Une intense activité au sein de sociétés culturelles et musicales

Société Svatopluk

À la fin de sa scolarité initiale, après les premières études au monastère des Augustins et sa formation d'enseignant, à partir de 1872, soit dès l'âge de 18 ans, Leoš Janáček vola de ses propres ailes. Tout de suite, dès le mois de février de l'année suivante, il fut élu chef de choeur à la société Svatopluk, un cercle d'activités culturelles, musicales, pédagogiques. Sa première expérience de dirigeant dura jusqu'en octobre de l'année 1876, excepté une interruption due à la reprise des études qu'il effectua durant la saison 1874/5 à Prague, à l'école d'orgue. Formation complémentaire importante puisque ces études lui donnèrent l'opportunité de connaître plus précisément l'état de développement de la musique dans la capitale des pays tchèques où il assista à une exécution de Vltava et de Vyšehrad de Smetana. Sa présence à Prague lui permit de rencontrer son aîné Antonín Dvořák et de nouer des liens amicaux et musicaux qui comptèrent dans sa vie de compositeur.

Leos Janacek l'age de vingt ans
Leoš Janáček à l'âge de vingt ans

Ce jeune homme de 19 ans qui se trouvait propulsé à la tête d'un choeur entreprit une vie active, remplie de tâches qui firent que très vite, sa personnalité, sa force de travail et de conviction, sa fougue, son engagement furent reconnus. Il débuta certes modestement, mais non à un poste subalterne d'exécutant, tel un poste simple d'enseignant ou de choriste ou encore instrumentiste, membre d'un ensemble. Non, il se trouvait à la tête d'un choeur. Devant. Un symbole et même plus, une place qui resta sienne durant toute sa vie. Devant ! S'efforçant de convaincre ses étudiants, ses choristes, ses collègue... et le public à le suivre ! Sans que ses efforts fussent couronnés du succès immédiat...

Beseda brnenska

Peu après son retour de Prague, il franchit une nouvelle étape avec sa nomination à la tête de l'ensemble choral de Beseda brnenska, une société de Brno créée seize ans auparavant. Très vite, influencé probablement par l'exemple du choeur pragois Hlalol qu'il entendit au cours de son séjour dans la capitale historique des pays tchèques l'année précédente, il ajouta des voix féminines au groupe masculin qui constituait l'ossature de ce choeur, le muant ainsi en une formation chorale mixte (après y avoir joint occasionnellement les voix féminines du choeur de la société Vesna).

Du coup, cette modification lui permit d'élargir sensiblement son répertoire. Il ne se contenta pourtant pas de cette évolution. Son tempérament bouillonnant, sa volonté de secouer la vie musicale dans sa ville le poussèrent à créer un orchestre. Il dirigea tantôt un choeur, tantôt un ensemble instrumental. Et les créations (ou re-créations) fleurirent, malgré les difficultés, malgré les habitudes routinières en vigueur dans cette capitale provinciale. Et pour se donner encore plus de possibilité de les vaincre, pour développer un peu plus l'activité musicale, il créa un école de chant et une école de violon. On peut imaginer l'ardeur que ce jeune homme déploya pour convaincre les membres de la Beseda brnenska de la nécessité des projets qu'il leur présentait.

Amalie Wickenhauser
Amalie Wickenhauser tint le piano pendant plusieurs mois en tant que soliste au cours des concerts de musique symphonique ou de musique de chambre donnés au sein de la Beseda Brnenska

L'école musicale de cette société, il en prit naturellement la direction, le travail ne l'effarouchant pas ! Sauf durant les quelques mois passés aux conservatoires de Leipzig et de Vienne entre octobre 1879 et juin 1880, il dirigea ardemment les jeunes moraves (et les moins jeunes) du choeur et de l'orchestre et il éduqua avec non moins de chaleur les élèves de l'école.

Cet orchestre, il le dirigea à deux reprises pour la première audition de deux de ses oeuvres pour orchestre à cordes, la Suite pour cordes et Idylle dont les créations prirent place le 2 décembre 1877 pour la première et le 15 décembre 1878 pour la seconde. J'ai déjà indiqué, ailleurs dans d'autres chapitres, la filiation évidente de ces compositions pour orchestre à cordes avec la belle Sérénade pour cordes, opus 22 (B 52, dans la nouvelle numérotation) que son ami Antonín Dvořák venait de composer quelques mois auparavant (1875).

Leos Janacek en 1879, age de 25 ans
Leoš Janáček en 1879, âgé de 25 ans

Il amplifia considérablement ces activités à partir de son retour de Vienne. Il devint professeur titulaire à l'Institut pédagogique (institut de formation des futurs enseignants) dont le Directeur n'était autre qu'Emilian Schulz, devenu son beau-père en 1881. A la fin de cette même année 1881, il réalisa l'un de ses rêves : la création (une de plus) d'une école d'orgue à Brno qui ouvrit l'automne suivant et dont il prit la direction.

Jan Ladislav Sichan
Jan Ladislav Sichan, photographe à Brno, entra très tôt dans le cercle des amis de Leoš Janáček. Il était également peintre et ce fut lui qui croqua ce portrait de son ami en 1881

Comme si ses activités actuelles d'enseignant ne lui suffisaient pas, il continua à diriger le choeur du couvent des Augustins jusqu'en 1888 ou 1891 (les deux sources actuellement à ma disposition sont contradictoires).

Compositeur-citoyen

Chaque occasion de mieux connaître, de mieux comprendre le monde qui l'entourait, les formes musicales d'un peuple ou d'un autre lui était bonne à saisir. Au besoin, il suscitait les rencontres, il tentait de forcer son destin artistique en même temps qu'il mettait sa formidable force de conviction au service de ses compatriotes. Ainsi, avec la création du cercle russe, au retour du premier voyage effectué en Russie en 1896.

L'ouverture à Brno, en 1884, d'un théâtre destiné aux oeuvres tchèques procura à Janáček une nouvelle occupation. Pour compléter l'éducation musicale de ses compatriotes, il fonda au sein de Beseda brnenska une revue régulière, intitulée Hudebni listy (Lettres musicales), dont il prit la direction et dans laquelle il assura la rédaction d'un certain nombre de comptes-rendus des événements musicaux qui se produisaient dans ce théâtre, accentuant ainsi, tout en la diversifiant, sa tâche pédagogique.

Si l'on ajoute les compositions chorales, vocales, religieuses, le premier opéra, si l'on ajoute encore la part que prirent les collectes de musique populaire à partir de 1888, l'ensemble de ces activités d'enseignement, de direction, de programmation musicale, de composition et de rédaction, on touche du doigt de manière très précise ce que certains musicologues, il y a déjà longtemps, ont désigné sous le concept de compositeur-citoyen pour qualifier l'étendue du spectre d'activités étreint par Janáček.

Leoš Janáček était immergé dans la vie culturelle, musicale et sociale de Brno et il était un membre très actif, voire dirigeant d'un groupe important d'hommes et de femmes moraves qui se retrouvaient pour partie dans telle société culturelle, pour partie dans une autre, pour partie encore dans une nouvelle. Ce noyau entreprenant constituait le moteur du développement culturel de Brno. Cette capitale provinciale non seulement se développait à grand pas sur le plan économique, mais participait dynamiquement au développement culturel et politique de la province morave toute entière. Dans ce mouvement, Janáček ne s'isolait pas dane une sorte de tour d'ivoire du haut de laquelle il aurait créé des chefs-d'oeuvres proposés à l'admiration de ses concitoyens, il appartenait bien au monde réel de sa ville, de sa région natale, de sa province et, un peu plus tard, de son pays. Il prenait à bras le corps la problématique culturelle spécifique morave et énergiquement proposait des solutions, soit par son enseignement dans les différents cercles où il travaillait, soit par ses recherches, soit par sa participation aux tâches de diffusion culturelle, soit par ses oeuvres.

Leoš Janáček, interprète

Joseph Colomb - juin 2004

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