La diffusion de la musique de Janáček par les disques


La diffusion de la musique
de Janáček en Tchécoslovaquie
Mon chemin vers Janáček La perception française de la musique de Janáček
et sa diffusion en France
à travers les écrits par les disques par les concerts

Enregistrements historiques Versions discographiques d'opéras Disques d'œuvres de Janáček Les années fastes, 1990-1996


Pour mesurer l'ampleur de la diffusion de la musique de Janáček par le disque et sa reconnaissance par le public, trois étapes ont été retenues. J'examinerai tout d'abord les enregistrements "historiques".  Ensuite je m'attacherai à la diffusion de quelques opéras de Janáček comparés à un certain nombre d'œuvres marquantes du répertoire. Année après année à partir de 1966, j'étudierai l'apparition dans la discographie des œuvres du compositeur morave, en quantifiant le nombre d'enregistrements et en en repérant les constantes et les manques chroniques.  Je repérerai les années fastes de cette discographie (1990-1996) et insisterai sur la diffusion depuis les années 60 de quatre œuvres révélatrices du génie janacekien.

1) Enregistrements historiques

Commençons donc par dresser une liste d'enregistrements historiques. Ce qualificatif s'adresse à des gravures réalisées avant 1966, soit sur des disques 78 tours, soit sur des microsillons au début des années 50.

œuvre interprètes orchestre date
Jenůfa Zinaïda Jurjewskaja (1) ? 1924
Danses de Lachie Erich Kleiber orchestre Philharmonique de Berlin 1930
Sinfonietta Rafaël Kubelik orchestre philharmonique tchèque 1946
Jenůfa Richard Kraus + Trude Eipperle, Margaret Klose, Wilhelm Otto (2)  orchestre de Cologne
1949
Messe glagolitique Břetislav Bakala (3) orchestre de la radio de Brno 1949
Taras Bulba Břetislav Bakala orchestre philharmonique d'état Brno 1949
Ballade de Blanik Břetislav Bakala orchestre philharmonique d'état Brno 1949
Sinfonietta Otto Klemperer orchestre  du Concertgebouw Amsterdam 1951
Danses de Lachie Břetislav Bakala orchestre de la radio de Brno 1951
Taras Bulba Rafaël Kubelik orchestre  du Concertgebouw Amsterdam 1951
Sinfonietta Jascha Horenstein orchestre ORTF 1952
Jenůfa Jaroslav Vogel + Stepanka Jelikova, Marta Krasova, Beno Blachut, Ivo Zidek, orchestre du Théâtre national de Prague 1953
Sinfonietta Břetislav Bakala  orchestre philharmonique tchèque 1953
Sarka Břetislav Bakala+ Alena Nováková, Antonín Jurečka orchestre de la radio de Brno 1953
Danube Břetislav Bakala orchestre de la radio de Brno 1954
Tarass Bulba Václav Talich orchestre philharmonique tchèque 1954
Sinfonietta Jascha Horenstein orchestre symphonique de Vienne 1955
Tarass Bulba Jascha Horenstein orchestre symphonique de Vienne 1955
Sinfonietta Rafaël Kubelik (3) orchestre philharmonique de Vienne 1955
Sinfonietta Otto Klemperer orchestre de la radio de Cologne 1956
Journal d'un disparu Beno Blachut - Josef Palenicek 1956
Sonate 1905 Rudolf Firkušný (festival de Salzbourg) 1957
Osud (le Destin) František Jílek +Magdalena Hajóssyová, Vilem Pribil orchestre de l'opéra Janacek de Brno 1958
Sinfonietta Charles Mackerras orchestre Pro Arte 1959
Kata Kabanova Jaroslav Krumbhoc + Drahomíra Tikalová, Ludmila Komanková, Beno Blachut, Bohumir Vích orchestre du Théâtre national de Prague 1959
Excursions de M. Broucek Josef Keilberth + Fritz Wunderlich orchestre de l'opéra de Bavière 1959
Sinfonietta Karel Ančerl orchestre philharmonique tchèque 1961
Taras Bulba Karel Ančerl orchestre philharmonique tchèque 1961
Messe glagolitique Karel Ančerl + Libuse Domaninska orchestre philharmonique tchèque 1963
Messe glagolitique Rafaël Kubelik orchestre de la radio bavaroise 1964
Journal d'un disparu Rafaël Kubelik, Ernst Haefliger 1964
Jenůfa Krumbholc +  Sena Jurinac, Martha Modl, Ludwig Kmentt, Lucia Popp  orchestre de l'opéra de Vienne 1964
Affaire Makropoulos Bohumil Gregor + Libuse Prylova, Ivo Zidek Orchestre national de l'opéra de Prague 1965
De la maison des morts Bohumil Gregor + Beno Blachut, Ivo Zidek Orchestre national de l'opéra de Prague 1966

(1) air de l'acte II inclus dans le coffret consacré à Alice Sanden, Preiser records; Zinaïda Jurjewskaja (1896 - 1925) créatrice du rôle titre à Berlin en 1924
(2) chanté en allemand
(3) Voir Mon chemin vers Janáček

Ce bref aperçu démontre que dès les années cinquante, les mélomanes pouvaient théoriquement connaître quelques œuvres primordiales de Leoš Janáček, les deux ouvrages symphoniques de la maturité, Taras Bulba et la Sinfonietta, ainsi que la Messe glagolitique et l'opéra Jenůfa. Dans la réalité, il en était autrement puisque la plupart des enregistrements provenait de Tchécoslovaquie (éditions Supraphon) et que les conditions politiques limitaient fortement l'importation de ces disques. Dans les années soixante, pendant de longues périodes, il était donc pratiquement impossible de se les procurer par manque d'approvisionnement. Remarquons que seules les interprétations d'Otto Klemperer, de Joseph Keilberth, de Charles Mackerras, chefs allemands et anglais, de Kubelik et de Firkušný, tous deux expatriés, enregistrés par des labels européens restaient distribués, ce qui réduisait considérablement le choix, quand ne se posait pas la question de leur disponibilité à une époque où le nom de Janáček demeurait encore quasiment inconnu des décideurs musicaux de l'ouest européen (critiques, programmateurs radio, chefs d'orchestre, directeurs d'opéra…). Cette situation n'encourageait pas les éditeurs à graver de nouvelles œuvres.

Avant 1966, il fallait au mélomane  de la perspicacité, du calme et de la volonté pour mettre la main sur un des rares disques édités de la musique de Janáček. Se constituer une discothèque représentative de l'œuvre de Janáček relevait de l'impossible.

Signalons que l'on peut avec beaucoup de patience et de persévérance tenter se procurer dans les bacs des disquaires ou sur internet, la plupart de ces enregistrements historiques, notamment  Václav Talich dans la nouvelle édition Supraphon, Jascha Horenstein dans la Sinfonietta à la tête de l'orchestre national de l'ORTF dans un coffret de 9 disques Music and Arts, à la tête de l'orchestre symphonique de Vienne dans un disque Vox Box Legends, Otto Klemperer par deux fois, pour la première tenant la baguette face au Concertgebouw d'Amsterdam dans un coffret de 10 disques de marque Maestro History, pour la seconde dirigeant l'orchestre de la radio de Cologne dans un disque double EMI et l'enregistrement le plus ancien réalisé par Erich Kleiber à la tête de l'orchestre philharmonique de Berlin pour les Danses de Lachie accompagnée d'œuvres orchestrales de Stravinsky, Richard Strauss et J.S. Bach. Les enregistrements d'Ancerl sont toujours disponibles chez Supraphon dans la récente "Gold edition", l'interprétation de la Sonate par Firkusny, couplée avec les Tableaux d'une exposition de Moussorgski et la 3e sonate de Chopin se trouve sur un disque Orféo, Supraphon laisse à son catalogue la première gravure de Jenůfa par Jaroslav Vogel et les œuvres orchestrales dirigées par Bretislav Bakala sont rassemblées sur deux disques de la marque Multisonic, ainsi que sur un disque Panton de 1993. Le label Relief a rassemblé sur deux disques la toute première Jenůfa sous la baguette de Richard Kraus, chantée en allemand, rappelons le, à Cologne et en 1949.

Lors de la sortie du catalogue général annuel 1958  Disques, l'excellente revue dirigée avec panache par Armand Panigel, le producteur de la fameuse Tribune des critiques de disques sur les ondes de la radio, on pouvait juger de l'état discographique de la musique tchèque. A l'ère du microsillon, on ne comptait de Janáček que 8 œuvres enregistrées, à comparer aux 36 de Dvořák et aux 9 de Smetana. Les autres compositeurs tchèques plus ou moins contemporains du musicien morave se trouvaient aussi mal traités que lui, Fibich avec 5 œuvres enregistrées, Suk et Martinů avec 4 chacun, Novak avec 3 et Foerster totalement ignoré puisqu'aucune de ses œuvres n'était disponible sur disque.

Cette très faible discographie n'empêcha pas la nomination de quelques-uns de ces enregistrements aux Grands Prix du Disque de ces années-là. L'Académie Charles Cros décerna deux de ses grands prix à deux disques tchèques, une réalisation du Petit renard rusé sous la direction de Václav Neumann (à cette époque, la traduction transformait la renarde en animal de sexe mâle !) et aux deux quatuors sous les archets du Quatuor Janáček, le bien nommé. En 1960, deux autres interprètes tchèques, le violoniste Josef Suk et son complice, le pianiste Jan Panenka, se voyaient décerner un Grand Prix par la même académie pour leur interprétation de la Sonate pour violon et piano, couplée à celle de Debussy. Trois ans plus tard, c'était au tour du grand chef d'orchestre Karel Ančerl d'être récompensé pour la Sinfonietta et Taras Bulba. En 1964, l'Académie Charles Cros récidivait en honorant une nouvelle fois  Karel Ančerl pour la Messe glagolitique. Enfin l'année suivante, un autre chef tchèque, Rafaël Kubelik, exilé depuis la fin de la guerre, décrochait un Grand Prix pour l'enregistrement du Journal d'un disparu. Quarante ans plus tard, tous ces enregistrements, sauf celui de Neumann, sont toujours distribués (repiqués sur CD) et ironie de l'histoire, on les trouve beaucoup plus facilement aujourd'hui qu'au moment de leur sortie ! En 1967, la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, si elle n'était pas couverte de prix, avait non seulement trouvé son public, mais surtout une popularité assez phénoménale puisqu'on ne comptait pas moins de 25 enregistrements de cette pièce orchestrale. Une différence énorme de célébrité séparait les deux musiciens amis.

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2) Versions discographiques intégrales de quelques opéras


Pour mesurer l'importance de la diffusion des opéras de Janáček et de la connaissance par le public de ceux-ci, deux opéras les plus souvent cités du compositeur morave ont été retenus, Jenůfa et Kát'a Kabanová. Trois opéras contemporains, symptomatiques de leurs auteurs se sont imposés à nous, Pelléas et Mélisande, le Château de Barbe-Bleue et Wozzek. Plus près de notre époque, Peter Grimes d'un des grands compositeurs (Benjamin Britten) de la période que j'appellerai un peu abusivement la seconde moitié du XXè siècle. Toujours dans l'optique de comparaison de la notoriété, je rapproche les deux œuvres de Janáček de deux des plus célèbres opéras de ses compatriotes Smetana (La Fiancée vendue) et Dvořák (Rusalka), ces informations se détachant sur fond jaune. Enfin, pour affiner quelque peu ce coup de sonde dans l'univers opératique, quatorze opéras illustres ou représentatifs de différentes périodes historiques et de différentes écoles ont été retenus.

titre compositeur date disponibles en

1958

1971

 1987

1997

 2004
Orféo Monteverdi 1606 2 3 5 6 7
Didon et Enée Purcell 1689 2 3 7 18 14
Orphée et Eurydice Gluck 1762 1 4 5 22 18
La Flûte enchantée Mozart 1791 3 4 12 30 31
Barbier de Séville Rossini 1816 4 5 6 16 23
Tannhauser Wagner 1845/61 0 1 6 11 15
La Traviata Verdi 1850 4 5 14 27 27
Faust Gounod 1852/9 2 3 3 9 14
Tristan et Isolde Wagner 1865 1 3 7 12 14
La fiancée vendue Smetana 1866 1 0 1 2 4
Aïda Verdi 1871 5 3 5 23 29
Carmen Bizet 1873/4 3 7 11 19 23
Eugène Onéguine Tchaïkovski 1877/8 2 1 1 6 8
Werther Massenet 1892 2 2 4 6 16
La Bohème Puccini 1896 3 5 7 22 27
Rusalka Dvořák 1900 1 0 1 2 3
Pelléas et Mélisande Debussy 1902 4 3 7 12 16
Jenůfa Janáček 1903 1 1 2 4 5
Le château de Barbe-Bleue Bartok 1911 0 2 4 9 11
Kát'a Kabanová Janáček 1921 0 0 0 2 2
Wozzek Berg 1922 0 2 3 5 8
Peter Grimes Britten 1945 0 0 2 3 4


Lorsqu'on connaît le prix d'une place d'opéra et même si la plupart des théâtres ont consenti des efforts non négligeables pour permettre aux mélomanes peu fortunés de fréquenter quand même leurs salles un peu plus souvent, on sait que le public de ces établisements n'est pas vraiment représentatif de la population d'une contrée. La fréquence de représentation d'un opéra n'est donc qu'un indicateur parmi d'autres de la popularité d'un compositeur et de ses œuvres ou de certaines de celles-ci.

L'invention du microsillon au début des années 50, celle du compact-disc dans les années 80, celle du DVD actuel succédant à la cassette VHS ont apporté à domicile nombre d'œuvres élargissant du coup le cercle de la connaissance musicale de beaucoup de mélomanes quelque soit leur degré d'intérêt vis à vis de la musique. L'existence de la modulation de fréquence, amenant des chaînes comme France-Musique, France Culture ou plus récemment Radio Classique a joué un rôle de diffuseur de musique, de tous les genres et de toutes les époques. Ce goût pour la musique a généré un engouement et une amplification de la demande de musique enregistrée.

En ce qui concerne le support du disque, en l'espace de trente trois ans (1971 - 2004), l'offre de chacun des opéras retenus s'est considérablement diversifiée et élargie. Les opéras les plus connus, y compris par un public qui ne les a jamais entendus sur une scène théâtrale, offrent le plus grand nombre de versions, avoisinant ou dépassant maintenant les deux douzaines (La Flûte enchantée, la Traviata, la Bohème, Carmen ou même pour la période baroque Orphée et Eurydice et l'inattendu Didon et Enée). Par contre, les doigts d'une main suffisent pour dénombrer les versions des opéras tchèques et la Fiancée vendue pas plus que Rusalka ne fait exception à cette règle. La langue tchèque rebute-t-elle à ce point la plupart de nos grands interprètes européens ou américains pour que ceux-ci ne s'engagent que si peu dans une production discographique ? Sans doute s'y ajoute-t-il des motifs économiques, le public comprenant la langue tchèque ne représentant pas un marché suffisant pour amortir un coffret de disques ? Mais comment alors expliquer le succès relatif de l'opéra du Hongrois Béla Bartok (11 versions en 2004) composé en une langue qui n'est pas plus répandue que sa voisine, la langue tchèque ? Et cet unique opéra n'a pas la réputation de la facilité en ne mettant en scène que deux protagonistes dans une action encore plus concentrée en durée que la plupart des opéras du maître morave. Il est vrai que pour Jenůfa et Kát'a Kabanová, si nous n'avons pas l'embarras du choix, nous pouvons trouver à coup sûr une version emblématique dans l'authenticité, par exemple celle dirigée par Charles Mackerras, cet infatigable promoteur de la musique de Janáček. Ou une excellente alternative conduite par un des chefs tchèques tels Krumbholc, Gregor ou Jilek entouré par des interprètes qui chantent dans leur arbre généalogique.

Si l'on veut se pencher d'une manière plus précise sur la pénétration en France de la musique de Janáček par le vecteur du disque, il faut examiner par tranches d'années, quelles œuvres apparaissent successivement. Pour ce faire, la consultation d'une revue musicale largement distribuée dans les kiosques s'avérait indispensable. D'autant plus que la revue Diapason qui a été choisie de préférence au Monde de la musique ou Répertoire (maintenant Classica) s'est orientée plus largement vers l'analyse des disques disponibles à un moment donné que vers la parution d'articles de fond. En outre cette revue offrait l'avantage sur les autres de l'antériorité de sa parution, 1956. L'année 1966 a été prise comme point de départ, eu égard aux archives conservées depuis cette date à la bibliothèque municipale de Lyon ou dans d'autres bibliothèques publiques qu'il m'a été possible de consulter. La production musicale examinée à travers les critiques d'une revue ne recouvre sans doute pas l'intégralité des enregistrements sur le marché européen ou mondial, mais cette procédure offre l'avantage de ne s'intéresser qu'aux disques réellement disponibles en France. Ce qui ne signifie pas qu'en tous endroits du territoire français, on pouvait trouver tous ces enregistrements. A contrario, il arrivait qu'on puisse dénicher un disque d'importation dans une ville précise et à un moment donné, ce disque se révélant indisponible ailleurs.

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3) Disques d'œuvres de Janáček

3.1 Discographie quantifiée

Le tableau ci-dessous a été dressé pour indiquer année après année, par ordre, le nombre d'enregistrements dédiés à la musique de Janáček, le nombre de disques émanant de firmes tchèques, le nombre d'enregistremernts dans lesquels interviennent un ou des interprètes tchèques, qu'ils résident en Tchécoslovaquie ou qu'ils en soient originaires et le nombre d'œuvres du compositeur morave que ces disques contiennent.
 
année nombre
d'enregis-
trements
disques
tchèques
interprètes
tchèques
nombre
d'œuvres
année nombre d'enregis-
trements
disques tchèques interprètes tchèques nombre
d'œuvres
1966 2 1 1 3 1986 4 2 2 6
1967 1 0 0 1 1987 3 0 0 4
1968 1 0 0 3 1988 9 1 6 17
1969 2 1 2 7 1989 9 2 4 19
1970 1 0 1 1 1990 14 3 8 25
1971 2 0 1 3 1991 13 1 5 33
1972 2 0 1 6 1992 13 1 2 26
1973 2 2 2 5 1993 16 2 9 31
1974 1 0 0 1 1994 12 4 7 25
1975 2 0 0 2 1995 20 6 10 44
1976 0 0 0 0 1996 19 2 7 43
1977 8 5 6 17 1997 6 3 4 20
1978 4 2 2 7 1998 3 1 1 4
1979 4 0 1 7 1999 6 3 3 15
1980 8 5 6 14 2000 13 3 5 21
1981 8 4 5 26 2001 7 3 5 11
1982 5 2 3 6 2002 11 0 4 17
1983 7 5 6 14 2003 8 2 6 11
1984 4 2 2 8 2004
1985 4 0 2 8 2005

Pour mieux mesurer la situation discographique de Janáček, comparons la à celle de ces compatriotes, Smetana et Dvořák et à celle d'un de ses voisins, Bela Bartok. Prenons deux dates témoins, 1975 et 1986. Alors qu'en 1975, la diffusion française d'enregistrements de Janáček se limitait à 2, celle de Smetana la dépassait avec 5 disques, alors que Dvořák était crédité de 17 avec une petite avance sur Bartok, 15. A tire d'information, en cette même année, Mahler était sorti de son purgatoire et le marché français en proposait 11 disques. Onze ans plus tard, la situation n'avait pas beaucoup changé pour le compositeur morave puisque seulement 4 enregistrements arrivaient dans les bacs des disquaires. Son temps n'était pas encore venu ! La discographie de Smetana s'était nettement améliorée avec 9 disques, tandis que celle de Dvořák restait stable avec 18 galettes (microsillons et CD), mais sans commune mesure avec celle de son jeune collègue morave. Cette année-là, l'édition discographique de Bartok ne s'était pas avérée particulièrement riche avec seulement 5 disques à lui consacrés.

Comme on peut le constater sur le tableau précédent, pendant la première decennie, la discographie de Janáček est restée très faible avec la parution de seulement un ou deux enregistrements chaque année. En jun 1969, en page 25 de la revue Diapason, son rédacteur en chef-adjoint, Michel R Hofmann se désolait déjà de cette situation :" Il semble inconcevable que la discographie de Janáček un des plus grands compositeurs du XXè siècle soit encore si pauvre." Cette déploration, aussi justifiée soit-elle, n'aura quasiment aucun effet pendant les quelques vingt ans qui suivront. A partir de 1977 et jusqu'en 1989, la discographie s'amplifia légèrement, oscillant entre 4 et 9 enregitrements qui comprenaient un certain nombre de rééditions. En 13 ans, 77 disques ont été édités, soit une moyenne annuelle de 6. Sur ce nombre, 30 disques nous arrivaient directement de Tchécoslovaquie. 45, c'est-à-dire une majorité, étaient dus à des interprètes tchèques. La production discographique de Janáček restait donc pour une large part une affaire tchèque ! Remarquons à partir des années 1980 une nette tendance à proposer des disques homogènes et non à compléter un disque de musique tchèque ou autre par une œuvre du compositeur morave. De 1966 à 1989, on a bien l'essentiel de la production janacekienne. Mais quelle patience aura-t-il fallu au mélomane pour constituer une discothèque digne de ce nom ! A condition encore de trouver chez son disquaire les disques en provenance de Tchécoslovaquie ! 

De 1990 à 1996, sans parler de raz de marée, ce qui serait excessif, on assista à un arrivage plus massif d'enregistrements, une moyenne annuelle d'une quinzaine de disques, ce qui correspondait à une moyenne annuelle de 36 œuvres (au total 226 œuvres)

Cette évolution apparaît encore plus significative quand on quitte l'étalon d'une année et qu'on l'élargit à une période de sept ans. On aperçoit une lente montée, tant du côté du nombre de disques que du côté des œuvres enregistrées pendant une vingtaine d'années. Le pic constitué par la période 90-96 se manifeste d'une manière spectaculaire. Le ralentissement durant la dernière période se situe malgré tout au-dessus du niveau des saisons précédentes. Rien n'est jamais acquis !

disques-periodes

Enregistrements consacrés à Janáček de 1969 à 2003


3.2 Repère : année 1970


Arrêtons-nous en 1970. Chaque année, la revue Diapason éditait à l'intention des professionnels, des discophiles et des mélomanes, un catalogue des disques disponibles, classés par compositeurs. Si l'on examine le contenu de celui de 1970, à l'article Janáček, on trouve seulement 11 disques (dont deux de la marque Supraphon venant directement de Tchécoslovaquie) comprenant 17 œuvres. Trois de celles-ci ont la chance d'être gravées deux fois. Toutes ces œuvres, postérieures à 1900, appartiennent à la période dite de maturité du compositeur, mais un seul opéra est représenté,  Jenůfa, aucun chœur, aucune œuvre directement inspirée par la musique populaire, sauf les Danses de Lachie, une seule interprétation de la Sinfonietta, pourtant déjà célèbre, par contre absence de Taras Bulba.  A titre de comparaison, si l'on examine la discographie disponible de Dvořák, à première vue, on la trouve plus riche avec la présence de l'ensemble des 9 symphonies sauf la 4e, du concerto pour violoncelle représenté par 12 enregistrements différents (nombre significatif de son succès !), de plusieurs ouvertures, mais d'aucun poème symphonique de la dernière période, des danses slaves, plutôt des anthologies que l'intégrale des deux séries, mais absolument aucun opéra. Quant à Smetana, seule la Moldau (la Vltava) est bien représentée, alors que la Fiancée vendue ne figure que par des extraits orchestraux. Enfin, Martinů tient une place "honorable" face à ses compatriotes avec 19 œuvres disponibles. En 1970, il restait donc beaucoup de musique tchèque en général et beaucoup de musique de Janáček en particulier à découvrir, c'est le moins que l'on puisse écrire !


Œuvres de Janáček
disponibles sur disques en 1970
opéras œuvres religieuses chant orchestral chœurs
Jenufa Messe glagolitique
chants orchestre musique de chambre piano
Journal d'un disparu Jalousie Sonate pour violon
l'Enfant du violoneux Quatuor à cordes n° 1 Sonate 1905
Ballade de Blanik Mladi Sur un sentier recouvert
Concertino Quatuor à cordes n° 2 Dans les brumes
Danses de Lachie
Sinfonietta


3 micro

Trois microsillons des années 1970


3.3 Apparition des œuvres de Janáček dans la discographie


Ce tableau présente les œuvres de Janacek réellement disponibles en France au fur et à mesure de la parution des disques, depuis 1966. Il ne tient pas compte des enregistrements "historiques" réalisés avant cette date et examinés plus haut. La durée de vie d'un disque variant énormément d'un éditeur à l'autre, et d'un distributeur à l'autre, certains enregistrements furent disponibles plusieurs années, d'autres seulement quelques mois.

date opéras œuvres religieuses
et chant orchestral
chœurs
et chants
orchestre musique de chambre
et piano
opus
avant
1966
Journal d'un disparu V/12
Sonate pour violon VII/7
Quatuor à cordes n°1 VII/8
Quatuor à cordes n°2 VII/13
Sinfonietta VI/18
Messe glagolitique III/9
1968 Dans les brumes VIII/22
Mladi VII/10
Concertino VII/11
1969 Jalousie VI/10
Enfant du violoneux VI/14
Ballade de Blanik VI/16
Danses de Lachie VI/17
1970 Jenůfa I/4
1971 Taras Bulba VI/15
1972 Capriccio VII/12
1973 Hospodine III/5
Otce Nas IV/29
L'évangile éternel III/8
Au chalet de Solan III/7
l'Affaire Makropoulos I/10
1975 Suite pour cordes VI/2
1977 Kata Kabanova I/8
Petite renarde rusée I/9
Kantor Halfar IV/33
Marycka Magdonova IV/34
Les 70 000 IV/36
La légion tchèque IV/42
Le fou errant IV/43
1978 Pohadka VII/5
De la maison des morts I/11
1980 Le Destin I/5
1981 Chansons de Hradcany IV/40
La piste du loup IV/39
Kaspar Rucky IV/41
Excursions de M. Broucek I/6 - I/7
1984 Idylle VI/3
1986 Amarus III/6
1987 Danube IX/7
Scluck und Jau IX/11
Danses moraves VI/7
Suite VI/6
1990 Adagio VI/5
Variations Zdenka VIII/6
1991 Danses de Moravie VIII/18
Pélerinage d'une âme IX/10
1992 Rikadla V/17
1993 Poésie morave en chansons V/2
Sarka I/1
1995 Petites reines IV/20
Nocturnes populaires IV/32
1996 Messe en mi b IX/5
Ave Maria II/14
Marche des gorges bleues VII/9
Chants d'Eva Gabel V/9
Chants de Detva V/11
Cinq chants populaires IV/37
Quatre ballades V/7

Précisons que les titres des œuvres sont donnés dans la traduction française pour plus de facilité. Par ailleurs, afin de ne pas surcharger ce tableau avec l'inscription de miniatures (pièces pour piano, pièces religieuses essentiellement de l'époque des études à Prague de Janáček…) cette liste a été arrêtée volontairement à l'année 1996.

Relevons un fait courant pour les compositeurs et interprètes célèbres, mais rare pour la musique tchèque. Plus les moyens de production des éditeurs de disques sont importants, plus leurs efforts publicitaires, quoique ciblés, sont nombreux. Le simple nom de Maria Callas, par exemple, multiplie les ventes de disques d'opéras italiens et facilite la connaissance de la Traviata de Verdi, mais également de pièces moins connues. En novembre 1980, les éditions Supraphon, sentant peut-être les signes d'une évolution du public envers le compositeur morave, profitant de la première de Jenůfa à l'Opéra de Paris, monopolisèrent une page entière de la revue Diapason pour présenter une discographie actuelle de l'auteur de la Sinfonietta. Une occasion de faire le point sur la disponibilité des enregistrements et de parfaire sa connaissance de son catalogue. Six opéras (il ne manque que Kata Kabanova), les deux œuvres orchestrales de la maturité, la Messe glagolitique, la musique de chambre bien représentée par les deux quatuors, des pièces pour violon, l'œuvre pianistique, le versant vocal avec le Journal d'un disparu (appelé ici Carnet) et les neuf chœurs pour voix d'hommes rassemblés sur un microsillon, ces 14 enregistrements constituaient une belle anthologie !

pub-supraphon

La revue Diapason inaugura une notation des enregistrements en 1969 avec des diapasons. Plus nombreux ils étaient, plus la valeur musicale et interprétative du disque examiné croissait.  Un peu plus tard apparurent les diapasons d'or pour distinguer un disque digne d'éloges superlatifs. La discographie toute mince qu'elle fut jusque vers les années 1990 se trouva honorée très souvent par un de ces diapasons d'or. L'aventure commença en 1977 avec la parution de Kát'a Kabanová sous la baguette de Charles Mackerras avec Elisabeth Söderström dans le rôle titre, un coffret de deux disques de la marque Decca. L'année suivante, un nouvel opéra fut distingué, la Maison des Morts dirigé par Bohumil Gregor, un coffret de 2 disques Supraphon. En 1980, le Journal d'un disparu fut célébré dans une interprétation confiée à des chanteurs et à un pianiste non-tchèques, le ténor Peter Keller, la mezzo Clara Wirz et le pianiste Mario Venzago (plus connu comme chef d'orchestre), un disque de la marque Accord, une quasi première pour une firme française.  En 1982, un diapason d'or récompensa Karel Ančerl à la tête de la Philharmonie tchèque pour son exécution de la Sinfonietta couplée sur cette galette avec Taras Bulba. Le premier diapason d'or d'une longue lignée occasionnée par de multiples rééditions avec des couplages divers. Un diapason d'or distingua une nouvelle fois Charles Mackerras pour le quatrième enregistrement d'un opéra, la Petite renarde rusée avec la délicieuse Lucia Popp dans le rôle de la renarde. En 1983 parut le premier compact-disque consacré au maître morave. Charles Mackerras inaugura cette nouvelle ère technique avec deux œuvres orchestrales Taras Bulba et la Sinfonietta. En 1988, ces deux mêmes œuvres sous la direction de Karel Ančerl (une réédition) furent couronnées d'un diapason d'or, distinction décernée à l'interprétation par le même chef de la Messe glagolitique.

Un double évènement à signaler en 1989, un nouveau diapason d'or pour le couplage orchestral précédent dans une nouvelle édition Supraphon, dans la collection économique Crystal, premier disque à prix doux, sans doute, de la discographie du compositeur morave. Permettez nous, lecteur, une petite digression. Non seulement, dans les années précédentes les disques consacrés à Janáček ne brillaient pas par leur nombre, mais de plus, ils appartenaient aux catégories à prix fort. Les mélomanes désargentés devaient consentir des sacrifices pour acquérir un microsillon. Au début des années 70, par exemple, ce prix avoisinnait les 35 F alors que les premières collections économiques proposaient des vinyles à 20 F, voire à 10 F pour les collections super-économiques. Il fallait donc se montrer particulièrement motivé et particulièrement argenté pour réussir à se procurer un disque par-ci, par-là. La parution d'un premier disque à prix doux revigorait ainsi les mélomanes intéressés par la musique de Janáček. Revenons maintenant à ces récompenses. En 1990, deux très grands artistes, le violoniste Gidon Kremer et la pianiste Martha Argerich qui gravèrent la Sonate pour violon du maître morave, couplée à la première sonate pour violon de Bartok et au Thème et variations de Messiaen obtinrent une telle distinction. La distribution continua avec deux récompenses en 1991, l'une pour l'enregistrement des pièces pour piano par Rudolf Firkusny (disque RCA) et l'autre pour le coffret Decca contenant  l'Affaire Makropoulos, opéra dirigé par Charles Mackerras. En 1992, un nouveau violoniste, allemand celui-là, Franz-Peter Zimermann avec le pianiste Alexander Lonquich, grava la Sonate couplée à celles de Debussy et Ravel. Ce compact disque gagna un diapason d'or. Deux enregistrements du chef Rafaêl Kubelik, la Messe glagolitique couplée au Stabat mater de Dvořák, et la Sinfonietta couplée avec des pièces de Smetana furent honorés en 1993. Poursuivons cette liste en 1995 où nous trouvons distingués notre compatriote, le pianiste Alain Planès qui grava l'esssentiel des œuvres pour piano pour la firme Harmonia Mundi, le pianiste tchèque Radoslav Kvapil dans un programme quasi identique pour Unicorn et des interprètes néerlandais, dirigés par Reinert de Leeuw, pour Philips, dans une anthologie chorale. En 1996, une distinction s'adressa à un enregistrement vidéo de Jenůfa, venant du festival de Glyndebourne, dont on retint en particulier les prestations vocales de Roberta Alexandra et de la grande Ania Silja. Un habitué de ces récompenses, Karel Ančerl récidiva avec un coffret de 7 disques chez Tahra, comprenant Taras Bulba. Un ensemble tchèque, le Quatuor Pražák récolta la précieuse distinction en 1997 pour sa gravure des deux quatuors et de la Sonate pour violon. Un autre ensemble de musique de chambre, le quatuor Belcea obtint en 2001 la même distinction pour un nouvel enregistrement des deux quatuors de Janáček publié par une marque hexagonale, Zig Zag Territoire. En 2002, une avalanche de diapasons d'or s'abattit sur 5 gravures, celle de Jenůfa dans la production de Glyndebourne, déjà récompensée auparavant, mais maintenant transférée sur un support DVD ; un autre DVD  retransmettant la Kát'a Kabanová montée au festival de Salzbourg sous la baguette de notre compatriote Sylvain Cambreling, avec la soprano Angela Denoke dans le rôle titre ; un troisième DVD reproduisant la production de la Petite renarde rusée dirigée par Charles Mackerras ;  un éditeur français, Soupir, qui grava une anthologie pianistique confiée aux doigts et à la sensibilité d'Aldo Ciccolini, et un coffret de marque RCA regroupant le Concertino et le Capriccio couplés au concerto pour piano et aux quintettes avec piano de Dvořák par un binôme tchèque composé de Rudolf Firkusny au piano (déjà distingué quelques années plus tôt) et Václav Neumann à la baguette. L'année suivante, une pluie de 4 diapasons d'or arrosa un vieil enregistrement de la suite d'orchestre La Petite renarde rusée de Václav Talich qu'il a lui-même confectionnée, la Sinfonietta dirigée par Ančerl dans une nième réédition, couplée cette fois à de la musique de Martinů, la même Sinfonietta dirigée par un autre habitué, Rafaël Kubelik, dans un coffret de trois disques Andante et la Petite renarde rusée entraînée par Kent Nagano dans une version moderne sous la forme d'un dessin animé réalisé par Geoff Dunbar. En 2005, un coffret regroupant les deux quatuors avec d'autres œuvres similaires de Smetana et de Dvořák par le Quatuor Pražák obtint, comme huit ans auparavant la dinstinction dorée.

Depuis 1990, ces diapasons d'or eurent certainement une influence sur les lecteurs de la revue, qui s'ils ne trouvaient pas d'articles suffisamment dévelevoppés sur le compositeur morave à l'intérieur de la revue ne pouvaient que s'interroger sur ce compositeur. Ses œuvres étaient visitées par ses compatriotes interprètes, mais aussi avec grand succès par d'autres musiciens. Qu'un diapason d'or soit décerné à un enregistrement exceptionnel ne devait pas cacher l'excellence d'autres disques qui obtenaient 5 diapasons. Or 41 disques consacrés à la musique de Janáček obtinrent cette note. Le lecteur attentif ne pouvait pas les ignorer !


operas

Enregistrements sur disque microsillon de six opéras de Janáček

choeurs

Enregistrements sur disque microsillon de chœurs de Janáček

messe-glago

Disque microsillon de la Messe glagolitique de
Janáček *

* L'illustration montre bien la difficulté de se procurer en France des enregistrements de la marque Supraphon. Pour cette Messe glagolitique, c'est une version destinée au marché allemand qui s'est retrouvée - on ne sait trop comment - dans les bacs d'un disquaire parisien.

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4. Les années fastes : 1990-1996


Le tableau suivant porte sur la période 1990 - 1996, période d'explosion de la production et de distribution des disques consacrés à Janáček. On dénombra 57 œuvres dont un certain nombre (13 précisément) en plusieurs enregistrements différents. Avec respectivement 17 et 15 gravures, la Sinfonietta et Taras Bulba font figure de "tubes". Ces deux pièces orchestrales n'intéressèrent plus seulement les chefs et les orchestres tchèques ! Et avec 14 enregistrements, la Messe glagolitique les talonnait. Leur succès déjà sensible dans les années 60 se confirmait ainsi. La sonate pour violon, les deux Quatuors, la Sonate pour piano, les cycles pianistiques Sur un sentier recouvert et Dans les brumes et même le Concertino à première écoute d'un aspect plus aride provoquèrent des enregistrements multiples. Même une pièce orchestrale inachevée du vivant du musicien, reconstituée par les soins de musicologues tchèques en 1988 et éditée cette année-là, le Concerto pour violon sous-titré Pélerinage d'une âme suscita tout de même l'intérêt des violonistes puisque on en compta 5 gravures. Grâce à la sollicitude des interprètes et des éditeurs tchèques, des pans entiers de la production janacekienne furent dévoilés notamment le versant folklorique avec en particulier 4 versions intégrales ou partielles de la Poésie populaire morave en chansons. On remarquait la présence de toutes les œuvres maîtresses du maître morave, sauf les chœurs Marycka Magdonova et l'Evangile éternel ainsi que la cantate Amarus. Les mélomanes, amoureux de la musique de Janáček ou tout simplement les amateurs curieux d'itinéraires moins courus, trouvèrent l'occasion de monter une discothèque sur une période relativement courte.

Comment expliquer cet intérêt subit des firmes discographiques, des chefs, des orchestres, des solistes pour la musique de Janáček ? Un lent mouvement de curiosité se transformant graduellement en attachement se produisit au début des années 80 de la part des musicologues, mais aussi du public. Les représentations de plusieurs opéras à Paris et dans plusieurs autres villes de France habituèrent ces spectateurs à l'étrangeté de cette musique, mais aussi à sa beauté. Quelques articles, quelques disques, des récompenses à travers des Grands prix du disque, quelques représentations, une attention naissante du public, tous ces ingrédients fonctionnèrent insensiblement, se renforçant les uns les autres. Le petit nombre d'adeptes se transforma peu à peu en un groupe plus fourni qui constitua bientôt un auditoire suffisant pour que des interprètes plus avisés osent intégrer une œuvre du compositeur morave dans leurs récitals. Janáček n'était plus tout-à-fait un inconnu, un original incompris ou un marginal. Progressivement, on mesurait mieux son apport aux côtés des grands anciens tchèques, Smetana et Dvořák, on appréhendait mieux sa personnalité musicale, sa particularité, sa place et son importance dans le paysage musical du premier quart du XXè siècle.


Opéras

Oeuvres religieuses et
chant orchestral

Chants et Chœurs

œuvre

nb

opus

œuvre

nb

opus

œuvre

nb

opus

Jenufa

4

I/4

Exaudi Deus

1

II/4

Canard sauvage

1

IV/18

Le Destin

2

I/5

Regnum mundi

1

II/7

Petite colombe

1

IV/19

Kata Kabanova

2

I/8

Ave Maria

1

II/14

Petites reines

1

IV/20

Petite renarde rusée

2

I/9

Messe en mi b

1

IX/5

Notre bouleau

1

IV/22

L’Affaire Makropoulos

1

I/10

Messe glagolitique

14

III/9

Otce Nas (Notre père)

3

IV/29

Maison des Morts

2

I/11

     

Elégie sur la mort d’Olga

1

IV/30

           

Nocturnes populaires

2

IV/32

           

Kantor Halfar

1

IV/33

           

La piste du loup

1

IV/39

           

Chansons de Hradcany

1

IV/40

           

Le fou errant

1

IV/43

           

La poésie populaire morave en chansons

4

V/2

           

Cinq ballades

1

V/7

           

Six chants d’Eva Gabel

1

V/9

           

Chants de Detva

1

V/11

           

Journal d’un disparu

1

V/12

           

Rikadla

4

V/17

Orchestre

Musique de chambre

Piano

œuvre
nb
opus
œuvre
nb
opus
œuvre
nb
opus
Suite pour cordes

8

VI/2

Romance

1

VII/3

Variations Zdenka

2

VIII/6

Idylle

3

VI/3

Dumka

1

VII/4

Musique pour un exercice de gymnastique

1

VIII/13

Jalousie

2

VI/10

Le Conte

7

VII/5

Sur un sentier recouvert

9

VIII/17

L’enfant du violoneux

3

VI/14

Presto

3

VII/6

Danses moraves

1

VIII/18

Taras Bulba

15

VI/15

Sonate pour violon

12

VII/7

Sonate 1905

9

VIII/19

Ballade de Blanik

3

VI/16

Quatuor n° 1

12

VII/8

Dans les brumes

12

VIII/22

Danses de Lachie

4

VI/17

Marche des gorges bleues

1

VII/9

Souvenir

2

VIII/32

Sinfonietta

17

VI/18

Mladi

4

VII/10

     

Danube

2

IX/7

Concertino

10

VII/10

     

Concerto pour violon "Pélerinage d'une âme"

5

IX/10

Capriccio

7

VII/12

     

Scluck und Jau

1

IX/11

Quatuor n° 2

13

VII/13

     

Ce tableau montre que durant ces sept années, tout discophile pouvait choisir au moins une version des œuvres maîtresses dans l'ensemble des genres visités par le compositeur morave. Si le compte bancaire du mélomane lui permettait d'acheter sans compter (hypothèse d'école un peu hasardeuse…) il pouvait se constituer une discothèque très représentative de l'univers de Janáček y compris avec des pièces plus anectodiques - c'est la raison de la présence de Exaudi Deus, de Regnum mundi et de la Messe en mi b, inachevée,  dans cette liste - des différentes périodes créatrices du musicien puisque 57 œuvres sont disponibles sur un catalogue d'environ 180. Evidemment, dans la production chorale relalivement abondante de Janáček, les onze chœurs enregistrés durant cette période ne peuvent prétendre représenter les 44 pièces pour voix d'hommes ou de de femmes ou encore voix mixtes. Ils incarnent pourtant ses pièces les plus abouties de sa production de chant choral. Dans les autres domaines, ne pas connaître le Benedictus ou Pour les frères Mrstik, deux piécettes de 15 à 30 secondes, n'empêche pas d'appréhender le génie du compositeur morave. De très nombreuses pièces de circonstance, courtes de surcroît, parsèment la production de Janáček et il n'est nul besoin de les fréquenter pour pénétrer quand même dans son monde et en apprécier les beautés sombres et claires, profondes et légères, riantes et mélancoliques.

operas-cd

Deux opéras édités en CD

folk-cd

œuvres inspirées par la musique populaire morave - deux CD

Saluons au passage l'initiative de la firme tchèque Supraphon avec une édition de quatre disques s'étalant de 1994 jusqu'à 1998 sous le titre générique "Janáček inconnu" présentant des œuvres non enregistrées jusqu' à cette date, Rakos Rakoczy, les différentes pièces religieuses écrites par le compositeur au cours de ses études à l'Ecole d'Orgue de Prague en 1874/5, par exemple et différentes variantes de pièces connues dans leur édition définitive. Entendre les premières pièces du Sentier recouvert jouées sur un harmonium, tel que l'avait pensé tout d'abord le compositeur, permet d'entrer plus précisément dans le processus créateur du musicien morave. La remarque que nous formulions un peu plus haut sur les piécettes qui parsèment sa production s'applique aux œuvres rassemblées sur ce disque. Mais le mélomane avide d'explorer toutes les facettes du compositeur en fera son miel !

Faisons une nouvelle pause en 1994 avec un numéro spécial de la revue Diapason comme elle en réalisait régulièrement en élisant en 1 500 enregistrements la discothèque idéale à partir des CD disponibles sur le marché. Smetana n'est représenté à cette date que par 3 disques, Dvořák par 14 coffrets ou disques simples (dont un coffret de 9 CD rassemblant les quatuors et un coffret de 6 pour les symphonies),  Janáček par 10 disques et le Hongrois Bela Bartók par 13 disques ou coffrets. Dans ce voisinage, la quantité de musique enregistrée du compositeur morave n'a pas à rougir d'autant que l'on y trouve à deux exceptions près l'ensemble des œuvres de la maturité ou représentatives du génie janáčekien *, notamment quatre des cinq grands opéras.
* il ne manque que l'opéra La petite renarde rusée et au moins une des grandes œuvres chorales,  Kantor Halfar par exemple.

Œuvres de Janáček constituant
la discothèque idéale (1994)
opéras œuvres religieuses chant orchestral chœurs
Jenufa Messe glagolitique (2 fois)
l'Affaire Makropoulos
De la maison des morts
Kata Kabanova
Chants Orchestre Musique de chambre Piano
Rikadla Danses de  Lachie Mladi Sonate 1905
Journal d'un disparu Sinfonietta Quatuor à cordes n° 1 Sur un sentier recouvert
Taras Bulba Quatuor à cordes n° 2 Dans les brumes
L'Enfant du violoneux Sonate pour violon Souvenir
Jalousie
Petite renarde rusée (suite)

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5. Quatre œuvres particulières


Quatre œuvres très représentatives de musique orchestrale et de musique de chambre pour tenter de compléter un peu le répertoire de Janáček ont été retenues. Le simple examen du nombre de versions montre là encore une courbe croissante. Par ailleurs, il n'est plus indispensable de se tourner vers l'éditeur tchèque Supraphon pour découvrir un enregistrement remarquable. Au même titre que les quatuors à cordes de Debussy et Ravel, en France, que ceux du Hongrois Bartok ou encore ceux du Russe Chostakovitch, ceux de Janáček ont fini par attirer l'attention des instrumentistes à cordes de telle sorte que les quatuors les plus talentueux (Berg, Guarneri, Julliard, Lindsay, Hagen, Petersen…) se sont emparés de ces deux ouvrages, les faisant ainsi entrer dans le panthéon de ce type de répertoire. Leur difficulté ne rebute plus les instrumentistes à cordes. Il est vrai que tout au long de la seconde moitié du XXe siècle les quatuors tchèques, Smetana, Janáček, Vlach, Panocha, Stamic, Dolezal, Talich, Prazak ou Skampa  ont défriché le terrain de belle manière ! Les musiciens et les éditeurs de disques de toutes nations se sont emparés de l'œuvre du compositeur morave, preuve supplémentaire qu'en cette fin du XXè siècle et de début du XXIè siècle, sa production a trouvé des interprètes et des auditeurs. Enfin ! pourrait-on ajouter. La même remarque prévaut pour l'œuvre de piano. Alors que jusqu'au tournant des années 80, elle fut quasiment l'apanage des interprètes de nationalité tchèque (Eva Bernathova, Rudolf Firkusny, Josef Palenicek, Ivan Klansky, Radoslav Kvapil, Ivan Moravec, etc…) à partir de cette date charnière, des pianistes venant d'Afrique du Sud (Lamar Crawson), de Norvège (Hakon Austbo, Leif Ove Andsnes), de Grande Bretagne (Paul Crossley, Thomas Ades), de Chypre (Marios Papadopoulos), des Pays-Bas (Jet Röling), de Russie (Mikaïl Rudy, Viktoria Posnikova), de Hongrie (Andras Schiff), d'Autriche (Edith Kraus, Thomas Hlavatsch), d'Israël (Gilead Mishory), d'Italie (Massimiliano Damerini) et de France (Alain Planès, Aldo Ciccolini) s'emparèrent de cette œuvre et en l'interprétant lui confèrèrent une dimension universelle. Et la liste n'est pas finie ! Pour un ouvrage aussi poétique que Pohadka, où le violoncelle ne brille pas par sa virtuosité mais chante pleinement, actuellement aucune vedette de l'archet n'a daigné participé à un enregistrement. Des "seconds couteaux" ont relevé le gant, solistes tchèques comme Milos Sadlo, Evzen Rattay et Marek Jerie, membre du trio Guarneri de Prague, des Finlandais, Mats Rondin et Anssi Karttunen, notre jeune et talentueuse représentante Anne Gastinel, ainsi que Stefen Isselis, Wen-Sinn Yang, Martin Ostertag, Esther Nyffenegger, Henrik Brendstrup, Christopher van Kampen, le violoncelliste britannique du fameux Quatuor Lindsay, Bernard Gregor-Smith et une jeune instrumentiste prometteuse, Alisa Weilerstein. En ce qui concerne les chefs d'orchestre, une même évolution se constatait, mais dans un tempo accéléré. Si jusqu'en 1980, treize chefs différents avaient déjà enregistré une œuvre orchestrale de Janáček, six provenaient de Tchécoslovaquie. Parmi les autres, il faut noter la présence de George Szell (Hongrois d'origine), de Leonard Bernstein et du jeune Seiji Ozawa. Quant à Charles Mackerras, après une première gravure en 1959, il avait dû ronger son frein pendant presque vingt ans avant que la prestigieuse firme Decca ne consente à enregistrer un opéra de son compositeur fétiche. A partir des années 80, nombre de chefs d'autres nationalités imposèrent le Morave Janáček, et parmi eux, quelques célébrités, tels Claudio Abbado, toujours curieux de répertoires délaissés, les chefs allemands Michaël Gielen et Kurt Masur, Christoph von Dohnanyi, le Britannique John Eliot Gardiner, l'Italien Riccardo Chailly et le Néerlandais Bernard Haitink. Parmi les œuvres choisies par les chefs et acceptées par leur maison d'édition, les trois compositions de la maturité, la Sinfonietta, Taras Bulba et la Messe glagolitique, mais aussi, plus étonnant, la Suite pour cordes de la jeunesse du compositeur.

œuvres date opus disponibles en
1958 1971 1987 1997 2005
Sur un sentier recouvert 1908 VIII/17 0 1 2 7 8
Conte (Pohadka) 1912 VII/5 1 0 0 7 3
Sinfonietta 1926 VI/18 2 1 5 13 12
Quatuor "Lettres intimes" 1928 VII/13 0 2 5 15 19
Total : 3 4 12 42 42

De la pauvreté d'enregistrements en 1971, encore constatée en 1987, on passe à une certaine richesse en 1997, richesse toujours présente actuellement, voire même amplifiée, sauf pour la magnifique composition pour violoncelle (Pohadka) dont on peut s'étonner qu'elle reste toujours aussi peu visitée par les instrumentistes.

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6. Conclusion

Alors que l'importance de Janáček dans la musique du début du XXè siècle est aujourd'hui reconnue, alors que sa discographie présente l'ensemble de sa production, y compris les travaux inachevés, les esquisses, des piècettes de quelques secondes, on peut mesurer le chemin parcouru depuis les années 60.  Le cercle des interprètes spécialisés dans cette musique s'est agrandi. Il reste néanmoins à gagner une dernière étape. Voir paraître très régulièrement de nouveaux enregistrements de provenances les plus variées pour imposer le caractère universel du créateur Janáček et pouvoir à tout moment tenter l'aventure de l'exploration de son territoire musical, sans tomber dans un jeu de piste aléatoire, c'est le moins que l'on puisse attendre de l'édition discographique actuelle. Savoir par ailleurs que la plupart des enregistrements historiques réalisés par des musiciens qui ont fréquenté le compositeur restent disponibles, constitue un privilège que nous, auditeurs du XXIè siècle, pouvons apprécier à sa juste valeur.

Formons donc des vœux pour que la situation discographique actuelle continue à s'enrichir et à se diversifier !


Joseph Colomb - mars 2006

Je remercie infiniment Mme Breuil, responsable de la section discothèque de la médiathèque Aragon de Rive de Gier pour son aide - ainsi que ses collaborateurs - pour la mise à ma disposition des archives de la revue Diapason de ces quinze dernières années.

Grand merci également à Michel Pouzadoux qui m'a prété ses précieux microsillons pour illustrer quelques-uns des enregistrements de la musique de Janáček.