de l'opéra Jenufa. Simplement, l'existence de cette petite oeuvre éclaire un peu plus les relations entre Leo et sa fille Olga, même si ce halo lumineux ne permet pas d'en spécifier plus les contours.
J. Colomb - janvier 2004
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