La réception française de la musique de Janáček par les concerts


La diffusion de la musique de Janáček en France
à travers les écrits par les disques par les concerts



du vivant de Janáček avant 1939 de 1939 à 1945 de 1945 à 1969 de 1969 à 1987 de 1987 à 2000 autres
structures
opéras

II. La réception et la diffusion françaises de la musique de Janáček avant 1939


Après avoir dans l'article précédent traqué l'apparition dans notre pays de rares ouvrages de Janáček du temps de son vivant à travers une propagation parcimonieuse de la musique tchèque, examinons maintenant la diffusion de la musique orchestrale par deux institutions, la Société des Concerts du Conservatoire et la Société des Grands Concerts de Lyon, futur orchestre de Lyon et essayons de tirer les enseignements de cette programmation et d'y guetter l'émergence de la musique tchèque.

Pour autant que les données existent, ont été comptabilisés  pendant chaque période, le nombre d'œuvres exécutées au cours de ces concerts et une statistique partielle ne concernant que l'école allemande et l'école française. Sous le terme d'école allemande, j'ai regroupé les compositeurs de culture germanique ayant vécu dans les pays allemands ou dans l'empire autrichien jusqu'en 1918, aussi bien que dans les frontières actuelles de l'Allemagne et de l'Autriche déterminées en grande partie par le traité de paix de Versailles. Quant à celui d'école française, il recouvre des musiciens nés à l'intérieur de l'hexagone et quelques-uns de nos voisins belges ou suisses, de langue française.

II.A) Société des Grands Concerts de Lyon


L'orchestre de Lyon créé en 1969, devenu orchestre national en 1969 a fêté son centenaire en 2005. A sa naissance, il a pris la suite de la société des grands concerts créé en 1905. Je me propose d'examiner le plus attentivement possible la programmation de ces concerts pour guetter l'apparition de la musique symphonique tchèque et plus particulièrement celle de Janáček.

Années 1905 - 1914

Procédons par étapes et intéressons nous tout d'abord à la période 1905 - 1914. Un examen sommaire fait apparaître une programmation bipolaire, à première vue conservatrice et sans surprise. Bipolaire parce que basée sur deux seuls pays, l'Allemagne et la France dont la musique représentait 90% du total des œuvres interprétées. Sans surprise d'autre part avec la place prééminente occupée par les dieux Beethoven et Wagner qui se partageaient quasiment à parts égales la moitié des œuvres allemandes, alors que pour la musique française, Franck règnait en maître avec plus d'un cinquième des œuvres françaises suivi par son thuriféraire Vincent d'Indy. Rien d'étonnant à cela quand on sait que cette société des concerts lyonnaise et son animateur Georges Martin Witkowski, chef d'orchestre de sa création jusqu'à 1938 (1) ont calqué leur société sur les principes de la Schola cantorum parisienne portée sur les fonds baptismaux une dizaine d'années auparavant par Vincent d'Indy justement (aidé en cette tâche par Charles Bordes et Alexandre Guilmant) sans pour Lyon en retenir l'aspect pédagogique s'exprimant à travers une institution scolaire.

(1) Georges Martin céda sa baguette à son fils Jean dès 1929, espaçant de plus en plus ses apparitions à la tête de l'orchestre. pour s'effacer  en 1938. Il dirigea une dernière fois l'une de ses œuvres, en juin 1943, quelques mois avant son décès.

Mais un examen plus approfondi tempère largement ce premier jugement. Si on peut continuer à la qualifier de conservatrice, la programmation de musique allemande reposait essentiellement sur les valeurs du passé ancien (Bach, Haendel) ou plus récent en commençant par un premier point culminant, Beethoven, se prolongeant par la musique romantique de Mendelssohn et Schumann et arrivant au deuxième point culminant avec Wagner. Curieusement, la présence de Mozart est fort discrète avec au maximum trois œuvres jouées en une saison. Mais la société des Grands Concerts n'ignorait pas l'existence d'un Richard Strauss qui fut présent cinq fois durant cette période (dont la musique était sans doute ressentie comme appartenant à la descendance wagnérienne) et même de Mahler dont les Lieder eines fahrenden gesellen furent donnés quelques mois après la mort du compositeur. Celui-ci représentait avec son collègue Strauss et avec Max Reger la "jeune" école allemande ou du moins la musique vivante (adjectif exact pour deux de ces trois derniers compositeurs). Par contre Mahler ne réapparaîtra pas avant 1965 au répertoire lyonnais !

On retrouve dans ces premières années d'un nouveau siècle un foisonnement artistique et de nombreuses remises en question musicales avec d'un côté la révolution improprement appelée impressionniste dans le sillage de Debussy, appellation tellement commode et tombée depuis dans le domaine public que nous la conserverons donc, d'un autre côté la naissance de la seconde école de Vienne - Schoenberg, Webern, Berg - d'un troisième côté, la percée de la musique russe qui culminera provisoirement avec la création "scandaleuse" du Sacre du printemps et l'émergence des écoles nationales dans la péninsule ibérique, dans les pays d'Europe centrale, dans les pays du nord de l'Europe. Durant ces années, trois opéras ouvrirent une voie fertile et moderne, Pelléas et Mélisande créé en 1902 à Paris avec le retentissement que l'on sait,  Jenůfa en 1904 avec un succès se cantonnant d'abord à la ville de Brno, et le Château de Barbe-Bleue qui, bien que terminé en 1911, dut attendre 1918 pour être monté à Budapest. Dans sa ville de Lyon, Witkowski rendit un hommage appuyé à Jean-Philippe Rameau, Lyonnais pendant quelques années du XVIIIème siècle, et surtout à son propre courant de pensée musical groupé derrière Franck et d'Indy. A eux deux, ces compositeurs occupèrent un bon tiers de la musique française programmée. Le chef d'orchestre butina les œuvres hexagonales chez vingt cinq compositeurs dont 18 étaient encore en activité. Bel exemple à la fois de conservatisme musical et d'ouverture, bel exemple de confiance en l'avenir par l'exécution d'œuvres de musiciens trentenaires ou quadragénaires comme Maurice Ravel, Louis Aubert, Gustave Samazeuilh ou plus jeunes encore tel Rhené-Baton (né en 1897).  La création à Paris en 1909 de la Société Musicale Indépendante ne sembla pas avoir eu de répercutions à Lyon où l'on restait globalement fidèle aux orientations conformistes de la Société Nationale, un conformisme conforté par l'influence de d'Indy. Les nations musicales autres que l'Allemagne et la France se comptaient sur les doigts d'une main puisque - en dehors d'une présence régulière bien que timide de la Russie - elles ne regroupaient que la Hongrie à travers Férenc Liszt, la Norvège à travers Grieg, la Pologne et Chopin, l'Espagne et Albeniz, la Belgique et Paul Gilson et enfin l'Italie par cinq compositeurs  des XVIIè et XVIIIè siècle dont Monteverdi.  Et les Tchèques ? Une seule œuvre trouva grâce aux yeux des organisateurs lyonnais, choix peut-être dû plus à la volonté du soliste, Pablo Casals, qu'à celle du chef. C'est ainsi que le 20 décembre 1907, trois ans après sa disparition, Antonín Dvořák entrait au répertoire de l'orchestre de la société des Grands Concerts avec une courte pièce concertante pour violoncelle, Klid, ( Tranquillité ou Silence de la forêt) composée en 1893, numérotée B 182 au catalogue. Pendant ces neuf ans, rien d'autre pour les Tchèques.

Les Lyonnais eurent la chance d'entendre des solistes prestigieux comme le violoniste Eugène Ysaye qui interpréta le Concerto en mi majeur (BWV 1042) de Bach et la Symphonie espagnole de Lalo, le 28 novembre 1905, au cours du premier concert de l'orchestre lyonnais, l'organiste Alexandre Guilmant, co-fondateur de la Schola cantorum parisienne, les pianistes Emil Sauer et Louis Diémer et des interprètes encore jeunes dont la postérité retiendra le nom bien après leur disparition, ainsi le violoncelliste Pablo Casals, les violonistes Georges Enesco, Henri Marteau et  Jacques Thibaud, les pianistes Ricardo Viñès, Alfred Cortot et Edouard Risler, sans oublier les interprètes femmes incarnées par les pianistes Blanche Selva, présente dès la première saison, et Marguerite Long et les cantatrices Claire Croiza et Jane Bathori.  Durant ces neuf saisons, Georges Martin Witkowski occupa l'estrade, ne prêtant sa baguette qu'à Vincent d'Indy en mars 1907 et novembre 1908 et à Jean Guy-Ropartz en décembre 1909 et février 1914. L'orchestre fut aussi peut-être dirigé une fois - les archives de l'orchestre ne sont pas certaines sur ce point - par le compositeur lyonnais Antoine Mariotte, dont René Koering vient de monter tout récemment son opéra Salomé à Montpellier (juillet 2004).

Pour clore cette partie, donnons un exemple de la richesse et de l'originalité d'un programme. Le 18 novembre 1907, pas moins de neuf œuvres composaient ce concert. Pour débuter, interprétation par l'orchestre de l'ouverture d'Egmont de Beethoven suivie par la symphonie inachevée de Schubert. Le pianiste Ricardo Viñès s'installa devant son clavier pour jouer le concerto pour piano et orchestre de Rimsky-Korsakov (devenu une rareté aujourd'hui). Il s'éclipsa pendant que l'orchestre se lançait dans les charmes debussystes du Prélude à l'après-midi d'un faune. Le pianiste revint, non seulement pour donner la réplique à l'orchestre dans les Variations symphoniques de Franck, mais également en offrant un mini récital avec une Novelette de Schumann, Paysage, une pièce d'Ernest Chausson et l'Alborada del gracioso de Maurice Ravel (créé à Paris en janvier 1906 par le même Ricardo Viñès qui en signa probablement au cours de ce concert de 1907 la première audition lyonnaise). Enfin l'orchestre clôtura avec l'ouverture de l'opéra d'Humperdinck, Hansel et Gretel, . Comme on le voit, le soliste ne se contentait pas d'un concerto augmenté d'un ou deux bis comme actuellement, mais deux concertos constituaient son ordinaire auxquels il n'ajoutait pas seulement quelques piécettes, mais des œuvres consistantes et représentatives de la littérature pianistique romantique et contemporaine.

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Pourcentages d'œuvres des compositeurs les plus joués au cours des saisons 1905/1914

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                           Saisons 1905/1914 - Fréquence par nations

Années 1917 - 1939

La première guerre mondiale, en mobilisant un grand nombre d'instrumentistes, interrompit ces concerts pendant trois ans. Ils ne reprirent qu'à l'automne 1917 avec une saison modeste de cinq concerts seulement. Au cours de cette longue période de l'entre-deux-guerres, vingt deux saisons se déroulèrent amenant 258 concerts (de 5 à 16 par saison), programmant 1286 œuvres. Une forte bipolarisation entre musique allemande et française règnait comme dans la période précédente, mais cette fois-ci au bénéfice de la musique française, bipolarisation reléguant dans l'ombre la musique russe et la musique des autres nationalités.

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On voit bien la prépondérance continue de la musique française sur la musique allemande, saison après saison, avec trois exceptions seulement pendant plus de vingt ans. Un réflexe nationaliste poussa-t-il les responsables pendant la saison de guerre et la suivante à privilégier très nettement la musique française au détriment de la musique allemande ? La musique russe effectua une percée bien modeste, mais réelle. Non seulement les musiciens du passé (un passé bien récent quand il s'agit de Glinka,  Rimsky-Korsakov, Borodine, Balakirev ou Moussorgski), mais également les musiciens contemporains avec la présence de Prokofiev et de Stravinsky, dont Witkowski interpréta le Sacre du printemps deux fois à quelques jours d'intervalle le 27 février et le 6 mars 1927, quatorze ans après sa création tumultueuse à Paris. On peut noter l'apparition pour la première fois de Tchaïkovski au cours de la saison 30/31 avec son concerto pour violon sous les doigts ailés de Zino Francescatti et la présence d'une musique bruitiste, symbole du modernisme et du triomphe de l'industrialisation par l'intermédiaire des Fonderies d'acier de Mossolov une dizaine d'années après leur composition et quelques mois après leur création française.

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Pourcentages d'œuvres des compositeurs les plus joués au cours des saisons 1917/1939 

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                    Saisons 1917/1939 - Fréquence par nations


Du côté de la musique allemande, le choix majoritaire se portait encore sur un Beethoven incontournable et toujours présent, chaque saison, et quasiment à chaque concert. La place de Wagner était en retrait, rejoint en importance par J-S Bach et presque par Mozart. Ces quatre musiciens occupaient une place primordiale en trustant pratiquement 60 % des pièces allemandes à eux seuls ne laissant que peu de surface aux quatorze autres. Cette quasi exclusivité ne signalait-elle pas un conservatisme du goût quelle que soit la qualité de cette musique ? Comme pendant la période 1905/1914, le choix reposait sur une base étroite comprenant seulement 18 compositeurs de culture germanique. Dans ce groupe, deux compositeurs, Richard Strauss, déjà présent avant-guerre, et Paul Hindemith incarnaient la musique vivante.

La musique française reposait sur un panel conséquent : 59 compositeurs dont, fait notable, une majorité de créateurs vivants. La tendance scholiste, au sens large,  (les élèves de d'Indy) s'exprimait toujours par un nombre conséquent d'œuvres, mais la fréquence des musiques de Franck et d'Indy s'estompait devant la popularité acquise par celles de Debussy et de Ravel. Jean Witkowski, qui remplaça de plus en plus souvent son père à la tête de la phalange symphonique jusqu'à le supplanter pendant des saisons entières à partir de 1929, n'oublia pas de laisser une place à ses compatriotes lyonnais : Antoine Mariotte (natif d'Avignon, mais un temps professeur au conservatoire de musique de Lyon), Louis Thirion, Emile Vuillermoz - surtout connu actuellement en tant que musicologue et historien plutôt que compositeur - Augustin Savard, Pierre-Octave Ferroud (l'un des éléments moteurs de la société musicale parisienne Triton), Maurice Reuchsel, Ennemond Trillat. Rejoignirent cette liste de compositeurs lyonnais, d'autres musiciens contemporains de ces saisons de concerts : Tony Aubin, Louis Aubert, Emmanuel Bondeville, Henri Barraud, Robert Casadesus plus connu comme pianiste, Marcel Delannoy, Marcel Dupré, Gustave Doret, Philippe Gaubert, Gustave Grovlez, Désiré-Emile Inghelbretcht, Jean Langlais, Guy de Lioncourt, Georges Migot, Francis Poulenc, Henri Rabaud, Albert Roussel, Florent Schmitt, Gustave Samazeuilh, Déodat de Séverac (mort en 1921), Charles Tournemire. L'orchestre de la société des Grands Concerts n'assura pas de création mondiale, mais à plusieurs reprises au cours de cette période, souvent peu de temps après la création, offrit à ses auditeurs des premières auditions lyonnaises, témoins d'une largeur de vues assez surprenante. Si Witkowski rendit hommage à son ami Vincent d'Indy, membre de sa famille musicale, en interprétant son Diptyque méditerranéen très peu de mois après sa composition, si un an après la création parisienne, il fit connaître les Chants d'Auvergne du scholiste Joseph Canteloube avec la complicité de la mezzo Madeleine Grey (2), il n'oublia pas Darius Milhaud, membre du groupe des Six, une "école" bien éloignée du franckisme et des scholistes, dont il donna la première audition du Carnaval d'Aix deux ans seulement après sa composition. Le 12 février 1933, un jeune pianiste également compositeur et membre du groupe des Six, Francis Poulenc, fit résonner l'alacrité de son tout récent Concerto pour deux pianos et démontra sa virtuosité jointe à celle d'un instrumentiste lyonnais, Ennemond Trillat. D'un autre jeune compositeur Olivier Messiaen - qui en 1936 fondera le groupe "Jeune France" avec André Jolivet, Daniel-Lesur et Yves Baudrier - le chef d'orchestre inscrivit sa première composition orchestrale, les Offrandes oubliées, un an après sa création parisienne.  C'est cependant le Lyonnais Pierre-Octave Ferroud qui battit les records de jeunesse, lors de la saison 24/25 avec une de ses plus récentes compositions orchestrales, Foules. Il n'avait que vingt-cinq ans ! Relevons encore la présence de deux femmes compositrices, fait rare dans les programmes de concert, Lili Boulanger disparue prématurément en 1918 et Claude Arrieu, délicieuse mélodiste. La programmation de musique française restait cependant assez bien arc-boutée sur le quatuor de compositeurs représentant la tendance historique de la fin du XIXe siècle, c'est-à-dire la tendance franckiste et sa continuation avec la Schola cantorum et d'un autre côté la tendance nouvelle incarnée par Debussy et Ravel.

(2) A signaler la parution toute récente sous le label suisse Cascavelle d'un disque reprenant les enregistrements historiques de Madeleine Grey des années 30 des Chants d'Auvergne de Canteloube, des Chansons madécasses et des Chansons hébraïques de Ravel, ainsi qu'un florilège de chansons populaires.

"Les Grands Concerts sont les représentants à Lyon du franckisme intégral. Depuis près de vingt années, M. Witkowski a consacré la plus grande partie de son effort à imposer à ses concitoyens le culte de César Franck. Il est arrivé à rendre populaire surtout la belle Symphonie en ré mineur. Pourrait-on ne pas fêter largement le centenaire prochain ? Deux concerts d'orchestre au moins, un concert d'orgue nous feront retrouver avec émotion à la salle Rameau, la Symphonie, les Variations symphoniques, les plus belles des Béatitudes, les grandioses Chorals."

Ainsi s'exprimait le célèbre critique musical lyonnais Léon Vallas dans le Progrès de Lyon en septembre 1922. On ne saurait mieux qualifier cette programmation ! Elle avait cependant la sagesse de ne pas seulement s'appuyer sur ces quatre-là, mais de propulser sur le devant de la scène quasiment toutes les tendances musicales présentes dans cette entre deux-guerres. Tant mieux pour la diversité ! Mais la largeur de vues que nous avons souligné marquait ses limites ; il est pour le moins surprenant, par exemple, que le succès planétaire que reçut le Bolérode Ravel (création parisienne en 1928) n'eut point sa traduction lyonnaise dans les dix années qui suivaient (Les Lyonnais patientèrent jusqu'en 1945 pour l'entendre). Le tableau suivant liste les œuvres récentes que les Lyonnais découvrirent pour la plupart d'entre elles quelques années seulement après leur écriture.

saison compositeur naissance
décès
œuvres date de composition
19/20 Savard Augustin 1861-1943 Symphonie n° 2 ?
21/22 Jean Roger-Ducasse 1873-1954 Sarabande ?
22/23 Déré Jean 1886-1970 Poèmes arabes ?
24/25 Ferroud Pierre-Octave 1900-1936 Foules 1922/4
26/27 Canteloube Joseph 1879-1957 Chants d'Auvergne - 1er cahier 1924
26/27 Albeniz Isaac 1860-1909 Rapsodie pour piano et orchestre 1887 ?
26/27 Boulanger Lili 1893-1918 Psaume CXXIX 1916
26/27 d'Indy Vincent 1851-1931 Diptyque méditerranéen 1926
27/28 Le Flem Paul 1881-1984 Danses 1912
27/28 Caplet André 1879-1925 La croix douloureuse 1917
27/28 Caplet André 1879-1925 Forêt 1917
27/28 Rougier Adrien 1892-1984 En marge de trois maîtres français ?
27/28 Ibert Jacques 1890-1962 Les rencontres ?
28/29 Delvincourt Claude 1888-1954 Boccaceries 1922
28/29 Witkowski Georges Martin 1867-1953 L'innocence 1925
28/29 Albeniz Isaac 1860-1909 Triana composition 1909
orchestration
d'Arbos 1927
28/29 Reuchsel Maurice 1880-1968 Esquisses symphoniques ?
28/29 Milhaud Darius 1892-1974 Carnaval d'Aix 1926
28/29 Milhaud Darius 1892-1974 Chants hébraïques ?
32/33 Poulenc Francis 1899-1963 Concerto pour deux pianos 1932
32/33 Messiaen Olivier 1908-1992 Offrandes oubliées 1930
33/34 Cartan Jean 1906-1932 Pater 1930
34/35 Ferroud Pierre-Octave 1900-1936 Symphonie en la 1930
35/36 Arrieu Claude 1903-1990 Mascarades ?

Quelques interprétations d'œuvres récentes.


Et pour les autres écoles nationales ? Que de timidité !  Sur les 1286 œuvres programmées durant cette période, elles ne comptèrent que pour 97, soit 7,5 % du total. Le public lyonnais ne put faire connaissance que très épisodiquement de musiciens espagnols tels Manuel de Falla et Federico Mompou, une fois seulement pour ce dernier. On retrouva à intervalles réguliers la musique norvégienne de Grieg essentiellement à travers son célèbre Concerto pour piano et plus rarement Peer Gynt, quelques maîtres italiens anciens ou plus près de nous, de Monteverdi à Respighi en passant par Tartini, Vivaldi, Boccherini, Paganini et Casella par exemple. Si Liszt continuait à être programmé régulièrement - mais était-il vraiment considéré comme un musicien hongrois ? -, Bela Bartok ne fut entendu qu'une seule fois le 22 novembre 1931 par sa Suite de danses composée en 1923 et le compositeur polonais Karol Szymanowski fut honoré deux fois, une  première fois en 1926 par l'exécution de son premier concerto pour violon terminé dix ans auparavant et la deuxième par la première audition lyonnaise de sa quatrième symphonie dénommée symphonie concertante pour piano et orchestre, le 2 décembre 1934, composée deux ans auparavant, l'auteur étant lui-même au piano. S'agissait-il également de la première audition en France ? Au cours de la saison 1935/36, ce fut au tour du Brésilien Heitor Villa-Lobos d'entrer au répertoire de l'orchestre lyonnais.

Recherchons maintenant la musique tchèque tout au long de ces concerts. Huit pièces (cinq œuvres différentes) dues à quatre compositeurs trouvèrent une toute petite place dans la programmation. Par ordre chronologique d'apparition dans les concerts, le chef dirigea Prague, un poème symphonique de Josef Suk, gendre d'Antonín Dvořák, au cours du concert du 6 mars 1921.

"Un ouvrage d'un caractère bien différent et d'une sincérité éclatante a paru dimanche aux Grands Concerts sous la direction de M. Witkowski : c'est Prague, poème symphonique de Josef Suk, compositeur connu en France surtout comme second violon du Quatuor Tchèque, écrivait Léon Vallas dans le Salut public du 12 mars 1921. Cette partition de Prague […] fait figure de poème national : le puissant ouvrage fut en effet conçu pour célébrer les fastes de l'histoire héroïque dont la grande ville fut le cadre au cours des siècles. […] C'est aussi une musique décorative, largement dessinée et haute en couleurs, telle que l'on pouvait supposer que la guerre récente en inspirerait à quelques-uns de nos maîtres français."

Cependant un ouvrage tchèque non point destiné au grand orchestre symphonique l'avait précédé, le Sextuor de Václav Štĕpán qui partagea avec le Quintette de Franck l'affiche d'un concert de musique de chambre donné par le Quatuor Tchèque avec le concours de la pianiste Blanche Selva en février 1920, Quatuor invité par les Grands Concerts.

"L'âme d'un peuple tourmenté gémit à travers ces sombres pages : l'horreur profonde de la guerre s'y grave sans intention pittoresque et sans vives couleurs et l'exécration du fléau, qui a si rudement frappé la France comme la Bohême, cède heureusement en la conclusion de l'ouvrage à la joie grave et profonde d'une race, réalisée par la victoire tant attendue.[…] L'extraordinaire impression laissée par ce Sextuor fut assurément fortifiée par la beauté farouche et l'énergie presque sauvage de l'interprétation qu'en donna le Quatuor Tchèque avec le concours de deux artistes de Paris." Ainsi s'exprima Léon Vallas dans son papier du 7 février.

Durant les saisons 1923/24, 34/35 et 38/39, l'ouverture de l'opéra La fiancée vendue de Smetana fut jouée trois fois. Le 25 janvier 1925, les auditeurs eurent la primeur de deux chœurs avec accompagnement orchestral de  Vítĕzslav Novák, l'Assassin et Guerre fatale. Au cours de la saison 1932/33, un événement se produisit, une deuxième audition mondiale, un jour seulement après la création mondiale à Prague, le 3 décembre 1932, sous la direction de Václav Talich. ll s'agissait de la Partita pour orchestre à cordes (H 212), appelée également Suite n° 1, de Bohuslav Martinů, une composition d'une dizaine de minutes en quatre mouvements datant de 1931. L'œuvre plut-elle beaucoup surtout au public ou au chef et à ses musiciens ? On ne sait, mais elle fut exécutée une nouvelle fois huit jours plus tard le 11 décembre au cours du concert suivant ! Ce subit intérêt pour ce compositeur tchèque installé en France depuis quelques années ne dura point. On ne trouva aucune autre composition de Martinů jusqu'en 1939. La volonté artistique des dirigeants de la société musicale lyonnaise privilégiant les deux écoles française et allemande ne laissait que des miettes aux autres écoles nationales. Et pourtant ! Le pianiste et compositeur Václav Štĕpán - qui joua plusieurs fois à Lyon quelques-unes de ses propres compositions et plusieurs ouvrages de ses compatriotes au début des années 20, voir plus haut et le précédent article - connaissait Georges Martin Witkowski et sur ses recommandations, la Philharmonie tchèque invita le chef lyonnais à Prague où il dirigea un extrait d'Antoine et Cléopatre de Florent Schmitt, Pacific 231 d'Arthur Honegger, le Chant du rossignol de Stravinski et la deuxième symphonie d'Albert Roussel, les 31 mai, 1er et 2 juin 1924 (3). Pendant ce festival de musique, il côtoya des chefs de différentes nationalités dont le Tchèque Václav Talich. Nul doute qu'il s'enquit des tendances de la musique de ce pays. Ce séjour aurait pu augurer d'une percée tchèque dans les programmes des futurs concerts lyonnais. Il n'en fut rien. La musique tchèque, représentée de manière très marginale ne fut pas plus avantagée que la musique hongroise, la musique polonaise ou la musique espagnole, par exemple. Remarquons l'absence totale de compositions d'Antonín Dvořák et de Leoš Janáček. Dans l'entre-deux-guerres, ce n'est donc pas à Lyon qu'il fallait venir pour écouter de la musique symphonique tchèque !

(3) Yves Ferraton - Cinquante ans de vie musicale à Lyon - Editions de Trévoux - 1984

Parmi les solistes qui accompagnèrent l'orchestre au cours de cette période, on remarqua Ricardo Viñès et outre la fidèle Blanche Selva, les non moins fidèles Alfred Cortot et Marguerite Long, deux pianistes aussi à l'aise dans la musique française que dans la musique allemande, Yves Nat et Robert Casadesus, et quatre femmes, deux Françaises, Yvonne Lefébure, Jeanne-Marie Darré, la Brésilienne Magda Tagliaferro et la Hongroise Annie Fischer, âgée à l'époque de vingt-trois ans. Du côté des violonistes, on retrouva Georges Enesco et Jacques Thibaud ; le public découvrit Zino Francescatti, le Hongrois Jozsef Szigeti et une enfant de 13 ans qui en février 1932 se lança dans le concerto de Mendelssohn et le Tzigane de Ravel dans la même soirée, Ginette Neveu. Les violoncellistes Maurice Maréchal, Gaspar Cassado, Grégor Piatigorski et Emmanuel Feuermann, la claveciniste Wanda Landowska, les organistes Marcel Dupré et Charles Tournemire s'installèrent une ou plusieurs fois à côté de l'estrade du chef. Un instrument insolite enrichit la palette orchestrale sous les doigts de son créateur, Maurice Martenot qui lui donna son nom, les ondes Martenot. Les amateurs d'art lyrique retrouvèrent Claire Croiza  et Jane Bathori (4) et découvrirent de nouveaux talents en la personne des barytons Pierre Bernac et Martial Singher, des mezzo-sopranos Madeleine Grey et Germaine Cernay et une jeune soprano Jeanine Micheau. Pendant ces vingt-deux saisons, la baguette resta dans les mains des deux chefs, Georges-Martin Witkowski et son fils Jean. Ils ne la passèrent qu'à de rares occasion, au chef Louis Fourestier ou au compositeur Arthur Honegger qui le 9 décembre 1928 vint diriger son drame biblique Judith, enfanté depuis trois ans.

(4)  L'éditeur américain Martonrecords, spécialisé dans l'exhumation des vieilles cires propose deux repiquages sur Cd d'enregistrements des années 1927 à 1936 de Claire Croiza et des années 1928 à 1930 de Jane Bathori.

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La pianiste Blanche Selva, fidèle parmi les fidèles de la société des Grands Concerts lyonnais
avec l'aimable autorisation de Guy Selva (Association Blanche Selva) www.blanche-selva.com

II.B) Société des Concerts du Conservatoire de Paris


L'étude de la programmation de la Société des Concerts du Conservatoire débute en 1928, date de la disparition de Janáček. Durant cette période, la musique française fut plus jouée que la musique allemande, et Ravel (compositeur vivant), Debussy, Fauré, Franck et Berlioz dominèrent, alors qu'une quarantaine d'autres compositeurs furent programmés une ou plusieurs fois. Il convient de s'attarder un instant sur cette cohorte de compositeurs. Si certains appartenaient à l'école franckiste (on s'aperçoit de l'influence bien réelle du courant représenté par la Schola cantorum dont Vincent d'Indy menait le combat idéologique et musical) ou en sont contemporains (Chausson, Lalo, Bizet, Chabrier…), d'autres composaient cette fameuse génération que par commodité je baptiserai du nom de génération Ravel en référence à leur date de naissance tournant autour de 1875/80, comme le compositeur du Boléro, (Gaubert, Vuillemin, Mazellier, Louis Aubert, Laparra, Canteloube, voire Roger-Ducasse et Rabaud, sans qu'ils partagent obligatoirement les mêmes orientations musicales, compositeurs dont nous ne trouvons que rarement les noms sur les programmes de concerts actuels…), une autre partie d'entre eux étaient contemporains de Debussy (Gustave Charpentier, Hüe, Bruneau, Pierné, Ropartz, Witkowski) enfin des compositeurs plus jeunes tels Jacques Ibert, Jean Françaix, Francis Poulenc et Olivier Messiaen. Plusieurs œuvres furent données en première audition, dont les Offrandes oubliées de Messiaen en 1931. L'ensemble des tendances de la vie musicale française trouvait sa place dans cette programmation, sauf les compositeurs du groupe des Six. Les courants que l'on pourrait dénommer pour simplifier de traditionalistes (Franck et la Schola cantorum) et de modernistes (Debussy et les Debussystes au sens large du terme) qui traversèrent toutes les générations de musiciens français nés entre 1850 et 1880 avec toutes les nuances intermédiaires entre ces courants prirent place fortement durant toute cette décennie de concerts.

Les compositeurs allemands dont les noms revenaient le plus souvent représentaient le fleuron toujours actuel de la musique germanique : Jean-Sébastien Bach, Mozart, Beethoven, Wagner. Ces quatre compositeurs formaient le socle de la programmation et parfois s'imposaient lors d'un concert dédié uniquement à la musique allemande. La génération romantique par l'intermédiaire de Schumann et de Brahms fut un peu moins présente et on découvrit l'irruption à plusieurs reprises d'un contemporain, Richard Strauss. Par contre, aucune diffusion d'ouvrages de Bruckner ou de Mahler.

On note l'apparition de la musique russe dans ces programmes (5 % seulement des œuvres jouées), Kimsky-Korasakov enlevant un tiers de ces pièces dont un engouement curieux pour son Capriccio espagnol (pouvait-on se montrer plus russe ?), les autres membres du groupe des Cinq se partageant le reste, une timide apparition de Rachmaninov, Stravinsky et Prokofiev, une surprenante présence de Glazounov avec son Concerto pour violon, cinq fois exécuté ! Une absence remarquée : Tchaïkovsky !

Si cette société jouait son rôle de transmission du patrimoine musical allemand et français, elle s'impliquait également dans la diffusion de manière relativement satisfaisante de la création contemporaine française. Enfin, soulignons la première audition le 23 octobre 1932 d'une pièce symphonique qui deviendra emblématique dans les années 50, les Tableaux d'une exposition de Moussorgski, dans l'orchestration de Ravel.

Quant aux ouvrages tchèques, ils se comptaient sur les doigts d'une seule main, cinq seulement dus à la plume de Dvořák (le concerto pour violoncelle et la symphonie du Nouveau Monde), Smetana (l'ouverture de la Fiancée vendue) et un compositeur d'une plus récente génération que la société des concerts du conservatoire reconnut en programmant la même saison 1936/7 un concerto pour flûte et violon et le deuxième concerto pour piano, Bohuslav Martinů, ce dernier concerto étant exécuté par sa dédicataire, la pianiste française Germaine Leroux qui se dépensa tant pour faire connaître la musique tchèque. 5 pour 1000, voilà ce que pesait la musique de ce pays d'Europe centrale en ces années-là ! Et quant à Janáček, il était tout simplement inconnu pour qui ne fréquentait que les concerts du conservatoire. Le jeune pianiste tchèque Rudolf Firkusny, âgé tout juste de vingt ans lors de sa première prestation, s'illustra à deux reprises… dans l'Empereur de Beethoven et le troisième concerto de Rachmaninov.

Comment expliquer l'absence quasi totale de pièces orchestrales de Janáček dans les concerts de France durant cette période, alors que le nom du compositeur ne pouvait être ignoré des milieux musicaux tandis que son opéra Jenůfa se répandait en Allemagne et en Europe (par deux fois notre voisine, la Suisse l'avait accueilli en 1925 à Bâle et deux ans plus tard à Berne) ? La production orchestrale de Janáček ne brillait pas par la quantité, en dehors de la Suite et d'Idylle pour orchestre à cordes, de la Suite de 1893, pièces de jeunesse,  les orchestres ne pouvaient compter que sur sept œuvres, l'ouverture Jalousie, L'Enfant du violoneux, Taras Bulba, la Ballade de Blanik, les Danses de Lachie et la Sinfonietta auxquelles il faut ajouter la Messe glagolitique qui nécessite un organiste, des solistes vocaux et un chœur capable de chanter en tchèque. Comment et où se procurer le matériel d'orchestre ? Le compositeur ne négocia avec aucun éditeur français. Pour un chef exerçant à l'intérieur de l'hexagone, comment rencontrer les éditeurs tchèques ? Mission quasiment impossible. Seule la Sinfonietta eut les honneurs d'une maison d'édition connue dans toute l'Europe, Universal basée à Vienne. Mais rassembler la dizaine de trompettes qu'exigeait la partition demandait une détermination et une volonté qu'on ne rencontrait pas obligatoirement chez beaucoup de chefs et de responsables musicaux après la première exécution française de 1929 due à la baguette de Pierre Monteux.

SCC-28-39
Société des Concerts du Conservatoire - Saisons 1928/1939 - Fréquence par nations

Conclusion


Dans l'état actuel de nos recherches, force est de constater non seulement une pénétration partielle, mais pratiquement confidentielle de la musique symphonique tchèque dans notre pays à cette époque. Encore dut-elle quelques exécutions plus aux musiciens tchèques qu'une politique volontariste de rapprochement de leur nouvelle république avec l'Europe occidentale et particulièrement avec la France envoyait en tournée à l'étranger qu'aux artistes de l'hexagone. L'intérêt suscité par cette musique auprès de quelques membres de sphères musicales françaises resta concentré dans des cercles étroits, dans des lieux précis (Paris, Lyon) et ne s'étendit ni à l'ensemble du territoire, ni à des couches plus vastes d'intellectuels, d'artistes et de décideurs en tous genres ou tout simplement du public ordinaire. Le public mélomane n'était sans doute pas encore prêt à porter attention à cette musique trop exotique, trop différente de ce que la tradition lui avait enseigné et de ce que la révolution debussyste lui avait apporté. S'imposaient progressivement des ouvrages qui lui apparaissaient bien typés (Dvořák, concerto pour violoncelle et symphonie du Nouveau Monde, Smetana, la Fiancée vendue), mais dont l'écriture virtuose et brillante recouvrait d'un vernis chatoyant les aspérités typiquement tchèques et parvenait ainsi à les faire accepter plus facilement. La bizarrerie, l'étrangeté, la sauvagerie des rares pièces (autres que celles destinées à l'orchestre) de Janáček qui avaient atteint un auditoire restreint détonnaient dans l'entre-deux-guerres. Décidément trop bizarre, trop étrange, trop sauvage pour la sensibilité et les oreilles françaises de cette époque ! Quelles que soient, par ailleurs, la qualité des études livresques (5) si clairsemées qui signalaient ce compositeur hors du commun !

(5) dont l'excellent volume de Daniel Muller paru en 1930 chez Rieder et plusieurs papiers conséquents de la Revue Musicale s'étalant entre 1923 et 1931
. Voir l'article "La diffusion française de la musique de Janáček à travers les écrits"

Joseph Colomb - mai 2006