La réception française de la musique de Janáček par les concerts




La diffusion de la musique de Janáček en France
à travers les écrits par les disques par les concerts



du vivant de Janáček avant 1939 de 1939 à 1945 de 1945 à 1969 de 1969 à 1987 de 1987 à 2000 autres
structures
opéras


La réception française de la musique de Janáček dans d'autres structures

A) Orchestre Lamoureux

Dans le Paris du dernier quart du XIXè siècle, encore meurtri par la défaite de 1870 et le siège éprouvant de l'hiver suivant, la vie musicale renaissait avec la création de la Société Nationale dès 1871 et les organisations de concerts qui prirent rapidement le nom du chef qui les dirigeait dont Edouard Colonne en 1873 pour les premiers qui se consacra essentiellement à Saint-Saëns, Wagner, Beethoven et surtout Berlioz.

Confions au grand écrivain Romain Rolland le soin de nous introduire dans le milieu musical parisien de cette époque.

"Les concerts Lamoureux ont eu, dès l'origine, un caractère assez différent des concerts Colonne. Cette différence tenait à la personnalité des deux directeurs. Elle tenait aussi à ce que les concerts Lamoureux, quoique postérieurs de moins de dix ans aux concerts Colonne, représentaient une nouvelle génération musicale. Le progrès avait été singulièrement rapide : à peine le riche trésor de la musique de Berlioz avait-il été exploré, qu'on se lançait à la découverte du monde wagnérien. Il fallait là un nouveau guide, ayant une connaissance spéciale de cet art, et en général de l'art allemand. Charles Lamoureux fut ce guide. […] Les exécutions wagnériennes de Lamoureux comptent parmi les plus parfaites qu'on ait données du maître de Bayreuth. Lamoureux avaiit à la fois un sens de l'unité de l'œuvre et un douci minutieux du détail que ne possédait pas, à un pareil degré, l'orchestre Colonne. […] Ses qualités et ses défauts le désignaient pour être un interprète excellent pour la jeune école néo-wagnérienne dont M. Vincent d'Indy était alors le principal représentant en France avec Emmanuel Chabrier. […] Ce souci de la perfection a été gardé par son sucesseur, M. Camille Chevillard, et son orchestre s'est encore affiné. On peut dire qu'il est aujourd'hui le meilleur de Paris. M. Chevillard se sentait plus attiré que Lamoureux par la musique pure ; il trouvait avec raison que la musique dramatique tenait une trop grande place dans les concerts parisiens. […] Nul ne dirige mieux à Paris les œuvres classiques, surtout celles de pure beauté plastique (comme) certaines œuvres symphoniques de Mozart ou de Hændel. […] Chevillard a peu le sens des œuvres romantiques françaises, de Berlioz, et encore moins de Franck et de son école ; il semble n'avoir qu'une sympathie mitigée pour les courants les plus récents de la musique française. Mais il comprend bien les romantiques allemands, surtout Schumann, pour qui il a une prédilection : il s'est efforcé, sans y très bien réussir, de faire pénétrer en France Liszt et Brahms ; il a été le premier chez nous à attirer vraiment l'attention sur la musique russe, dont il excelle à rendre le coloris brillant et fin." (Romain Rolland - Musiciens d'aujourd'hui - 1908)

Les présentations réalisées, entrons dans le vif du sujet. Je me propose d'étudier l'apparition de la musique tchèque depuis les débuts de l'orchestre Lamoureux, de fixer le projecteur sur une courte période de cinq ans 1930 - 1934 afin d'en tirer les caractéristiques, de sauter jusqu'en 1967 pour prendre le pouls d'une organisation musicale parisienne et d'examiner les permanences et/ou modifications des courants qui s'expriment dans ses programmes.

Tout d'abord, intéressons-nous à la diffusion de la musique tchèque de 1881 à nos jours dans le cadre des concerts Lamoureux.

compositeur œuvre date de compo-
sition
année
d'appari-
tion
occur-
rences
années
d'exécution
Antonín Dvořák (1) Danse slave * 1882 2 1938 - 1992 - 1998 -
Sérénade pour cordes ** 1883 2
Romance pour orchestre 1888 1
Rhapsodie slave n° 5 1891 1
Andante pour instruments à cordes 1894 1
Concerto pour violon et orchestre 1897 1
Concerto pour violoncelle et orchestre 1897 10 1928 - 1934 - 1939 - 1941 - 1943 - 1979 - 1986 - 1988 - 1994 -
Symphonie du Nouveau Monde *** 1906 23 1906 - 1925 - 1926 - 1930 - 1930 - 1933 - 1935 - 1936 - 1942 - 1944 - 1944 - 1969 - 1970 - 1971 - 1980 - 1983 - 1985 - 1987 - 1990 - 1992 - 1994 - 2000 -
Carnaval 1907 1
Symphonie n° 8 en sol majeur 1970 4 1983 - 1992 - 1995 -
Stabat mater 1984 1
Leoš  Janáček Mladi 1985 1
Petite renarde rusée, suite 2003 1
František Vincenc Kramář Octuor à vents 1981 2 1982
Bohuslav Martinů Sonate pour flûte et piano n° 1 1988 1
Bedřich Smetana la Fiancée vendue, ouverture 1891 6 1905 - 1906 - 1924 - 1932 - 1992
Quatuor en mi mineur (De ma vie) 1896 1
Ma Patrie - Tabor 1924 1
Ma Patrie - la Vltava (Moldau) 1933 5 1933 - 1968 - 1985 - 1995
Jaromir Weinberger Schwanda 1932 1

* Avec l'imprécision des sources, il n'est pas possible d'indiquer de quelle danse il s'agit et à quelle série elle appartient.
** Sérénade pour cordes le 29 janvier et le 5 février 1883
*** Symphonie du Nouveau Monde le 2 et le 23 décembre 1906, le 27 et 28 décembre 1930, le 5 mars et 29 octobre 1944,

(1) La diffusion française de la musique de Dvořák est remarquablement étudiée - et dans le détail - par Alain Chotil-Fani dans son livre à paraître aux Editions Buchet-Chastel.

Que conclure à la lecture de ce tableau recouvrant peu ou prou un siècle de concerts ? Une double pauvreté. D'un côté, six compositeurs seulement témoignent (mal) de la vitalité de la musique tchèque qui n'est pas plus reconnue en début du XXIe siècle qu'elle ne l'était cent ans plus tôt. De l'autre, à peine 70 exécutions d'ouvrages musicaux ; si l'on demande à l'outil statistique de mesurer l'audience de la musique tchèque, on constate une moyenne de moins d'une exécution par an ! Dans cette frondaison, les arbres qui s'intitulent Symphonie du Nouveau Monde et Concerto pour violoncelle (33 interprétations) cachent à eux deux une forêt musicale tchèque maigrichonne, résultat de l'ignorance française. Chronologiquement la présence tchèque se réduit à trois musiciens jusqu'aux années 1980, Dvořák, Smetana et le météore Weinberger qui apparut en 1932 pour disparaître à jamais. Grâce à la musique de chambre, Kramář, Janáček et Martinů survinrent entre 1981 et 1988. Bizarrement, de Janáček on ne livra qu'une suite d'orchestre opératique que sa plume n'écrivit pas et que nous ne devons qu'aux bons soins du chef Václav Talich (la Petite renarde rusée) et non l'une de ses œuvres symphoniques maîtresses Taras Bulba ou la Sinfonietta.

Passons maintenant à la période 1930 - 1934.

Cette période se caractérise par une forte activité de créations françaises, sinon mondiales, pas moins de 32 œuvres durant ces cinq années. Si certains noms de compositeurs ne nous évoquent rien, s'ils ne réussissent pas à ramener dans notre mémoire une mélodie ou un rythme qui nous aurait marqué lors d'un concert, d'autres demeurent familiers, Gustav Mahler et Serge Prokofiev en particulier. Quoi qu'il en soit, l'orchestre Lamoureux dans ces années-là, non content de porter le patrimoine musical légué par des musiciens des siècles derniers - sur lequel nous n'insisterons pas - se payait le luxe de dévoiler des compositions plus ou moins récentes à l'attention de ses auditeurs. Il remplissait un rôle de diffusion de la musique contemporaine offrant aux compositeurs vivants une tribune. Quel orchestre actuel pourrait s'enorgueillir d'une telle réussite dans une mission de défrichage de la musique moderne ? Autant l'orchestre Lamoureux durant toute son existence demeura frileux vis à vis de la musique tchèque, autant pendant cette période d'entre deux guerres, il se montra généreux envers les jeunes compositeurs français (et quelques autres hors hexagone). Sur ces trente deux compositeurs, combien ont survécu, combien voient leur nom inscrit régulièrement aux concerts de notre début de XXIe siècle ? Pourquoi actuellement ignorons-nous quasiment Henri Tomasi, Pierre-Octave Ferroud ou quelque autre nom de cette liste ?

compositeur œuvre date de
création
compositeur œuvre date de
création
Claude Guillon-Verne Poème des Iles 15/11/30 Serge Prokofiev Concerto pour piano n° 5 10/12/32
Alfred Bachelet Ballade "Quand la cloche sonnera" mélodie 3/1/31 Emmanuel Bondeville Ophélie, poème symphonique 29/3/32
Ernest Chausson Le Roi Arthus - 2è acte 4/1/31 R. Durant-Farget Le délire de la forêt 18/11/33
Gustav Mahler Où les belles trompettes sonnent 24/1/31 Jules Mazellier Poème romantique pour violon et orchestre 14/1/34
Florent Schmitt Cinq motets 7/2/31 Eugène Bozza Offrande lyrique, mélodie 18/2/34
Louis Aubert Feuillets d'images 7/3/31 Adolphe Piriou Neiges et flammes, 4 poèmes pour voix et orchestre 25/2/34
Henri Tomasi Six mélodies populaires corses 8/3/31 Pierre-Octave Ferroud Jeunesse 3/3/34
Armand Abita Le baiser de Cléopâtre, poème symphonique 28/3/31 Paul Ladmirault Valse triste pour piano 4/3/34
Constantin Gilles Fantaisie pour piano et orchestre 29/3/31 Emmanuel Bondeville Illuminations, extraits 11/3/34
José André Impressiones Portenas 29/3/31 Maurice Jaubert Suite française 18/3/34
André-Bloch Au beguinage 24/10/31 Juan Manen Concerto di camera 24/3/34
Jean Déré Suite brève et disparate pour violoncelle et orchestre 20/12/31 Abram Chasins Parade (première en Europe) 24/3/34
Elsa Barraine Pastourelle - Il y a quelqu'un auquel je pense - La lumière 31/1/32 Marcel Orban Six pièces brèves 27/10/34
Alfred Kullmann Triade symphonique 28/2/32 Alexandre Tansman Concertino pour piano et orchestre 28/10/34
Brusselmans Rhapsodie flamande 13/3/32 Filip Lazar Concerto pour piano et orchestre n° 3 4/11/34
Henri Tomasi Don Juan Lépreux 19/3/32 Jean Françaix Concertino pour piano et orchestre 15/12/34

Terminons l'historique par la période la plus proche de nous, celle qui déroule ses programmes de 1967 à maintenant.

Jusqu'en 2005, 1924 ouvrages furent exécutées suivant les listes mises aimablement à ma disposition par Benoît Dumas, archiviste des Concerts Lamoureux. Sur ce total, 868 relèvent de la sphère germanique, 425 dépendent de la France, 226 viennent de Russie et 405 d'autres pays, dont 34 de Tchécoslovaquie. La répartition de la programmation de l'orchestre Lamoureux s'apparente ainsi à quelques nuances près à celle que nous avons relevée à Lyon.

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Concerts Lamoureux - saisons 1967/2005 - Fréquence par nations

Dans notre quête de musique tchèque et de celle de Janáček, les Concerts Lamoureux, après avoir ouvert leur porte à Dvořák alors que celui-ci se trouvait en pleine période créatrice firent preuve d'une prudence infinie envers les autres compositeurs tchèques dont Janáček. Comment le public parisien ne fréquentant que ces concerts aurait-il pu prendre connaissance de l'œuvre d'un créateur si original et si puissant s'il ne se tournait pas vers d'autres organisations de concerts ?

B) Chœurs et Solistes de Lyon


Lors de la transformation de la phalange lyonnaise en orchestre de Lyon, son chef Serge Baudo songea à lui adjoindre un chœur. C'est à Bernard Tétu qu'il demanda de constituer un tel chœur. Mission remplie en 1980 avec les Chœurs de l'orchestre national de Lyon, composés de professionnels et d'amateurs de haut niveau. Cet ensemble dont la qualité ne cessait de croître se produisit de plus en plus souvent de manière autonome, indépendamment de sa collaboration avec l'orchestre national de Lyon. Ainsi en 1993, ils changèrent de dénomination pour s'intituler simplement Chœurs de Lyon-Bernard Tétu. Ils possédaient déjà un riche répertoire qu'ils ne cessèrent d'agrandir. Il couvrait de larges pans de la musique française, de Berlioz à Messiaen et Ohana, en passant par Fauré, Debussy, Ravel et André Caplet, un compositeur ami de Debussy qu'ils ne cessèrent de défendre, s'illustrant également dans la musique chorale allemande de Schubert, de Brahms, et dans les grands oratorios de Bach ou dans le mouvement final de la 9è symphonie de Beethoven. Ils ne négligèrent ni la musique italienne, ni les œuvres de Britten, ni celles de Szymanowski.

bernard tétu

Bernard Tétu, (photo V. Dargent)
aimablement communiqué par les Chœurs et Solistes de Lyon

La rencontre des Chœurs de Lyon avec la musique tchèque eut lieu en 1993 à l'occasion de l'exécution du Stabat Mater de Dvořák. Deux ans plus tard, ses Duos moraves entraient au répertoire de la formation chorale. Bernard Tétu ne tarda pas à découvrir la transcription de Janáček pour quatre voix de quelques uns de ces duos (1877) et à les soumettre à ses chanteurs. Le fil conducteur qui achemina  Janáček de sa rencontre avec son aîné Dvořák et de son adaptation personnelle de ses duos moraves jusqu'à sa production chorale propre, le hasard voulut que Bernard Tétu le suivit à son tour un bon siècle plus tard. Ce fil dévidé le conduisit à découvrir la partition de la Piste du loup (1916), puis l'Elégie sur la mort de ma fille Olga (1903) et Rikadla (1926). Il s'en fit l'un des très rares propagateurs français et l'un de ses tout meilleurs interpètes qui soutint sans difficulté la comparaison dans ces pages avec les chœurs tchèques tels qu'on peut les connaître par les enregistrements venant de République Tchèque.

Plusieurs fois, Bernard Tétu concocta un programme original intitulé "musiques savantes et traditions populaires" dans lequel Janáček trouva naturellement sa place en compagnie de pièces vocales de Schumann, Brahms, Moussorgski, Dvořák, Stravinski, Bartok, Ligeti et Martinů. Avec ces quatre œuvres de Janáček, le chef parcourait les différentes périodes créatrices du compositeur morave. Comme l'activité de sa formation ne se limitait pas à Lyon, il promena ces chœurs de Janáček dans plusieurs villes de France et participa ainsi à une diffusion qu'une chorale de ce niveau artistique fut pratiquement l'une des rares à promouvoir. Grâces lui en soient rendues !

date lieu département date lieu département
Duos moraves Trace du loup
14/6/97 Grenoble Isère 6/7/97 Gerberoi Oise
14/5/98 Vals les Bains Ardèche 11/5/98 Annonay Ardèche
6/7/2001 Chambéry Savoie 12/5/98 Lamastre Ardèche
24/2/02 Lyon Rhône 13/5/98 La Voulte Ardèche
21/5/02 Lyon * Rhône 19/12/98 ?
22/5/02 Abbeville Somme 24/3/2000 Tarbes Hautes Pyrénées
9/8/02 Labeaume Ardèche 16/5/00 Epau Sarthe
14/9/02 Etampes Essonne 17/5/00 Quimper Finistère
18/5/00 Lannion Côtes d'Armor
20/2/02 Lyon Rhône
22/5/02 Abbeville Somme
9/8/02 Labeaume Ardèche
10/8/02 Cluny Saône et Loire
14/9/02 Etampes Essonne
19/10/02 Pierrefitte Seine Saint-Denis
24/5/03 Roanne Loire
Elégie sur la mort de ma fille Olga Říkadla
11/5/98 Annonay Ardèche 23/01/97 Lyon * Rhône
12/5/98 Lamastre Ardèche 11/5/98 Annonay Ardèche
13/5/98 La Voulte Ardèche 12/5/98 Lamastre Ardèche
19/12/98 ? 13/5/98 La Voulte Ardèche
24/3/2000 Tarbes Hautes Pyrénées 19/12/98 ?
16/5/00 Epau Sarthe
24/3/2000 Tarbes Hautes Pyrénées
17/5/00 Quimper Finistère 16/5/00 Epau Sarthe
18/5/00 Lannion Côtes d'Armor 17/5/00 Quimper Finistère
6/5/01 St Léger sur Beuvray Saône et Loire 18/5/00 Lannion Côtes d'Armor
21/5/02 Lyon Rhône 26/10/00 Lyon Rhône
10/8/02 Cluny Saône et Loire 14/9/02 Pierrefitte Seine Saint-Denis
14/9/02 Etampes Essonne 13/2/05 Lyon Rhône

* Bernard Tétu ne dirigeait pas ce jour-là sa propre formation au CNSMD de Lyon, mais un ensemble vocal et instrumental issu de ce Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon où il est professeur de direction. 

Le chœur Accentus sous la direction de Laurence Equilbey en plus de son activité de création de chœurs contemporains garde à son répertoire un certain nombre d'œuvres des siècles passés ou récents. Parmi eux, la musique chorale tchèque occupe une petite place avec une œuvre de Dvořák, une de Foerster et six de Janáček : l'Elégie sur la mort de ma fille Olga, Kačena divoká (le canard sauvage), Hradčanské písničky (chansons de Hradcany), Vlci stopa (la piste du loup), Holubička (la colombe) et Říkadla

Basé à Marseille, un autre ensemble choral, Musicatreize et son chef Roland Hayrabédian, participe à la création et à la diffusion chorale française et étrangère. L'ensemble a inscrit plusieurs chœurs de Janáček à son répertoire : ŘíkadlaKačena divoká (le canard sauvage), Elégie sur la mort de ma fille Olga, entre autres.

Par ailleurs, nous nous devons de signaler un chœur amateur stéphanois, dirigé par un jeune chef plein d'avenir, Philippe Péatier, qui a déjà chanté un des premiers chœurs de Janáček, Exaudi deus, en 2004 au cours de rencontres musicales dédiées à Dvorak et à la musique tchèque.

Depuis les tournées de 1908 et 1925 de la Chorale des Instituteurs Moraves, une chorale tchèque a-t-elle effectué une visite de notre pays en donnant des chœurs de Janáček au cours de ses concerts ? Nous devons avouer notre ignorance en cette matière et remercions par avance les lecteurs qui voudront bien nous apporter des informations sur ce sujet. Voir contact sur ce site.

C) Festival de l'Empéri


Parmi les très nombreux festivals de musique organisés en France (plus de 600 ! paraît-il), nous en avons choisi un centré sur la musique de chambre qui, chaque été, se déroule dans la cour intérieure Renaissance du château de Salon de Provence.  Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Contrairement à un certain nombre d'autres festivals qui se contentent d'inviter tel artiste dans le programme qu'il a déjà joué quelques jours auparavant dans un château distant d'une centaine de kilomètres et qu'il rejouera un peu plus tard dans un autre lieu proche ou lointain, les instigateurs de ce festival particulier sont avant tout trois musiciens qui mènent chacun leur carrière nationale et internationale. Pour le pianiste Eric Le Sage, le clarinettiste Paul Meyer et le flûtiste Emmanuel Pahud, c'est l'amour de la musique et leur amitié commune qui les guide avant tout dans le plaisir musical. Ce qui n'exclut pas la rigueur dans l'interprétation. Ils réunissent autour d'eux, chaque été, une vingtaine ou une trentaine d'interprètes que l'on retouve sur la scène chaque soir. Une atmosphère particulière règne sur ce festival avec des concerts qui ne se terminent que rarement avant minuit, avec un plateau qui se renouvelle tout au long de la soirée, qui se garnit jusqu'à la dizaine d'artistes ou laisse deux solistes dialoguer entre eux. Les instruments à vents sont aussi nombreux que les cordes et Eric Le Sage cède souvent son tabouret à d'autres collègues, jeunes comme Emmauelle Swiercz et Kim Barbier ou confirmés (Claire-Marie Le Guay, Alexandre Tharaud, Frank Braley, Huseyin Sermet ou Michel Dalberto).

Quand on examine la programmation riche de treize unités, en prenant les mêmes critères que pour les autres sociétés de concert, à première vue, on ne perçoit pas de différence, la musique allemande occupant le premier rang par le nombre d'œuvres jouées, la musique française restant à un pourcentage comparable à celui qu'elle occupe à l'orchestre de Lyon par exemple, mais la musique des autres nations dont la musique tchèque tient une place non négligeable. Si l'on examine d'un peu plus près le contenu de la programmation, les choses prennent un aspect différent. En ce qui concerne la musique allemande, par exemple, le trio organisateur n'ignore pas les chefs d'œuvres incontournables de Schubert comme les trios, le quintette La Truite ou la Fantaisie en fa mineur pour piano à 4 mains, le Quintette pour piano et cordes de Schumann ou celui de Brahms, mais il balaie largement leurs autres pièces ; il interprète un Beethoven chambriste avec le quintette opus 16 et le septuor opus 20, dans leur version originale ou à travers des transciptions pour trio, quatuor ou nonette, plusieurs trios, la sérénade opus 25, mais explore également la musique de chambre de musiciens peu visités dans ce domaine. Qu'on en juge, de Hummel à Wolfgang Rihm, en passant chronologiquement par Weber, Lachner, Thuile, Richard Strauss, Zemlinsky, Reger, Hindemith et Korngold, l'éventail est riche de découvertes et de surprises !

emperi-graph

Festival de musique de chambre de l'Empéri, Salon de Provence (1993 - 2005) - Fréquence par nations

 
Les musiciens de l'Empéri se font un honneur et un plaisir d'inviter à leur festival chaque année un compositeur contemporain et à intégrer plusieurs de ses pièces à leurs programmes. Philippe Hersant, Guillaume Connesson, Thierry Escaich, pour n'en nommer que trois, accompagnèrent les multiples interprètes qui firent partager leurs œuvres au public.

La curiosité et l'intérêt pousse les organisateurs à puiser dans les autres écoles nationales (britannique, américaine, hongroise, finlandaise, italienne, danoise, argentine, brésilienne) dont 35 compositeurs sont retenus. Si Bartók est naturellement présent, d'autres compatriotes l'accompagnent, Ernö Dohnanyi, Zoltan Kodaly, György Kurtag, György Ligeti et Sandor Veress. Britten n'est pas l'unique représentant britannique, puisque Holst et Arnold Bax l'entourent. De même, la figure connue de l'Italien Rossini est escortée par ses concitoyens Ponchielli, Bottesini, et pour les contemporains par Rota et Maderna. Soucieux de mettre en valeur les bois, les chambristes de l'Empéri se tournent vers l'Amérique du Nord (Barber, Bernstein, Carter, Crumb, Cage, Chick Corea, Walter Piston) et du Sud (Kagel, Piazzola, Villa-Lobos)

trio-emperi

de gauche à droite, Emmanuel Pahud, Paul Meyer et Eric Le Sage,
le trio fondateur et organisateur du festival de l'Empéri, Salon de Provence
photo aimablement transmise par Eric Le Sage

Sur le graphique au dessus, les compositeurs tchèques ont été séparés des compositeurs d'autres nations. Ensemble, ils représentent plus de 26 % de la programmation des différentes éditions du festival chambriste de Salon de Provence. En ce qui concerne la musique tchèque (31 pièces), un large panorama inclut les trois grands noms, Smetana, Dvořák et Janáček, mais n'oublie pas les ancêtres, Kramář plus connu sous l'écriture germanisée Krommer et Rejcha, pas plus que Fibich, un contemporain de Dvořák et deux musiciens du XXè siècle, Martinů et Schulhoff ainsi qu'un jeune compositeur d'une trentaine d'années Krystof Maratka. La large production de musique de chambre de Martinů offre d'infinies possibilités aux musiciens de l'Empéri qui ne se privent pas de jouer autant ses œuvres de jeunesse que de maturité. Dès les premières éditions du festival, les instrumentistes interprètent de Janáček son Concertino au langage moderne, hardi et en même temps mélodieux et son sextuor pour vents Mladi, ces deux pièces appartenant à sa période de plein épanouissement. Ils contribuent ainsi à la diffusion de ses ouvrages. De cette façon, le public peut se rendre compte que le domaine du musicien morave ne se réduit pas qu'au seul opéra.

Diffusion de la musique tchèque au festival de l'Empéri de Salon de Provence (1993 - 2005)
compositeur œuvre opus année de
compo-
sition
compositeur œuvre opus année de
compo-
sition
Antonín Dvořák Sérénade pour vents et cordes (2) * B 77 1878 Poème pour violoncelle et piano 1994
Trio en fa mineur B 130 1883 Bohuslav Martinů Quatuor pour clarinette, cor, violoncelle et tambour H 139 1924
Terzetto en do majeur B 148 1887 La Revue de cuisine (sextuor avec piano) H 161 1927
Quintette pour cordes et piano (2) * B 155 1887 Sextuor pour flûte, hautbois, clarinette, deux bassons et piano H 174 1929
Quatuor à cordes B 162 1889 Trio pour flûte, violoncelle et piano H 300 1944
Trio Dumky B 166 1891 Quatuor pour hautbois, violon, violoncelle et piano H 315 1947
Zdeněk Fibich Quintette pour clarinette, cor, violoncelle et piano 42 1894 Sérénade pour deux clarinettes et trio à cordes H 334 1951
Leoš  Janáček Mladi (sextuor à vents) VII/10 1924 Nonette pour vents et cordes H 374 1959
Concertino (2) * VII/11 1925 Antonín Rejcha Quintette en mi bémol majeur 88 1811
František Vincenc Kramář Quatuor pour basson, deux altos et violoncelle ? Erwin Schulhoff Concertino pour flûte, alto et contrebasse 1925
Quatuor avec clarinette 69 ? Trio d'anches
Krystof Maratka Csardas pour quatuor à cordes ? Bedřich Smetana Trio pour piano et cordes 15 1855

* Le chiffre 2 qui accompagne ces titres indique deux auditions à quelques années d'intervalle.

D) Autres lieux


Recenser l'apparition de la musique tchèque et de celle de Janáček dans chaque région de France, dans chaque ville possédant un théâtre d'opéra et/ou un orchestre symphonique ou une salle dédiée à la musique de chambre serait une entreprise utile qui amènerait des informations enrichissantes. Une telle tâche dépasse mes moyens. Cependant, dans plusieurs régions, la disponibilité des informations permet de mesurer l'apathie devant cette musique des milieux musicaux durant de longues années et leur réveil tardif. Le tableau qui suit donne une idée générale de la réception très retardée des ouvrages symphoniques du maître morave (que nous pourrions infléchir ou confirmer en étant en possession d'informations venant d'autres villes).

œuvre opus date de
compo-
sition
lieu date d'exécution orchestre chef
Taras Bulba VI/15 1915 Lille - Seclin - Arras 8/9/10/11-06-1982 orchestre national de Lille Hitotaro Yazaki
Sinfonietta VI/18 1926 Toulouse 16-05-1996 orchestre du Capitole ?
Taras Bulba VI/15 1915 Toulouse 3-04-1997 orchestre du Capitole ?
Taras Bulba VI/15 1915 Lille - Liège 3/4/5-03-1999 orchestre national de Lille Stéphane Cardon
Petite renarde rusée, suite d'orchestre ** 1924 Toulouse 9-04-2000 orchestre du Capitole Alasdair Neale
Danses de Lachie VI/17 1889 Toulouse 31-01-2002 orchestre du Capitole Walter Weller
Messe glagolitique III/9 1926 Lille - Paris 9/10/11-01-2003 orchestre national de Lille Jean-Claude Casadesus

** Très curieusement, cette suite d'orchestre ne dépend pas de la volonté du compositeur, mais du choix du grand chef Václav Talich, comme nous l'avons déjà souligné à propos des Concerts Lamoureux.

Plusieurs remarques : la production symphonique de Janáček est relativement réduite, dix-huit numéros d'opus parmi lesquels plusieurs pièces de danses ne dépassant pas les deux ou trois minutes (Požehnaný, Kosáček, Kolo srbské…) et quelques ouvrages anecdotiques (Adagio, VI/5 et la Suite tchèque, VI/9, cette dernière attend toujours un éditeur !). Si des orchestres ont bien inscrit ces fameuses pages, Taras Bulba, la Sinfonietta et la Messe glagolitique, ils ignorent d'autres ouvrages symphoniques comme l'Enfant du violoneux et la Ballade de Blanik.

Conclusion générale


Joseph Colomb - décembre 2004

Merci à Mme Pascaline Maugat, directrice de la communication des Solistes de Lyon-chœurs Bernard Tétu, qui a pris le temps de me recevoir et a mis à ma disposition les archives de sa Société (programmes des concerts, extraits de presse, etc…).

Grand merci à Benoît Dumas, archiviste des Concerts Lamoureux qui m'a communiqué la programmation complète de la société de concerts qu'il représente.

Merci également à Régine Leleu, assistante artistique à l'orchestre national de Lille et à Katy Cazalot, service de presse du Théâtre et orchestre national du Capitole de Toulouse pour leur amabilité.