Au tournant du siècle, le monde des sociétés à Brno s'enrichit d'une nouvelle association : le Cercle des Amis de l'Art que fondèrent les architectes Dusan Jurkovic et Antonín Tebich, par ailleurs propriétaire d'une cave à vin fort fréquentée. Quatre ans plus tard, cette société se subdivisa en trois sections : musique, littérature, art. František Mares, déjà directeur de la société Vesna en assura l'administration tandis que Janáček la rejoignit en 1904. Il dirigea à son tour le Club de 1909 à 1911. A cette date, le docteur František Vesely lui succéda.
Ce Club des Amis de l'Art où se retrouvaient plusieurs artistes ou intellectuels renforça le vaste mouvement artistique qui agitait la capitale morave au tournant du siècle. On y retrouva les écrivains Josef Merhaut et les frères Mrstik qui fréquentaient aussi la société Vesna occasionnellement ainsi que les peintres Emil Filla, Otakar Kubin, Antonín Prochazka et Jaroslav Kral qui quelques mois après sa naissance en France sous les pinceaux de Pablo Picasso et de Georges Braque s'emparèrent du cubisme pour apporter leur part à l'évolution de la peinture européenne.
Toutes ces sociétés (Svatopluk, Vesna, Beseda brnenska), tous ces clubs ou institutions moraves formaient un véritable creuset où bouillonnaient les idées, où germaient des projets et des revendications, où naissaient des œuvres artistiques nouvelles s'enrichissant des expériences d'un passé récent et apportant leur sang neuf à l'histoire encore toute récente des pays et des peuples tchèques. Leoš Janáček s'y sentait à l'aise, lui qui cherchait inlassablement les solutions les plus adéquates pour que ses idées et ses sentiments se transposent en musique de la façon la plus vraie et la plus belle.
Le public morave entendit la Sonate I.X.1905 en première audition au cours d'un concert organisé par le Club des Amis de l'Art, le 27 janvier 1906. L'année suivante, au cours d'un nouveau concert placé sous le thème du Nocturne, encadrés par deux Nocturnes pour piano de Frédéric Chopin, les auditeurs entendirent en première audition une nouvelle oeuvre de Janáček, Lidova nokturna (Nocturnes populaires) une série de sept chants inspirés par une collecte récente effectuée dans la région de Rovné, en Slovaquie.
Le Club des Amis de l'Art, en 1908, publia la partie vocale de Jenufa, l'opéra de Janáček, créé à Brno quatre ans auparavant mettant ainsi à disposition de tous les chanteurs amateurs le matériel leur permettant d'interpréter un ou plusieurs "airs" de cet opéra.
Cette même année, au cours d'un concert, le Trio pour piano, violon et violoncelle inspiré par la lecture de la Sonate à Kreutzer fut joué. Cette oeuvre, dont la partition n'a jamais été éditée, a été perdue depuis.
L'année suivante, Leoš Janáček reprit la baguette de chef d'orchestre pour l'ultime concert qu'il dirigea. Il accompagna les solistes Stanislas Tauber et Marie Calma-Vesela (elle avait épousé le docteur Vesely, directeur de l'établissement thermal de Lahacovice qui avec son épouse joueront un rôle efficace dans l'acceptation de Jenufa à Prague) dans l'oratorio Mors et Vita que notre compatriote Charles Gounod avait composé en 1884.
Ce club intervint en 1912 dans l'activité créatrice du compositeur lorsqu'il lança un concours de composition auquel Janáček répondit et qu'il remporta. L'heureux résultat pour nous fut l'écriture du dernier et splendide cycle pour piano, Dans les brumes, que la pianiste Marie Dvořákova, une collègue du compositeur à l'École d'Orgue, créa en 1913. Le Club des Amis de l'Art assura également la première édition de cette partition.
L'activité d'éditeur se trouva renforcée par la publication au cours de l'été 1914 d'une oeuvre orchestrale de Janáček, Sumarovo dite (l'Enfant du violoneux).
Si Janáček s'investissait dans des sociétés et des clubs de sa ville, s'il y apportait sa notoriété locale et provinciale, s'il y faisait partager ses compétenvces, la force et la hardiesse de ses idées, projets et réalisations, l'existence de ces sociétés, leur dynamisme rejaillissait aussi sur le compositeur et ses oeuvres. Malheureusement, jusqu'en 1916, la notoriété du compositeur Janáček ne dépassait toujours pas le cadre assez étroit de la Moravie et de son centre, la ville de Brno. Cependant les germes de ce qui deviendra le succès tchèque existaient dans l'action de la plupart des dirigeants de ces sociétés et des musiciens moraves basés à Brno ou dans les villes environnantes.
Joseph Colomb - mai 2004
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