La
réception
française de la musique de Janáček par les
concerts
II. La
réception et la diffusion françaises de la
musique de Janáček avant 1939
Après avoir dans l'article précédent
traqué
l'apparition dans notre pays de rares ouvrages
de Janáček
du temps de son vivant à travers une propagation
parcimonieuse
de la musique tchèque, examinons maintenant la diffusion de
la
musique orchestrale par
deux institutions, la Société des Concerts du
Conservatoire et la Société des Grands Concerts
de Lyon,
futur orchestre de Lyon et essayons de tirer les enseignements
de
cette programmation et d'y guetter l'émergence de la musique
tchèque.
Pour autant que les données existent, ont
été comptabilisés pendant
chaque
période, le nombre d'œuvres
exécutées au cours de ces concerts et une
statistique
partielle ne concernant que l'école allemande et
l'école
française. Sous le terme d'école allemande, j'ai
regroupé les compositeurs de
culture germanique ayant vécu dans les pays allemands ou
dans
l'empire autrichien jusqu'en 1918, aussi bien que dans les
frontières
actuelles de l'Allemagne et de l'Autriche
déterminées en
grande partie par le traité de paix de Versailles. Quant
à
celui d'école française, il recouvre des
musiciens
nés
à l'intérieur de l'hexagone et quelques-uns de
nos
voisins belges ou suisses, de langue française.
II.A)
Société des Grands Concerts de Lyon
L'orchestre de Lyon créé en 1969, devenu
orchestre
national en 1969 a fêté son centenaire en 2005. A
sa
naissance, il a pris la suite de la société des
grands
concerts créé en 1905. Je me propose d'examiner
le plus
attentivement possible la programmation de ces concerts pour guetter
l'apparition de la musique symphonique tchèque et plus
particulièrement celle de Janáček.
Années 1905 -
1914
Procédons par étapes et intéressons
nous tout
d'abord à la période 1905 - 1914. Un examen
sommaire fait
apparaître une programmation bipolaire, à
première vue conservatrice et sans
surprise. Bipolaire parce que basée sur deux seuls pays,
l'Allemagne et la France dont la musique représentait 90% du
total
des œuvres interprétées. Sans surprise
d'autre part
avec la place prééminente occupée par
les dieux
Beethoven
et Wagner qui se partageaient quasiment à parts
égales
la moitié des œuvres allemandes, alors que pour la
musique
française, Franck règnait en maître
avec plus d'un
cinquième des œuvres françaises suivi
par son
thuriféraire Vincent d'Indy. Rien d'étonnant
à
cela quand on sait que cette société des concerts
lyonnaise et son animateur Georges Martin Witkowski, chef
d'orchestre de sa création jusqu'à 1938 (1) ont
calqué leur société sur les principes
de la Schola
cantorum parisienne portée sur les fonds baptismaux une
dizaine
d'années auparavant par Vincent d'Indy justement
(aidé en
cette tâche par Charles Bordes et Alexandre Guilmant) sans
pour Lyon en
retenir l'aspect pédagogique s'exprimant à
travers une
institution scolaire.
(1) Georges
Martin céda
sa baguette à son fils Jean dès 1929,
espaçant de
plus en plus ses apparitions à la tête de
l'orchestre.
pour s'effacer en 1938. Il dirigea une dernière
fois l'une
de ses œuvres, en juin 1943, quelques mois avant son
décès.
Mais un examen plus approfondi tempère largement ce premier
jugement. Si on peut continuer à la qualifier de
conservatrice,
la programmation de musique allemande reposait essentiellement sur les
valeurs du passé ancien (Bach, Haendel) ou plus
récent en
commençant par un premier point culminant, Beethoven, se
prolongeant par la musique romantique de Mendelssohn et Schumann et
arrivant au deuxième point culminant avec Wagner.
Curieusement,
la présence de Mozart est fort discrète avec au
maximum
trois œuvres jouées en une saison. Mais la
société des Grands Concerts n'ignorait pas
l'existence d'un
Richard Strauss qui fut présent cinq fois durant cette
période (dont la musique était sans doute
ressentie comme
appartenant à la descendance wagnérienne) et
même
de Mahler dont les Lieder
eines fahrenden gesellen furent
donnés quelques mois après la mort du
compositeur.
Celui-ci
représentait avec son collègue Strauss et avec
Max Reger la
"jeune" école allemande ou du moins la musique vivante
(adjectif
exact pour deux de ces trois derniers compositeurs). Par contre Mahler
ne
réapparaîtra pas avant 1965 au
répertoire lyonnais !
On retrouve dans ces premières années d'un
nouveau
siècle un foisonnement artistique et de nombreuses remises
en
question musicales avec d'un
côté la révolution improprement
appelée
impressionniste dans le sillage de Debussy, appellation tellement
commode et tombée depuis dans le domaine public que nous
la conserverons donc, d'un autre côté la naissance
de la
seconde école de Vienne - Schoenberg, Webern, Berg - d'un
troisième côté, la percée de
la musique
russe qui culminera provisoirement avec la création
"scandaleuse" du Sacre
du printemps et l'émergence des
écoles nationales dans la
péninsule ibérique, dans les pays d'Europe
centrale, dans
les pays du nord de l'Europe. Durant ces années,
trois opéras ouvrirent une voie fertile et moderne,
Pelléas et
Mélisande créé en 1902
à Paris avec le retentissement que l'on sait,
Jenůfa en
1904 avec un succès se cantonnant d'abord à la
ville de Brno, et le Château
de Barbe-Bleue qui,
bien que terminé en 1911, dut attendre 1918 pour
être
monté à Budapest. Dans sa ville de Lyon,
Witkowski rendit
un hommage appuyé à Jean-Philippe Rameau,
Lyonnais
pendant quelques années du XVIIIème
siècle, et surtout à son propre courant de
pensée
musical groupé derrière Franck et d'Indy. A eux
deux, ces
compositeurs occupèrent un bon tiers de la musique
française programmée. Le chef d'orchestre butina
les œuvres
hexagonales chez vingt cinq compositeurs dont 18 étaient
encore en
activité. Bel exemple à la fois de conservatisme
musical
et d'ouverture, bel exemple de confiance en l'avenir par
l'exécution d'œuvres de musiciens trentenaires ou
quadragénaires comme Maurice Ravel, Louis Aubert, Gustave
Samazeuilh ou plus jeunes encore tel Rhené-Baton
(né en
1897). La création à Paris en 1909 de
la
Société Musicale Indépendante ne
sembla pas avoir
eu de répercutions à Lyon où l'on
restait globalement
fidèle aux orientations conformistes de la
Société
Nationale, un conformisme conforté par l'influence de
d'Indy.
Les nations musicales autres que l'Allemagne et la France se
comptaient sur les doigts d'une main puisque - en dehors d'une
présence régulière bien que timide de
la Russie -
elles ne
regroupaient que la Hongrie à travers Férenc
Liszt, la
Norvège à travers
Grieg, la Pologne et Chopin, l'Espagne et Albeniz, la Belgique
et
Paul Gilson et enfin l'Italie par cinq compositeurs des
XVIIè et XVIIIè siècle dont
Monteverdi. Et
les Tchèques ? Une seule
œuvre trouva grâce aux yeux des organisateurs
lyonnais,
choix peut-être dû plus à la
volonté du
soliste, Pablo Casals, qu'à celle du chef. C'est ainsi que
le 20
décembre 1907, trois ans après sa disparition,
Antonín Dvořák entrait au répertoire
de
l'orchestre de la société des Grands Concerts
avec une courte
pièce concertante pour violoncelle, Klid, ( Tranquillité
ou Silence de la
forêt)
composée en 1893, numérotée B 182 au
catalogue. Pendant ces neuf ans, rien d'autre pour les
Tchèques.
Les Lyonnais eurent la chance d'entendre des solistes
prestigieux comme le violoniste Eugène Ysaye qui
interpréta le Concerto
en mi majeur (BWV 1042) de Bach et la Symphonie espagnole
de
Lalo, le 28 novembre 1905, au cours du premier concert de
l'orchestre lyonnais, l'organiste Alexandre Guilmant, co-fondateur de
la Schola cantorum parisienne, les pianistes Emil Sauer et Louis
Diémer et des interprètes
encore jeunes dont la postérité retiendra le nom
bien
après
leur disparition, ainsi le violoncelliste Pablo Casals, les violonistes
Georges Enesco, Henri Marteau et Jacques Thibaud, les
pianistes
Ricardo
Viñès, Alfred Cortot et Edouard Risler, sans
oublier les interprètes femmes incarnées par les
pianistes Blanche Selva, présente dès la
première
saison, et
Marguerite Long et les cantatrices Claire Croiza et Jane Bathori.
Durant ces neuf saisons, Georges Martin Witkowski occupa
l'estrade, ne prêtant sa baguette qu'à Vincent
d'Indy en
mars 1907 et novembre 1908 et à Jean Guy-Ropartz en
décembre 1909 et février 1914. L'orchestre fut
aussi peut-être dirigé une fois - les archives de
l'orchestre ne
sont pas certaines sur ce point - par le compositeur lyonnais Antoine
Mariotte, dont René Koering vient de monter tout
récemment son opéra Salomé
à Montpellier (juillet 2004).
Pour clore cette partie, donnons un exemple de la richesse et de
l'originalité d'un programme. Le 18 novembre 1907, pas moins
de
neuf œuvres composaient ce concert. Pour
débuter, interprétation par l'orchestre de
l'ouverture d'Egmont
de Beethoven suivie par la symphonie
inachevée de Schubert. Le pianiste Ricardo
Viñès s'installa devant son clavier pour jouer le
concerto
pour piano et orchestre de Rimsky-Korsakov (devenu une
rareté aujourd'hui). Il s'éclipsa pendant
que l'orchestre se lançait dans les charmes debussystes du Prélude à
l'après-midi d'un faune. Le pianiste revint,
non seulement pour donner la réplique à
l'orchestre dans les Variations
symphoniques de Franck, mais également en
offrant un mini récital avec une Novelette de
Schumann, Paysage,
une pièce d'Ernest Chausson et l'Alborada del gracioso
de Maurice Ravel (créé à Paris en
janvier 1906 par
le même Ricardo
Viñès qui en signa probablement au cours de ce
concert de 1907
la première audition lyonnaise). Enfin l'orchestre
clôtura avec
l'ouverture de l'opéra d'Humperdinck, Hansel et Gretel, .
Comme on le voit, le soliste ne se
contentait pas d'un concerto augmenté d'un ou deux bis comme
actuellement, mais deux concertos constituaient son ordinaire auxquels
il n'ajoutait pas seulement quelques piécettes, mais des
œuvres consistantes et représentatives de la
littérature pianistique romantique et contemporaine.
Pourcentages d'œuvres
des compositeurs les plus joués au cours des saisons
1905/1914
Saisons
1905/1914 - Fréquence par nations
Années 1917 -
1939
La première guerre mondiale, en mobilisant un grand nombre
d'instrumentistes, interrompit ces concerts pendant
trois ans.
Ils ne reprirent qu'à l'automne 1917 avec une saison modeste
de
cinq
concerts seulement. Au cours de cette longue période de
l'entre-deux-guerres, vingt deux saisons se
déroulèrent
amenant 258 concerts (de 5 à 16 par saison), programmant
1286
œuvres. Une forte bipolarisation entre musique allemande et
française règnait
comme dans la période précédente, mais
cette fois-ci au bénéfice de la
musique française, bipolarisation reléguant dans
l'ombre la musique
russe et la musique des autres nationalités.
On voit bien la
prépondérance continue de la musique
française sur
la musique allemande, saison après saison, avec trois
exceptions
seulement pendant plus de vingt ans. Un réflexe nationaliste
poussa-t-il les responsables pendant la saison de guerre et la suivante
à privilégier très nettement la
musique
française au détriment de la musique allemande ?
La
musique russe effectua une percée bien modeste, mais
réelle. Non seulement les musiciens du passé (un
passé bien récent quand il s'agit de Glinka,
Rimsky-Korsakov, Borodine, Balakirev ou Moussorgski), mais
également les musiciens contemporains avec la
présence de
Prokofiev et de Stravinsky, dont Witkowski interpréta le Sacre du
printemps
deux fois à quelques jours d'intervalle le 27
février et le 6 mars 1927, quatorze ans après sa
création tumultueuse à Paris. On peut noter
l'apparition
pour la
première fois de Tchaïkovski au cours de la saison
30/31
avec son concerto pour
violon sous les doigts ailés de Zino
Francescatti et la présence d'une musique bruitiste, symbole
du modernisme et du triomphe de l'industrialisation par
l'intermédiaire des Fonderies
d'acier
de Mossolov une dizaine d'années après leur
composition
et quelques mois après leur création
française.
Pourcentages d'œuvres
des compositeurs les plus joués au cours des saisons
1917/1939
Saisons 1917/1939 - Fréquence par nations
Du côté de la musique allemande, le choix
majoritaire se
portait encore sur un Beethoven incontournable et toujours
présent,
chaque saison, et quasiment à chaque concert. La place de
Wagner
était en retrait, rejoint en importance par J-S Bach et
presque
par
Mozart. Ces quatre musiciens occupaient une place primordiale en
trustant
pratiquement 60 % des pièces allemandes à eux
seuls ne
laissant que peu de surface aux quatorze autres. Cette quasi
exclusivité ne signalait-elle pas un conservatisme
du
goût quelle que soit la qualité de cette
musique ?
Comme pendant la période 1905/1914, le choix reposait sur
une base étroite comprenant seulement 18 compositeurs de
culture
germanique. Dans ce groupe, deux
compositeurs, Richard Strauss, déjà
présent avant-guerre, et Paul Hindemith incarnaient la
musique vivante.
La musique française reposait sur un panel
conséquent :
59
compositeurs dont, fait notable, une majorité de
créateurs vivants. La tendance scholiste, au sens
large,
(les élèves de d'Indy) s'exprimait toujours par
un nombre
conséquent d'œuvres, mais la fréquence
des musiques
de Franck et d'Indy s'estompait devant la popularité acquise
par
celles de Debussy et de Ravel. Jean Witkowski, qui remplaça
de
plus en
plus souvent son père à la tête de la
phalange
symphonique jusqu'à le supplanter pendant des saisons
entières à partir de 1929, n'oublia pas de
laisser une
place à ses compatriotes lyonnais : Antoine Mariotte (natif
d'Avignon, mais un temps professeur au conservatoire de musique de
Lyon), Louis
Thirion, Emile Vuillermoz - surtout connu actuellement en tant
que musicologue et historien plutôt que compositeur -
Augustin
Savard, Pierre-Octave Ferroud (l'un des éléments
moteurs
de la société musicale parisienne Triton),
Maurice
Reuchsel, Ennemond Trillat. Rejoignirent cette liste de
compositeurs lyonnais, d'autres musiciens contemporains de ces saisons
de concerts
: Tony Aubin, Louis Aubert, Emmanuel Bondeville, Henri Barraud, Robert
Casadesus plus
connu comme pianiste, Marcel Delannoy, Marcel Dupré, Gustave
Doret, Philippe Gaubert, Gustave Grovlez,
Désiré-Emile
Inghelbretcht, Jean Langlais, Guy de Lioncourt, Georges Migot, Francis
Poulenc, Henri Rabaud, Albert Roussel, Florent Schmitt, Gustave
Samazeuilh, Déodat de Séverac (mort en 1921),
Charles
Tournemire. L'orchestre de la société des Grands
Concerts
n'assura pas de création mondiale, mais à
plusieurs
reprises au cours de cette période, souvent peu de temps
après la création, offrit à ses
auditeurs
des premières auditions lyonnaises, témoins d'une
largeur
de vues assez surprenante. Si Witkowski rendit hommage
à
son
ami Vincent d'Indy, membre de sa famille musicale, en
interprétant son Diptyque
méditerranéen
très peu de mois après sa composition, si un an
après la création parisienne, il fit
connaître les
Chants d'Auvergne
du scholiste Joseph Canteloube avec la
complicité de la mezzo Madeleine Grey (2), il n'oublia pas
Darius
Milhaud, membre du groupe des Six, une "école" bien
éloignée du franckisme et des scholistes, dont il
donna
la première audition du Carnaval
d'Aix
deux ans seulement
après sa composition. Le 12 février 1933, un
jeune
pianiste également compositeur et membre du groupe des Six,
Francis Poulenc, fit résonner l'alacrité de son
tout
récent Concerto
pour deux pianos
et démontra sa virtuosité jointe à
celle d'un
instrumentiste lyonnais, Ennemond Trillat. D'un autre jeune compositeur
Olivier Messiaen - qui en 1936
fondera le groupe "Jeune France" avec André Jolivet,
Daniel-Lesur et Yves Baudrier - le chef d'orchestre inscrivit sa
première
composition orchestrale, les Offrandes
oubliées,
un an
après sa création parisienne. C'est
cependant le
Lyonnais Pierre-Octave Ferroud qui battit les records de jeunesse, lors
de la saison 24/25 avec une de ses plus récentes
compositions
orchestrales, Foules.
Il n'avait que vingt-cinq ans ! Relevons encore la
présence de deux femmes compositrices, fait rare dans les
programmes de concert, Lili Boulanger disparue
prématurément en 1918 et Claude Arrieu,
délicieuse
mélodiste. La programmation de musique française
restait
cependant assez bien
arc-boutée sur le quatuor de compositeurs
représentant
la tendance historique de la fin du XIXe siècle,
c'est-à-dire la tendance
franckiste et sa continuation avec la Schola cantorum et d'un autre
côté la tendance nouvelle incarnée par
Debussy et
Ravel.
(2) A
signaler la parution
toute récente sous le label suisse Cascavelle d'un disque
reprenant les enregistrements historiques de Madeleine Grey des
années 30 des Chants
d'Auvergne de Canteloube, des Chansons madécasses
et des Chansons
hébraïques de Ravel, ainsi qu'un
florilège de chansons populaires.
"Les Grands Concerts sont les représentants à
Lyon
du franckisme
intégral. Depuis près de vingt années,
M.
Witkowski a consacré la plus
grande partie de son effort à imposer à ses
concitoyens
le culte de
César Franck. Il est arrivé à rendre
populaire
surtout la belle
Symphonie en ré mineur. Pourrait-on ne pas fêter
largement
le
centenaire prochain ? Deux concerts d'orchestre au moins, un concert
d'orgue nous feront retrouver avec émotion à la
salle
Rameau, la
Symphonie, les Variations symphoniques, les plus belles des
Béatitudes,
les grandioses Chorals."
Ainsi s'exprimait le célèbre
critique musical lyonnais Léon Vallas dans le
Progrès de
Lyon en septembre 1922. On ne saurait mieux qualifier cette
programmation ! Elle avait cependant la sagesse de ne pas seulement
s'appuyer sur ces quatre-là, mais de propulser sur le devant
de
la
scène quasiment toutes les tendances musicales
présentes
dans cette entre deux-guerres. Tant mieux pour la diversité
! Mais
la largeur de vues que nous avons souligné marquait ses
limites ; il
est pour le moins surprenant, par exemple, que le succès
planétaire que
reçut le Bolérode
Ravel (création parisienne en 1928) n'eut point sa
traduction
lyonnaise dans les dix années qui suivaient (Les Lyonnais
patientèrent jusqu'en 1945 pour l'entendre). Le tableau
suivant
liste les œuvres récentes que les Lyonnais
découvrirent pour la plupart d'entre elles quelques
années seulement après leur écriture.
saison |
compositeur |
naissance
décès |
œuvres |
date
de composition |
19/20 |
Savard Augustin |
1861-1943 |
Symphonie n° 2 |
? |
21/22 |
Jean Roger-Ducasse |
1873-1954 |
Sarabande |
? |
22/23 |
Déré
Jean |
1886-1970 |
Poèmes arabes |
? |
24/25 |
Ferroud Pierre-Octave |
1900-1936 |
Foules |
1922/4 |
26/27 |
Canteloube Joseph |
1879-1957 |
Chants d'Auvergne - 1er
cahier |
1924 |
26/27 |
Albeniz Isaac |
1860-1909 |
Rapsodie pour piano et
orchestre |
1887 ? |
26/27 |
Boulanger Lili |
1893-1918 |
Psaume CXXIX |
1916 |
26/27 |
d'Indy Vincent |
1851-1931 |
Diptyque
méditerranéen |
1926 |
27/28 |
Le Flem Paul |
1881-1984 |
Danses |
1912 |
27/28 |
Caplet André |
1879-1925 |
La croix douloureuse |
1917 |
27/28 |
Caplet André |
1879-1925 |
Forêt |
1917 |
27/28 |
Rougier Adrien |
1892-1984 |
En marge de trois
maîtres français |
? |
27/28 |
Ibert Jacques |
1890-1962 |
Les rencontres |
? |
28/29 |
Delvincourt Claude |
1888-1954 |
Boccaceries |
1922 |
28/29 |
Witkowski Georges Martin |
1867-1953 |
L'innocence |
1925 |
28/29 |
Albeniz Isaac |
1860-1909 |
Triana |
composition
1909
orchestration
d'Arbos 1927 |
28/29 |
Reuchsel Maurice |
1880-1968 |
Esquisses symphoniques |
? |
28/29 |
Milhaud Darius |
1892-1974 |
Carnaval d'Aix |
1926 |
28/29 |
Milhaud Darius |
1892-1974 |
Chants
hébraïques |
? |
32/33 |
Poulenc Francis |
1899-1963 |
Concerto pour deux pianos |
1932 |
32/33 |
Messiaen Olivier |
1908-1992 |
Offrandes
oubliées |
1930 |
33/34 |
Cartan Jean |
1906-1932 |
Pater |
1930 |
34/35 |
Ferroud Pierre-Octave |
1900-1936 |
Symphonie en la |
1930 |
35/36 |
Arrieu Claude |
1903-1990 |
Mascarades |
? |
Quelques interprétations d'œuvres
récentes.
Et pour les autres écoles nationales ? Que de
timidité ! Sur les 1286
œuvres programmées durant cette
période, elles ne
comptèrent que pour 97, soit 7,5 % du total. Le public
lyonnais ne put
faire connaissance que très épisodiquement de
musiciens
espagnols tels Manuel de Falla et Federico Mompou, une fois seulement
pour ce dernier.
On retrouva à intervalles réguliers la musique
norvégienne de Grieg essentiellement à travers
son célèbre Concerto
pour piano et plus rarement Peer Gynt,
quelques maîtres italiens anciens ou
plus près de nous, de Monteverdi à Respighi en
passant
par Tartini, Vivaldi, Boccherini, Paganini et Casella par exemple. Si
Liszt continuait à être programmé
régulièrement - mais était-il vraiment
considéré comme un musicien hongrois ? -, Bela
Bartok ne fut
entendu qu'une seule fois le
22 novembre 1931 par sa Suite
de danses
composée en 1923 et
le compositeur polonais Karol Szymanowski fut honoré deux
fois,
une première fois en 1926 par
l'exécution de son premier
concerto pour violon terminé dix ans auparavant
et la
deuxième par la première audition lyonnaise de sa
quatrième
symphonie
dénommée symphonie concertante
pour piano et orchestre, le 2 décembre 1934,
composée
deux ans auparavant, l'auteur étant lui-même au
piano.
S'agissait-il également de la première audition
en France ? Au cours de la
saison 1935/36, ce fut au tour du Brésilien Heitor
Villa-Lobos
d'entrer au répertoire de l'orchestre lyonnais.
Recherchons maintenant la musique tchèque tout au long de
ces concerts. Huit pièces (cinq œuvres
différentes) dues à quatre compositeurs
trouvèrent
une toute petite place dans la programmation. Par ordre chronologique
d'apparition dans les concerts, le chef dirigea Prague, un
poème symphonique de Josef Suk, gendre d'Antonín
Dvořák, au cours du concert du 6 mars 1921.
"Un ouvrage d'un
caractère bien
différent et d'une sincérité
éclatante a
paru dimanche aux Grands Concerts sous la direction de M. Witkowski :
c'est Prague,
poème
symphonique de Josef Suk, compositeur connu en France surtout comme
second violon du Quatuor Tchèque, écrivait
Léon
Vallas dans le Salut public du 12 mars 1921. Cette partition de Prague
[…] fait figure de poème national : le puissant
ouvrage
fut en effet conçu pour célébrer les
fastes de
l'histoire héroïque dont la grande ville fut le
cadre au
cours des siècles. […] C'est aussi une musique
décorative, largement dessinée et haute en
couleurs,
telle que l'on pouvait supposer que la guerre récente en
inspirerait à quelques-uns de nos maîtres
français."
Cependant un ouvrage tchèque non point destiné au
grand
orchestre symphonique l'avait précédé,
le Sextuor
de Václav
Štĕpán qui partagea avec le Quintette
de Franck l'affiche d'un concert de musique de chambre donné
par
le Quatuor Tchèque avec le concours de la pianiste Blanche
Selva
en février 1920, Quatuor invité par les Grands
Concerts.
"L'âme d'un
peuple
tourmenté gémit à travers ces sombres
pages :
l'horreur profonde de la guerre s'y grave sans intention pittoresque et
sans vives couleurs et l'exécration du fléau, qui
a si
rudement frappé la France comme la Bohême,
cède
heureusement en la conclusion de l'ouvrage à la joie grave
et
profonde d'une race, réalisée par la victoire
tant
attendue.[…] L'extraordinaire impression laissée
par ce
Sextuor fut assurément fortifiée par la
beauté
farouche et l'énergie presque sauvage de
l'interprétation
qu'en donna le Quatuor Tchèque avec le concours de deux
artistes
de Paris." Ainsi s'exprima Léon Vallas dans son papier du 7
février.
Durant les saisons
1923/24, 34/35 et 38/39, l'ouverture de l'opéra La fiancée vendue
de Smetana fut jouée trois fois. Le 25 janvier 1925, les
auditeurs eurent la primeur de deux chœurs avec
accompagnement
orchestral de
Vítĕzslav Novák, l'Assassin et Guerre fatale.
Au cours de la saison 1932/33, un événement se
produisit,
une deuxième audition mondiale, un jour seulement
après
la création mondiale à Prague, le 3
décembre 1932,
sous la direction de Václav Talich. ll
s'agissait de
la Partita
pour
orchestre
à cordes (H 212), appelée également Suite n°
1, de Bohuslav Martinů, une composition d'une
dizaine de minutes
en quatre mouvements datant de 1931. L'œuvre plut-elle
beaucoup
surtout au public ou au chef et à ses musiciens ? On ne
sait, mais elle
fut exécutée une nouvelle fois huit jours plus
tard le 11
décembre au cours du concert suivant ! Ce subit
intérêt pour ce compositeur tchèque
installé
en France depuis quelques années ne dura point. On ne trouva
aucune autre composition de Martinů jusqu'en 1939. La
volonté
artistique des dirigeants de la société musicale
lyonnaise privilégiant les deux écoles
française
et allemande ne laissait que des miettes aux autres écoles
nationales. Et pourtant ! Le pianiste et compositeur Václav
Štĕpán - qui joua plusieurs fois à
Lyon
quelques-unes de ses propres compositions et plusieurs ouvrages de ses
compatriotes au début des années 20, voir plus
haut et le
précédent article -
connaissait Georges
Martin Witkowski et sur ses
recommandations, la Philharmonie tchèque invita le chef
lyonnais
à Prague où il dirigea un extrait d'Antoine et Cléopatre
de Florent Schmitt, Pacific
231 d'Arthur Honegger, le Chant du rossignol
de Stravinski et la deuxième
symphonie d'Albert Roussel, les 31
mai, 1er
et 2 juin 1924 (3). Pendant ce festival de musique, il côtoya
des chefs
de différentes nationalités dont le
Tchèque Václav Talich. Nul doute qu'il
s'enquit des
tendances de la musique de ce pays. Ce séjour aurait pu
augurer
d'une percée tchèque dans les programmes des
futurs
concerts lyonnais. Il n'en fut rien. La musique tchèque,
représentée de
manière très marginale ne fut pas plus
avantagée
que la musique hongroise, la musique polonaise ou la musique
espagnole, par exemple. Remarquons l'absence totale de compositions
d'Antonín Dvořák et de Leoš
Janáček.
Dans l'entre-deux-guerres, ce n'est donc pas à Lyon qu'il
fallait
venir pour écouter de la musique symphonique
tchèque !
(3) Yves
Ferraton - Cinquante ans de vie musicale à Lyon - Editions
de Trévoux - 1984
Parmi les solistes qui accompagnèrent l'orchestre au cours
de
cette période, on remarqua
Ricardo Viñès et
outre la fidèle Blanche Selva, les non moins
fidèles
Alfred Cortot et Marguerite Long, deux pianistes aussi à
l'aise
dans la musique française que dans la musique allemande,
Yves
Nat et Robert Casadesus, et quatre femmes, deux Françaises,
Yvonne Lefébure, Jeanne-Marie Darré, la
Brésilienne Magda Tagliaferro et la Hongroise Annie Fischer,
âgée à l'époque de
vingt-trois ans. Du
côté des violonistes, on retrouva Georges Enesco
et
Jacques Thibaud ; le public découvrit Zino Francescatti, le
Hongrois Jozsef Szigeti et une enfant de 13 ans qui en
février
1932 se lança dans le concerto
de Mendelssohn et le Tzigane
de Ravel dans la même soirée, Ginette Neveu. Les
violoncellistes Maurice Maréchal, Gaspar Cassado,
Grégor
Piatigorski et Emmanuel Feuermann, la claveciniste Wanda Landowska, les
organistes Marcel Dupré et Charles Tournemire
s'installèrent une ou plusieurs fois à
côté
de l'estrade du chef. Un instrument insolite enrichit la palette
orchestrale sous les doigts de son créateur, Maurice
Martenot qui
lui donna son nom, les ondes Martenot. Les amateurs d'art lyrique
retrouvèrent Claire Croiza et Jane Bathori (4) et
découvrirent de nouveaux talents en la personne des barytons
Pierre Bernac et Martial Singher, des mezzo-sopranos Madeleine Grey et
Germaine Cernay et une jeune soprano Jeanine Micheau. Pendant ces
vingt-deux saisons, la baguette resta dans les mains des deux chefs,
Georges-Martin Witkowski et son fils Jean. Ils ne la
passèrent
qu'à de rares occasion, au chef Louis Fourestier ou au
compositeur Arthur Honegger qui le 9 décembre 1928 vint
diriger
son drame biblique Judith,
enfanté depuis trois ans.
(4)
L'éditeur
américain Martonrecords, spécialisé
dans
l'exhumation des vieilles cires propose deux repiquages sur Cd
d'enregistrements des années 1927 à 1936 de
Claire Croiza
et des années 1928 à 1930 de Jane Bathori.
La pianiste Blanche
Selva, fidèle parmi les fidèles de la
société des Grands Concerts lyonnais
avec l'aimable autorisation de Guy Selva (Association
Blanche Selva)
www.blanche-selva.com
II.B)
Société des Concerts du Conservatoire de
Paris
L'étude de la programmation de la
Société des
Concerts du Conservatoire débute en 1928, date de la
disparition
de Janáček. Durant cette période, la musique
française fut plus
jouée que la musique allemande, et Ravel (compositeur
vivant),
Debussy, Fauré, Franck et Berlioz dominèrent,
alors
qu'une
quarantaine d'autres compositeurs furent programmés une ou
plusieurs fois. Il convient de s'attarder un
instant sur cette cohorte de compositeurs. Si certains appartenaient
à l'école franckiste (on s'aperçoit de
l'influence
bien réelle du courant représenté par
la Schola
cantorum dont Vincent d'Indy menait le combat idéologique
et musical) ou en sont contemporains (Chausson,
Lalo, Bizet, Chabrier…), d'autres composaient cette fameuse
génération que par commodité je
baptiserai du nom de
génération Ravel en
référence à leur
date de naissance tournant autour de 1875/80, comme le compositeur du Boléro,
(Gaubert, Vuillemin,
Mazellier, Louis Aubert, Laparra, Canteloube, voire Roger-Ducasse et
Rabaud, sans qu'ils partagent obligatoirement les mêmes
orientations musicales, compositeurs dont nous ne trouvons que rarement
les noms sur les
programmes de concerts actuels…), une autre partie d'entre
eux
étaient contemporains de Debussy (Gustave Charpentier,
Hüe,
Bruneau,
Pierné, Ropartz, Witkowski) enfin des compositeurs plus
jeunes
tels Jacques Ibert, Jean Françaix, Francis Poulenc et
Olivier
Messiaen. Plusieurs œuvres furent données en
première
audition, dont les Offrandes
oubliées
de Messiaen en 1931. L'ensemble des tendances de la vie musicale
française trouvait sa place dans cette programmation, sauf
les
compositeurs du groupe des Six. Les courants que l'on pourrait
dénommer pour simplifier de traditionalistes (Franck et la
Schola cantorum) et de modernistes (Debussy et les Debussystes au sens
large du terme) qui traversèrent toutes les
générations de musiciens français
nés entre
1850 et 1880 avec toutes les nuances intermédiaires entre
ces
courants prirent
place fortement durant toute cette décennie de concerts.
Les compositeurs allemands dont les noms revenaient le plus souvent
représentaient le fleuron toujours actuel de la musique
germanique : Jean-Sébastien Bach, Mozart, Beethoven, Wagner.
Ces
quatre compositeurs formaient le socle de la programmation et parfois
s'imposaient lors d'un concert dédié uniquement
à la
musique allemande. La
génération romantique par
l'intermédiaire de
Schumann et de Brahms fut un peu moins présente et on
découvrit
l'irruption à plusieurs reprises d'un contemporain, Richard
Strauss. Par contre, aucune diffusion d'ouvrages de Bruckner ou de
Mahler.
On note l'apparition de la musique russe dans ces programmes (5 %
seulement des œuvres jouées), Kimsky-Korasakov
enlevant un
tiers de ces pièces dont un engouement curieux pour son Capriccio
espagnol (pouvait-on se montrer plus russe ?), les autres
membres du
groupe des Cinq se partageant le reste, une timide apparition de
Rachmaninov, Stravinsky et Prokofiev, une surprenante
présence de Glazounov avec son Concerto pour violon,
cinq
fois exécuté ! Une absence
remarquée :
Tchaïkovsky !
Si cette société jouait son rôle de
transmission du
patrimoine musical allemand et français, elle s'impliquait
également dans la diffusion de manière
relativement
satisfaisante de la création contemporaine
française.
Enfin, soulignons la première audition le 23 octobre 1932
d'une
pièce symphonique qui deviendra emblématique dans
les
années 50, les Tableaux
d'une exposition de Moussorgski, dans l'orchestration de
Ravel.
Quant aux ouvrages tchèques, ils se comptaient sur les
doigts
d'une seule main, cinq seulement dus à la plume de
Dvořák
(le concerto pour
violoncelle et la symphonie
du Nouveau Monde), Smetana (l'ouverture de la Fiancée vendue)
et un compositeur d'une plus récente
génération que la société
des
concerts du conservatoire reconnut en programmant la
même
saison 1936/7 un concerto
pour flûte et violon et le deuxième
concerto pour piano,
Bohuslav Martinů, ce dernier concerto étant
exécuté par sa dédicataire, la
pianiste
française Germaine Leroux qui se dépensa tant
pour faire
connaître la musique tchèque. 5 pour 1000,
voilà ce
que pesait la musique de ce pays d'Europe centrale en ces
années-là ! Et quant à
Janáček, il
était tout simplement inconnu pour qui ne
fréquentait que
les concerts du conservatoire. Le jeune pianiste tchèque
Rudolf
Firkusny, âgé tout juste de vingt ans lors de sa
première prestation, s'illustra à deux
reprises…
dans l'Empereur
de Beethoven et le troisième
concerto de Rachmaninov.
Comment expliquer l'absence quasi totale de pièces
orchestrales
de Janáček dans les concerts de France durant cette
période, alors que le nom
du compositeur ne pouvait être ignoré des milieux
musicaux tandis que
son opéra Jenůfa
se répandait
en Allemagne et en Europe (par deux fois notre voisine, la Suisse
l'avait accueilli en 1925 à Bâle et deux ans plus
tard à Berne) ? La
production orchestrale de Janáček ne brillait pas par la
quantité, en
dehors de la Suite
et d'Idylle
pour orchestre à cordes, de la Suite de 1893,
pièces de jeunesse, les orchestres ne pouvaient
compter que sur sept œuvres, l'ouverture Jalousie, L'Enfant du violoneux,
Taras Bulba,
la Ballade de Blanik,
les Danses de Lachie
et la Sinfonietta
auxquelles il faut ajouter la Messe
glagolitique qui nécessite un organiste, des
solistes vocaux et un chœur capable de chanter en
tchèque.
Comment et où se procurer le matériel d'orchestre
? Le compositeur ne
négocia avec aucun éditeur français.
Pour un chef exerçant à
l'intérieur de l'hexagone, comment rencontrer les
éditeurs
tchèques ? Mission quasiment impossible. Seule la Sinfonietta eut
les honneurs d'une maison d'édition connue dans toute
l'Europe,
Universal basée à Vienne. Mais rassembler la
dizaine de trompettes
qu'exigeait la partition demandait une détermination et une
volonté qu'on ne rencontrait pas obligatoirement
chez
beaucoup de chefs et de responsables musicaux après la
première exécution française de 1929
due à
la baguette de Pierre Monteux.
Société des
Concerts du Conservatoire - Saisons 1928/1939 - Fréquence
par nations
Conclusion
Dans l'état actuel de nos recherches, force est
de
constater non seulement une pénétration
partielle, mais
pratiquement confidentielle de la musique symphonique
tchèque dans notre
pays à cette époque. Encore dut-elle quelques
exécutions plus aux musiciens tchèques qu'une
politique
volontariste de rapprochement de leur nouvelle république
avec
l'Europe occidentale et particulièrement avec la France
envoyait
en tournée à l'étranger qu'aux
artistes de
l'hexagone. L'intérêt suscité par cette
musique
auprès de quelques membres de sphères musicales
françaises resta concentré dans des cercles
étroits, dans des lieux précis (Paris, Lyon) et
ne
s'étendit ni à l'ensemble du territoire, ni
à des
couches plus vastes d'intellectuels, d'artistes et de
décideurs
en tous genres ou tout simplement du public ordinaire. Le public
mélomane n'était sans doute pas
encore prêt à porter attention
à cette
musique trop exotique, trop différente de ce que la
tradition
lui avait enseigné et de ce que la révolution
debussyste
lui avait apporté. S'imposaient progressivement des ouvrages
qui
lui apparaissaient bien typés (Dvořák, concerto pour violoncelle
et symphonie du Nouveau
Monde, Smetana, la
Fiancée vendue),
mais dont l'écriture virtuose et brillante recouvrait d'un
vernis chatoyant les aspérités typiquement
tchèques et parvenait ainsi à les faire accepter
plus
facilement. La bizarrerie, l'étrangeté, la
sauvagerie
des rares pièces (autres que celles destinées
à l'orchestre) de Janáček qui avaient atteint un
auditoire restreint détonnaient dans l'entre-deux-guerres.
Décidément trop bizarre, trop étrange,
trop
sauvage pour la sensibilité et les oreilles
françaises de cette époque ! Quelles que soient,
par
ailleurs, la qualité des études livresques (5) si
clairsemées qui signalaient ce compositeur hors du commun !
Joseph Colomb - mai 2006