L'histoire de la musique doit à Jeannette Thurber,
riche
citoyenne new-yorkaise, la fondation d'un Conservatoire National en
1885. Elle confie la direction de cette institution
privée au baryton franco-belge Jacques Bouhy (1848-1929),
qui
délaissera le poste au bout de quatre années. Le
Conservatoire est donc sans directeur attitré lorsque
Jeannette
Thurber se met à la recherche d'un compositeur suffisamment
talentueux pour permettre la naissance d'une véritable
musique
nationale américaine.
La pianiste Adele Margulies consulte les milieux musicaux
européens et arrête son choix sur deux noms :
Antonín Dvořák et le jeune Jean Sibelius. Ce
dernier
n'est pas encore, loin de là, le grand compositeur qu'il
allait devenir quelques années plus tard, mais son talent
prometteur a déjà impressionné ses
professeurs,
dont
le Hongrois Karl Goldmark. Quant à Dvořák, il
s'agit tout
simplement
de l'un des compositeurs les plus connus et estimés de cette
époque. Le fait qu'il soit encore relativement jeune, qu'il
maîtrise tous les genres musicaux, qu'il parle anglais, qu'il
soit habitué à diriger ses oeuvres en terre
étrangère et, en
définitive, qu'il ait su exploiter admirablement les airs
populaires de son pays natal dans des formes savantes
ont sans doute été déterminants pour
l'invitation
officielle.
Dvořák reçoit, le 6 juin 1891, un
étrange
télégramme. Il est rédigé
en anglais mais
provient de Paris, expédié par
Jeannette Thurber :
« Accepteriez-vous position Directeur Conservatoire National de Musique New York octobre 1892. Aussi diriger six concerts de vos œuvres. »
Cette offre le laisse perplexe : il n'a jamais
assuré une tâche si importante, ni
quitté son pays
pour une longue période. Mais Antonín
Dvořák pense
aussi aux finances familiales. Malgré le succès,
il n'est
pas riche. Il a encore à l'esprit les récents
démélés avec Simrock,
l'éditeur prussien,
puis avec Littleton, l'éditeur anglais
propriétaire de
Novello, au sujet de ses honoraires. Et aujourd'hui, il a une famille
de six enfants et se préoccupe aussi de son vieux
père...
Il hésite longuement. Il consulte
ses amis, discute âprement les termes du contrat,
aidé en
cela par Alfed Littleton, trouve en son
fidèle ami Karel Bendl un remplaçant au poste de
professeur de composition au Conservatoire de Prague qu'il a
accepté d'honorer depuis peu. Mais il interroge aussi sa
famille
en mettant la décision de quitter la Bohême au
vote
à main levée...
Le
vote est favorable : Dvořák accepte l'offre de Jeannette
Thurber. Sa prise
de fonction est prévue pour septembre 1892. Pendant les
premiers
mois de cette année, il effectue une importante
tournée
dans les pays tchèques pour jouer, avec ses complices Emil
Lachner et Hanuš Wihan, ses oeuvres de musique de
chambre
et surtout son Trio Dumky.
Le 17 septembre 1892, il embarque sur le S. S. Saale au
départ
de
Brême à destination
de New York. Son épouse Anna, et deux de ses enfants, le
petit
Antonín et l'aînée Otylie,
l'accompagnent.
Installé aux USA, Dvořák voit ses craintes en partie confirmées. Le mal du pays est profond et il a du mal à trouver ses repères dans cette immense contrée. Ce sentiment est heureusement tempéré par l'émerveillement du Tchèque devant tant de nouveautés. La nature naïve de ce passionné de chemins de fer trouve bientôt des raisons de s'exalter devant les locomotives de la Western Union et la mécanique complexe des bateaux à vapeur, qu'il vient visiter fréquemment dans le port de New York.
Comme l'écrit lui-même Dvořák
à Jindrich
Geisler au début de l'année 1893 : "il me semble
que le
sol américain aura un effet bénéfique
sur mes
pensées, et je dirais presque que vous entendrez
déjà quelque chose de cela dans cette nouvelle
symphonie".
Mais le plus important sans aucun doute, le déclic
qui
donnera à la période américaine de
Dvořák
cette saveur si particulière que l'on ne trouve nulle part
ailleurs dans l'œuvre du Tchèque, est la
découverte
des musiques des Indiens et des Noirs.
Le contact de Dvořák avec ces musiques se fait principalement par l'intermédiaire d'œuvres de compositeurs blancs. Il découvre ainsi les chansons du compositeur populaire Stephen Collins Foster. Dvořák écoute par ailleurs avec intérêt les chants de ses élèves Noirs. C'est dans ce contexte qu'il commence, en janvier 1893, sa neuvième symphonie.
Le compositeur affirmait que cette symphonie est "essentiellement différente de mes œuvres précédentes", "peut-être un peu Américaine", et que "elle n'aurait jamais été écrite ainsi s'il n'avait jamais vu l'Amérique". Mais précisons d'emblée que le Tchèque a qualifié de "mensonge" l'affirmation selon laquelle il y ait introduit des mélodies authentiques américaines. Cela ne doit pas nous étonner, car l'esprit de cette symphonie s'inscrit totalement dans la continuité de ses compositions.
Dvořák, simple musicien du peuple comme il aimait se décrire, est toujours resté proche de ses origines modestes. Son art s'est employé à capter la quintessence des musiques populaires pour produire des œuvres "dans le ton national". Placé en situation de connaître la musique américaine, c'est tout naturellement que Dvořák s'imprègne de ses spécificités. Une autre raison de l'intérêt de Dvořák pour la musique des Noirs est certainement leur nostalgie omniprésente, qui lui rappelaient sa propre douleur d'exilé volontaire. On peut aussi imaginer que le Tchèque, faisant partie d'une nation sous tutelle austro-hongroise, dépréciée par les Allemands, voyait dans le racisme dont les Noirs et les Indiens étaient victimes aussi un peu l'histoire de sa propre nation.
Le mot "slave" ne vient-il pas d'"esclave" ?
Un élément essentiel pour comprendre l'état d'esprit de Dvořák au cours de sa prise de contact avec les Etats-Unis est le poème d'Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), "Le Chant de Hiawatha", une oeuvre connue depuis longtemps dans sa traduction tchèque par le musicien.
Ce long poème en vers libres est, avec les ouvrages de Fenimore Cooper, l'un des fondements de la "littérature d'inspiration indienne" du XIXème siècle. Il s'agit d'une œuvre évocatrice de la vie d'un Indien, Hiawatha. "Le Chant de Hiawatha" est une œuvre envoûtante, très imagée et émouvante, pétrie d'émerveillements panthéistes. Dvořák a indiqué que la Symphonie du Nouveau Monde, première des œuvres composées en Amérique, a été en partie inspirée par ce poème, précisément par les passages des danses (noces de Hiawatha) et des funérailles dans la forêt.
Mais on peut aussi se demander à quel point Dvořák n'a pas cherché à reproduire des procédés de l'écriture poétique de Longfellow, comme la répétition de certains vers qui donnent un véritable rythme musical au poème. Dvořák s'en est-il souvenu en répétant fréquemment les mêmes motifs mélodiques et rythmiques dans sa symphonie, lui conférant de la sorte une solide unité, mais aussi contribuant à lui donner cet inimitable parfum américain ? Ainsi, le rythme du 3ème thème du mouvement initial correspond parfaitement à la pronciation du mot Hiawatha : les quatres syllabes "ha-ia-wa-tha" suivent un rythme appelé "scotch snap", formé selon une métrique "longue - brève - brève - longue". Chercher dans cette œuvre littéraire un canevas pour la musique est sans doute excessif, quoique cette hypothèse puisse être discutée (voir l'ouvrage de M. Beckerman en fin d'article). Le genre de la symphonie appartient à la musique pure, dans lequel le compositeur ne cherche pas à s'appuyer sur un programme littéraire. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'au retour de "l'aventure américaine", en 1896, Dvořák utilisera à la lettre la musique de la phrase parlée pour composer son fantastique poème symphonique Vodnik op. 107 (L'ondin, d'après un poème de Karel Jaromir Erben).
Quant à l'œuvre de Longfellow, elle inspirera durablement Dvořák puisque le Tchèque pensera à plusieurs reprises à composer un opéra sur le chant de Hiawatha. Ce projet malheureusement inabouti porte le numéro de catalogue B 430.
C'est donc sous l'emprise de ces sentiments violents et contradictoires qu'Antonín Dvořák compose sa neuvième et dernière symphonie. Elle comporte, classiquement, quatre mouvements : Adagio - Allegro Molto, Largo, Scherzo - Molto Vivace et Allegro con fuoco.
L'introduction mystérieuse est brutalement
interrompue par
des interventions forte des cors puis des cordes,
appuyées par les timbales. Le premier mouvement
enchaîne
sur un Allegro Molto
très entraînant. Le caractère
"américain" du
thème initial (mesure 24), au rythme pointé, nous
plonge
aussitôt dans une ambiance mouvementée. Nous
pouvons
ressentir l'émerveillement du nouveau venu dans cette
contrée si différente, le tourbillon de la vie
américaine et peut-être aussi les
trépidations des
locomotives et des bateaux à vapeur. Un second
thème
nostalgique (mesure 91) s'apparente à un rythme de polka. Un
troisième thème (mesure 149) sera même
introduit de
façon
suprenante par la flûte solo - une entorse à la
forme
sonate qui, à
l'époque, disqualifia la partition auprès de certains
milieux conservateurs français...
Très lumineux, ce premier mouvement introduit de
façon
habile les thèmes musicaux qui parsèment la
symphonie, de
façon cyclique. Une fougueuse coda termine de brillante
façon ce mouvement initial.
Avec le Largo, Dvořák plonge l'auditeur dans un recueillement qui tranche totalement avec l'allure exubérante du mouvement précédent. Dvořák a expliqué que ce mouvement, à l'origine intitulé "Légende", fut inspiré par la poignante scène des "funérailles dans la forêt" du poème de Longfellow. Ce passage est extrait du chapitre XX : Hiawatha est parti chasser au milieu de la forêt désolée, en plein hiver ; il doit à tout prix ramener de quoi manger au foyer, car la famine sévit, et son épouse Minehaha ("Eau-riante") souffre d'inanition.
Chap. XX La famine (extrait) | Chap. XX The famine (extrait) |
… Et le malheureux Hiawatha, Loin au milieu de la forêt, Très loin au milieu des montagnes, Entendit le soudain cri d'angoisse, Entendit la voix de Minnehaha L'appelant dans l'obscurité, "Hiawatha! Hiawatha! " |
…. And the desolate Hiawatha, Far away amid the forest, Miles away among the mountains, Heard that sudden cry of anguish, Heard the voice of Minnehaha Calling to him in the darkness, "Hiawatha! Hiawatha!" |
Par les champs
enneigés et
désolés, A travers les branches recouvertes de neige, Hiawatha revint en hâte, les mains vides, le cœur gros, Il entendit Nokomis, gémissant, pleurant: "Wahonowin! Wahonowin! Il vaudrait mieux que j'aie péri à ta place, Il vaudrait mieux que je sois morte comme tu l'es! Wahonowin! Wahonowin!" |
Over
snow-fields waste and pathless, Under snow-encumbered branches, Homeward hurried Hiawatha, Empty-handed, heavy-hearted, Heard Nokomis moaning, wailing: "Wahonowin! Wahonowin! Would that I had perished for you, Would that I were dead as you are! Wahonowin! Wahonowin!" |
Et il s'est
précipité
dans le wigwam, a vu la vieille Nokomis doucement se balancer d'avant en arrière en gémissant, Il a vu sa belle Minnehaha Etendue morte et froide devant lui, Et, son cœur en éclatant dans sa poitrine, Poussa un tel cri de douleur, Que la forêt gémit et frissonna, Que les étoiles mêmes dans le ciel S'émurent et tremblèrent de son angoisse. Alors il s'est assis, toujours sans rien dire, sur le lit de Minnehaha, aux pieds d'Eau-Riante, à ces pieds chéris, qui jamais plus ne courraient légèrement à sa rencontre, Qui jamais plus ne le suivraient légèrement. Avec les deux mains il se couvrit le visage, Sept long jours et sept longues nuits il resta assis là, Comme sans conscience il restait là, Sans voix, immobile, sans connaissance Du jour ou de la nuit. |
And he rushed
into the wigwam, Saw the old Nokomis slowly Rocking to and fro and moaning, Saw his lovely Minnehaha Lying dead and cold before him, And his bursting heart within him Uttered such a cry of anguish, That the forest moaned and shuddered, That the very stars in heaven Shook and trembled with his anguish. Then he sat down, still and speechless, On the bed of Minnehaha, At the feet of Laughing Water, At those willing feet, that never More would lightly run to meet him, Never more would lightly follow. With both hands his face he covered, Seven long days and nights he sat there, As if in a swoon he sat there, Speechless, motionless, unconscious Of the daylight or the darkness. |
Alors ils enterrèrent Minnehaha; Dans la neige une tombe ils lui firent Dans la forêt profonde et sombre Sous les fleurs plaintives; Ils la vêtirent de ses plus riches vêtements Ils l'enveloppèrent dans ses robes d'hermine, La recouvrirent de neige, comme l'hermine; Ainsi ils enterrèrent Minnehaha.... |
Then they buried Minnehaha; In the snow a grave they made her In the forest deep and darksome Underneath the moaning hemlocks; Clothed her in her richest garments Wrapped her in her robes of ermine, Covered her with snow, like ermine; Thus they buried Minnehaha.... |
Si l'inspiration est, du moins en partie, littéraire et "indienne", certains procédés sont proches du Negro Spiritual.
L'introduction par le choral des vents, une sorte d'équivalent de l' "Il était une fois..." des légendes, laisse bientôt la voix au cor anglais solo pour une touchante et délicate mélodie. Excellent orchestrateur, Antonín Dvořák aurait choisi le cor anglais pour une raison précise : cet instrument lui rappelait sans doute la voix de l'un de ses élèves favoris, Harry Burleigh, qui lui chantait souvent des chants d'esclave.
L'épisode suivant (lettre B) s'anime : la flûte et le hautbois, à l'unisson, y expriment non plus la nostalgie mais la douleur de la séparation. Les violons (lettre C) reprennent ce thème qui atteint des sommets de lyrisme ; mais la résignation finit par l'emporter (mes. 78). Le soutien des violoncelles, qui jouent pianissimo avec des tremolos, évoque de façon extraordinairement suggestive des chœurs d'hommes en arrière-plan. La mélodie s'éteint naturellement.
Mais la nature foncièrement optimiste de Dvořák reprend le dessus : le hautbois, la flûte et la clarinette apportent une brève éclaircie. Pendant une poignée de seconde, nous sommes revenus en Bohême, au milieu des roucoulements de pigeons que Dvořák aimait tant. Nous pouvons presque croire au début d'une danse slave quand éclate en un accord majestueux le thème du Nouveau Monde. Le cor anglais réexpose alors le thème initial de ce magnifique mouvement, qui se conclut comme il avait commencé, dans la solennelle sérénité des "accords maçonniques" des vents.
Brutal retour sur terre : le scherzo démarre forte et avec une grande acuité rythmique, à la façon de Beethoven dans le scherzo de sa 9ème symphonie. Nous retrouvons instantanément l'atmosphère fiévreuse du premier mouvement.
Dvořák a indiqué que ce scherzo devait évoquer une "scène dans la forêt où les Indiens dansent".
La fête de
mariage de Hiawatha (chapitre XI, extrait) |
Hiawatha's Wedding-Feast |
Au son des
flûtes et du chant, Au son des tambours et des voix, Se leva le beau Pau-Puk-Keewis, Et il commença ses danses mystiques. |
To the sound of
flutes and singing, To the sound of drums and voices, Rose the handsome Pau-Puk-Keewis, And began his mystic dances. |
D'abord il
dansa une mesure
solennelle, Au pas et au geste très lent, Se glissant parmi les pins, A travers les ombres et le soleil, Marchant délicatement comme une panthère, Puis plus vite et encore plus vite, Tourbillonnant, tournoyant en cercles, Sautant par-dessus les invités réunis, Tourbillonnant en cercles autour du wigwam, Jusqu'à ce que les feuilles se mettent à tourbillonner avec lui, Jusqu'à ce qu'ensemble la poussière et le vent Balayent tout alentour par leurs remous tournoyants. |
First he danced
a solemn measure, Very slow in step and gesture, In and out among the pine trees, Through the shadows and the sunshine, Treading softly like a panther, Then more swiftly and still swifter, Whirling, spinning round in circles, Leaping o'er the guests assembled, Eddying round and round the wigwam, Till the leaves went whirling with him, Till the dust and wind together Swept in eddies round about him. |
Le délicat trio central est cependant d'inspiration européenne, évoquant une sousedská, danse tchèque. Il s'agit d'un îlot de lyrisme et de sérénité, où l'on peut de nouveau se croire en Bohême au coeur de la nature. Mais l'urgence de ce mouvement prend rapidement le dessus. Le scherzo se termine de façon dramatique, sur un ralentissement presque cinématographique et un accord tranchant.
Malgré les beautés des parties précédentes, c'est par cet ultime mouvement que la symphonie de Dvořák a pu enthousiasmer un si large public. Son introduction spectaculaire et dramatique - une vertigineuse ascension des violons, prodigieuse d'intensité - aboutit à l'exposé ff du thème "américain" enfin dans son intégralité. Le thème est repris par les cuivres, soutenus par des accords telluriques des violons, puis par les cordes seules. L'agitation de cette première partie laisse la place à une intime mélodie de la clarinette.
Ce mouvement constitue à la fois la synthèse des éléments déjà exposés dans la symphonie et leur aboutissement. On y retrouve les influences européennes et "locales", y compris un rythme obstinato proche du cake-walk écossais.
Tantôt impétueux, tantôt lyrique ou méditatif, ce mouvement s'achève dans un mode majeur inattendu, sur une longue note jouée par tout l'orchestre et qui s'éteint pianissimo.
Il est indéniable que par cette symphonie un style américain est créé. Les milieux musicaux des Etats-Unis reconnurent immédiatement dans cette symphonie la première grande oeuvre à avoir été composée sur leur sol. Dvořák restera désormais comme un précurseur par son intérêt alors incompréhensible pour les musiques noires. Les conséquences du succès de cette symphonie dépassent le seul cadre artistique, en provoquant une subite prise de conscience de la richesse du patrimoine autochtone et en combattant à sa manière les préjugés racistes, donnant ses lettres de noblesse à des cultures jugées jusqu'alors inférieures. Soulignons également l'importance de ce fait : les Américains se détournent enfin des modèles artistiques européens. La vie musicale est dominée par Wagner et les autres grands compositeurs du Vieux Continent ? Après le séjour de Dvořák apparaîtront les premières gloires de la musique américaine, Copland, Gerschwin, Ives, Duke Elliginton... Tous ces noms étant liés, de près ou de loin, à l'enseignement de deux années du compositeur tchèque à New York, et tous ayant choisi d'exploiter leur propre patrimoine culturel.
Qu'en est-il de nos jours ? Il ne faut pas perdre de vue que nous écoutons la Symphonie du Nouveau Monde à travers un siècle de compositions américaines, de jazz, de comédies musicales, de musiques de films. C'est donc rétrospectivement que cette musique sonne à nos oreilles comme étant américaine, car elle nous renvoie à des références qu'elle a elle-même influencées.
Comme c'était déjà le cas pour la huitième symphonie, cinq années plus tôt, Dvořák se démarque de ses contemporains. A la même époque, Piotr Illitch Tchaïkovski compose la Symphonie Pathétique, sorte de cri de désespoir s'achevant par un Adagio d'une grande tristesse. La monumentale Résurrection, seconde symphonie de Gustav Mahler, comme la mystique Neuvième Symphonie du "Ménestrel de Dieu" Anton Bruckner, ne sont pas encore terminées. Le message d'espoir dvořákien est un singulier et salutaire soleil au milieu du romantisme finissant.
Mais l'essentiel est ailleurs. Dvořák exprime dans sa symphonie l'universalité des sentiments, de la douleur, de la nostalgie. Peu importe l'appartenance à une culture, à une nation ; la douleur d'un Indien n'est pas moins véridique et respectable que la nostalgie d'un esclave noir, ou d'un paysan tchèque. Seul en définitive compte l'Homme, au-delà des cultures, au-delà des différences et des destins.
Le fait que cette symphonie ait été
revendiquée
par de multiples cultures est révélateur. Message
de
fraternité, assurément ; musique
sincère, sans
fard, issue d'un homme simple dépourvu de snobisme. La
première audition de cette
symphonie est pratiquement contemporaine du début de
l'Affaire
Dreyfus, en France. Cela n'est assurément pas une simple
coïncidence.
(Alain Chotil-Fani)
Une étude du musicologue américain Michael Beckerman, en 2003, ouvre des nouvelles perspectives passionnantes sur cette symphonie si connue et pourtant très mystérieuse. Un incontournable pour qui souhaite approfondir sa connaissance de l'oeuvre : après avoir lu ce livre, on ne pourra jamais plus écouter la Symphonie du Nouveau Monde de la même manière....
En comparaison avec cette étude américaine, on ne peut que regretter la faiblesse des rares publications (actuellement disponibles, novembre 2005) consacrées à Dvořák en langue française au sujet de cette symphonie. En outre il n'est hélas pas rare de trouver des erreurs importantes dans les notices françaises accompagnant les enregistrements de la partition. La plus grande prudence s'impose au sujet de ces sources, même réputées "de référence".
Nous proposons également notre article en ligne "16 décembre 1893 : ce jour-là, notre monde changea".
Voir aussi cet intéressant dossier avec discographie illustrée : http://patachonf.free.fr/musique/dvorak/index.htm