La perception française de la musique de Janáček à travers les écrits (3)

La diffusion de la musique de Janáček en France
à travers les écrits par les disques par les concerts


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La revue Musica


musica-titre

Avant d'examiner la Revue musicale, penchons nous sur une de ses devancières, la revue Musica, première revue française - illustrée de photographies - consacrée à la musique qui parut mensuellement pendant 12 années, de 1902 jusqu'en 1914 sur 143 numéros et connut une existence plus réduite que celle de sa suivante. Un grand nombre de compositeurs et de musiciens français, et non des moindres, s'exprimèrent dans ces pages.

Un exemple probant de l'accueil ambigu et des rendez-vous manqués entre la musique française et celle des pays tchèque nous est donné par le numéro 127 d'avril 1913 de cette somptueuse revue Musica. Ses pages illustrées de photographies accueillirent un numéro presque entièrement dédié à la musique tchèque. Un événement rare dans la presse musicale de l'époque !

Le panorama commençait pourtant bien par le portrait en couverture de Smetana et en pleine page intérieure par celui d'Antonín Dvořák. L'article qui ouvrait la revue brossait un historique rapide, mais assez exact, de la situation des peuples tchèques depuis la défaite de la Montagne Blanche en 1620. Il signalait la qualité de la musique à l'époque baroque à travers les figures de Zelenka et Mysliveček. L'acte de naissance de la musique tchèque était signé par Bedřich Smetana à qui la revue réservait une pleine page un peu plus loin. Antonín Dvořák et Zdeněk Fibich, qualifiés de "deux plus grands musiciens tchèques de la génération venue après Smetana" furent placés sur un piédestal, compte tenu de l'importance qu'on leur accordait. Comme au premier nommé, on réserva une bonne page plus loin dans la revue, le signataire de l'article curieusement intitulé "l'activité musicale à Prague et en Bohême", Louis Thomas, se concentra sur Fibich dont il cita plusieurs opéras et poèmes symphoniques. De la génération suivante, l'auteur plaçait sur le devant de la scène trois personnalités, Karel Kovařovic, Vítĕzslav Novák et Josef Suk dont il détailla les principales œuvres. Il leur ajouta les noms de J-B Foerster et Nedbal. Parmi les valeurs montantes de la nouvelle génération, il citait Ostrčil, Karel, Křička, Vycpalek, Kunc et Štĕpán. Cet article étalé sur une double page s'illustrait avec six portraits photographiques de Fibich, Nedbal, Kunc, Zemánek, Kovařovic et J-B Foerster.

Présenté comme le chef de la jeune école musicale tchèque, un écrit de Vítĕzslav Novák occupait la page suivante. Le compositeur s'efforçait de définir les caractéristiques de la musique tchèque. S'il y reconnaissait l'influence de la musique allemande, il revendiquait "les fortes racines de la tradition nationale tchèque" et "la culture de l'esprit slave". Au Paganini tchèque, Jan Kubelik, une grande partie d'une page fut consacrée alors qu'Antonín Dvořák jouissait de la même surface un peu plus loin, mais le lecteur devait se contenter d'anecdotes peu significatives sur l'homme, ces anecdotes ne permettant pas de cerner la personnalité musicale du compositeur et ses apports dans la musique tchèque. Un autre journaliste parcourait la vie de Smetana, distinguant particulièrement son opéra La Fiancée vendue au milieu de plusieurs de ses autres opéras, Les Brandebourgeois en Bohême, Libuse, Les deux veuves, signalant la force du cycle de poèmes symphoniques Ma Vlast et ses deux quatuors.

Une autre pleine page fut dévolue à Vítĕzslav Novák au long de laquelle Raymonde Delaunois traçait la carrière du professeur du conservatoire de Prague qui exerçait "une influence considérable sur beaucoup de jeunes musiciens tchèques." Elle commenta ses ouvrages inspirés par la musique populaire slovaque, insista sur son raffinement musical, sur son métier "chez lui tout est solide, médité" et résuma son opinion le concernant par une déclaration qui quatre-vingt-dix ans plus tard ne s'est pas vérifiée : "Lorsque l'on connaîtra l'œuvre de Novak en France, il deviendra populaire comme Berlioz et Wagner le sont devenus chez nous et au delà du Rhin."

Après une présentation des artistes du Théâtre National de Prague accompagné de nombreux portraits et d'une double page de photographies de décors de plusieurs opéras tchèques, ce numéro se terminait par l'évocation de la musique populaire tchèque par le professeur Hanuš Jelínek, article rehaussé par deux tableaux du peintre morave Joza Uprka. Il cita tous les érudits des pays tchèques qui recueillirent des chansons populaires. Du Slovaque Jean Kollar aux Bohêmiens Čelakovsky et Erben, en passant par les Moraves Sušil et Bartoš, les grands collecteurs étaient au rendez-vous. Il alla jusqu'à préciser l'apport de F. Bartos avec ses "trois grands volumes" (de chants populaires) et précisa même que "le ministère de l'Instruction publique a nommé une commission permanente dans chaque pays, composée de connaisseurs en la matière, pour le classement scientifique des chansons populaires."(Il s'agit des comités de travail pour le chant populaire - voir l'article autres collectes) S'ensuivit une étude rapide mais sensible des caractéristiques des musiques des pays tchèques. "A l'encontre de l'égalité pondérée de la chanson tchèque, la chanson slovaque a plus de tempérament dans l'expression de la gaieté aussi bien que de la tristesse" notait-il pour distinguer les musiques de deux régions différentes.

Après une lecture intégrale de ce numéro, quels enseignements pouvait bien en déduire le lecteur attentif ? Si, historiquement, les figures de Smetana et de Dvořák émergeaient telles des balises indiquant la voie à suivre, que dire de la place dévolue aux autres compositeurs ? Ne jetons pas trop fort la pierre aux différents rédacteurs de la revue. Il n'est toujours pas très facile cent ans plus tard de distinguer les caractéristiques, les mouvements différents, les enjeux qui s'exprimaient entre les différents acteurs de la vie musicale tchèque des années 1900, alors  en pleine actualité, pouvaient-ils si facilement démêler les fils de cette aventure musicale ? Remarquons toutefois que les musicologues et les journalistes accordent toujours plus d'importance, à toutes les époques, à un artiste bardé de diplômes qu'à un autre plus modestement pourvu. Qu'ils attribuent également toujours plus d'importance à un compositeur, professeur au conservatoire de son pays, qu'à un autre occupé à un poste jugé subalterne. Et qu'ils accordent toujours plus de crédit à un musicien vivant et exerçant dans la capitale qu'à celui résidant en province. Ne nous étonnons donc pas de l'absence de Janáček dans ce compte-rendu. Malgré le succès local de Jenůfa en 1904, le compositeur morave était toujours ignoré par la plupart de ses collègues et les autorités musicales de la capitale. Au demeurant, un compositeur habile, avisé, dans le fil du courant trouve, de manière générale, plus souvent grâce aux yeux de ses concitoyens qu'un autre qui ne respecte pas les canons du moment et qui de plus n'est qu'un obscur directeur d'une banale école de musique provinciale dont le retentissement  et le sérieux ne peuvent approcher celui du conservatoire de la capitale. Comme ses compatriotes pragois voyaient Janáček, les journalistes français le voyaient également. Ignoré à Prague, le compositeur morave le restait à Paris ! Même le professeur Jelínek, pourtant d'origine tchèque, ne soulignait pas son apport dans la connaissance de la musique populaire. Pourtant la jaquette du troisième volume de Bartoš portait bien la double signature du dialectologue et de Janáček ("arrangement musical fait par…" comme indiqué sur la couverture). Pourtant, Janáček occupait le poste de président du comité morave du Chant populaire en Autriche. Le différends entre Bohêmiens et Moraves trouvait son prolongement jusqu'en France !

Avant de clore ce compte-rendu, remarquons la personnalité de deux de ses rédacteurs. Raymonde Delaunois, mezzo-soprano d'origine belge engagée successivement en 1913 à l'opéra de Prague et à celui de Budapest (Mignon d'Ambroise Thomas et Carmen) était mariée à Louis Thomas, écrivain prolifique couvrant des champs très larges. Les deux époux offrirent très certainement leurs services à la revue Musica où ils furent reçus favorablement tant les connaisseurs français de la musique de cette contrée d'Europe centrale se comptaient sur les doigts d'une main. La cantatrice, engagée au Met de New-York en 1915 avant de monter sur les planches parisiennes de l'Opéra-comique, avait fait provision de musique lyrique de Fibich, Suk et Novak, compositeurs prisés à Prague à cette époque. Le couple Thomas exporta aux lecteurs français les succès bohêmiens. Et comme à Prague on regardait avec condescendance ce qui se passait en Moravie et à Brno en particulier, il n'était point étonnant que la cantatrice n'ait pas été en contact avec la musique lyrique de Janáček, ignorée obstinément dans la capitale des pays tchèques. Kovařovic, chef du Théâtre National à Prague, régnait en maître sur la programmation de l'opéra, écartant tel compositeur, favorisant tel autre, élevant un barrage efficace contre l'exécution de Jenůfa depuis une décennie. La bataille de Jenůfa engagée depuis plusieurs années n'avait pas encore abouti…

L'exemple de la Revue musicale

Fondée en 1920 par André Coeuroy et Henry Prunières qui la dirigea jusqu'en 1938, la Revue Musicale, d'une longévité exemplaire bénéficia dans le milieu musical d'une auréole bien méritée. Haut lieu d'une musicologie à la fois accessible et exigeante, sous la houlette de son directeur, elle s'illustra mensuellement dans la promotion de la musique contemporaine. Prunières, élève de Romain Rolland à la Sorbonne, resta fortement impressionné par son maître. Il consacra ses talents d'historien de la musique à la rédaction de livres sur Lully, Monteverdi, Cavalli et l'opéra vénitien. Il consacra ses autres talents de témoin attentif et humaniste à la musique de ses contemporains. Cofondateur avec le musicologue anglais Edward Dent de la Société Internationale de Musique Contemporaine, (1) il suivit de près chacun des festivals que la Société organisait régulièrement. C'est sous sa plume que pendant longtemps on en trouva des comptes-rendus dans sa revue. Rarement un directeur aura autant imprégné son entreprise intellectuelle et artistique de son érudition, de sa militance, de son ouverture. Cette phrase écrite par Prunières en page 63 du numéro de janvier 1921 de sa revue éclaire en grande partie son orientation "le manque de curiosité du public, à l'égard de ce qui se fait de nouveau, tant en France qu'au dehors, est affligeant." Par ses écrits, par son action, il essaya d'y remédier.

(1) Société que nous désignerons désormais uniquement par ses initiales : SIMC

Cette revue couvrait les événements de musique vivante (comptes-rendus de concerts et de festivals), mais surtout offrit aux mélomanes de l'entre deux guerres des études particulières sur les écoles musicales et les compositeurs vivants et ceux du passé, des critiques de livres et même des premiers disques 78 tours de musique savante. Elle organisa également des concerts certains mardis pour promouvoir la musique contemporaine qu'elle vienne de France ou de l'étranger. Henry Prunières tout au long de ses années de direction s'entoura de collaborateurs réguliers et fit aussi appel à des correspondants dans les capitales et grands centres musicaux européens. Comment chaque numéro était-il organisé ? Il comprenait généralement quatre ou cinq études (2), dans lesquelles on pouvait mesurer la vaste érudition des rédacteurs, que suivait une copieuse rubrique intitulée "chroniques et notes" qui passait en revue les concerts en France et dans d'autres pays d'Europe, qui examinait les parutions discographiques et les livres de musique. Le tout sobrement agrémenté de lettrines élégantes et de bandeaux. Malgré les moyens techniques limités de l'époque, il n'était pas rare de découvrir un bois gravé campant le portrait d'un compositeur, remplacé un peu plus tard par des héliogravures. Presque chaque année, un numéro entier était dédié à un musicien ou à un thème particulier, par exemple Debussy en 1920, Fauré en 1922, Wagner et la France en 1923, Ronsard et l'humanisme musical en 1924 (3), Ravel par deux fois en 1925 et en 1938, la jeunesse de Debussy en 1926, Beethoven en 1927, Liszt et Schubert en 1928, Albert Roussel par deux fois en 1929 et 1937, la musique mécanique en 1930, une géographie musicale en 1931, Bach en 1932, Mozart en 1933, l'Opéra-comique au 19e siècle en 1933 également, le film sonore en 1934, Paul Dukas en 1936. Une telle liste laisse entrevoir la largeur de vue des promoteurs de la revue en même temps que leur lucidité face aux bouleversements techniques et artistiques survenus en cette période. Ajoutons que le jazz et les musiques extra-européennes savantes et traditionnelles ne furent pas délaissées. Peu de mouvements échappaient à leur perspicacité, ainsi des articles copieux signalèrent Bela Bartok en mars 1921 (rédigé par son compatriote Zoltan Kodaly), l'œuvre de Stravinsky en juillet de cette même année (écrit par le chef d'orchestre Ernest Ansermet), Jean Sibélius en mars 1922, Szymanowski deux mois plus tard, les deux styles de Monteverde en juin 1922 - compositeur que l'on redécouvrait et dont on écrivait ainsi le nom alors que nous sommes habitués maintenant à Monteverdi - le mois suivant quinze pages évoquaient les symphonies de Mahler, pour la plupart inconnues en France, alors que Louis Laloy esquissait les principes de la danse cambodgienne et l'on pourrait continuer longtemps l'énumération tant elle est variée…

(2) les articles du numéro d'avril 1935 balaient des sujets larges et des aspects tantôt connus et tantôt méconnus de la musique : César Cui (3 pages), Carl-Philipp-Emmanuel Bach (11 pages), La naissance de la musique autrichienne au XVIIe siècle ou de la barcarolle à la valse (8 pages), Sur l'évolution de la musique française avant et après Debussy (17 pages)

(3) avec dans le supplément musical, les partitions commandées par la Revue musicale elle-même à Louis Aubert, André Caplet, Maurice Delage, Paul Dukas (Sonnet à Ronsard), Maurice Ravel (Ronsard à son âme), Alexis Roland-Manuel, Albert Roussel.

C'est donc essentiellement à travers l'exemple de "La Revue Musicale" que seront examinées les tentatives de diffusion de la musique de Janáček par des écrits musicologiques.   M'appuyant sur les remarquables travaux de Marianne Frippiat parus dans le livre récent l'Attraction et la nécessité, ouvrage collectif sous la direction de Xavier Galmiche et Lenka Strenska, j'ai cherché quand et à quelle occasion le nom de Janáček apparaissait dans les colonnes de la revue et plus généralement l'école musicale tchèque.

A) jusqu'en 1928

La musique tchèque


La musique tchèque fit son entrée à la Revue Musicale en mars 1921 par un coup double : un article de Léon Vallas relatant le premier concert tchèque à Lyon (Suk, Novák, Štĕpán, Křička et Vycpalek) et la note rédigée par le compositeur et pianiste Václav Štĕpán, note concernant à la fois V. Novák, son maître et la vie musicale en Tchéco-Slovaquie (comme l'orthographiait alors la revue). Štĕpán récidiva en novembre décrivant en trois points la vie musicale tchèque : la musique française à Prague, la Société de musique moderne, les œuvres nouvelles des jeunes auteurs tchèques (Vomáčka, Jirák, Tomášek). Dès le début de l'année 1922, cette musique tchèque se retrouvait sous les feux de l'actualité par une note de l'écrivain Georges Duhamel qui lors d'un  voyage à Prague avait assisté à un concert où il avait entendu des pièces de Novák, Suk, Vycpalek, Vomáčka et Štĕpán. Le mois suivant, un assez long article de trois pages prenait place dans la rubrique "Chroniques et notes" et parcourait le siècle d'existence de la musique tchèque de Smetana à Štĕpán en passant par Dvořák, Fibich, Kovařovic, Janáček, Foerster, Novák, Suk, Karel, Jirák, Křička, Vycpalek, Kunc, Jeremias et Vomáčka, un concentré d'histoire musicale, sans toutefois un essai de hiérarchisation. Au moins, le lecteur pouvait-il noter ces noms dotés d'une graphie un peu décourageante pour nos habitudes françaises. Au mois de juin, le nom d'Ottokar Zich pour la représentation de son opéra Vina (la Faute) à Prague rejoignait la liste précédente auquel le rédacteur Fr. Grepl ajoutait Chlubna pour l'exécution d'un poème symphonique avec solo de chant et Zamrzla pour une symphonie, Mors et Vita. Suivait la relation d'un concert où des ouvrages de musique de chambre de Smetana étaient interprétés par le pianiste Jan Herman et le Quatuor Tchèque. En juillet, une notice nécrologique saluait le violoniste František Ondříček qui venait de disparaître et présentait la maison d'édition Hudebni Matice, nouvelle occasion de décliner le nom de plusieurs  compositeurs tchèques. En août de cette même année, on rendit compte du concours national des chorales tchécoslovaques permettant d'ajouter les noms de Knahl, Křížkovský et d'Emil Axman. Cette année 1922, signait réellement l'entrée de la musique tchèque dans les revues françaises.

En 1923, Léon Vallas reprenait une partie de l'article qu'il avait rédigé pour le Salut public, quotidien lyonnais pour présenter aux lecteurs de la Revue le Poème de Štĕpán, alors qu'en mai, une note sans signataire évoquait l'audition aux concerts Straram, à Paris, du poème symphonique Prague de Josef Suk, "aux tendances fortement wagnériennes."

Puis vinrent les treize pages de Blanche Selva, en juin, brossant un portrait de la jeune génération musicale tchèque. Pour la première fois dans la revue un article conséquent dévoilait un monde musical du centre-Europe dont seules les figures énigmatiques de Smetana et Dvořák avaient réussi à se frayer un petit chemin jusqu'en France. Alain Chotil-Fani, dans un ouvrage à paraître chez Buchet-Chastel, montre fort bien les difficultés de pénétration de la musique du compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme l'appel d'une vigie signalant un territoire musical inconnu qui se révélait à l'horizon, Blanche Selva s'attacha tout d'abord à définir les caractéristiques de la chanson populaire de chacun des trois pays : la Bohême, la Moravie, la Slovaquie, "racines de toute cette floraison" de musique. Elle présenta succinctement celui qu'elle considère comme l'accoucheur de la musique tchèque, Smetana. Par contre, elle ne manifesta pas une grande attention à Dvořák dont elle se contenta surtout de relever l'influence sur la génération future par les nombreux disciples qu'il sut former. En suivant la chronologie, elle cita Fibich "moins spécifiquement tchèque sans doute", Janáček et enfin Foerster, un peu en marge. Puis vinrent les deux musiciens Novák et Suk qu'elle considérait comme "les deux grands pivots de l'école tchèque entière" et qui "ont porté la musique tchèque, en eux-mêmes, à une élévation et une grandeur qu'elle ne connaissait pas encore." se contentant pour chacun d'eux de définir leur style musical se modifiant au fur et à mesure de leur évolution sans citer la moindre de leurs œuvres, comme si celles-ci pouvaient être connues par ses lecteurs. Elle lista ensuite la troupe de compositeurs qu'elle groupa dans ce qu'elle appela la jeune génération : Rudolf Karel, Otakar Ostrcil, Jaroslav Křička, Otakar Sin, Ladislav Vycpalek, Jan Kunc, Jaroslav Novotny, Boleslav Vomáčka, Václav Štĕpán à qui elle consacra une pleine page, Vílem Petrželka, Jaroslav Jeremias, Karel B. Jirák et Jaroslav Tomasek. Pour chacun de ces musiciens, elle s'attarda à énumérer leurs ouvrages, y compris les plus récents. "L'exposé qui précède, du moins, permettra peut-être à quelques-uns qui l'ignorent encore, d'être avertis de l'intérêt grandissant qu'offre la vie musicale tchèque, et les espoirs heureux qu'on peut fonder sur une pléiade de jeunes compositeurs ardents, talentueux, d'aptitudes et de tendances diverses, mais alliant tous un sincère respect de leur art à ces qualités naturelles et acquises, s'échelonnant de l'agréable facilité musicale ou des essais encore un peu gauches mais déjà intéressants, aux dons les plus hauts et à la possession assurée de la véritable maîtrise." conclut-elle. Que pouvait faire le lecteur alléché par la qualité d'une telle nomenclature ? Soigneusement ranger la revue sur un des rayons de sa bibliothèque et scruter attentivement les programmes des futurs concerts pour y trouver peut-être un de ces noms…

Après ça, le compte-rendu par Alexis Roland-Manuel, intime de Ravel, de deux ouvrages de Hans Krása pourrait passer pour anecdotique. Pour clore l'année, Carol-Bérard rédigea la relation d'un concert parisien de musique tchèque présentant des pièces de Smetana, Nesvera, Novák, Dvořák, Křička et Václav Kaprál. L'année suivante, en février, la Revue annonça la redécouverte du manuscrit de la première symphonie de Dvořák, les Cloches de Zlonice. En avril, Marc Pincherle fit part de son émerveillement face au jeu d'une jeune violoniste polonaise qui révéla une Suite pour violon seul de Suk. En août, Marie Dormoy relata les trois concerts d'un festival de musique tchéco-slovaque, tenu aux Champs-Elysées à Paris, avec la venue de la Chorale des Instituteurs de Prague, du violoniste Jaroslav Kocian, du pianiste Jan Herman et du chef Václav Talich. Les Parisiens entendirent des œuvres de Suk, Foerster, Dvořák, Novák, Smetana dont l'ouverture de la Fiancée vendue "dont nous souhaitons vivement l'audition complète à l'Opéra" ajouta la rédactrice. Toujours en août, André Cœuroy signalait la parution du récent livre de Max Brod "Sternenhimmel" dans lequel il relevait plusieurs pages consacrées à Janáček, mais aussi à Suk et Novák. En octobre, Smetana se vit octroyer un article de dix pages dû à la plume d'Etienne Fournol, alors que dans une chronique présentant la musique à quarts de ton, Ivan Wischnegradsky citait Alois Hába, compositeur de la jeune génération. Pour faire bonne mesure, le rédacteur en chef Henry Prunières suivait de près le festival de la SIMC à Salzbourg où il nota : "L'Ecole tchèque n'était représentée que par un petit nombre d'œuvres assez peu significatives : d'agréables lieder de Ladislav Vycpalek fort bien chantés par Marya Freund, des pièces de piano insignifiantes de Boleslav Vomáčka, enfin admirablement jouées par le compositeur Václav Štĕpán, qui avait mis son talent de pianiste au service de ses compatriotes, de charmants morceaux de K. B. Jirák sans prétention certes à l'originalité, mais à coup sûr d'une veine heureuse, pleins de vie et d'esprit." Pour terminer, André Cœuroy faisait part de sa lecture assez critique du petit livre que, dans son pays, Nedjedly avait commis sur Smetana. Entre modération et enthousiasme, les pages consacrées à la musique tchèque dans la Revue Musicale au cours de ces trois années, 1922, 1923, 1924 concourraient à la prise de conscience de la musique d'un pays qui aspirait à la reconnaissance internationale. Notons que ce mouvement d'intérêt coïncidait avec un certain engouement pour cette musique que diffusèrent plusieurs concerts. Cette relative attention allait-elle durer ?

La fréquence des chroniques tchèques faiblit assez nettement en 1925. Toutefois, on salua un quatuor de Hans Krása en mars 1925 et on mesura l'importance d'un festival parisien Smetana qui obtint le succès grâce aux talents d'interprètes tchèques et français parmi lesquels il convient de relever le nom du violoniste Robert Soëtens. En juin, le Festival de la SIMC à Prague dont "l'organisation était parfaite" et "l'hospitalité tchèque proverbiale […] laissera un souvenir inoubliable" aux délégués, fournit à Henry Prunières l'occasion d'un long développement sur l'état de la musique contemporaine. La musique tchèque ne profita pas de cet avantage pour briller, l'ouvrage de Novák déjà ancien et celui de Rudolf Karel ne convainquirent pas pleinement le directeur de la Revue. En octobre, on annonça la Fiancée vendue de Smetana à l'Opéra de Paris pour la saison suivante. Au printanier festival de la SIMC de Prague succéda l'automnal festival de Venise. Deux manifestations la même année, voilà qui devrait prouver la bonne santé de la musique contemporaine ! Pourtant, le ton adopté par Prunières ne rejoignit pas cet optimisme : "Un peu partout, on marque le pas, un peu partout on se sent las de battre les fourrés, on aspire au repos, au calme, aux larges horizons. Ne sachant plus trop quel parti tirer des révolutions accomplies, on aspire à instaurer un nouveau classicisme et l'on regarde vers le passé. Bach plus que jamais apparaît comme le dieu qui ramènera la paix et la lumière." La musique tchèque tira son épingle du jeu par les contributions de Janáček et de son quatuor (le premier), de "belles mélodies religieuses de Vycpalek et d'une longue sonate d'Arthur Schnabel". Etonnons-nous simplement que ce magnifique pianiste, natif d'une terre devenue polonaise depuis la fin de la guerre, ait pu être comptabilisé parmi les Tchèques ! Si la monographie de Janáček d'Erwin Felber n'avait pas paru en août 1926 dans la Revue Musicale, en dehors de quelques notes éparses ici et là signalant l'exécution d'une sonate de Jaromir Weinberger à un des Mardis de la Revue ou l'édition de quelques ouvrages de Novák et Křížkovský dans leur pays et Štĕpán chez Rouart, Lerolle et Cie, cette année serait restée muette sur la musique tchèque. 1927 prit le même chemin. En dehors d'une sobre citation de Josef Mysliveček parmi les études de Marc Pincherle, de la critique positive d'André Tessier du livre "Smetana" de l'ethnomusicologue Julien Tiersot (une édition française), de la brève mention de la première audition américaine de la "vigoureuse Sinfonietta" de Janáček par Otto Klemperer, de l'édition par Universal de la partition de Vec Makropoulos et sa préparation pour l'opéra de Prague, du festival de la SIMC à Francfort avec la livraison tchèque due à Janáček, d'un billet d'Aloïs Hába peignant la vie musicale à Prague, indiquant de nouveaux compositeurs : Bořkovec, Šin, Ullmann, Schlhoff et signalant la millième représentation de la Fiancée vendue de Smetana, aucune étude d'envergure. La moisson se révélait bien maigre.

Une polémique réveilla les lecteurs de la Revue passionnés par la Tchécoslovaquie en 1928. Le point de départ fut la parution, en février, d'un papier de Paul Nettl, musicologue tchèque de culture allemande, intitulé "la musique en Bohême" dans lequel l'auteur énonçait ses convictions : "Le musicien de Bohême est avant tout virtuose populaire et virtuose d'imitation. […] Ces manifestations (de l'art musical national) ont leur racine dans la pure virtuosité et se rattachent à la musique du peuple dont elles sont sorties. […] Le Tchèque n'est pas par nature un moderne, un “atonal”…" La dernière phrase de l'article révélait l'état d'esprit de son auteur : "Les Allemands de Tchécoslovaquie devront absolument créer en territoire allemand un centre de ralliement artistique, s'ils ne veulent pas sombrer dans l'alexandrinisme ou s'enliser dans un provincialisme rétrograde." Cette affirmation ne pouvait que claquer  comme une provocation pour les Tchèques. La réplique ne se fit pas attendre. Le compositeur K. B. Jirák s'en chargea en mars : "(M. Nettl) n'a pris la plume que pour discréditer et rabaisser, aux yeux de l'étranger, la musique tchèque. Et on retrouve bien là la vieille méthode allemande qui consiste à démontrer que tout ce qui n'est pas, dans le domaine de la science et de l'art germanique, ne possède qu'une valeur inférieure." Il poursuivit sa réponse par un vibrant éloge des compositeurs tchèques depuis Smetana, mais aussi des compositeurs bohêmiens et moraves du XVIIIe siècle dans leur exode italien, français ou allemand. Il releva le propos de Paul Nettl qui "ne voit dans les festivals de Prague que de la propagande pour la musique tchèque", propos auquel il rétorqua : "Les Allemands de Bohême, et particulièrement de Prague, ne sauraient se plaindre d'une injustice. La section tchécoslovaque leur a accordé un groupe spécial avec leur jury propre qui choisit, de façon indépendante, les compositions destinées aux festivals." On se trouvait un peu loin d'une étude musicologique et les lecteurs français peu au fait de la situation politique des pays tchèques, peu au fait de leur histoire, ne pouvaient pas comprendre que les enjeux artistiques rejoignaient les enjeux politiques dans cette période de l'entre deux-guerres. Quelques années plus tard, les peuples tchèques payèrent un lourd tribut d'une situation que le nationalisme allemand exacerbé par la victoire des nazis poussa à une extrémité dramatique. Dans la revue, la musique tchèque reprit ses droits avec une note du correspondant londonien Dunton-Green saluant un nouveau concerto de Schulhoff. En octobre, on signala la parution d'un disque du violoniste français Gabriel Bouillon interprétant des Danses slaves de Dvořák. Janáček venait de s'éteindre dans sa Moravie. Nulle trace de sa disparition dans la Revue.

Et Janáček dans tout ça ?


A seize reprises, le lecteur attentif put trouver le nom de Janáček suivi ou non d'informations plus ou moins détaillées. Dès le numéro de février 1922, une ligne signala un de ses opéras sous le titre La belle fille. Il s'agissait bien sûr de Jenůfa. Au mois de juin de cette même année, les lecteurs prirent connaissance dans une nouvelle note rédigée par Fr. Grepl de la première de Kata à Brno (9 lignes). En août, le même rédacteur informait de l'exécution du Carnet d'un disparu (4) par neuf nouvelles lignes qu'il qualifia par ces termes "le style, notamment dans les éléments mélodiques, résulte de la recherche de l'expression populaire […] où il puise directement à la riche source musicale du langage et de la musique moraves." Blanche Selva, la pianiste française amie de Vincent d'Indy et de Déodat de Séverac, qui professa de 1920 à 1924 au conservatoire de musique de Prague, et que rencontra au moins une fois Janáček, fit paraître un article dans le numéro du 1er juin 1923 sur la jeune école tchèque. Comme il a déjà été indiqué plus haut, en treize pages, elle dressa un panorama quasiment complet de cette jeune école tchèque. Après un bref résumé historique partant de la chanson populaire et aboutissant à Smetana et Dvořák, elle aborda Janáček dont elle décrivit les particularismes musicaux en dix-neuf lignes en n'évoquant que deux seuls ouvrages, Pastorkyna ( Jenůfa) et le cycle de mélodies, le Journal d'un disparu (2). "Dans ces œuvres d'un caractère tout à fait particulier, il est arrivé à dégager une intense émotion avec des moyens fort simples, mais émotion venant du sens profond de la race et de ses modes de vie intérieure et extérieure." résuma-t-elle son sentiment vis-à-vis du maître morave. On peut s'étonner que Blanche Selva, pianiste, ne parle point des ouvrages pour piano de Janáček, alors que liée à Václav Štĕpán qui fut son élève à Paris, il lui aurait été possible de connaître Dans les brumes que le pianiste tchèque joua en première audition pragoise en 1922.

(4) La traduction française propose tantôt Carnet d'un disparu, tantôt Journal d'un disparu pour Zápisník zmizelého. Sous ces titres approchants, il s'agit bien de la même œuvre.

Rendant compte du festival international de musique de Prague qui se déroula du 25 mai au 7 juin, festival organisé par la section tchécoslovaque de la SIMC, en août 1924, le compositeur tchèque K. B. Jirak mentionnait de nouveau Kata.

Même si cet écrit appartient à la sphère privée, il faut évoquer ici une lettre de Romain Rolland à Henry Prunières datée du 9 octobre 1924. "Janáček est un grand musicien dramatique […] Je ne vois personne à lui comparer dans ce domaine, en Europe actuelle. […] Je n'ai pas le temps d'écrire un article sur lui; mais vous pourrez trouver dans un des meilleurs écrivains germano-tchèques, Max Brod (Sternenhimmel)(5), le récit de la révélation que fut pour l'Autriche, pendant la guerre, la découverte de Janáček et la première de Jeji Pastorkyna." Il est vraiment dommage que le grand écrivain Romain Rolland, doublé d'un sens aigu de la musique, n'ait pas trouvé le temps d'écrire un article pour La Revue musicale, comme il est regrettable que les contacts entre cette revue et Max Brod n'aient pas abouti. Voir distingué un compositeur tchèque par un écrivain français doublé d'un musicologue d'une telle envergure ou par un ami de Kafka aussi perspicace que Max Brod aurait sans doute sonné les débuts d'une reconnaissance de Janáček en France. Encore un rendez-vous manqué ! Cependant ce courrier du maître avec qui il continuait à partager l'intégrité de ses études aiguisa l'envie de Prunières.

(5) Le ciel étoilé, chroniques musicales et théâtrales de Max Brod, dont il a été question un peu plus haut.

En 1925, le directeur de la revue  entamait une série de trois papiers. Le  premier (en juin) s'attachait à rendre compte du festival de la SIMC organisé à Prague au cours duquel la Petite renarde rusée fut représentée dont il qualifia le compositeur du titre du "plus grand artiste tchèque depuis Smetana" et qui fournit le sujet principal du deuxième papier en août (une page et demie) dont sont extraits les deux passages qui suivent.

"Je dois dire tout d'abord l'impression d'étonnement que j'ai ressentie en découvrant cette musique absolument inconnue en France et dont la fraîcheur, la sincérité et l'accent de terroir vous frappent dès le premier contact. A Dieu ne plaise que je médise des excellents musiciens  qui composent aujourd'hui la jeune école Tchèque. Je les connais et les apprécie de longue date, mais il y a entre eux et un Janacek toute la différence qui sépare des artistes de grand talent d'un créateur de génie. Ce vieillard m'a paru infiniment plus jeunes que les adolescents dont on venait de me montrer les œuvres… […]

Ce qui est prodigieux, dans cette partition, c'est l'invention mélodique, c'est l'ingénuité de l'inspiration. L'orchestre sonne bien, l'écriture harmonique est fort habile (malgré l'abus des quintes augmentées). Le chant consiste en une déclamation très mélodique et modelée sur la sonorité même des mots. On pense tout le temps à une sorte de Moussorgsky tchèque. C'est la même force persuasive, la même spontanéité, la même fraîcheur d'inspiration. Je ne crois pas que Renard soit le meilleur opéra de Janacek, mais c'est assurément une des œuvres lyriques modernes les plus intéressantes et les plus vivantes que j'ai entendues depuis vingt ans. Quand se décidera-t-on à révéler en France les œuvres du dramaturge tchèque ?"

Malgré ses souhaits, Henry Prunières, que la mort surprit en 1942, ne vit jamais cet opéra de Janáček sur une scène française, ni d'ailleurs aucun de ses neuf autres opéras. Et ses compatriotes durent attendre 1957 pour le découvrir dirigé par Vaclav Neumann dans la version de Felsenstein produite par le Komische Oper de Berlin, opéra importé à Paris dans le cadre du Théâtre des Nations…

Revenons à la revue. En octobre de cette année 1925, le même rédacteur présent au festival international ultérieur, cette fois-ci à Venise, traça à travers les œuvres entendues les grandes lignes de la musique vivante. Le talent du compositeur morave s'enrichit de son premier quatuor à cordes.

"La Tchéco-Slovaquie triompha une fois de plus, grâce au vieux maître Janacek, dont la verdeur fut pour tous une cause nouvelle d'admiration. Rien de plus frais et de plus délicieusement spontané que ce quatuor qu'il faut souhaiter entendre bientôt jouer à Paris." (6)

(6) Quatuor interprété à Paris par le Quatuor de Prague en 1931.

La reconnaissance de Janáček survint avec le numéro du mois d'août 1926 qui s'ouvrait par un article de onze pages  exclusivement consacré au maître morave, écrit par le musicologue Erwin Felber, article sur lequel il convient de nous étendre. Honneur insigne, un bois gravé représentait sur une pleine page le compositeur de Brno alors que le supplément de la revue offrait la partition de deux des pièces composant Rikadla, première version (numérotée à son catalogue V/16). Le compositeur vivant ses dernières années oh combien créatives, le lectorat musical français de cette revue en connaissait ainsi l'existence. On reste ébahi devant la clairvoyance du musicologue et sa connaissance du corpus compositionnel de Janáček. S'il n'eut pas l'opportunité d'assister à l'exécution de toutes les œuvres qu'il cite, il eut l'honnêteté de ne pas se fier aux rumeurs, mais, afin de se faire sa propre opinion, de parcourir les partitions de ces ouvrages. Il rencontra le compositeur et la lecture de son papier indique qu'elle ne fut pas quelconque, mais féconde et qu'il sut saisir les particularités de l'âme du maître morave dont on sait qu'il n'appréciait ni les longs discours, ni les longs entretiens.  Dans son papier, il commença par qualifier Janáček (âgé de soixante-dix ans) de travailleur infatigable, "indulgent au monde, impitoyable envers soi-même." Il découvrit sa musique "avec sa tendresse intime et sa rudesse extérieure" et dépista les préoccupations artistiques du musicien en le citant "Tout homme de qui j'ai pu saisir la mélodie de sa parole me permet de lire plus profondément dans son âme." Plusieurs fois, il  compara son importance de théoricien à celle de Schoenberg ! Il évoqua trois opéras, JenůfaKát'a Kabanová et la Petite renarde rusée." Dans Jenufa, Moussorgski et Debussy se rencontrent ; la finesse debussyste est transplantée en un plus robuste terrain slave." Il dressa ensuite une courte biographie qui, même entachée d'erreurs bénignes de date, éclaira le lecteur sur les origines et le parcours du compositeur. Il établit une liste relativement complète des travaux du maître morave en les commentant brièvement, les opéras non encore représentés tels Sarka et le Destin ; le Journal d'un disparu, les pièces pianistiques, Sur un sentier recouvert, Dans les brumes ; les principaux chœurs, les 70000, Marycka Magdonova, la Légion tchèque, le Fou errant ; des mélodies, les Chansons de Hradcany, le Quatuor à cordes "sonate à Kreutzer", le sextuor pour vents "Jeunesse" ; les poèmes symphoniques Taras Bulba, Ballade de Blanik, l'Enfant du violoneux, la sonate pour violoncelle "Un Conte", la sonate pour piano en deux mouvements, la cantate Amarus et l'Eternel évangile.

"C'est à lui que s'appliquent les mots dont il a caractérisé Dvorak ”Son intelligence était d'une nature toute particulière ; il ne pensait qu'en sons et n'avait nul autre souci.” Il est un Moussorgski slovaque, un maître de la technique, un génie de l'inspiration, un constructeur de talent que n'aveugle pas la virtuosité, un artiste puissant par l'expression, qui a su tirer parti de l'impressionnisme, rude d'aspect, une nature de lutteur, et pourtant d'une extrême bonté ; silencieux et pénétré, l'homme des violents contrastes qui se résolvent en harmonie. Solitaire, puissant, étranger aux fausses apparences d'une civilisation lassée, il n'a nul besoin de gémir, comme le poète suisse Gottfried Keller dans ses Ghazels : ”Notre lot est celui des épigones.” Mais bien plutôt il peut dire avec joie : ”La recherche fut le but de toute ma vie.” (Erwin Felber)
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Bois gravé de Jean Lebedeff (paru en août 1926 dans la Revue Musicale)
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Comment, dans ces conditions, expliquer la cécité et la surdité du monde musical parisien et plus généralement français devant l'importance si bien décrite de cette œuvre ? Faut-il incriminer l'ignorance chez nous des peuples d'Europe centrale, ou les fortes et déjà anciennes pesanteurs culturelles qui ne considéraient que trois pays musiciens : la France, bien sûr, l'Allemagne, l'Italie, pesanteurs qui se perpétuaient au XXe siècle ? Pourquoi les propos de ce musicologue ne suscitèrent-ils pas plus de curiosité, pas plus de volonté chez le mélomane d'entreprendre l'exploration de ces terres musicales encore inconnues, mais si riches de promesses sonores ?

Parions que, si le Sacre du printemps avait été créé dans son pays d'origine, la "révolution" stravinskienne n'aurait probablement pas touché avec l'ampleur qu'on lui connut les milieux musicaux européens. Si Janáček avait compris qu'une présence sur le sol français était indispensable pour percer et s'il s'était donné les moyens pour le réaliser, l'histoire de la musique occidentale en aurait été - peut-être - quelque peu modifiée ! Mais Janáček, l'homme, serait-il resté celui que nous connaissons ?

En juin 1927, André Coeuroy signa dans une note de la partie "l'édition musicale" dédiée à Vec Makropoulos qui venait de paraître chez Universal le texte suivant :

"La pièce de Capek, l'Affaire Makropoulos, bien connue en Europe centrale, a été mise en musique par Janacek avec une verve que la vieillesse laisse intacte. L'abondance et la vigueur de la “mélodie parlée” y sont remarquables : dès la première scène apparaissent des récits dont les détails rythmiques ne sont pas notés, mais qui doivent être créés par le chanteur lui-même dans l'espace d'une ou deux mesures, selon le rythme de la phrase poétique, sur une note dont la hauteur est indiquée par une ronde. La clarté de l'écriture transparaît dans la réduction pour piano de Ludwik Kundera.(7)"

(7) père de l'écrivain tchèque Milan Kundera

Retrouvons Henry Prunières au festival annuel de la SIMC à Francfort dont il assurait la couverture. Extrayons ce passage (septembre 1927) :

"J'allais oublier le Concertino pour piano, deux violons, alto, clarinette, cor de basson de Leo Janacek. Ce n'est sans doute pas une des meilleures compositions du maître tchèque, mais ce musicien ne saurait rien écrire d'indifférent. Il y a des trouvailles charmantes dans ce Concertino, des pages d'une fraîcheur et d'une spontanéité délicieuses."

Dans la rubrique "les revues et la presse" en novembre 1927, on trouve une nouvelle et brève mention signalant la représentation de Vec Makropoulos (l'Affaire Makropoulos) à Prague.

Janáček vivait ses derniers mois de créateur. En janvier, une chronique de Vomáčka parlait des derniers ouvrages de Suda (de neuf ans plus âgé que Suk)  et Burian (né après 1900). André Cœuroy présentait "les nouveaux visages de l'opéra" où il argumentait ainsi : "L'expérience montre que les seuls opéras originaux sont ceux qui décèlent une recherche de déclamation conforme au langage. En ce sens on peut dire qu'il ne peut plus y avoir d'opéra que s'il est national, non dans son sujet mais dans sa volonté esthétique. Se libérer du “dialecte d'opéra” c'est le seul effort qui soit digne de cette forme, et c'est aussi à quoi se sont attachés les musiciens conscients de cette nécessité : Moussorgski avec Boris, Debussy avec Pelléas, Bartok avec le Château de Barbe-Bleue, Janacek avec ses drames moraves, Szymanowski avec le Roi Roger, Honegger avec Antigone." Le moins qu'on puisse dire c'est que le musicologue ne faisait pas preuve de cécité en dressant une telle liste et que, probablement, Janáček n'aurait pas désavoué pareille compagnie ! En février et en mars, il fallait lire plus qu'attentivement la revue et fouiller chaque recoin de page pour apercevoir par trois fois le nom du compositeur morave et rien d'autre. Tout était dit. 

B) de 1928 à 1939

Sa disparition en août 1928 ne fut pourtant pas immédiatement saluée. Il fallut attendre le mois de juillet de l'année suivante pour qu'un article décevant saluât la mémoire de Janáček. Pourquoi, alors qu'Erwin Felber en 1926 avait fort bien compris les caractéristiques du style musical du compositeur morave, avoir confié à un musicologue peu au fait de cette musique et si peu en phase avec elle, le soin de rédiger cet hommage funèbre ? A lire la manière évasive dont le rédacteur évoquait un certain nombre d'œuvres qu'il citait, il était évident qu'il ne les avait jamais entendues. Tout son exposé se réfugiait dans des formules vagues. Il se contentait d'énumérer les ouvrages du maître de Brno et lorsqu'il s'étendait quelque peu sur l'une d'entre elles, il tombait aisément dans des contresens. Ainsi assimiler la Petite Renarde rusée à une forme d'opéra-comique traduisait une perception faussée ou pour le moins simpliste de cet opéra. Ainsi encore après avoir affirmé que "l'instrumentation de ces œuvres [symphoniques] est vraiment très personnelle" comment pouvait-il ajouter "Cette instrumentation est basée sur celle de Dvořák" sans s'apercevoir de la contradiction ? Le lecteur de bonne foi prenant connaissance de cette rubrique nécrologique ne pouvait, sa lecture terminée, que rester dubitatif. Cet article ressemblait à un coup d'épée dans l'eau ! Janáček méritait mieux.

Pendant la décennie qui suivit la disparition de Janáček, le rythme de parution d'articles dédiés à la musique tchèque se ralentit : 41 notices allant de quelques lignes à plusieurs pages c'est-à-dire le même nombre que dans la période précédente pourtant plus courte de 3 ans. Le grand vainqueur est incontestablement Martinů. Il jouissait d'un triple avantage : d'être fixé en France depuis 1923, d'être partie prenante de sociétés musicales telle Triton qui ne ménagèrent pas leurs efforts pour diffuser sa musique (8), de paraître aux oreilles du public moins exotique que ses compatriotes restés au pays en ayant assimilé beaucoup plus facilement les influences de la musique française de cette époque. Et comme c'était  un compositeur prolixe, les occasions de puiser dans ses compositions étaient nombreuses. Toutes ces particularités n'enlevaient rien à son grand talent et à l'indéniable séduction qui se dégageait de sa musique. Dans le numéro de septembre-octobre 1934 de sa revue, Henry Prunières déclarait "Un de ces jeunes est déjà célèbre […] c'est Martinu, que je considère, pour ma part, comme le plus brillant représentant de l'école tchèque contemporaine. Musicien original qui s'est dégagé assez vite de l'influence de Stravinsky et dont la qualité éminente est la vie. […] Tout ce qu'il fait est doué de mouvement et d'expression. Il y prodigue une vive sensibilité rythmique et polyphonique, en digne successeur du grand Leos Janacek." Tout au long de ces années, nombre de ses œuvres furent commentées dans les pages de la Revue. On se contentera de les lister : Duo pour violon et violoncelle, Quintette pour deux violons, deux altos et violoncelle en 1929, Allegro symphonique, la Revue de cuisine, un Quintette en 1930, Quatuor à cordes n° 3, Quatuor avec orchestre en 1932, Danses tchèques pour piano, Sonate pour violon et piano n° 2, Trio, en 1933, un Quatuor en 1934, un Concerto en 1936, les Jeux de Marie, un Trio pour piano et cordes, en 1937, la Revue de cuisine et deux pièces pour clavecin en 1938. Le lecteur intéressé pourra consulter le site www.martinu.cz (en tchèque et en anglais), une véritable mine d'informations et un site français attachant http://patachonf.free.fr/musique/martinu/ où le catalogue (en français) des œuvres du compositeur peut être consulté.

(8) La société Triton assura sept créations de Martinů entre 1932, date de sa fondation et 1939, fin de son existence.

Pour le reste de la musique tchèque, délaissons les brèves, où les seules mentions d'un titre d'œuvre et/ou du nom d'un compositeur n'étanchent pas notre soif d'informations. 

Relevons d'abord, dans le numéro du mois de janvier 1929, sous la signature d'André Coeuroy la relation de la création de la Fiancée vendue de Smetana, premier opéra tchèque à être monté en France et toujours par le même rédacteur le compte-rendu d'un concert de musique tchécoslovaque donné à l'Ecole Normale de Musique sous le patronage de l'ambassadeur de la République tchécoslovaque avec des ouvrages de Smetana, Novák, Dvořák, Suk et Martinů, concert précédé d'une causerie d'Etienne Fournol, collaborateur de la Revue.

Attachons-nous à une entreprise originale initiée par la Revue en 1931 : dresser une géographie musicale de l'Europe. Probus (j'ignore qui se cache derrière ce pseudonyme emprunté au nom d'un empereur romain du IIIe siècle) peignit un tableau de la situation musicale tchèque au tournant des années 30 qu'il nous faut étudier. Il passa en revue les compositeurs tchèques vivant en 1930 avec une notable exception, la présence de Janáček disparu deux ans plus tôt. Pourquoi cette anomalie ? Très justement, l'auteur inscrivit le compositeur morave parmi les pères de cette école musicale tchèque moderne, même si lui-même n'eut pas d'élève prêt à continuer dans sa voie. "Janáček, on peut le dire sans exagération, est resté à l'abri de toute influence venue soit de l'étranger, soit du pays. Le folklore national, dans lequel il n'a cessé de puiser jusqu'à la fin de sa vie, lui offrait une base solide. Ils s'étaient (sic) en outre constitué une méthode, celle des “notices musicales” dans lesquelles il enregistrait la parole, le chant des oiseaux, et les bruits les plus divers de la nature. Tout cela, joint au caractère de l'artiste, aussi rude que passionné, explique la grandeur de son art." Il passa ensuite en revue la production de Josef Suk, de Vítĕzslav Novák, de J.B Foerster et de ses deux disciples Otakar Ostrčil et Otakar Zich. Puis vinrent Rudolf Karel et Jaroslav Křička. Le rédacteur s'attacha ensuite à dépeindre la "jeune génération des musiciens tchécoslovaques, celle dont la production date d'après-guerre [qui] a trouvé dans le nouvel Etat des conditions tout autres, plus favorables que la génération [précédente]" S'en suivit une liste de compositeurs dans laquelle nous retrouvons des noms déjà mentionnés dans des chroniques antérieures et en découvrons d'autres : Ladislas Vycpalek, Bohuslav Martinů qui bénéficia de quasiment deux pages, Otakar Jeremiáš, Karel Boleslav Jirák, Václav Štĕpán, Boleslav Vomáčka, Emile Axman, F. Mandič cité brièvement, Aloïs Hába. Il termina son tour d'horizon par un bref regard sur "l'Ecole de Brno" avec Jan Kunc, Vílem Petrželka, Václav Kaprál, Jaroslav Kvapil et Oswald Chlubna, et donna une dernière liste de jeunes compositeurs : J. Hüttel, Jan Zelinka, Jaroslav Ridky, František Picha, E.T. Burian, Isa Krejčí et Jaroslav Ježek à laquelle il ajouta les noms de musiciens de Bratislava, A. Moyses, Vladimir Meličko. Nous n'avons pas jugé utile d'adjoindre à chaque compositeur de cette énumération la liste des œuvres pour chacun d'entre eux telles qu'indiquées par le rédacteur. D'autant plus qu'elle se monte à environ 150. Ce chiffre exprime bien la vitalité de cette école.

En dehors d'une relative popularité (surtout parisienne) de Martinů pour les raisons que j'ai exposées un peu plus haut, que l'on se souvienne que la musique de Janáček n'eut droit de cité en France que six fois entre 1929 et 1938 et que celle de la plupart de ses compatriotes ne bénéficia que de rares exécutions dues plus à la bonne volonté d'associations ou d'organismes artistiques (les Mardis de la Revue Musicale, les concerts Triton, les concerts de l'Ecole Normale de Musique) qu'à celle, quasiment inexistante, des grandes associations de concerts (Colonne, Lamoureux, Concerts du conservatoire…). Que nous inspire maintenant cette exubérante création musicale tchèque des années 30 ? Si l'on exclut Janáček et Martinů de ce relevé, quel mélomane peut se targuer d'avoir entendu actuellement dans les salles de concert françaises une pièce de l'un de ces musiciens tchèques ? Et à moins de se procurer des disques directement en république tchèque, qui a eu l'occasion de repérer un enregistrement de ces compositeurs en fouillant dans les bacs des disquaires ?

L'une des rares incursions des grandes associations de concerts dans la musique tchèque eut lieu chez Lamoureux au début de 1930 avec Les fins dernières de l'homme, une cantate pour soprano, baryton et chœur de Ladislav Vycpalek relatée dans la Revue Musicale du mois de mars par un rédacteur anonyme. Il faut croire que l'œuvre fit une certaine impression puisqu'on lui consacra quasiment deux pages et même si la critique parut rugueuse. "Le texte, tel qu'il se présente, est sans aucun doute un point de départ puissant et plein de ressources. Au musicien d'en faire un chef d'œuvre. L'ouvrage de M. Vycpalek malheureusement, est loin d'en être un. Encore que le début aux harmonies dures et d'un archaïsme persuasif nous promette l'ampleur et une rigidité impressionnante, nous sommes bientôt déçus par une grisaille scholastique, un tissu contrapuntique par trop compact, sans air ni couleur, ni dynamisme inhérent."

Au cours de ses pérégrinations en Europe Centrale, s'il s'était déjà rendu plusieurs fois à Prague, Henry Prunières n'avait jamais visité Brno. Il y salua la mémoire du maître morave dans le numéro du mois de mars de l'année 1933. "A Brno, patrie de Janaček, les opéras de ce dernier sont donnés avec un soin minutieux et, à ce qu'on m'a assuré, mieux même qu'à Prague. J'ai bien regretté de ne pouvoir m'en rendre compte par moi-même." Il y releva "l'inventaire détaillé des bibliothèques et archives musicales des châteaux et des villes de la Moravie" sous la direction du musicologue Vladimir Helfert.
 
Atteignons maintenant l'année 1934 et le numéro 142. Sous la plume de Louis Grein, dit Dunton-Green, correspondant à Londres, on put lire : " Robert Hegar, de Vienne, qui dirigea fort sainement au concert du Courtauld-Sargent Club, nous apporta une Sinfonietta de Janáček dont la charmante originalité d'invention et de structure pouvait, à 72 ans, rivaliser avec les tout jeunes." Parcourons dans le numéro 145, d'avril de cette même année, l'article d'Arthur Hoerée intitulé "Renaissance du chant choral dans l'œuvre symphonique". Un large balayage historique était opéré où se distinguaient les œuvres religieuses d'Hændel, Bach, Mozart, Beethoven, Liszt, Bruckner et Franck pour les siècles passés. Pour le siècle présent, l'inventaire relevait Debussy avec ses Sirènes extraites des Nocturnes, Daphnis et Chloë de Ravel, le Psaume XLVII de Florent Schmitt, le Roi David d'Arthur Honegger, le Miroir de Jésus d'André Caplet, le Psaume hongrois de Kodaly, la Symphonie des psaumes de Stravinsky, le Stabat mater de Szymanowsky ainsi que des pièces d'Holst, de Vaughan-Williams et d'Hindemith. Soit un tour d'horizon fort bien documenté d'où aucune œuvre marquante ne semblait exclue. Sauf la Messe glagolitique, exacte contemporaine du Stabat mater du compositeur polonais de la ligne au-dessus et dans laquelle le chant choral se taille une place forte. Pourquoi cet oubli ? Mais faut-il l'appeler oubli ou parier sur la méconnaissance ? Dans ce cas, l'honnêteté de l'auteur mériterait d'être soulignée, plutôt ignorer cette Messe que d'en parler par ouï-dire. Décidément, la distance paraissait bien grande entre Paris et la Tchécoslovaquie pour qu'une œuvre majeure comme celle-ci soit inconnue des décideurs artistiques plusieurs centaines de kilomètres plus loin …

Changeons d'année. Dans le numéro 154 daté de mars 1935, la compositrice Suzanne Demarquez rendit compte d'un concert organisé par la société Triton (9), le 15 février dernier, dans la salle de l'Ecole Normale de Musique consacré à la musique tchèque. Nous apprenons qu'un ensemble de sonates pour violon et piano y est donné, mais ni celle de Jaroslav Ježek, (orthographié Jesek) ni celle de Jaroslav Křička ne trouvent vraiment grâce auprès de la signataire de la note avec une nuance de bienveillance pour la seconde, pas plus que l'Intermezzo lyrique de Jirák, ni que les pages de Vycpalek, Vomáčka, Hippmann. Par contre le trio à cordes du jeune Martinů interprété par le Trio Pasquier paraît plein de promesses. A ce concert, figurait également, en première audition française, la Sonate pour violon et piano de Janáček. Comment fut-elle reçue ? Si l'on en juge par la brève annotation de Suzanne Demarquez, dans une indifférence polie. "Suivant l’ordre chronologique j’aurais dû mentionner en premier lieu la Sonate violon et piano de Janáček, datant de 1914. “Dater” est d’ailleurs le mot juste pour cette œuvre à sentimentalisme et aux fausses basses à la Lekeu." Un tel commentaire n'encourageait en rien le lecteur à porter une oreille attentive à ce compositeur si par hasard une autre de ces pièces était présentée… Parmi les interprètes, relevons la présence de la pianiste Germaine Leroux qui se dévoua tant pour faire connaître la musique tchèque. L'opinion du compositeur Georges Dandelot permit de nuancer ce premier jugement : "Robert Soëtens, magnifique violoniste, et Mlle Germaine Leroux, donnèrent en outre une interprétation chaleureuse de la Sonate de Janáček, œuvre riche, d'un lyrisme assez voisin de celui de Guillaume Lekeu, mais beaucoup plus équilibré et composé." Dans la même livraison de la Revue, remarquons la "Lettre de Prague" signée de Gerth Baruch dont voici un extrait : "La dernière saison fut marquée par plusieurs jubilés. La scène principale, le Théâtre National Tchèque, célébra le cinquantième anniversaire de son existence et honora les compositeurs Suk, Dvořák, Smetana et Janáček. Parmi ces festivités, il y eut la représentation scénique de l’oratorio Sainte Ludmilla de Dvorak, et l’opéra posthume de Janáček, la Maison des morts, dans une reprise très applaudie. […] Les programmes de concerts pour chœurs furent pleins d’ouvrages rarement représentés. […] Les Institutrices de Prague choisirent des chœurs intéressants de Janáček, …"

(9) La société Triton, dont le comité directeur regroupait Honegger, Milhaud, Ibert, Rivier, Tomasi, Ferroud, Harsanyi, Mihalovici et Prokofiev mit sur pied des séries de concerts de musique de chambre de 1932 à 1939 offrant une largesse d'esprit relativement rare dans le Paris de cette époque pour programmer en plus des œuvres de ses sociétaires des musiciens étrangers comme le Suisse Conrad Beck, Erwin Schulhoff, Bohuslav Martinů, Alexandre Tasman, Arthur Lourié, Alexandre Tcherepnine ou plus connus, ainsi Paul Hindemith, Georges Enesco et Bela Bartok.

martinu-amis-1940

En mai 1940, une réunion de musiciens à la terrasse d'un café parisien
(Tibor Harsanyi, Georges Auric, Pierre Bernac, Marcel Mihalovici, Francis Poulenc, Alexandre Tcherepnine et son épouse,
Alexandre Tansman, Bohuslav et Charlotte Martinů…)
© Musée municipal de Policka - Mémorial Bohuslav Martinů - www.muzeum.policka.net

Alois Hába, à l'occasion d'un nouveau festival de la SIMC à Prague, eut les honneurs de la revue en septembre-octobre de l'année 1935. Léon Kochnitzky s'exprima à propos de sa musique à quarts de ton : "Nous n'avons aucun parti pris pour ou contre le système des quarts de ton. Seule la musique importe. Toutes les œuvres de Haba contiennent de la musique pure et nous ne croyons pas qu'il faille s'inquiéter outre mesure des procédés sonores. Contentons-nous d'observer que les harmonies et les dissonances voilées produites par les quarts de ton donnent des effets curieux et souvent agréables sur les instruments à cordes ; que les ressources vocales de cette musique nous paraissent illimitées et que nous avons été charmés par une thrénodie de femmes moraves. L'application du système des quarts de ton à la technique du clavier nous enchante moins."

En 1936, le compositeur d'origine roumaine, Marcel Mihalovici qui s'était rendu en avril à Barcelone au 14è festival de la SIMC remarqua des Berceuses de Václav Kaprál, un des musiciens partie prenante du Club des compositeurs moraves que présida un temps Janáček. En juillet-août, un jury composé d'Albert Roussel, Jacques Ibert, Pierre-Octave Ferroud et Darius Milhaud décernait le Prix de la Revue Musicale pour la meilleure sérénade pour instruments à vents à un membre de l'Ecole de Brno, le compositeur Theodor Schaefer. En décembre, un article posthume du jeune compositeur français Pierre-Octave Ferroud (il trouva la mort à trente-six ans dans un accident de la circulation sur les routes de Hongrie) proclamait  son intérêt pour la musique de Bohuslav Martinů. Son sous-titre donnait le ton "Un grand musicien d'aujourd'hui". Parmi ces cinq pages, relevons deux points :

"Le caractère effacé d'un Bohuslav Martinu ne doit point nous induire en erreur. Si l'on soulève, en effet, le masque de douleur grâce auquel il évite peut-être des promiscuités qui lui répugnerait, l'on est forcé de convenir que l'artiste qui s'abrite derrière ce faible rempart est non seulement l'un des plus complets, à tenir compte simplement du volume de son bagage, mais aussi l'un des plus originaux de notre temps.

Enfin, insistons sur ce dernier point, cette musique saine et joyeuse s'appuie sur un élément fondamental qui est comme une essence du folklore, sans jamais un emprunt au moindre thème populaire, mais avec d'incessantes allusions qui lui confèrent tour à tour son caractère piquant ou son authenticité. Il faut bien le répéter ; les classiques, Mozart en particulier, n'en ont jamais usé autrement, et c'est probablement pour cette raison que le thème apparemment le plus innocent du petit Salzbourgeois évoque aussitôt, en nous, en n'importe qui, un écho qui résonne jusqu'au tréfonds de l'âme."

 Martinů élève à Paris d'Albert Roussel. Les échanges tchéco-français s'inversèrent parfois. Julia Reisserova, autre élève d'Albert Roussel, joua sans doute un rôle déterminant dans la création tchèque à Olomouc, en Moravie, d'une comédie musicale de son maître français, le Testament de Tante Caroline, occasion d'un billet dans les colonnes de la Revue, ce même mois de décembre 1936.

Début 1937, la revue donna la relation d'un concert des mardis musicaux qu'elle organisait régulièrement, concert entièrement dédié à la musique tchèque avec des œuvres de Vítĕzslav Novák, Boleslav Vomáčka, Karel Boleslav Jirák,  Bohuslav Martinů et Julia Reisserova, une compositrice qui prolongea dans les années 20 ses études musicales en France auprès d'Albert Roussel et de Nadia Boulanger, comme nous l'avons déjà indiqué. Le mois suivant, de Prague, Gerth Baruch envoyait ses impressions positives à propos de la première audition des Jeux de Marie de Bohuslav Martinů, basé sur "quatre contes relatifs à la Sainte Vierge. […] La psalmodie archaïque du mythe initial contraste avec le mouvement rythmique et dramatique de l'épisode de la Rédemption, de même que la suave idylle de Noël, toute imprégnée d'une atmosphère nationale, s'oppose avec bonheur au dernier tableau qui, lui aussi, est d'essence dramatique."

Un peu plus loin dans les pages de ce numéro de la Revue, Arthur Hoérée étudiait la partition du Journal d'un disparu de Janáček que le rédacteur s'était procuré auprès de l'éditeur Pazdirek de Brno. Il en rappelait la première audition à un concert de la société Triton l'année précédente. Ce en quoi il se trompait puisque Mischa-Leon l'avait chanté à Paris en 1922. Il faut bien croire que cette première audition par le ténor danois avait été donnée devant un auditoire confidentiel puisque elle était passée inaperçue pour des musicologues pourtant attentifs à la nouveauté. Toujours est-il qu'Hoérée en relevait l'originalité.

"On est frappé, dès l'abord par la dualité du style vocal. D'une part une tessiture moyenne et son contour très proche de la chanson populaire ou du moins, du lied. D'autre part, des envolées lyriques dans le registre aigu et l'accent théâtral. […] Le langage harmonique, de Janacek si libre soit-il, répond d'ailleurs à une logique intérieure qui est la marque de l'innovation véritable à l'opposé de l'exploitation d'une formule fabriquée par système." Après avoir relevé des traces d'influence sans doute fortuite de Brahms et Debussy, il détaillait les différents chants de cette partition : "Le quatrième poème avec sa fine arabesque construite en canon est des plus significatives à ce point de vue. Signalons encore le rythme puissant du n° 6, le mystère du n° 12, évoquant dans un cadre de sous-bois l'envoûtement que provoque la tzigane ; voici encore la belle plainte du quatrième poème, le contour assez slave du neuvième, l'élan impulsif du finale." Il terminait son étude en souhaitant que Mme Leroux (10) qui officiait au concert de Triton donne une nouvelle audition de "cette œuvre d'un grand intérêt."

(10) Germaine Leroux, pianiste française, se dévoua pour les ouvrages de Janáček et de Martinů avec qui elle se lia d'autant plus facilement que son mari, le diplomate tchèque féru de musique, Milos Safranek, était déjà ami de Martinů. Il réalisa durant les années de guerre la première biographie de son compatriote.

Pour conclure ce mois, les lecteurs étaient invités à prendre connaissance du contenu d'un des derniers Mardis musicaux que la Revue organisait, celui-ci consacré une nouvelle fois à la musique tchèque avec "Suk et Novak, deux des pionniers de l'indépendance artistique tchèque, tous deux disciples de Dvorak, puis de leurs plus illustres cadets : Vomacka, Jirak et Martinu, le plus connu du public français qui le considère un peu comme un des siens."



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La pianiste Germaine Leroux
en compagnie de Bohuslav Martinů (à droite) et du chef Leon Barzin (1942)
© Musée municipal de Policka - Mémorial Bohuslav Martinů - www.muzeum.policka.net

L'année suivante, dans la programmation du prochain festival de la SIMC à Londres au mois de juin, on releva la Sinfonietta de la toute jeune et prometteuse Vítĕzslava Kaprálová (11), la propre fille de  Václav Kaprál dont il a été question plus haut, un quatuor de Viktor Ullmann, des mélodies avec accompagnement d'un quintette à vent de Isa Krejčí et la Musique pour radio de  František Bartoš (l'homonyme du compagnon de collectes de musique populaire de Janáček). Dans ce numéro de janvier, Peter Gradenwitz rédigea une assez longue étude sur "Johan Stamitz - remarquons la germanisation du nom - et le petit prophète de Boehmisschbreda".  

(11) Le Studio Matous a rendu hommage en 1998 à cette compositrice par un disque entier consacré à plusieurs de ses œuvres et notamment à cette Sinfonietta ("Portrait of the composer" MK 0049 - 2011) et en 2003 Supraphon a confié à la soprano Dana Burešová et au musicologue et pianiste Timothy Cheek le soin de proposer un enregistrement de ses mélodies (SU 3752-2 231).

C'est sous le titre "Témoignage tchécoslovaque" qu'en novembre 1937, Bohuslav Martinů rendait hommage à son maître Albert Roussel qui venait de disparaître.

"Tout ce que je suis venu chercher à Paris, je l'ai trouvé chez lui et de plus son amitié a été le plus précieux des réconforts. Ce que je suis venu chercher chez lui, c'était l'ordre, la clarté, la mesure, le goût et l'expression directe et sensible, les qualités de l'art français que j'ai toujours admiré et que j'ai voulu connaître plus intimement. Toutes ces qualités, il les avait et il m'avait fait part généreusement de son savoir, très simplement et très naturellement, en grand artiste qu'il était. J'ai été son élève, et grâce à cela, je me sens un peu Français et j'en suis très fier et aussi j'espère bien un jour transmettre son message chez nous, à Prague, où il est si admiré."

Point besoin n'est de s'étendre sur les relations musicales d'alors entre la France et la Tchécoslovaquie, les propos de Martinů étant suffisamment éloquents.

On attendit le numéro 186 de septembre-novembre 1938 pour retrouver trace de Janáček dans une note à propos du festival de musique de chambre de Trencianske Teplice, petite station thermale dans la vallée du Vah en Slovaquie, proche de la ville de Trencin, à quelques kilomètres seulement de la Moravie. "La musique tchèque y était représentée par treize œuvres bien choisies dont trois de Janáček." Franchissons une nouvelle année. Dans le numéro 189 du mois de mars 1939, dans la copieuse revue de presse, une énumération des articles publiés en France et à l'étranger, on découvrait la mention dans la revue tchèque Hudebni Vychova (Enseignement de la musique) d'un écrit de Jan Racek (12) "Janackovo moravstvi"que l'on pourrait traduire par "Janáček morave".

(12) Vous trouverez sur ce site un article de Jan Racek se rapportant à l'impressionnisme dans la musique de Janáček

La Revue Musicale symbolise assez bien l'état des relations entre le public éclairé constitué par les compositeurs et critiques musicaux que la musique moderne ne rebutait pas et Janáček. Au pire, une méconnaissance complète du compositeur morave, au mieux une incompréhension et parfois un intérêt qui ne dépassait pas les bonnes intentions et n'allait pas jusqu'à l'engagement et ceci quelques soient les qualités que lui trouvaient quelques rares personnalités telles Henry Prunières, Erwin Felber ou Arthur Hoérée. Quant à l'enthousiasme, n'en parlons pas ! Retenons plutôt la prudence pour ménager l'avenir. Dans l'entre-deux-guerres, ce compositeur morave dérangeait, agaçait, intriguait. Ne se rattachant ni au sérialisme, ni à l'impressionnisme, ni à l'expressionnisme, ni au néoclassicisme, ni au dandysme musical, ni à aucune autre école, comment le peser, l'appréhender ? Les clés ne se trouvaient pas en possession de la plupart de nos compatriotes. On ne pouvait même pas y retrouver le charme, l'exotisme, la verdeur, la candeur de la musique folklorique de l'Europe centrale. Décidément, ce compositeur inclassable brouillait les pistes. Et peu de mélomanes avaient envie de suivre le sentier les emmenant dans des contrées leur paraissant inhospitalières. Quel manque de curiosité, quelle frilosité ! Que ne s'appliquaient-ils pas la remarque pleine de vérité - et qui pourrait concerner tout à fait nos pratiques musicales contemporaines - que Robert Bernard écrivait en janvier 1936 "le concert est en passe de devenir un cimetière où l'on va déposer des fleurs devant des sépultures aimées". Résumons-nous, le temps de Janáček n'était pas encore venu !

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Couverture de LA REVUE MUSICALE, numéro 154, mars 1935

C) après 1940

Bien qu'elle réussit à produire trois numéros au début de 1940, la Revue Musicale interrompit sa publication pendant les années de guerre et ne reprit épisodiquement qu'en 1946. Suite aux grandes difficultés économiques de l'après conflit, elle connut une existence éphémère (onze numéros en 1946/47, un seul en 1949)  avant de reprendre un cycle régulier à partir de 1952, date à laquelle les Editions Richard-Masse (en fait surtout Albert Richard) la reprirent en main. Cependant la composition de la revue évolua radicalement vers une suite de numéros spéciaux allant jusqu'à occuper trois voire quatre numéros pour une seule livraison traitant d'un thème précis, la plupart du temps unique, tel par exemple, la littérature française et la musique, Erik Satie et son temps (1952), la musique polonaise d'aujourd'hui (1953), les deux Passions de J.S. Bach (1955), Mozart (1956, bicentenaire de sa naissance), Berlioz, le concours M. Long - J. Thibaud (1959), I. Xenakis et la musique stochastique (1963), le siècle de Bruckner (1975), Musiciens de France (1979), Bela Bartok, trois forts fascicules particulièrement pertinents rédigés par Jean Gergely en 1980, Charles Koechlin (1981), Claude Ballif (1984), Arnold Schœnberg et l'Ecole de Vienne (1989), etc…

Dans le numéro 198 (février - mars 1946), Robert Bernard signait dans la Revue Musicale un article dont à première vue on pourrait s'étonner de le voir figurer dans cette étude sur la réception française de la musique de Janáček. Sous le titre "Nationalisme et Internationalisme", le directeur de la revue à partir d'une statistique anglaise portant sur la saison 44/45 essayait de tirer quelques leçons. Et pour nous, malgré l'aspect partiel de cette statistique, nous ne pourrons nous empêcher de comparer ces enseignements à ceux que l'on peut tirer des programmes musicaux de nos orchestres témoins de Lyon et de Paris. On se contentera de mentionner les 18 compositeurs les plus fréquemment joués en Grande Bretagne. Sur ce premier graphique et si nous le rapprochons de ceux de Lyon et de Paris, nous percevons une constante, la place tenue par Beethoven et Mozart et d'une certaine façon celle occupée par les compositeurs de culture germanique également présents dans les programmes hexagonaux. Remarquons le classement de Brahms chez nos amis britanniques alors que sa musique ne parvenait pas encore à s'imposer chez nous. Mais signalons également la place de Tchaïkovsky presque au niveau des deux maîtres allemands entraînant dans son sillage ses compatriotes Borodine, Rimsky Korsakov et Rachmaninov et provoquant chez le public anglais un culte de la musique russe dont la ferveur paraissait bien plus profonde que celle du public français. Par contre, la musique française n'était pas à l'honneur chez notre allié. Debussy ne jouissait pas des faveurs que l'on trouvait de ce côté-ci de la Manche et Berlioz à peine plus, ce qui pourrait nous étonner quand on sait l'intérêt qu'il suscite en Grande Bretagne (que l'on se souvienne que Colin Davis fut l'un des premiers à enregistrer d'autres ouvrages du compositeurs de la Côte Saint-André que sa symphonie fantastique). Vérité en deçà de la Manche… ! Les Britanniques célébraient en beauté leurs compositeurs (Elgar, Delius) que nous ignorions alors totalement. Ils firent preuve de plus d'intérêt pour des musiciens du Nord (Sibelius) et continuaient de manifester leur attachement à Dvořák dont ils avaient si chaleureusement reçu la musique lors de ses différents voyages outre Manche.

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Les 18 compositeurs les plus fréquemment joués en Grande Bretagne  - 1944/45
(Nombre d'exécutions de leurs ouvrages)

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Grande Bretagne - répartition par nations (1944/45)

Au delà de ces différences, la permanence de la musique allemande à la première place tant en Grande Bretagne qu'en France saute aux yeux. Par contre l'absence de tout compositeur vivant dans ce palmarès (Richard Strauss âgé de plus de 80 ans vivait ses toutes dernières années et ne pouvait représenter la musique de l'avenir !) soulevait la place de la musique contemporaine, au delà des nationalités. Robert Bernard s'attacha à énoncer la problématique et à avancer des solutions.

"Il s'agit, en effet d'honorer, de propager, de défendre les œuvres des maîtres qui, à quelque pays qu'ils appartiennent, ont apporté à la civilisation un langage nouveau, une façon neuve de penser musicalement et de s'exprimer. Quoiqu'on pense et qu'on les aime ou pas, depuis Wagner, ce sont en tout premier lieu Debussy, Fauré, Ravel, Roussel, Strawinsky, Prokofieff, Schoenberg, Hindemith, Honegger, Alban Berg, Malipiero, Falla, Bartok, Milhaud et quelques autres qui ont ouvert des voies nouvelles et doté la musique d'œuvres fécondes en conséquences. Si de tels novateurs - indépendamment de la valeur intrinsèque de leur production et de l'attrait qu'elle exerce ou non sur nous - ne sont pas familiers à l'esprit des mélomanes, toute l'évolution de la musique d'aujourd'hui qui en découle est inintelligible ou, du moins, l'optique de notre jugement en est faussée et l'on se trouve enclin à attribuer à quelques pâles épigones les mérites qui reviennent à ces chefs de file. […]

Quand nous estimons que Strawinsky, Roussel, Falla ou Schoenberg doivent être connus de tous les publics mélomanes, ce n'est en aucune façon pour ce qu'il peut y avoir de spécifiquement russe, français, espagnol ou autrichien dans leur art, ce n'est même pas tant à cause de la valeur intrinsèque de leurs œuvres, mais parce qu'elles sont indispensables à l'intelligence de l'évolution du langage musical, parce que leur influence est universelle et que - qu'on le veuille ou non, qu'on les aime ou non, qu'on s'en réclame ou qu'on s'y oppose - nous ne pouvons faire abstraction de ce qu'ils ont apporté à toute l'humanité musicienne."

Si l'on peut contester la présence de tel ou tel compositeur dans la liste des chefs de file (Malipiero ?), telle que l'établit Robert Bernard, nous ne pouvons que souscrire à la forte affirmation de la primauté de la nouveauté dans la technique et les moyens d'expression musicaux sur le caractère national de tel ou tel. Quels que soient les charmes, les parfums, les couleurs et les rythmes particuliers qu'amènent les attributs populaires qui singularisent la musique espagnole à travers Falla, la musique hongroise à travers Bartok et la musique tchèque à travers Janáček, ce qui distingue leur œuvre va bien plus loin que l'héritage que leur lèguent leurs maîtres anciens et qu'ils cultivent et embellissent. C'est bien un caractère universel qui fait leur valeur.

Au fil des pages de la Revue, nous apprenons l'exécution, hors hexagone, mais tout près de chez nous, par la Société Philharmonique de Bruxelles au cours de la saison 1946/7 de Taras Bulba alors qu'au programme des concerts de l'UNESCO était annoncée pour le 30 octobre 1946 la venue de l'orchestre philharmonique tchèque dirigé par Rafaël Kubelik avec la participation du violoncelliste Pierre Fournier dans le Concerto pour son instrument de Dvořák, l'ouverture de la Fiancée vendue de Smetana et la Sinfonietta de Janáček. Avec un tel programme dans lequel trois compositeurs symbolisaient leur nation, on ne prenait aucun risque. Toujours en 1946, dans le numéro 203 de novembre-décembre, le compositeur F. Bartoš expliquait depuis Prague comment la capitale tchèque avait pris connaissance des quatre symphonies déjà composées par Martinů, dont la Première fut dirigée au cours de l'édition 1946 du fameux festival "Printemps de Prague" par notre compatriote Charles Munch alors que la pianiste française Germaine Leroux jouera quelque temps plus tard la Sinfonietta giocoso (H 282) que le musicien lui avait dédiée en 1940. Un peu plus tard, en fin d'année 1947, la Revue annonça que la participation tchèque au futur festival de la SIMC du mois de juin à Amsterdam reposerait sur les épaules de Miloslav Kabelac et sa deuxième symphonie.

Arrêtons-nous en 1952 à l'occasion de la publication du numéro 216 qui dressait un "tableau chronologique des principales œuvres musicales" de 1900 à 1950" suivant le titre que lui octroya son auteur. Le musicologue Henry-Louis de la Grange - qui s'illustra magnifiquement dans les années 80 par la publication de trois épais volumes consacrés à Gustav Mahler - établit ce catalogue divisé en trois grandes catégories : opéras, ballets, oratorios, cantates - musique symphonique - musique instrumentale et mélodies. Observons les ouvrages retenus de Janáček pour constater l'état de la connaissance française de sa musique, même s'il se réduisait à un état livresque.


année œuvre année œuvre année œuvre
1903 Jenufa 1916 Journal d'un disparu 1924 L'Affaire Makropoulos
1904 Quatre chansons moraves Chants de Hradcany Le fou errant
1905 Kantor Halfar 1920 Ballade de Blanik Jeunesse
1907 Matrycka Magdonova 1921 Kata Kabanova 1925 Concertino pour piano
1908 Trio 1922 Kaspar Rucky 1926 Sinfonietta
1912 L'enfant du musicien de village 1923 Le Rusé Renard 1927 Maison des Morts
1914 Les excursions de M. Broucek Quatuor Capriccio pour piano main gauche et vents
Sonate violon piano Les 70 000 Quatuor II
1928 Messe glagolitique

Ce tableau appelle quelques commentaires. Tout d'abord, relevons quelques erreurs de dates qui prouvent que, plus de vingt ans après la disparition du compositeur, on n'avait pas en France la possibilité de disposer d'un catalogue fiable du ouvrages du musicien morave, ce qui ne devrait pas nous étonner puisque John Tyrrell, Nigel Simeone et Alena Nemcova ne réussirent à en dresser un complet et vérifié qu'en 1997. Rétablissons la chronologie. Le chœur les 70 000 ne date pas de 1923, mais de 1909, de même Kaspar Rucky a été composé six ans avant la date indiquée sur le tableau, le Fou errant en 1922 et non en 1924, la Messe glagolitique en 1926 et non en 1928. Quant à la Maison des morts, au Quatuor II et au Capriccio, ils datent pour les deux premiers de la dernière année d'existence du compositeur, c'est-à-dire 1928, et pour l'autre ouvrage, de 1926. Ne jetons pas la pierre au rédacteur du tableau pour ces erreurs somme toute bénignes. Nous sommes plus dubitatifs devant la présence d'une œuvre fantôme, le Trio de 1908. Si celui-ci a bel et bien existé, puisqu'il a été exécuté au cours d'un concert donné à l'Ecole d'orgue à Brno le 2 avril 1909, ce Trio n'a pas été conservé. Pourquoi ? Sans doute, Janáček n'en était-il pas satisfait et l'a-t-il détruit. Jaroslav Vogel, dans son beau volume, nous indique que des thèmes de ce Trio ont été réemployés dans le premier Quatuor à cordes. N'ergotons pas non plus sur de mauvaises transcriptions de certains titres, notamment celui de Maryčka Magdonova qui porte le nom de la malheureuse héroïne du poème de Petr Bezruc et dont le prénom se retrouve transformé en Matrycka ! A cette époque, on continuait à intituler le huitième opéra de Janáček le Rusé Renard ; il fallut encore un peu de temps pour qu'on s'aperçoive que le renard était en réalité une renarde…! Enfin l'Enfant du musicien de village se voit plutôt traduit du titre tchèque Sumarovo dite par l'Enfant du violoneux et non pas par ce titre à rallonge. Si les opéras sont présents au nombre de six, par contre, comment expliquer l'absence des ouvrages pianistiques du maître morave ? Aucune trace de la Sonate, ni des deux cycles Sur un Sentier recouvert et Dans les brumes… Les interprétations au début des années 50 en furent certainement peu nombreuses et passèrent probablement inaperçues, comme pour la Sonate l'exécution par Jane Mortier en 1926 et 1927 et pour le cycle Dans les brumes, celle de Lyon en 1923 étaient passées à la trappe de la mémoire collective.

Considérons maintenant le détail de ce catalogue mis en place par la Revue Musicale. Une part de stupéfaction saisit le lecteur devant la liste des opéras, ballets, oratorios, cantates et chœurs sélectionnés pour l'année 1903. Si l'on y retrouve Jenůfa et Madame Butterfly, comment accompagner ces ouvrages lyriques qui marquèrent l'histoire de l'opéra par d'autres productions certes honorables, mais pas incontestables chefs d'œuvre comme Tiefland d'Eugen d'Albert, Siberia de Giordano, Cherubin de Massenet et même Armide de Dvořák, sans doute son opéra le moins abouti, sans compter Dobrigo Nikitch de Gretchaninoff, Ogaratuja du Brésilien Alberto Nepomuceno ou encore la cantate Taillefer de Richard Strauss. Même avec un recul de cinquante ans, qu'il est difficile de hiérarchiser la production de cette année-là !

216-tableau

Principales œuvres musicales en 1903 (la Revue Musicale n° 216 - année 1952)

Toujours dans ce catalogue, Henry-Louis de La Grange listait les compositeurs qu'il avait retenus. Au titre de la Tchécoslovaquie figuraient (en respectant la graphie employée) Anton Dvorak, Alois Haba, Leos Janacek, Karl Boheslav Jirak (avec une partie de son prénom germanisé, comme pour Dvorak), Ernest Krenek, Bohuslav Martinu, Vitezslav Novak, Felix Petyrek, Josef Suk et Jaromir Weinberger, soit un total de 10 compositeurs. Prenons pour une coquille l'inclusion d'Ernest Krenek. Le mérite de cette liste est de nous faire connaître le nom du Morave Felix Petyrek (1892-1951) dont, semble-t-il, il n'existe qu'un enregistrement d'ouvrages pianistiques des années 1915 à 1928, exécutés par Kolja Lessing pour le compte du label Eda Records.

En 1957, la Revue destina un numéro double (239/40) au IIIè congrès international de musique sacrée. Dans le chapitre qui traita de quelques compositions de "l'ordinarium Missae" modernes, le professeur Hellmuth Christian Wolff se pencha sur deux ouvrages récents, la Messe de Stravinsky datant de 1948 qu'il rangeait dans le "genre purement liturgique, pouvant être employé pour la messe elle-même" et la Messe glagolitique de Janáček qui répondait selon lui à "un genre inspiré par la foi, dans lequel on cherche une expression subjective du texte de la messe", autrement dit une messe non-liturgique. "Cette musique est si pure que, même sans la connaissance de la langue, l'œuvre produit une forte impression.  Cela est dû, semble-t-il, aux thèmes utilisés dont la mélodie, le rythme sont empreints de majesté et auxquels de systématiques répétitions donnent tant de relief.[…] La Messe glagolitique est l'acte de foi subjectif et religieux d'un esprit passionné." Pour clore cette épaisse brochure, une discographie de musique sacrée relevait le Stabat Mater de Dvořák et la Messe slavone (glagolitique) de Janáček, deux enregistrements dus à le firme tchèque Supraphon.

Passons maintenant au numéro 242 (1958) qui brossait un panorama de la musique dans le monde et intéressons-nous au chapitre décrivant la situation musicale tchécoslovaque. En neuf pages, Vladimir Stepanek, délégué permanent de la Tchécoslovaquie auprès de l'Unesco, passait en revue la musique en Europe orientale : Russie, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Yougoslavie, Bulgarie et Roumanie. Pour le pays qui nous intéresse, relevons quelques extraits de ses écrits. "C'est d'eux [J.-B. Foerster et Vítĕzslav Novák] et également de Leos Janacek et Josef Suk que se réclame l'actuelle génération de compositeurs." Et de citer les noms d'Alois Hába, de Václav Dobiáš, Miloslav Kabelac,  Jan Hanuš, Isa Krejčí, Jan Kapr, Viktor Kalabis, Petr Eben, Jan Novák, Vladimir Sommer, Otmar Mácha et Bohuslav Martinů ainsi que des Slovaques Eugen Suchoň, Ján Cikker et Ján Zimmer. La liste des compositeurs tchécoslovaques s'allongeait en s'enrichissant de noms nouveaux ! Mais sous l'emprise du réalisme socialiste qui régnait abondamment à cette époque en URSS et dans les pays satellites, l'article se terminait par deux citations de Dimitri Chostakovitch qui se trouvait dans l'obligation de se soumettre aux diktats artistiques décidés par la bureaucratie politique de son pays. Cependant, fait absolument nouveau, la Revue Musicale inclut dans ses pages deux publicités émanant de la firme Supraphon qui mit en avant deux compositeurs : Janáček et Dvořák.

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les premières publicités de la firme Supraphon dans la Revue Musicale célèbrent Dvořák et Janáček

Au cours des Semaines musicales de Paris, le samedi 18 octobre 1958, comme le relata la Revue, on entendit le Concerto da camera de Martinů datant de 1941 (H 285) et le jeudi 30 octobre, la Philharmonie Tchèque qui avait fait le voyage avec son chef Karel Ancerl présenta, sans surprises, deux joyaux de la musique de son pays (et que les Parisiens connaissait bien !) : l'ouverture de la Fiancée vendue de Smetana et la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák encadrant une Sérénade d'Isa Krejčí - dont on peut penser qu'il s'agissait d'une première audition française - et accompagna notre compatriote le pianiste Samson François dans le fameux troisième concerto pour piano de Prokofiev.

Franchissons à grandes enjambées les années et les numéros spéciaux qui égrenèrent les sujets à la fois les plus attendus et les plus hardis, de l'hommage à Debussy pour le centenaire de sa naissance à celui à Jean-Philippe Rameau pour le bicentenaire de sa disparition, de Claude Ballif à Pierre Schaeffer (deux brochures en 1971 et 1977) en passant par les Journées de musique contemporaine à deux reprises, de la musique africaine, de l'orgue français, de la vénerie et sa musique à Cosi Fan Tutte, des trois magnifiques volumes dédiés à Bela Bartok par Jean Gergely, d'une brochure consacrée aux sœurs Boulanger, Lili et Nadia, des chemins en musique de Luciano Berio au piano de Chopin et à celui de Szymanowski, d'une contribution au tricentenaire de Jean-Sébastien Bach, de Maurice Ohana à Joseph Kosma pour aboutir au numéro triple 388-89-90 en 1986. Cette brochure épaisse (un peu plus de 200 pages) intitulée "Musiciens d'Europe, figures du renouveau ethnoromantique", mêle sous la direction de Paul-Gilbert Langevin les figures de Franz Schmidt, Franz Schrecker, Alexander von Zemlinsky, Max Reger, Ferruccio Busoni, Leoš Janáček [et le théâtre lyrique], Hermann Goetz et Mieczyslaw Karlowicz, Carl Nielsen, Ralph Vanghan-Williams, Ernest Bloch, Bohuslav Martinů et Heitor Villa-Lobos. Intéressons-nous aux deux représentants tchèques.

Les pages 98 à 113 contiennent le texte d'une causerie donnée par le directeur d'alors de l'Ecole Normale de musique de Paris, Jacques Feschotte le 3 juin 1959, suivies de notes, d'une bibliographie et d'une liste des partitions des opéras. Quel plaisir de découvrir au long de ces pages le fort intérêt d'un musicologue pour le maître morave qui ne se contenta pas de lire le seul livre qui existait, celui de Daniel Muller, mais qui fit le voyage de Brno et pénétra au cœur de ses opéras par l'audition en langue originale de la plupart de ceux-ci. Si Jacques Feschotte centre son intervention sur les opéras qu'il décrit de façon détaillée (notamment la Petite renarde rusée et De la Maison des morts), il n'en oublie pas les autres facettes du compositeur : les deux quatuors, le Journal d'un disparu, les deux cantates Amarus et l'Evangile éternel, la Messe glagolitique, Taras Bulba, la Sinfonietta. "Cette opposition entre les âpretés dissonantes qui suggèrent le crime, la misère, les agonies, et la touchante tendresse des pages consolantes, reste le propre de ce cœur à la fois violent et passionné, mais si éminemment sensible à la souffrance" écrit le conférencier faisant allusion à De la Maison des morts. Et un peu auparavant, il notait "L'étude approfondie de la prosodie et des inflexions de la parole à laquelle Janáček s'est livré pendant les vingt premières années de sa carrière […] le place à côté de Bartok dans la science musicale contemporaine."

De la page 161 à la page 165, Harry Halbreich, dont nous avons relevé par ailleurs les fines analyses musicales d'œuvres de Janáček, mit son talent au service de Martinů dont il décrivit rapidement la carrière, s'attachant plus précisément à l'œuvre symphonique (les six symphonies, les Fresques de Piero della Francesca et les Paraboles) et de son style qu'il définit ainsi "La notion de thème est-elle chez lui fort différente de ce qu'elle représente chez les classiques : très souvent, ce sont de simples cellules, de courts fragments rythmiques ou mélodiques, qui se trouvent à l'origine d'un mouvement et qui se développant petit à petit, porté par le courant musical comme par un fleuve, finissent par devenir d'amples et admirables mélodies lyriques."

compositeurs dates compositeurs dates compositeurs dates compositeurs dates compositeurs dates
Pavel Křížkovský 1820-1885 Rudolf Karel 1880-1945 Václav Kaprál 1889-1947 Pavel Bořkovec 1894-1992 Ján Cikker 1911-1989
Bedrich Smetana 1824-1884 Otakar Šin 1881-1943 Hans Krása 1889-1944 Jaromir Weinberger 1896-1967 Erwin Schulhoff 1894-1942
Antonín Dvořák 1841-1904 Václav Štĕpán 1881-1944 Vílem Petrželka 1889-1967 Viktor Ullmann 1898-1944 Jan Kapr 1914-1988
Zdeněk Fibich 1850-1900 Jaroslav Křička 1882-1969 Bohuslav Martinů 1890-1959 Isa Krejčí 1904-1968 Jan Hanuš 1915-2004
Leoš  Janáček 1854-1928 Ladislav Vycpalek 1882-1969 Karel Boleslav Jirák 1891-1972 Theodor Schaefer 1904-1969 Vítĕzslava
Kaprálová
1915-1940
Josef Bohuslav Foerster 1859-1951 Jan Kunc 1883-1976 Otakar Jeremiáš 1892-1962 Jaroslav Ježek 1906-1942 Jan Novák 1921-1984
Karel Kovařovic 1862-1920 Jaroslav Novotny 1886-1918 Felix Petyrek 1892-1951 Jaroslav Kvapil 1906-1958 Otmar Mácha 1922
Vítĕzslav Novák 1870-1949 Emil Axman 1887-1949 Oswald Chlubna 1893-1971 Miloslav Kabelac 1908-1979 Viktor Kalabis 1923
Josef Suk 1874-1935 Boleslav Vomáčka 1887-1965 Alois Hába 1893-1973 Eugen Suchoň 1908-1993 Petr Eben 1929
Otakar Ostrčil 1879-1935 Julie Reisserova 1888-1938 František Picha 1893-1964 Václav Dobiáš 1909-1978
Otakar Zich
1879-1934
Compositeurs tchécoslovaques cités par la Revue Musicale
tout au long de son existence

D) Conclusion


Pas plus qu'une hirondelle ne fait le printemps, la Revue Musicale ne modela le goût des mélomanes français. Mais sa lecture tout au long de ces vingt premières années années d'existence mit en contact ses lecteurs avec des courants musicaux novateurs, dont la musique tchèque. En l'absence d'exécutions en grand nombre, les lecteurs se rabattaient sur le contenu de la Revue. Si la plupart des concerts proposant cette musique se tenaient à Paris, les mélomanes érudits de province pouvaient néanmoins tenter de se procurer une partition et appréhender plus facilement ces nouveautés. Le nom de Janáček ne pouvait pas passer inaperçu. Mais cela ne touchait qu'un nombre restreint de mélomanes, une élite. Et en l'absence d'exécutions plus nombreuses, sa musique ne pouvait percer. Tout au plus, jusqu'au début des années 1960, les mélomanes se résignaient-ils à inscrire son nom dans un coin de leur mémoire au cas où…

Si nous reprenons l'une ou l'autre des listes dressées par les divers commentateurs de la Revue et que nous nous interrogeons maintenant sur l'étendue de la pénétration de la musique tchèque dans notre pays, force est de constater notre méconnaissance complète de la musique d'un très grand nombre de ces compositeurs et à plus forte raison de ceux de la génération tchèque actuelle.

Après guerre et compte tenu de la réorientation de la Revue, durant ces quarante années d'existence, on ne découvrit que quelques mentions de la musique tchèque et de celle de Janáček ; un seul article, certes consistant et pertinent, en plus de trente ans ! Il fallut se tourner vers d'autres publications pour trouver de nouvelles traces du compositeur morave, malheureusement très rares, elles aussi. Les articles suivants les évoquent. 

Joseph Colomb - janvier 2006 (révision août 2006)

L'orthographe des citations a été scrupuleusement respectée, si bien que la graphie des noms tchèques se trouve parfois éloignée de la graphie originale.