Hudebni listy

Plutôt que de livrer la liste intégrale des articles rédigés par Janáček dans la revue musicale Hudebni listy (Lettres musicales), articles conservés dans les archives du Musée morave à Brno qui occupent le bâtiment ayant servi de dernier lieu d'accueil à l'École d'orgue, je préfère dresser une liste incomplète de ses articles, mais cependant assez représentative de l'intérêt porté par Janáček aux oeuvres jouées dans le Théâtre Veveri depuis son ouverture fin 1884. A la suite de l'arrêt de sa participation à la revue Hudebni listy en fin d'année 1888, j'ai ajouté les articles rédigés pour d'autres revues ou journaux à l'occasion de représentations dans le théâtre Veveri.

date de représentation opéra titre original compositeur Date de composition
Pays Tchèques
7/12/84 17/12/84 26/12/84 2/2/85 1/10/85 21/2/86 4/10/90 26/9/91 5/10/91 22/10/91 La fiancée vendue Prodana nevesta Bedrich Smetana 1866
28/2/05 16/1/88 Dalibor Bedrich Smetana 1867
31/1/85 9/10/91 Le vieux prétendant Stary zenich Karel Bendl 1871-4
1887 Les deux veuves Dve Vdovy Bedrich Smetana 1874
13/12/84 1/2/85 26/1/92 Le baiser Hubicka Bedrich Smetana 1876
19/12/85 20/11/87 Coquin de paysan Selma sedlak Antonin Dvorak 1877
8/10/85 Les noces manquées Zmarena svatba Karel Sebor 1879
5/2/85 1891 Dans le puits V Studni Vilem Blodek 1867
1/12/85 Le prince ensorcelé Zaklety princ Vojtech Hrimaly 1871
13/2/87 11/1/91 Les rapides de Saint Jean Svatojenske proudy Josef Richard Rozkosny 1871
7/10/91 Le secret Tajemstvi Bedrich Smetana 1878
2/3/85 Le trésor Poklad Josef Paukner ?
France
1886 La juive   Ludovic Halevy 1835
19/11/90 Les Huguenots   Giacomo Meyerbeer 1836
16/2/85 Faust   Charles Gounod 1859
25/12/91 Roméo et Juliette   Charles Gounod 1867
18/12/84 Giroflé-girofa   Robert Planquette 1874
1886 Carmen   Georges Bizet 1875
14/12/84 28/1/85 1891 les Cloches de Corneville   Robert Planquette 1877
16/1/92 Les contes d’Hoffmann   Jacques Offenbach 1881
Italie
10/1885 Norma Vincenzo Bellini 1831
24/11/1891 La fille du régiment Gaetano Donizetti 1840
11/12/1884 Rigoletto Guiseppe Verdi 1851
1886
16/01/1888
11/12/1884 Le Trouvère Guiseppe Verdi 1853
06/03/1885
13/10/1885
28/10/1885
27/11/1891
07/01/1885 La Traviata Guiseppe Verdi 1853
27/02/1885
03/10/1885
16/01/1892 Cavalliera rusticana Pietro Mascagni 1890
Autriche
 12/1/1891  Don Giovanni    Wolfgang Amadeus Mozart  1787
12/1884 La chauve-souris Johann Strauss 1874
4/1/1885 L’apprenti marin Der Seekadett Richard Genée 1876
Boccacio Franz von Suppé 1879
21/12/1884 Donna Juanita Franz von Suppé 1880
25/1/1885 Das Spitzentuch der Königin Johann Strauss 1880
9/12/1884 Des Gascogner Franz von Suppé 1881
1890 Le baron tzigane Johann Strauss 1885

Quelques remarques : on voit la part de la production autochtone et malgré une situation politique difficile pour les Moraves dans l'Empire austro-hongrois, quelques productions de culture germanique dont des opérettes viennoises. La France est assez bien représentée dont ... deux opérettes ! Dans le modeste théâtre de cette capitale de la lointaine Moravie, des compositions récentes parvenaient pourtant à être exécutées quelques années seulement après leur composition dont deux opérettes du voisin autrichien, Franz von Suppé. Était-ce du à la proximité de Vienne ou à une entreprise de diffusion d'oeuvres légères qu'un public peu cultivé encore demandait ? A cette époque, les oeuvres de Suppé étaient très appréciées, en témoigne la création de Boccacio à Angers dans les années 1880, en seconde mondiale après Bruxelles (information transmise par Alain Chotil-Fani que je remercie).

Remarquons, dans la production nationale, la présence forte de Smetana, avec quatre opéras à l'affiche sans compter les reprises une ou deux années plus tard, alors que dans ces années 1884 -1888, Dvořák ne s'était pas encore complètement imposé sur les scènes de théâtre tchèques ! Si Janáček assista à dix représentations différentes de Prodana nevesta (La fiancée vendue) de Smetana et s'il éprouva le besoin de rédiger à chaque fois une chronique, ce fut parce qu'il ressentit comme capitale et quasi fondatrice la place tenue par cet opéra dans l'histoire encore récente d'une musique tchèque authentique dégagée des influences étrangères et notamment germaniques. Remarquons encore, la présence de cinq compositeurs tchèques inconnus chez nous, deux compositeurs appartenant à la génération intermédiaire entre Smetana et Dvořák, Vilem Blodek (1834 - 1874) et Josef Richard Rozkosny (1833 - 1913) tandis que les trois autres sont les exacts contemporains d'Antonín Dvořák, Vojtech Hrimaly ((1842 - 1908), Karel Bendl (1838 - 1897) et Karel Sebor (1843 - 1903) dont un des opéras (Zmarena svatba) fut représenté à Brno seulement une paire d'années après sa création à Prague. Cela prouvait la réalité et de l'existence d'une école nationale de l'opéra et, pour le public morave, du besoin d'entendre des opéras "nationaux". Parmi ces compositeurs, seul Vilem Blodek continue actuellement à jouir dans les pays tchèques d'un peu de popularité puisqu'on peut trouver un enregistrement de son opéra, V Studni.

Un peu plus de dix ans après sa création en France, l'opéra de Bizet, Carmen, fut reçu à Brno. S'agissait-il de la version donnée en tchèque à Prague pour la deuxième dans les pays tchèques le 3 janvier 1884 (après une première pragoise en langue allemande le 29 mars 1880) ou d'une nouvelle production ? Quoiqu'il en soit, les Moraves accueillirent cet opéra rejoignant le grand mouvement européen d'intérêt pour cette oeuvre atypique. La durée entre la création en Italie et la représentation à Brno se raccourcit considérablement pour l'opéra vériste de Mascagni, Cavalleria rusticana puisqu'elle se réduisit à deux ans. Preuve supplémentaire du désenclavement culturel de la cité morave.

De notre fenêtre occidentale, Brno pourrait paraître une très modeste capitale provinciale. A l'examen de cette programmation, même parcellaire, on découvre dans ce programme à la fois beaucoup de prudence, les opérettes viennoises et françaises tenant une bonne place, mais quelques hardiesses avec la présence d'un compositeur irlandais, Balfe et d'un compositeur d'origine croate, Ivan Zajc avec deux opéras différents à cinq années de distance. Par contre, curieusement, l'opéra russe n'est représenté que par la Dame de pique de Tchaïkovsky. On se serait attendu à une meilleure présence, étant donné le cousinage linguistique entre les deux peuples. Malgré la présentation à Prague en 1867 des deux opéras de Glinka, Rouslan et Ludmila et La vie pour le Tsar dirigés par le penseur du "puissant petit tas", Mily Balakirev, l'opéra russe tardait à s'imposer hors de ses frontières.

Dans ce théâtre Veveri, "réservé" aux aspirations culturelles de la population morave, cette programmation somme toute éclectique permit à Leoš Janáček (et à ses compatriotes moraves) de prendre connaissance de grandes oeuvres du passé et de connaître des productions beaucoup plus récentes venant d'horizons assez larges. Le goût musical pour l'opéra put se compléter grâce à ces représentations et peut-être aussi grâce aux chroniques de Janáček.

L'existence de ce théâtre déclencha certainement le désir chez Janáček de composer un premier opéra. Ce qu'il réalisa en 1887 avec Sarka dont on connaît les péripéties et les mésaventures puisqu'il fallut à son auteur attendre presque quarante ans pour le voir représenter sur une scène !

Joseph Colomb - juin 2004

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