École d'orgue

Pour l'enseignant Janáček, l'École d'orgue de Brno représenta le grand chantier de sa vie. Premièrement, parce qu'une école comme celle-ci n'existait pas à Brno, mais seulement à Prague dans laquelle, pendant un an, le jeune homme de vingt ans étudia et composa ses premières oeuvres... pour orgue.

Deuxièmement parce qu'il en assura la direction jusqu'en 1918, soit pendant plus de 30 ans. Il put mener cette école comme il l'entendait et y appliquer ses principes pédagogiques et sa propre façon d'enseigner sans rendre de compte à personne. Quelques témoignages d'anciens élèves nous sont parvenus. Le compositeur morave n'appartenait pas à la catégorie des enseignants conventionnels ou traditionnels s'appuyant sur des recettes maintes fois répétées. Le côté novateur de sa musique se retrouvait dans son enseignement au risque de déstabiliser les quelques élèves habitués aux larges avenues au tracé rectiligne et non aux sentiers odorants qui musardent dans l'exhubérance florale, l'herbe haute, les arbustes sauvages, bref dans une nature riche en vies secrètes. Comme il devint défricheur ou découvreur de terres vierges en composition, il enseigna un peu de la même manière qu'il composait.

Dès qu'il mit un point final à ses dernières études au conservatoire de Leipzig puis au conservatoire de Vienne, dès qu'il se fut marié, il propagea autour de lui le projet de création d'une école d'orgue.

A l'automne 1881, après une première rencontre avec d'autres personnes intéressées par son projet, le 7 décembre, un conseil d'administration se constitua dont l'un des premières décisions aboutit à la nomination de Leoš Janáček à la tête de la future école d'orgue. Dans sa magnifique biographie parue en 1962, Jaroslav Vogel situait l'École d'orgue dans les locaux de l'Institut de formation des enseignants ("École Normale") ce qui peut paraître logique étant donnée la fonction qu'y exerçait le beau-père de Janáček. Depuis, John Tyrrell, le musicologue anglais, qui depuis de longues années s'est consacré au compositeur morave, a indiqué dans le Catalogue qu'il a rédigé avec Nigel Simeone et Alena Nemcova que l'École d'orgue trouva d'abord refuge dans le Lycée du Vieux Brno (Plan de Brno au n. 1).

Dès l'ouverture en septembre de l'année suivante, Leoš Janáček ne se contenta pas d'assurer la direction de cette nouvelle école, il y enseigna la théorie musicale, tandis que l'organiste du monastère des Augustins se chargeait de l'enseignement de l'orgue, alors qu'un autre professeur se voyait confier l'enseignement du chant et de ses interventions dans les cérémonies religieuses. Enfin, le beau-père de Leoš, Emilian Schulz enseignait, nouveauté dans une école de musique, la psychologie !

Vogel dans son livre indiquait que les raisons du déménagement de l'école résidaient dans le fait que les activités d'orgue, très bruyantes, gênaient les études des autres élèves de l'Institut de formation. Il parait probable que les mêmes causes produisirent les mêmes effets au lycée. En 1886 , l'école d'orgue déménagea et rejoignit un local de deux pièces seulement qui n'avait pour seul avantage, s'il s'éloignait du quartier du vieux Brno, de se rapprocher du centre actuel de la ville (Plan de Brno au n. 2).

Un troisième déménagement intervint en 1896. Cette fois-ci, Janáček eut recours à l'obligeance d'un de ses cousins, le docteur Dressler qui possédait des locaux en plein centre de Brno, dans la rue Ceska. Les études s'y déroulèrent pendant une période de dix ans (Plan de Brno au n. 3).

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Ceska ulice
Ceska ulice : cette rue en plein centre de Brno, en plus des commerces habituels, abritait des activités culturelles (l'Ecole d'orgue pendant 12 ans, le journal Lidove noviny, le siège du Club des Amis de l'Art, les Editeurs Pisa et Barvic).

Le succès aidant, le nombre d'élèves augmentant, les derniers locaux devenant trop exigus, il fallut procéder à un quatrième et dernier déménagement, rue Griskova (actuellement rue Kounicova, Plan de Brno au n. 4) Ce nouvel emplacement éloignait l'école du lieu d'habitation de son Directeur, qui occupait un appartement depuis près de trente ans, à deux pas du Monastère des Augustins. L'âge aidant - Janáček approchait de soixante ans et de sérieux problèmes de santé commençaient à le toucher - il réussit à faire construire pour le directeur une petite maison, dont il payait la location, dans le jardin à l'arrière de l'École d'orgue où il résida jusqu'à la fin de sa vie. Zdenka Janáček y vécut encore dix ans jusqu'à son décès en 1938. Cette école dura jusqu'en 1918, année du changement d'affectation de cette école qui devint le Conservatoire de musique de Brno, une idée qui avait germé dans le cerveau de son directeur. Les quelques 120 élèves de l'école d'orgue s'y inscrivirent pour poursuivre leurs études musicales. A son grand désappointement, Janáček n'en fut pas nommé directeur. Il avait dépassé nettement la soixantaine et les autorités administratives tchèques prirent la décision de confier l'administration de ce nouveau conservatoire à Jan Kunc, un ancien élève de l'école d'orgue et de Janáček. Un peu plus tard Jan Kunc en devint le Directeur.

Ecole d'orgue Kounicova
École d'orgue Kounicova : le quatrième lieu d'accueil de l'École d'Orgue, rue Kounicova

Ecole d'orgue Kounicova
Les professeurs de l'École d'Orgue entourant le Directeur, Leoš Janáček, aux environs de 1914 (marqué LJ).
Il manque les femmes professeurs.

Non seulement l'existence de l'école d'orgue était liée intiment à l'activité pédagogique de Janáček, mais plusieurs de ses professeurs jouèrent un rôle non négligeable dans la création (et la conservation) de certaines de ses oeuvres. Ainsi, Marie Dvořákova, professeur de piano à l'école d'orgue, révéla-t-elle le dernier cycle pour piano, Dans les brumes, de son Directeur en 1913, alors qu'elle avait accompagné au piano la soliste pour la création deux ans plus tôt des Naronich pisné jez zpivala Eva Gabel (Chants populaires d'Eva Gabel), création qui eut lieu dans les locaux de l'École d'orgue. Auparavant, en 1906, une autre professeur de piano, Ludmila Tuckova, créa sa Sonate pour piano que son auteur, au dernier moment avait amputée de son troisième mouvement. Instruite par l'expérience, elle recopia la partition des deux mouvements restants. Lorsque quelques semaines plus tard, Janáček jeta dans la Vltava à Prague ce qui restait de sa Sonate, cette oeuvre ne disparut pas à jamais comme son mouvement final. Grâce à la clairvoyance et au dévouement de Ludmila Tuckova, grâce à son courage, pouvons-nous ajouter. Le caractère bouillonnant de Janáček procurait des colères orageuses lorsqu'un obstacle se dressait sur sa route. Sans doute, sa collègue redouta-t-elle un de ses emportements si jamais l'auteur apprenait que quelqu'un avait conservé une copie de sa Sonate alors que celui-ci, à ce moment-là, la jugeait indigne de passer à la postérité. Heureusement pour nous, Janáček, vingt ans plus tard, changea d'avis !

La même Ludmila Tuckova tenait la partie de piano en 1901 le jour de la création de Otce Nas, ce Notre père (morave) si fort musicalement.

Mais les locaux successifs de l'École d'orgue accueillirent plusieurs créations de Janáček. Le 5 décembre 1907, au cours d'une soirée programmée par le Club des Amis de l'Art, les sept chants qui composaient Lidova nokturna (Nocturnes populaires) furent exécutés en première audition dans les locaux de l'école. Ces chants cotoyaient des nocturnes de Chopin. Le 13 mars 1910, en présence du compositeur, les auditeurs découvrirent une première oeuvre de musique de chambre, Pohadka (Le conte) pour violoncelle et piano en trois mouvements, magnifique de musicalité.

Joseph Colomb - mai 2004

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