La réception française de la musique de Janáček par les concerts


La diffusion de la musique de Janáček en France
à travers les écrits par les disques par les concerts


du vivant de Janáček avant 1939 de 1939 à 1945 de 1945 à 1969 de 1969 à 1987 de 1987 à 2000 autres
structures
opéras


IX. La réception française des opéras de Janáček


En prenant comme point de départ la création de Jenůfa à Prague en 1916 qui lui entrebâilla les portes du succès national avant que la représentation à Vienne deux ans plus tard ne lui ouvrit les portes du succès européen, il convient de se pencher sur la manière dont les opéras de Janáček pénétrèrent dans notre pays. Dès le début des années 20, Jenůfa s'était imposée en Allemagne avec pas moins d'une vingtaine de représentations dans le même nombre de villes, du nord au sud, de l'est à l'ouest.

Pendant cette période, aucun opéra tchèque n'avait eu les honneurs de la scène française. Le rideau ne se leva sur la Fiancée vendue de Smetana qu'en 1928 à l'Opéra de Paris, mais la Rusalka de Dvořák attendit… 1982 pour paraître sur la scène de l'opéra de Marseille !

A la suite du succès de sa Jenůfa à Vienne en 1918, chez Janáček perça l'impérieux désir de la faire représenter à Paris. Mais il n'établit aucun contact direct avec les autorités musicales françaises et seuls trois de ses chœurs avaient été entendus à Paris en 1908 lors de la tournée de la Société chorale des Instituteurs moraves. Et comme ni le public, ni la critique ne les avaient distingués au milieu d'autres œuvres chorales de Dvorak, Smetana, J-B Foerster, Kunc, Suk, Malat, Nebuska, Novak, Neumann, Chvala, Palla, Vendler, Křížkovský… le nom de Janáček ne resta qu'un nom parmi les autres. Si, au début des années 20, la musique du compositeur morave avait commencé à percer à Prague, les autorités politiques et culturelles tchèques n'avaient pas encore vraiment pris la mesure de l'envergure de ce compositeur. Ils jugeaient toujours les défunts Smetana, Dvořák, et même Suk, Novák, Foerster, Fibich bien supérieurs à ce musicien provincial et donc recommandèrent en priorité leurs deux gloires disparues Smetana et Dvořák à leurs homologues français.

Janáček, lui-même, ne se donna pas les moyens de la réussite. Vítĕzslav Novák, lui, avait bien compris que pour assurer sa notoriété, il lui fallait venir dans le pays (voyages en France durant trois années de 1909 à 1911) et nouer des contacts avec tel ou tel compositeur français ou avec tel ou tel interprète. Le résultat pour la diffusion de sa musique ne correspondait pourtant pas à ses efforts. Quant à Janáček, il se contentait de brefs contacts, au cours des festivals internationaux de musique contemporaine auxquels il participa à Prague en 1925, à Venise la même année, à Francfort en 1927. Si la Petite renarde rusée qu'il avait entendue à Prague en 1925 impressionna Henry Prunières, le directeur de la Revue Musicale, si Kát'a Kabanová avait agi de même sur Romain Rolland, aucun des deux n'usa de son influence pour tenter de convaincre le directeur de l'opéra de Paris de l'utilité de représentations françaises de ces opéras. Ne se montrèrent-ils pas assez persuasifs ou se heurtèrent-ils à trop d'indifférence ? Emil Hertzka, directeur des éditions viennoises Universal qui publiait les partitions des opéras de Janáček au cours de sa dernière décennie de sa vie négocia avec Jacques Rouché, le directeur de l'Opéra de Paris. En vain.

De son vivant, le compositeur morave n'eut pas la satisfaction de savoir qu'un de ses opéras avait été monté en France. Il dut se contenter d'avoir percé en Yougoslavie à Zagreb dès 1920, en Suisse à Bâle en 1922, en Pologne à Wroclaw en 1925, en Belgique à Anvers en 1927 et en Finlande à Helsinki l'année de sa disparition grâce à sa seule Jenůfa.

Quand parut le solide livre de Daniel Muller aux Editions Rieder, son analyse détaillée et percutante de ce premier opéra accentua-t-elle chez Jacques Rouché l'obligation de reconsidérer son point de vue ? Attentive à jouer de la musique tchèque, malgré les difficultés, la pianiste Germaine Leroux ne désigna-t-elle pas la mauvaise volonté des décideurs musicaux et notamment de l'opéra et n'accentua-t-elle pas leur mauvaise conscience ? Les négociations s'engagèrent directement avec le Théâtre National de Brno où le directeur, Vaclav Jirikovsky, celui-là même qui avant d'occuper ces hautes fonctions avait suggéré au tournant des années 20 l'Orage d'Ostrovsky comme sujet d'opéra à Janáček, proposa à Paris des costumes pour les différents protagonistes de ce drame. En 1938, la traduction française du livret fut commandée à André Block tandis que les cantatrices Fanny Heldi et Germaine Hoerner débutaient l'étude des deux rôles féminins principaux alors que la création française de Jenůfa était fixée au 28 octobre 1938. La pauvre Tchécoslovaquie, menacée par l'agitation d'une minorité agissante de langue germanique, encouragée depuis l'Allemagne voisine, se vit tout d'abord amputée de ses régions frontalières par le Reich pour ensuite tomber sous le joug nazi en septembre de cette même année. Les accords de Munich n'avaient rien empêché. Le jeune chef Vílem Tauský (1910 - 2004)  - après avoir dirigé maints opéras dont la Petite renarde rusée à Brno - passa entre les mailles du filet en compagnie des malles de costumes moraves. S'il parvint à se réfugier à Paris en avril 1939 et à échapper à la persécution nazie qu'il aurait probablement subie en restant dans son pays, le projet de représentation s'arrêta là. Vílem Tauský (1) se réfugia ensuite en Grande Bretagne où il poursuivit une double carrière de chef et de compositeur. N'oubliant jamais sa culture d'origine, il consacra une partie de son temps à la musique de ses compatriotes et rédigea avec son épouse un livre Janáček : Leaves from his Life en 1982 regroupant dans ce volume des écrits du compositeur.

(1) Vílem Tauský étudia à Brno avec Leoš Janáček, ainsi qu'avec Vílem Petrželka et Oswald Chlubna eux-mêmes anciens élèves du maître morave et à Prague avec Josef Suk et  Zdeněk Chalabala.

La paix revenue en Europe, les auditeurs qui écoutèrent la radio française le 14 novembre 1947 eurent la surprise d'entendre un opéra, Jenůfa, qui n'avait jamais encore gravé son nom sur les affiches d'un quelconque opéra français. Ce jour-là, François Jarossy à la baguette emmenait les sopranos Adine Yossif dans le rôle titre et Renée Gillie dans celui de Kostelnicka.

A la fin des années 50, le Théâtre des Nations offrit une belle opportunité à tous les Parisiens soucieux d'esprit d'ouverture. Un certain nombre de troupes théâtrales venant d'horizons divers, de jeunes metteurs en scène, toute une génération nouvelle d'acteurs frappèrent l'imagination des spectateurs. Au fil des saisons, sur les scènes de différents théâtres de la capitale, Giorgio Strehler, Peter Brook, Julian Beck et son Living Theatre, le Berliner Ensemble pour n'en citer que quelques-uns démontraient la vivacité et l'originalité de la création théâtrale dans leur pays respectif. Très vite, le Théâtre des Nations s'ouvrit à d'autres formes de théâtre, incluant la danse et l'opéra. Ainsi au mois de mai 1957, le Komische Oper de Berlin, dans une mise en scène de Walter Felsenstein et sous la baguette du chef tchèque Vaclav Neumann importa de la capitale allemande un opéra neuf, inconnu dans nos contrées et qui mettait en scène des animaux au milieu d'humains plutôt ridicules, la Petite Renarde rusée de  Janáček. La mise en scène inventive de Felsenstein connut 215 représentations dans l'ensemble de l'Allemagne. Une fenêtre française s'ouvrait sur l'univers bien particulier du maître morave. Deux ans plus tard, l'Opéra de Belgrade importait à son tour Kát'a Kabanová toujours dans le cadre du Théâtre des Nations.

Le temps d'une création française d'un opéra de Janáček s'imposait dans les esprits d'un milieu musical ouvert à d'autres horizons. Elle n'eut pas lieu dans la capitale d'où le retentissement aurait pu être important, mais à Strasbourg. Pourquoi ? La direction de l'Opera de Paris jugea que le temps de Janáček sans doute n'était pas encore venu. Aucun chef et probablement aucun interprète eut la force de persuasion pour peser contre ce choix négatif. A Strasbourg, depuis 1950, un chef s'était déjà signalé en signant en 1954, cinq ans avant Paris, la création française du Château de Barbe-Bleue, l'unique opéra de Béla Bartók. On sait depuis qu'Ernest Bour, puisque c'est de lui qu'il s'agit, s'illustra ensuite à Baden-Baden et aux Pays-Bas, ainsi que dans divers festivals de musique contemporaine, en mettant sa baguette au service de ses contemporains. Berg lui dut la création française de Wozzeck ; de musiciens aussi différents que Luigi Dallapicola, Luciano Bério, Henryk Gorecki, Gyorgy Ligeti, Paul Hindemith, André Jolivet, Karl-Heinz Stockhausen, Wolfgang Rihm ou Emmanuel Nunès, pour n'en citer que quelques-uns, il assura nombre de créations symphoniques. Le 27 février 1962, à Strasbourg, s'entourant de Bronislaw Horowicz à la mise en scène, de la soprano Maria Kouba, de la mezzo Jacqueline Lucazeau et des ténors Helmut Malcher et Louis Roney, il dirigea enfin, près de soixante après la première mondiale à Brno, la création française de Jenůfa.

L'opéra de Nice prit le relais quatre ans plus tard avec l'opéra posthume du compositeur morave, De la Maison des morts que nos voisins belges à Bruxelles importèrent l'année suivante de Grande Bretagne. Enfin, 1968 ne se contenta pas de faire souffler un vent de libération culturelle dans les affaires franco-françaises, mais les opéras de Paris pour Kát'a Kabanová et l'Affaire Makropoulos et celui de Marseille pour cette dernière donnèrent enfin un signal, encore timide, du réveil opératique janacekien.

De Tchécoslovaquie, la firme Supraphon distribua successivement les enregistrements de Jenůfa en 1970, l'Affaire Makropoulos trois ans plus tard, Kát'a Kabanová et la Petite renarde rusée en 1977 auxquels succéda De la Maison des morts l'année suivante. Et pour enfoncer le clou, dans les revues musicales grand public, en 1980, elle offrit une pleine page de publicité rappelant ces disques d'opéras. De refuser les représentations d'opéras du musicien de Jenůfa les dirigeants des scènes françaises n'avaient plus aucune excuse, d'autant plus qu'un public curieux de ces nouveautés, à la suite des auditions des disques, commençait à se former. La diffusion des opéras de Janáček pouvait prendre son essor…

Quatre cartes relatives à différentes périodes retracent la diffusion de ses opéras dans notre pays ainsi que dans les parties francophones de deux pays voisins, la Belgique et la Suisse. Pour y accéder, cliquer sur l'illustration ci-dessous.


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Conclusion générale

Joseph Colomb - février 2007