Besedni dum

En 1872 ou 73, un bâtiment fut édifié dans le Brno moderne. Le quartier du Vieux Brno était délaissé au profit du centre commerçant actif. Situé place Komenského, ce bâtiment, dénommé Besedni dum, "maison des sociétés", témoignait de l'exigence et de la volonté des habitants moraves de Brno, pourtant minoritaires dans la ville, de posséder un centre consacré à leur culture.

L'essor économique de Brno était considérable, semblable à celui de villes de l'Europe de l'ouest (France, Angleterre, Allemagne, Lombardie en Italie, etc.). La révolution de 1848, si elle n'avait pas entamé le pouvoir impérial autrichien avait quand même modifié sérieusement l'organisation sociale ancienne héritée du féodalisme. Des usines s'installèrent : fabrique de vêtements, des tanneries, des usines textiles de tissage, des usines métallurgiques, etc... Les moyens de communication se développèrent en direction des pays autrichiens, mais également en direction des pays tchèques de Bohème. Ce développement économique nécessita une modification urbanistique de Brno. Les remparts obsolètes démolis, le paysage urbain se modernisa. Et la culture ne fut pas oubliée. L'architecte autrichien, d'origine danoise, Teofil Hansen, édifia ce bâtiment, Besedni dum, qui devint le bâtiment symbole de l'émergence de la culture morave. Un peu plus de dix années plus tard, les Moraves inaugurèrent leur propre théâtre avec le bâtiment de la rue Veveri. Le développement se poursuivait à Brno non seulement sur le terrain économique, mais également sur le terrain culturel avant de s'étendre à l'enseignement. Ce fut bien l'absence d'une Université tchèque qui causa les manifestations et contre-manifestations en octobre 1905 et qui coûtèrent la vie à František Pavlik, un jeune ouvrier. Cet événement tragique motiva Janáček pour la composition d'une oeuvre pour piano, la Sonate, qu'il lui dédia.

Avant d'évoquer le rôle que joua cet établissement dans la vie musicale de Janáček, signalons qu'un épisode important de la vie personnelle de Leoš s'y déroula. Le 13 juillet 1881, après la cérémonie religieuse du mariage, une réception y fut organisée au cours de laquelle les invités dansèrent au son de la musique jouée par des musiciens de l'orchestre du Théâtre allemand. La musique accompagnait décidément les jours ordinaires comme les jours de fête !

Cette salle de concert fut le lieu de multiples manifestations culturelles et musicales. Janáček y dirigea nombre de concerts. Plusieurs oeuvres du compositeur virent leur première audition publique dans ce bâtiment, dès juillet 1873, alors que ce bâtiment venait juste d'être mis en service. Il convient de citer la création, tout d'abord de quatre oeuvres dont la composition venait d'être achevée depuis peu, fait rare dans la vie du compositeur, Valecna 1 et Valecna 2 (Chant de guerre), le 5 juillet 1873, la Suita pour cordes, le 2 décembre 1877 et Idylla (Idylle) pour cordes également le 15 décembre 1878. Ces deux dernières oeuvres étaient dirigées par Leoš Janáček, lui-même, à la tête de l'ensemble orchestral de la Beseda brnenska. Antonín Dvořák était présent à la création de cette dernière oeuvre dont j'ai déjà écrit qu'elle se trouvait dans la descendance de sa Sérénade pour cordes, opus 22 (ainsi que la première composition pour cordes). Nul doute que le compositeur de Russalka ressentit l'hommage que lui adressait son jeune confère à cette occasion. Dans cette même salle, les mélomanes de Brno eurent la primeur de nouvelles oeuvres inspirées par les collectes de musique populaire morave : en 1889, deux danses valaques, en 1892, des danses hanaques et deux chants avec accompagnement orchestral, Komari se Zemli (Les moustiques se marient) et Zelené sem sela (J'ai semé la verdure) que le compositeur utilisa dans la scène 5 du premier acte de Jenufa.

Au cours d'une séance, le 10 janvier 1900, Kolo srbské (Kolo serbe) et Kosacek (danse cosaque) deux danses composées pour l'occasion, permirent au public présent de voir évoluer, parmi les soixante quatre danseurs, Olga, la propre fille de Janáček et son amie Marie Veveritsa, son jeune professeur de russe. En cette même année 1900, mais en novembre, une autre danse fut dévoilée aux oreilles des auditeurs, Pozehnany, composée l'année auparavant. Le 17 mars 1901, on entendit un choeur de 1885, Kacena divoka (le canard sauvage).

Ludmila Tuckova, professeur de piano à l'École d'orgue, interpréta, dans les murs de Besedni dum, en première audition, le 27 janvier 1906, les deux mouvements survivants de la Sonate inspirée à Janáček par les événements dramatiques qui s'étaient déroulés devant cette salle de concert trois mois plus tôt.

Besedni Dum (1890)
Le bâtiment à la fin du XIXème siècle.
À l'arrière-plan, la cathédrale Saint Pierre et Saint Paul domine une partie de la ville.

Besedni dum accueillit une nouvelle création le 21 octobre 1924, un sextuor pour instruments à vents, Mladi (Jeunesse), exécuté par des professeurs du Conservatoire de musique de Brno, nouvellement fondé. Les auditeurs entendirent pour la première fois, toujours en 1924, mais le 2 décembre, les six Lasské tance (Danses de Lachie) une composition remontant à plus de trente ans en arrière, 1889 ! Puis ce furent les deux versions successives de Rikadla (Comptines enfantines) qui y virent le jour le 26 octobre 1925 pour les huit pièces composées à ce moment-là et le 25 avril 1928 pour la révision comportant l'ajout de onze nouvelles pièces. Le concertino pour piano et six instruments, composé en 1925, fut créé le 19 février de l'année suivante.

Enfin, ce bâtiment hébergea les quatre instrumentistes du Quatuor Morave qui créèrent le 7 septembre 1928 une des dernières oeuvres de Janáček, son deuxième quatuor à cordes, Listy duverné (Lettres intimes) alors que le compositeur s'était éteint le 12 août précédent. Ce splendide quatuor fut révélé à un auditoire convié à ce concert sur invitation, les exécutants rendant un dernier hommage au compositeur morave, au chef d'orchestre, au chef de choeur qui, des années durant avait si activement agi pour faire rayonner la musique tchèque et les grandes oeuvres musicales européennes.

Depuis le milieu du vingtième siècle, ce bâtiment abrite les activités et les concerts de l'orchestre philharmonique d'État de Brno.

Besedni Dum (2004)
Actuellement, ce bâtiment Besedni dum abrite l'orchestre philharmonique de Brno.

Joseph Colomb - mai 2004

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