La réception française de la musique de Janáček par les concerts



La diffusion de la musique de Janáček en France
à travers les écrits par les disques par les concerts


du vivant de Janáček avant 1939 de 1939 à 1945 de 1945 à 1969 de 1969 à 1987 de 1987 à 2000 autres
structures
opéras


V) La réception et la diffusion françaises de la musique de Janáček pendant la période 1969 - 1987  (Phalange lyonnaise)

Après cette période de transition pendant laquelle la phalange se trouva veuve de chef stable, sous l'impulsion conjointe des administrateurs, de la municipalité et avec le soutien de Marcel Landowski au ministère de la Culture, la création d'un orchestre permanent, dirigé par un chef attitré fut décidée en 1969. Cet orchestre, appelé tout d'abord orchestre philharmonique Rhône-Alpes, vécut sous la férule de Louis Frémeaux durant deux ans et se dénomma orchestre de Lyon à l'arrivée de Serge Baudo lequel le dirigea jusqu'en 1987. Entre-temps, l'orchestre se vit doté en 1975 d'un splendide écrin, un auditorium moderne de 2 000 places à qui l'on attribua le nom de Maurice Ravel, dont les origines n'étaient pourtant pas lyonnaises, mais basques. Fut-ce son passage en 1932 qui laissa de si bons souvenirs que l'on décida de lui dédier cette nouvelle structure ? Nous étudierons la programmation de ces années Baudo.

Les tendances observées au cours des périodes précédentes persistèrent avec la prédominance de la musique germanique (40 % des œuvres exécutées), la musique française 30 %, la musique russe un peu plus de 13 % et les autres écoles nationales se partageant les 15 % restants; ces deux derniers pourcentages restant à peu près constants, d'une période à l'autre, la part de la musique française par rapport à la musique allemande évoluant de quelques points depuis 1945. Cependant à l'intérieur de ces écoles, des modifications se firent jour. La tendance n'était plus à l'omniprésence de Wagner, mais plutôt à son effacement. Le même phénomène atteignit Bach, alors que Beethoven restait toujours la valeur musicale incontournable. Le goût du public et du milieu musical évolua un peu, Mozart rejoignit presque Beethoven sur les sommets alors qu'au début du siècle, il était assez peu apprécié à Lyon du moins pour sa musique symphonique. Un autre musicien mal aimé au cours des périodes précédentes vit sa côte grandir. Aimez-vous Brahms ? Une réponse négative à cette question ne s'imposait plus. La musique du compositeur du Requiem allemand n'indisposait plus, ne dérangeait plus. L'éventail des musiciens allemands s'élargit à 35 au cours de cette période, mais ne comprenait aucun compositeur vivant. 9 musiciens seulement appartenaient au XXè siècle. L'orchestre de Lyon ne tomba pas dans la Mahlermania qui saisit d'autres institutions musicales dans les années 80 en n'exécutant que quatre symphonies sur ses 9, les 1ère, 4è et 5è à trois reprises chacune, la 2è une seule fois, les Lieder eines fahrenden gesellen, les Kindertotenlieder, le Chant de la Terre par deux fois et des extraits du recueil Des Knaben Wunderhorn. Il ne donna qu'un aperçu extrêmement restreint de l'école de Vienne dodécaphoniste en ne célébrant Schœnberg, Webern et Berg qu'à onze reprises en 18 ans.

L'échantillonnage de musique française était toujours large. 65 compositeurs inscrivirent leur nom au cours de cette période et l'on en compta 24, soit un bon tiers, que l'on pouvait considérer de la deuxième moitié du XXè siècle dont 19 étaient toujours vivants. La diffusion musicale de la musique contemporaine se trouvait assurée. Mais la programmation restait toutefois prudente, sage si on la comparait à celle bouillonnante et expérimentale du Domaine musical parisien en fin d'existence. C'est ainsi que les auditeurs lyonnais entendirent la musique d'Edgar Varèse trois fois, se contentèrent d'une pièce de Pierre Boulez, de Iannis Xenakis, d'André Boucourechliev et de Betsy Jolas. Plusieurs compositeurs de la génération de Boulez, nés aux environs de 1925 virent leur nom au programme des concerts, Jean-Guy Bailly, Claude Ballif, Charles Chaynes, Marius Constant, Antoine Duhamel, Serge Nigg. Trois jeunes compositeurs trentenaires se distinguèrent, Patrice Mestral, Bruno Ducol et Jean-Louis Florentz à qui l'orchestre, plu tard, offrit une résidence de deux ans entre 1995 et 1997. Par contre, on assista à l'effondrement du courant franckiste et scholiste, courant majeur  à la fin du XIXè siècle et dans le premier quart du XXè siècle et si présent dans les programmes de l'orchestre de Lyon dans ces mêmes périodes. Le temps de Franck et de d'Indy semblait bien révolu. Ils ne furent plus joués que d'une façon anecdotique. La musique de Debussy était en recul tandis que celle de Berlioz (faut-il y voir la marque personnelle de Serge Baudo ?) retrouvait des couleurs. Celle de Ravel s'imposait en tête. On jouait les symphonies et les suites orchestrales de Roussel, Fauré ne tomba pas dans l'oubli et la musique orchestrale de Dutilleux, pourtant peu abondante en quantité, tint une place non négligeable.

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Pourcentages d'œuvres des compositeurs les plus joués au cours des saisons 1969/1987

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                      Saisons 1969/1987 - Fréquence par nations

La musique russe tournait autour du groupe des Cinq, de Rachmaninov, mais surtout de Stravinski et de Prokofiev, ce dernier obtenant les faveurs de l'orchestre. Sa musique fut jouée plus de fois que celle de Richard Strauss et presque autant que celle de Brahms. Mais la musique russe contemporaine resta inconnue. De Chostakovitch qui s'éteignit au cours de cette période, l'orchestre interpréta six de ses quatorze symphonies, la première et la cinquième par deux fois, la 6è, la 9è, la 10è et la 11è, ainsi que la Symphonie de chambre, opus 110 (transcription par l'auteur de son quatuor n° 8) et le premier concerto pour violoncelle.

Parmi les compositeurs d'autres écoles nationales, Bela Bartok eut droit à une reconnaissance particulière à partir de 1976. Presque chaque année, un de ses chefs d'œuvres passa la rampe. L'orchestre donna 14 exécutions de dix de ses œuvres : Divertimento, Suite de danses, 3è concerto pour piano, Danses populaires roumaines, le concerto pour alto, le 2è concerto pour violon,  le Concerto pour orchestre (ces deux dernières par deux fois), le Mandarin merveilleux (par trois fois), la Musique pour cordes, célesta et percussion et les Chœurs de chambre, fine orchestration de sept de ses vingt-sept chœurs de 1935. Le Directeur de l'opéra de Paris durant sept années de 1973 à 1980, le Suisse Rolf Liebermann, écrivait de la musique (un insolite et très réussi Concerto pour jazz-band et orchestre symphonique des années 50 acquit une certaine célébrité) ; une de ses pièces figura à un concert. Des musiciens de contrées plus lointaines, comme l'Argentin Alberto Ginastera, les Américains Charles Ives, Samuel Barber, Leonard Bernstein confirmèrent le succès déjà ancien de leur compatriote George Gershwin.  Alors que les Polonais Witold Lutoslawski et Christoph Penderecki, les Britanniques Benjamin Britten, Edward Elgar et Frederick Delius, le Hongrois György Ligeti briguèrent une petite place au sein des concerts de ces années-là

Antonín Dvořák dominait toujours la musique tchèque qui reposait sur le même groupe restreint de compositeurs qu'auparavant, Josef Suk remplaçant Max Brod. Les 18 pièces ne peuvaient être considérées comme une progression foudroyante par rapport aux 13 pièces de la période précédente. Et l'on continuait à faire preuve de la même prudence qu' au cours des saisons antérieures, "osant" quand même proposer au public un poème symphonique la Vltava plus connu sous son nom allemand la Moldau et pourtant devenu depuis longtemps un "tube" sous d'autres cieux ! Quant à Taras Bulba de Leoš  Janáček, le chef autrichien Theodor Guschlbauer en offrit au public une première exécution à Lyon (en deux concerts à deux jours d'intervalle) et une fois dans un concert décentralisé à Chalon sur Saône au début du mois de mars 1972. Remarquons que le même chef dirigea la première lyonnaise de Jenůfa deux ans plus tard. Et jusqu'en 1987, dans les concerts de l'orchestre de Lyon, plus aucune mention du compositeur morave. La présence de Milan Bauer, d'origine tchèque, un violoniste qui s'imposa comme violon solo de l'orchestre, n'ouvrit cependant pas le répertoire de cet ensemble à la musique de son pays natal. Constatons qu'à cinq reprises le chef tchèque Zdeněk Mácal conduisit des ouvrages de son pays

compositeur œuvre date de compo-
sition
opus date d'exécution chef soliste
Bedrich Smetana Fiancée vendue 1866 4/11/71 Louis Frémeaux
12/5/77 Zdeněk Mácal
11/4/85 Gabriel Chmura
la Vltava (Moldau) 18/3/71 Zdeněk Mácal
Antonín Dvořák Symphonie n° 4 1874 B 41 25/11/71 Jean-Pierre Jacquillat
Concerto pour piano 1876 B 63 12/5/77 Zdeněk Mácal Bruno Rigutto
Sérénade pour vents 1878 B 77 26/2/77 Cyril Diedrich
Danses slaves 1878 B 83 15/6/86 Claude Bardon
9/7/87 Claude Bardon
Suite tchèque 1879 B 93 20/9/86 Claude Bardon
Concerto pour violon 1879/80 B 96/
B 108
27/2/75 Serge Baudo Milan Bauer
Symphonie n° 6 1880 B 112 7/2/85 Ralf Weikert
Symphonie n° 7 29/3/73 Zdeněk Mácal
3/12/81 Gabriel Chmura
17/4/85 Stéphane Cardon
Symphonie n° 8 1889 B 163 13/12/79 Serge Baudo
Symphonie n° 9 du Nouveau Monde 1893 B 178 21/11/74 Antonio Janigro
17/5/79 Witold Rowicki
30/9/81 Pierre Stoll
6/11/85 Serge Baudo
Concerto pour violoncelle 1895 B 191 24/10/74 Serge Baudo Mstislav Rostropovitch
29/6/76 Serge Baudo Maurice Gendron
8/7/76 Serge Baudo Maurice Gendron
Leoš  Janáček Taras Bulba 1918 VI/15 9/3/72 Theodor Gushlbauer
Josef Suk Sérénade 6 31/1/74 Serge Baudo
Bohuslav Martinů Symphonie n° 1 1942 H 289 18/12/69 Zdeněk Mácal
Lidice 1943 H 296 13/12/79 Serge Baudo
Concerto pour piano n° 3 1948 H 237 13/12/79 Serge Baudo Josef Palenicek

guschlbauer

Theodor Guschlbauer qui dirigea Taras Bulba en 1972
photo Alain Kaiser, aimablement transmise par l'orchestre philharmonique de Strasbourg

Dans l'introduction qui présentait la conférence de Jacques Feschotte dédiée à Janáček, le rédacteur de la Revue Musicale écrivait en 1986 : "Ce n'est que dans ces toutes dernières années que la renommée de ce grand musicien dans notre pays a pris un essor décisif grâce à divers exécutions symphoniques (notamment celles des deux œuvres essentielles que sont la Sinfonietta et Taras Bulba), puis surtout à l'entrée de Jenůfa à l'Opéra de Paris en 1980 et 1981…" Dans quelles villes se tinrent ces concerts, quels orchestres et quels chefs assurèrent ces exécutions, le texte de l'introduction ne le précise pas et à ce jour, je n'ai réussi à en trouver ni les lieux, ni les protagonistes.

Joseph Colomb - mai 2006