La réception française de la musique de Janáček par les concerts

Immédiatement, à la vue des deux graphiques ci-dessus et ci-dessous, on ne perçoit pas d'évolution fulgurante dans la répartition de la programmation. Quelques modifications jouant sur les marges, par exemple, le succès grandissant de Mozart, aidé il est vrai en 1991 par la commémoration réussie du bicentenaire de sa disparition, alors que l'importance de Wagner se relativisait tandis que que celle de Brahms se confirmait. La musique de Tchaïkovsky prit le pas sur celle de ses autres compatriotes. Dans la trinité française, Ravel gardait toujours les faveurs du public et des musiciens, alors que Berlioz, quasiment enfant du pays, confirmait sa percée précédente. Les années Krivine démontrèrent un plus grand intérêt envers les autres écoles nationales sans toutefois bouleverser la double hégémonie germano-française.

Par dix fois, les mélodies et les harmonies de la Symphonie du Nouveau Monde résonnèrent dans les travées de l'auditorium de Lyon, toutes ces exécutions étant dirigées par Emmanuel Krivine qui semblait par ce choix montrer son intérêt pour cette œuvre devenue emblématique. On assista à l'introduction de trois ouvrages plus anciens de compositeurs tchèques de la fin du XVIIIè siècle (Stamic et Kramář).

Grâce à deux chefs étrangers, l'Argentin Carlos Païta et l'Américain David Robertson, on put réentendre Taras Bulba vingt ans après la précédente audition et découvrir enfin la Sinfonietta de Janáček.

Janáček à Lyon

Pages intérieures des programmes de concerts de l'ONL (1990 et 1997)
(montage photographique)

Emmanuel Krivine parti pour d'autres aventures, ce fut David Robertson qui prit les rênes de l'orchestre pour 4 saisons avant de passer sa baguette à un nouveau directeur musical Jun Märkl. Si l'on considère la programmation par grandes masses, l'impression première peut conduire à une certaine stabilité. Mais si l'on observe de plus près, on ne peut que relever des bouleversements assez profonds. Beethoven reprit sa suprématie sur les autres compositeurs germaniques tandis que Brahms confirmait par sa troisième place derrière Mozart sa reconnaissance définitive par le public mélomane français, phénomène que vérifiait Lyon. Wagner, adulé pendant la première moitié du siècle et même jusqu'aux années 70 cédait une position prépondérante pour se replacer à un rang honorable.

Pourcentages d'œuvres des compositeurs les plus joués au cours des saisons 2000/2005

Bien évidemment les choix du chef David Robertson s'avéraient décisifs. Qui aurait pu imaginer que Boulez allait se hisser au second rang des musiciens français les plus joués, juste derrière Debussy ? Le chef d'orchestre n'oublia pas qu'il avait dirigé pendant plusieurs années l'Ensemble Intercontemporain, émanation de Boulez et de ses acolytes. Il tenta d'imposer d'autres compositeurs contemporains, tels les Américains Adams, Carter et Reich, mais surtout les Hongrois Ligeti et Kurtag.

Si la musique germanique gardait la première place, depuis les années 70 on assista à une érosion lente mais continue. Elle passa ainsi de 40 % dans la période 69/87 à 36,2 % pour la période 2000/2005. Je suis bien conscient que mettre en balance des époques d'inégale durée fausse quelque peu la mesure. Il s'agit d'une tendance plutôt que d'une évolution véritable. Par contre, il est incontestable qu'en dehors des écoles allemandes et françaises, les autres écoles nationales progressèrent très nettement en terme d'audience (même si le terme d'école apparaît plus commode que réel).

Saisons 2000/2005 - Fréquence par nations

En effet, sur le demi-siècle, après avoir oscillé entre 11 et 20 % des pièces constituant la programmation, ces musiciens étrangers hors de la sphère germanique et russe, montèrent à 31 % durant l'ère Robertson et la première année de son sucesseur. Ce n'est pas moins de 77 compositeurs qui se frayèrent une place dans ces concerts, allant de Gabrielli (XVIe siècle) au contemporain Danielpour, en passant par le Mexicain Revueltas, le Danois Nielsen, le Suédois Lindberg, l'Argentin Ginastera, le Finlandais Rautaavara, le Polonais Szymanowski, le Hongrois Veress, les Italiens Maderna et Berio, les Anglais Benjamin et Tippett, les Japonais Taïra et Takemitsu et le Tchèque Janáček. On mesure l'ouverture que réussit à effectuer David Robertson, même si tous ses efforts ne furent pas toujours couronnés de succès par une fréquentation à la hauteur de ses attentes.

Pages intérieures des programmes de concerts de l'ONL - saison 2000-2001
(montage photographique)



Page intérieure d'un des programmes de concerts de l'ONL - saison 2004-2005
(montage photographique)

L'orchestre national de Lyon et son chef actuel Jun Märkl
(photo Bruno Amsellem/Editing aimablement transmise par l'Orchestre National de Lyon)

Depuis les toutes dernières années du XXe siècle, grâce à l'action opiniâtre de David Robertson, explorateur de domaines musicaux restés vierges, ainsi qu'à celle de Bernard Tétu, Janáček a enfin droit de cité à Lyon pour le plus grand bien des mélomanes. Espérons ne pas patienter dix ou quinze ans avant de pouvoir réécouter une de ses pièces orchestrales !