Vesna

Fondée en 1870, la société Vesna, baptisée ainsi par référence à la déesse du printemps dans la mythologie slave, entretint un choeur féminin avec qui Janáček travailla occasionnellement.

Dès 1876, alors que le compositeur venait d'être nommé à la tête du choeur masculin de la Beseda brnenska, il invita à plusieurs reprises le choeur féminin à se joindre à la société masculine pour former le temps d'une soirée un choeur mixte.

Cette société, sous l'impulsion de sa secrétaire générale, Eliska Machova, créa en son sein une école de filles en 1886 dont František Mares - un ancien élève de Janáček à la Beseda brnenska - prit la direction. Treize ans plus tard, la même Eliska Machova, en accord avec les idées de Bertha von Suttner, la future Prix Nobel de la Paix en 1905, fonda l'association des femmes moraves pour la paix. Encore une figure active oeuvrant concrètement pour l'émancipation des Moraves et particulièrement des femmes et des jeunes filles, démontrant que malgré son enclavement au milieu de l'Europe Centrale les idées nouvelles circulaient en Moravie et rejoignaient la réflexion autochtone.

En 1888, Leoš Janáček entreprit, en compagnie de son collègue František Bartos, sa première campagne d'envergure de collectes de musique populaire à Hukvaldy et dans les villages environnants de sa Lachie natale. Dès le début de l'année suivante, plus exactement le 21 février 1889, les adhérents de la société Vesna entendirent deux des danses (Starodavny I et Pilky) que le compositeur joindra à quatre autres danses pour former les Danses de Lachie.

Dans cette période d'intense activité de recherche de musique populaire, Janáček rencontra Lucie Bakesova, professeur de danse de la société Vesna. Cette rencontre inaugura une collaboration entre les deux "folkloristes", l'un apportant ses découvertes à l'autre, tandis que la deuxième instruisait le compositeur sur les liens entre danse et musique. La même Lucie Bakesova éveilla l'intérêt de son collègue pour une suite de danses moraves, intitulée Kralovnicky (Les petites reines), pour lesquelles elle avait monté une chorégraphie. Janáček, quant à lui, effectua sa propre adaptation de ces danses rituelles traditionnelles.

Au sein de la société Vesna, dans les premiers jours de janvier 1891, la jeune dramaturge Gabriella Preissova donna une conférence sur la vie paysanne dans une région précise de la Moravie, la Slovacko. Peut-être, à cette occasion, Janáček rencontra-t-il pour la première fois la romancière et femme de théâtre dont certaines oeuvres allaient prendre une importance considérable dans la production musicale du compositeur morave. En effet, quelque temps après, Janáček se saisit de deux pièces de la jeune femme de théâtre, Commencement d'une romance et Jeji Pastorkyna (Jenufa), qu'il adapta pour en faire son deuxième et troisième opéra. D'autres écrivains tels Josef Merhaut, Jiří Mahen, Jan Herben et Jaroslav Vrchlicky furent invités par le Directeur, František Mares. Il aida également de jeunes compositeurs à percer en organisant des concerts en leur faveur. Ainsi, en 1902, on y entendit des pièces pour piano de Vitezslav Novak et deux ans plus tard, Jan Kunc, un élève de Janáček et futur directeur du Conservatoire de musique de Brno, fit exécuter ses premières oeuvres.

Les étudiantes du collège de filles de cette société exécutèrent le 3 juin 1898 en première audition un choeur de Janáček Jarni pisen (Chant de printemps), qui ne pouvait que les toucher, vu la signification du nom de leur organisation. Une autre oeuvre, cette année-là, vit l'intervention de Vesna dans sa création. Le 18 décembre, Janáček au piano accompagna des solistes de cette société pour la première audition de Ukvalska a lidova poesie v pisnich (La poésie populaire dans les chansons d'Hukvaldy), un recueil de treize chants de sa région natale. Cette oeuvre fut redonnée par les solistes de Vesna, mais cette fois-ci dans la salle de la Besedni dum le 23 avril 1899.

Au cours des toutes dernières années de ce siècle, Olga Janáček, la fille de Leoš, entra à la société Vesna. Y entraina-t-elle sa jeune amie et voisine Fedora Bartosova ou fut-ce celle-ci qui la décida à fréquenter cette société ? Olga disparue le 23 février 1903, son père en choisissant sa jeune amie pour librettiste de son nouvel opéra, Osud (le Destin), ne lui rendait-il pas un hommage indirect ?

Enfin, František Mares, qui resta Directeur de la société Vesna durant de longues années, devint un intime, tant de Leoš que de Zdenka. Il fut présent lors de plusieurs événements intéressant le couple Janáček et la musique de Leoš.

Frantisek Mares
František Mares

Cette société Vesna ne se contenta pas de ses activités culturelles, mais ses dirigeants, conscients de leur tâche, créèrent des établissements scolaires pour jeunes filles. Non seulement des écoles, mais également le premier lycée féminin. Une tâche généreuse s'inscrivant dans la volonté collective morave ! Au début de la rue Augustynka (rue Jaselska aujourd'hui - à deux pas du théâtre Na Veveri, n. 14 sur le plan), l'architecte Antonín Tebich (qui contribua à la création du Club des Amis de l'Art) édifia un bâtiment de style néorenaissance dont la façade fut embellie par Joza Uprka (1861 - 1940) de trois lunettes comportant des scènes populaires moraves. Ce peintre décora le hall d'entrée de deux panneaux muraux représentant des lavandières et des brodeuses et d'une fresque au plafond montrant des paysannes moraves.

Un tableau peint par Joza Uprka vers 1920
Un tableau peint par Joza Uprka vers 1920

Par cette attention portée à la beauté architecturale et à la qualité de la décoration, ces promoteurs de la culture morave exposaient au grand jour leurs principes pédagogiques : l'enseignement ne devait pas se couper de l'art.

Les forces vives moraves ne se satisfaisaient pas de simples manifestes ou de déclarations d'intentions pas plus que de projets sans suite. Ces forces vives créaient de véritables contre-pouvoirs culturels et politiques face à la domination autrichienne en organisant, dans le cas de la société Vesna, l'éducation des jeunes filles, non seulement de Brno, mais également de Bohème et Slovaquie voisines, tant l'aura de ces écoles rayonnait en dehors de la capitale morave. Lorsque les peuples tchèques gagnèrent leur indépendance en 1918, les premiers dirigeants de la république tchèque ne bâtirent pas sur un terrain vierge, mais ces établissements d'enseignement constituèrent une base extrêmement fructueuse et déjà riche d'expériences à l'organisation de la nouvelle vie scolaire et culturelle tchèque.

Joseph Colomb - septembre 2004

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