George Enescu (1881 - 1955)

Le compositeur

Orchestral

Aujourd'hui encore, les oeuvres les plus connues d'Enescu sont en fait des oeuvres de jeunesse.

C'est le cas du Poème Roumain op.1 de 1897 (Enescu n'avait alors que 16 ans), créé l'année suivante à Paris - avec un fracassant succès - aux Concerts Colonne.

Mais c'est surtout la première Rhapsodie Roumaine (1901) qui emporte l'adhésion des plus hésitants. Cette pièce brillante et virtuose utilise avec brio les danses populaires roumaines, dont le fameux chant de l'alouette (ciocârlia). Hélas ! cette oeuvre a non seulement considérablement occulté le reste de la production d'Enesco - à l'exception peut-être du Poème Roumain - mais a créé un véritable malentendu quant au véritable style du compositeur. Voir l'article consacré aux Rhapsodies Roumaines sur le site "Souvenirs des Carpates".

La seconde Rhapsodie Roumaine, bien plus sereine que sa grande soeur, n'a pas la même popularité. Cette seconde rhapsodie s'approche davantage du rythme nostalgique de la doina roumaine, alors que la première évoquait une hora (ronde). Toutefois, la force émotive contenue dans cette oeuvre la rend bien plus aboutie que la première rhapsodie, à condition qu'elle soit correctement interprétée, ce qui n'est pas toujours le cas même pour un disque souvent cité comme référence.

Certaines notices de disques mentionnent une troisième rhapsodie roumaine : il s'agit tout simplement d'une légende.

Contemporaine des deux Rhapsodies Roumaines, la symphonie Concertante pour violoncelle et orchestre est beaucoup moins réputée (et enregistrée). Cette oeuvre parfois passionnante et parfois déroutante a heurté le public parisien qui lui décerna la titre de "symphonie déconcertante".

Les trois symphonies, sans doute difficile d'accès, recèlent des trésors d'invention et de rhapsodisme. Curieusement, eles sont toutes en trois mouvements. La première symphonie en mi bémol majeur op.13 (1905) est dédiée à Alfredo Casella. Elle possède une écriture d'une étonnante richesse : un premier mouvement à l'entrain irrésistible, un mouvement lent onirique et envoûtant, un finale Vif et rigoureux à l'écriture complexe. La seconde symphonie en la majeur op. 17 (1912 - 1914) est l'exacte contemporaine du Sacre du Printemps de Stravinsky ou des GurreLieder de Schönberg. Dès les premières mesures l'auditeur peut se rendre compte de l'évolution du langage musical d'Enesco, à la plume foisonnante. Cette écriture opulente (sur plus de 50 minutes, la plus longue des oeuvres symphoniques d'Enesco) a donné le jour à une oeuvre passionnante, malgré son caractère assez abrupte. Le dernier mouvement pose à lui seul un véritable défi à l'auditeur. La troisième symphonie en do majeur, op.21 (1916 - 1918) est un autre sommet. Cette symphonie - que l'on a pu rapprocher de la Divine Comédie de Dante - fait appel à des effectifs hors du commun : à l'orchestre viennent s'adjoindre un piano, un orgue et un choeur. Aux tourments parfois paroxysmiques des deux premiers mouvements - évocation du chaos de la Grande Guerre ? - répond un finale Lento, ma non troppo d'une profonde noblesse. Les accents quasi mystiques de cette conclusion annoncent un autre chef-d'oeuvre de la maturité, le tardif poème symphonique Vox Maris. Les symphonies 4 et 5 sont restées inachevées et ont fait l'objet d'une reconstitution par Pascal Bentoiu. Il existe aussi quatre symphonies de jeunesse qu'Enesco composa au cours de ses études.

Les suites pour orchestre sont au nombre de trois. La première suite en do majeur op. 9 (1903) doit une certaine notoriété à son premier mouvement entièrement joué à l'unisson. Enesco joue habilement avec les contrastes et les harmonies tout au long de cette oeuvre qui s'achève dans une "sorte de tarentelle fantastique", comme l'a décrit le compositeur roumain. La deuxième suite en do majeur op. 20 (1915) fut composée dans l'esprit des compositeurs des 16ème et 17ème siècle. Mais les critiques virent aussi dans cette oeuvre un hommage à Bach et à Beethoven (dans le rondo final Tempo di Bourrée). Il est remarquable que le premier mouvement prend l'exact contrepied du prélude de la première suite : Enesco y déploie tout son art de la polyphonie en une vaste fugue à six voix. Plus de vingt années plus tard voit le jour la troisième suite op. 27 "paysanne" (1938). Cette suite de tableaux (Renouveau champêtre, Gamins en plein air, La vieille maison de l'enfance...) exprime la nostagie - le dor,  ce trait de caractère dont  les romantiques aimaient à caractériser volontiers l'âme roumaine  - du compositeur pour son pays natal. Une nouvelle fois nous ne pouvons qu'admirer la riche écriture orchestrale aux sonorités inouies - le cri des corbeaux dans le 3ème mouvement ! - de cette suite qui s'achève dans l'apothéose de Danses Rustiques aux rythmes irréguliers.

Certains thèmes de la 3ème suite pour orchestre se retrouvent dans l'Ouverture de concert sur des thèmes dans le caractère roumain op. 32 de 1948. Cette pièce assez dense est entachée d'une certaine gravité qui surprend ceux qui s'attendent à une nouvelle Rhapsodie Roumaine.

Le poème symphonique Vox Maris op.31 (1950), fruit d'une gestation de vingt années - les premières esquisses datent de 1929 - est resté inachevé. Le langage d'Enesco y est proche de la 3ème symphonie ou de l'opéra Oedipe. Le compositeur concilie avec bonheur la complexité de l'écriture musicale avec certaines sonorités archaïques. Cette oeuvre décrit une tragique aventure, une histoire de sacrifice à la manière des anciens grecs : par une mer démontée, un marin vole au secours de navires en détresse. Mais il disparaît lui-même dans la tourmente. La nuit tombe sur la mer rassasiée et les vagues viennent doucement mourir sur la grève. Cette partition pour orchestre, choeur et ténor peut être chantée en roumain ou en... breton.

A l'instar de Vox Maris, le Caprice Roumain pour violon et orchestre a occupé Enesco de nombreuses années et est resté inachevé. Nous devons sa reconstitution au compositeur Cornel Taranu. Cette pièce est moins légère que ne le laisse entendre son titre. Enesco a cherché à reproduire le jeu des bandes de musiciens, avec bien évidemment le violoniste en soliste. Le résultat est un véritable enchantement. La musique passe du taraf festif à la méditation douce-amère, à la manière de la dumka dvorakienne; le burlesque y côtoie le sublime, et l'humour n'est jamais absent. Cette oeuvre concertante (qui s'étend sur moins de 30 minutes) a tous les atouts pour conquérir un large public et favoriser la connaissance du reste de la musique d'Enesco. Nul doute que le final endiablé (pauvre soliste...) saurait ravir les oreilles des plus blasés ! Voir l'article consacré au Caprice Roumain sur le site "Souvenirs des Carpates".

L'ultime oeuvre d'Enesco est la symphonie de chambre op.33 de 1954, dont l'orientation résolument moderne a inspiré toute une génération de compositeurs roumains. Harry Halbreich a souligné que la modernité du langage d'Enesco a toujours existé, de façon sous-jacente. Dans cette symphonie de chambre, elle affleure, d'où l'aspect avant-gardiste de cette musique.

Orchestral
Poème Roumain
Rhapsodie n.1
Rhapsodie n.2
Symphonie concertante
Symphonie n.1
Symphonie n.2
Symphonie n.3
Suite n.1
Suite n.2
Suite n.3
Ouverture de concert
Vox Maris
Caprice Roumain
Symphonie de chambre


Chambre
Sonate violon et piano n.1
Sonate violon et piano n.2
Sonate violon et piano n.3
Octuor
Dixtuor
Impressions d'enfance
Quatuors
Sonate pour piano n.1
Sonate pour piano n.2
Sonate pour piano n.3
Sonate pour violoncelle et piano n.1
Sonate pour violoncelle et piano n.2

Vocal
Oedipe
Mélodies

DiversDanseurs paysans

 

Musique de chambre

C'est en 1900, à l'âge de 19 ans, que le compositeur roumain termine son octuor pour cordes op.7. La composition de cet octuor est, avec celle de la seconde sonate pour violon et piano, un événement de première importance : l'émancipation du style d'Enesco qui "devenait lui-même" d'après son propre témoignage. En effet l'art d'Enesco est aisément perceptible dans cet octuor luxuriant et puissamment charpenté. Mais cette oeuvre marque aussi le premier divorce entre le compositeur et le public, réclamant de nouvelles Rhapsodies. Musique trop moderne, déjà, et même rejetée par les interprètes.

Le dixtuor pour vents op. 14 (1906) a toutefois été bien accueilli par la critique parisienne. Si le début de l'oeuvre est d'une tournure très brahmsienne, il s'agit néanmoins d'une composition très personnelle, aux accents typiques de Roumanie. La belle mélodie du second mouvement, au cor anglais et au hautbois, a fait les délices de nombreux mélomanes... et interprètes.

Des sonates pour violon et piano, seule la troisième et dernière op. 25 est restée au répertoire des grands violonistes de ce siècle. Si la première est encore romantique et inspirée par la musique française, la seconde plus personnelle mais a priori dénuée des caractéristiques roumaines si fréquentes chez Enesco, la troisième est en effet un des plus admirables aboutissement de son auteur. Composée en 1926, la troisième sonate pour violon est piano est intitulée "Dans le caractère populaire roumain" - Enesco a expliqué que par ce sous-titre, également employé pour son Enescu avec son élève Serge Blancouverture op. 32, il entendait exprimer le fait qu'il a cherché à concilier deux aspects "incompatibles" de la musique : la structure savante de la sonate, et la substance musicale, homologue à celle du folklore original. Du jeu 'improvisé' du violoniste émane une sorte de puissance hypnotique. Fascinant tableau de "l'atmosphère de la plaine roumaine la nuit" au début du 2ème mouvement... Selon le violoniste Serge Blanc, qui a travaillé cette oeuvre avec Enesco, cette sonate très complexe et très profonde exprime vraiment le fond de l'inspiration d'Enesco. On peut également rejoindre Serban Lupu lorsqu'il parle du plus beau des hommages qui soit aux lautars de Roumanie.
Par bonheur, le disque a conservé des enregistrements de cette oeuvre magnifiquement défendue par George Enesco lui-même, accompagné de son filleuil Dinu Lipatti. Il est impossible de ne pas mentionner les interprétations du jeune Yehudi Menuhin, avec sa soeur Hepzibah.

Plus de trente années séparent les deux quatuors à cordes, réunis sous le même numéro d'opus 22. Le premier d'entre eux (1921), présente, comme la seconde symphonie, des proportions étonnantes : plus de cinquante minutes ! Mais l'imagination constante, le souffle toujours renouvelé de cette oeuvre, suffisent à maintenir l'attention de l'auditeur en éveil. Le second quatuor, bien plus concis, à l'écriture plus dense et plus profonde, fait partie des chefs-d'oeuvres de la maturité (1952).

Les impressions d'enfance pour violon et piano op. 28 (1940) sont, comme la troisième suite pour orchestre, une évocation nostalgique de sa Roumanie natale. Cette suite de dix tableaux fait appel à toutes les ressources du violon pour jouer les rumeurs de la nature (souffle du vent, orage, écoulement d'une source...), les cris d'animaux (le chant du criquet et de l'oiseau en cage) ressenti par le jeune enfant. Cette oeuvre est dédiée à son professeur Eduard Caudella.

Lautar (violoniste)

 

Oeuvres vocales

Nous nous trouvons en présence de l'oeuvre souveraine d'un des plus grands maîtres: elle peut soutenir la comparaison avec les sommets de l'art lyrique. Cette partition est aussi éloignée des succédanés wagnériens que des pastiches debussystes ou puccinesques. Elle est d'une absolue originalité et d'une puissance dramatique tout simplement formidable...

L'auteur de cet éloge n'est certes pas le premier venu : il s'agit en effet d'Arthur Honegger, qui jugeait ainsi l'unique opéra d'Enesco, Oedipe. Le livret est de l'écrivain français Edmond Fleg (1874 - 1963).

L'histoire de cette tragédie lyrique en 4 actes est inspirée de la pièce de Sophocle Oedipe Roi. Sans le savoir, Oedipe tue son père. Il débarasse la cité de Thèbes de la sphynge et épouse sa propre mère, Jocaste. Quand il se rend compte de la réalité de son crime, il se crève les yeux et part en exil, chassé par les habitants de la cité.

L'opéra a été créé au Théâtre National de Paris le 13 mars 1936. Le critique Emile Vuillermoz encense l'oeuvre et l'art de compositeur d'Enesco : ... Il use des instruments avec une étonnante variété de technique, il leur demande des interventions isolées et inattendues, justifiées par leur seule couleur. Il ne se croit pas obligé de respecter ces rites et ces sortes de codes de convenances qui se sont implantés, peu à peu, dans les "familles" instrumentales. Rien n'est plus souple et plus souverainement libre que le métier d'Enesco... ("Candide", 19 mars 1936)

L'art d'Enesco s'exprime ici dans toute sa splendeur ; c'est dans cette oeuvre, celle qui était la plus chère au coeur de son auteur, que s'affirme sans doute le mieux l'étonnant pouvoir émotif que recèle cette musique à l'abord parfois austère, en apparence. Enesco nous livre véritablement une part de lui-même dans cet opéra. Il confiera plus tard à Bernard Gavoty, au sujet de l'affrontement entre le sphinx et Oedipe :

Au moment où Oedipe, devinant la réponse, déjoue le piège que la Sphynge lui tendait, il m'a fallu, grâce à la musique, aller au-delà de ce que les mots suggèrent, créer un état de tension presque insupportable. La Sphynge sent sa mort prochaine et elle ulule, comme une bête épiée par le chasseur. J'ai dû inventer ce cri, imaginer l'inimaginable. Quand j'ai posé la plume, après cette scène, j'ai cru que j'allais devenir fou.

Le chef Charles Bruck a dirigé Oedipe à Paris en 1955. Ardent défenseur de la musique d'Enesco, malgré l'opposition d'une partie de son orchestre, il a déclaré que l'on pouvait "tranquillement" (sic) compter Oedipe parmi les 5 plus remarquables chefs d'oeuvres du XXème siècle !

On pourrait s'interroger sur le choix de l'histoire d'Oedipe et sur le profond attachement qu'y portait Enesco. Nous pouvons imaginer que le destin hors du commun de ce premier enfant viable d'une mère qui en avait déjà perdu onze n'a pas été sans influence sur l'attirance et l'identification qu'Enesco portait à Oedipe...


Parmi les diverses mélodies composées par Enesco, il convient de citer les trois mélodies op.4 sur des vers de Jules Lemaître et de Sully Prudhomme (1897), les sept chansons de Clément Marot op.15 (1907-08), quatre mélodies sur des poèmes de Fernand Gregh op.19 (1915-16).
Les sept chansons de Clément Marot (Estrene à Anne - Languir me fais... - Aux damoyselles paresseuses d'escrire à leurs amys - Estrene de la rose - Présent de couleur blanche - Changeons propos, c'est trop chanté d'amours... - Du confict en douleur) sont d'un esprit très français, où la recherche d'un style d'époque est assez évidente, parfois très réussie,toujours fort agréable à écouter. (contribution de B. Laplante)

La Sphynge

 

Et Maintenant, réponds Oedipe, si tu l'oses,

Dans l'immense univers, petit par le destin,

Réponds, nomme quelqu'un ou nomme quelque chose,

Qui soit plus grand que le Destin

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L'homme !

L'homme!

L'homme est plus fort que le Destin !

 

Autres oeuvres

Parmi les autres oeuvres d'Enesco figurent quelques transcriptions d'oeuvres d'autres compositeurs. Leur intérêt est de nous renseigner sur les goûts du compositeur et violoniste roumain.

Albeniz

Rhapsodie Espagnole, transcrite pour piano et orchestre

Bach

Invention en si bemol majeur, transcrit pour orchestre à cordes

Mozart

Cadence du concerto n°7 (1907)

Paganini

Accompagnement de piano des caprices n° 6, 16 et 24 (1915)

Schubert

Trio n° 2, transcrit pour orchestre à cordes (1916)

 

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