Bien entendu, nombre
d'interprètes prestigieux honorèrent de
leur
présence ces dernières saisons de concert, les
chefs
allemands Hans Knappertsbusch, Gunther Wand et Hans Rosbaud, les
Hongrois Antal Dorati et Istvan Kertész, le
Tchèque Rafaël
Kubelik, le Russe Kyrill Kondrachin et le franco-belge André
Cluytens. La fine fleur des pianistes de renom vint occuper la place de
solistes une fois (ou plusieurs) ou l'autre : Wilhelm Kempff, Rudolf
Serkin, Artur Rubinstein, Samson François,Vladimir
Ashkenazy,
Arturo Benedetti-Michelangeli, Byron Janis et Geza Anda. Il convient de
citer quatre pianistes (au féminin), deux Hongroises, Lili
Krauss et Annie Fischer, la Roumaine Clara Haskil et la jeune
interprète originaire de Turquie, Idil Biret. Les rois de
l'archet Issac Stern, Arthur Grumiaux, Henryk Szering, Leonid Kogan,
Zino Francescatti et Christian Ferras, pour en citer quelques-uns
éblouirent le public par leur virtuosité et leur
musicalité. D'autres solistes, comme les violoncellistes
Pierre
Fournier et André Navarra, l'organiste Marie-Claire Alain,
le
flûtiste Jean-Pierre Rampal, le guitariste Andrès
Ségovia et le harpiste Nicanor Zabaleta
déclenchèrent des applaudissements
mérités
à chacune de leurs apparitions. Si l'on se contente de citer
les
noms d'Irmgard Seefried, d'Elisabeth Schwarzkopf, Teresa Stich-Randall,
Gundula Janowitz, Gwyneth Jones, Nan Merriman et Teresa Berganza, on a
une idée de la richesse des chanteuses qui
enchantèrent
le public de ces années-là. Le public garda
longtemps en mémoire le
grain si précieux de la voix profonde d'une contralto
britannique, Kathleen Ferrier, entrée depuis dans la
légende, qui lors d'une unique participation, le 18
février 1951, chanta des airs d'Haëndel, Purcell,
Gluck et
les
Quatre
poèmes à Ste Thérèse d'Avila
de
son compatriote Lennox Berkeley, sous la direction de Carl Schuricht.
Ni à Paris, ni
à Lyon, on ne s'aperçut que l'année
1954 aurait pu
être mise à profit pour dévoiler un pan
de la
musique de Janáček. Cette année du centenaire de
sa naissance aurait pu offrir une
occasion commémorative que les Français
habituellement appréciaient
tant. Mais, comme on ne prête qu'aux riches, cette
opportunité ne fut pas saisie et le nom du compositeur resta
confiné dans les contrées de l'ignorance pour
quelques
décennies encore.
Interprètes
tchèques
Mentionnons pour mémoire
l'interprétation par
trois éminents musiciens tchèques, le
ténor Beno
Blachut, la mezzo-soprano Vera Soukupova et le pianiste Josef Palenicek
du
Journal d'un disparu,
à Paris, le 2 novembre 1966. Et la venue du Quatuor
Janáček de Brno (quatre musiciens issus de l'orchestre
philharmonique de Brno) qui honora par l'exécution de ses
quatuors le compositeur dont ils avaient pris le patronyme pour
emblème.
Domaine musical
Le Domaine musical tint une place particulière parmi les
associations parisiennes de concerts de cette époque.
Fondée en 1953 par un
jeune musicien qui n'avait pas encore atteint la trentaine, Pierre
Boulez, avec l'appui de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud,
intégré à leur troupe en tant que
directeur de la musique, cette
structure
musicale suivit un objectif précis durant ses vingt ans
d'existence : révéler les œuvres de
jeunes
compositeurs français et étrangers et les
œuvres
symboles des aînés encore méconnus
(Varèse,
Bartok, Stravinsky, Ives) et des musiciens de l'école de
Vienne.
L'action du Domaine musical, soutenu par le
mécénat
privé et de nombreux intellectuels, agit comme celui d'un
laboratoire musical dans lequel les tendances les plus modernes,
ancrées pour la plupart dans la lignée des trois
Viennois
(Schoenberg, Berg, Webern) se manifesta au long des saisons mettant
ainsi le public en contact avec ces créateurs audacieux.
Contentons nous de citer les noms de Bério, Nono, Maderna,
Penderecki, Stockhausen, Henze, Barraqué et Gilbert Amy.
L'un des axes de la programmation sur laquelle veillait scrupuleusement
Pierre Boulez distinguait ces grands compositeurs du XXe
siècle
listés par Boulez lui-même (1) :
Varèse, Stravinsky,
Debussy, Bartok, Messiaen. Si Varèse, Stravinsky
et Bartók
appartenaient à la même
génération, Debussy
représentait l'ancêtre et Messiaen le benjamin.
Dans les
années 50, la musique de Varèse
n'était pas
jouée et donc demeurait inconnue du grand public et
même
d'un public plus spécialisé. Ce fut l'un des
grands mérites du
Domaine musical d'avoir attiré l'attention des
mélomanes
sur ce musicien. Mais Leoš Janáček ne relevait
pas de
cette catégorie. Il restait, aux yeux de ces jeunes
compositeurs, un musicien folkloriste, national, marginal, secondaire.
Inutile donc de chercher une trace de ses compositions dans le
programme du Domaine musical, pas plus que celle de Dvořák,
considéré comme un homme du passé et
par
conséquent sans importance !
(1) interview
de Claude Samuel, Le Monde de la Musique, n° 307, mars 2006,
pages 46/7
Pierre Boulez s'imposa progressivement comme un
chef
d'envergure. Les succès qu'il obtenait avec les orchestres
qu'il
dirigeait en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, puis un peu partout en
Europe l'amenèrent à
enregistrer des œuvres du début du XXè
siècle qu'il considérait comme phares et les
disques
qu'il consacra entre 1970 et 1980 à Debussy et à
Ravel ne
passèrent pas inaperçus. Son aversion
juvénile
envers la musique de Mahler cessa et il devint l'un des meilleurs chefs
mahlériens et poussa même le zèle
jusqu'à
écrire une préface brillante au livre de Bruno
Walter sur
son maître (2). Ce n'est que récemment
(début des années 1990) qu'il agrandit son
panthéon en y incluant un musicien iconoclaste du nom de Janáček
(enregistrement de la
Messe
glagolitique avec l'orchestre de Chicago) et du
même coup, sa conversion récente consacra
un peu plus le
musicien morave ! N'oublions pas cependant qu'il y a une trentaine
d'années, il dirigea la
Sinfonietta,
mais cela se passait à New-York et non en France.
Parmi ses projets, on relève la direction d'un
de ses opéras, le dernier du maître,
De la Maison des morts,
en 2007 au festival d'Aix en Provence. Janáček
rejoindrait-il
définitivement les maîtres de la
première
moitié du XXe siècle si souvent mis sur la
sellette dans les années cinquante par
Boulez, cet animateur infatigable de la vie musicale contemporaine ?
(2) Gustav
Mahler par Bruno Walter - Préface de Pierre Boulez - Pluriel
- Le Livre de Poche - 1979
Conclusion
Dans cette période d'après-guerre, la musique
tchèque essentiellement représentée
par Smetana
(dont on ne veut que l'ouverture de la
Fiancée vendue)
et Dvořák continua à tenir une place modeste dans
les programmations lyonnaise et parisienne
étudiées. Par
ses ouvrages symphoniques, Martinů commença à
intéresser les chefs d'orchestre. Quatre autres compositeurs
réussirent à se frayer occasionnellement un
chemin : Max
Brod, Miloslas Kabelac, Jiří Pauer
et Janáček. De ce
dernier, le public français put également
découvrir plusieurs opéras,
La petite renarde
rusée en 1957 au Théâtre
des Nations,
Kát'a
Kabanová, une production de l'opéra
de Belgrade en 1959,
l'Affaire
Makropoulos en 1965, trois productions
importées et enfin
Jenůfa
dont Ernest Bour assura
la création française à Strasbourg en
1962.
Et après la première parisienne de 1922, la
seconde de 1935, (voir
La réception
française de la musique de Janáček par les
concerts) une nouvelle audition (la
troisième ?) du
Journal
d'un disparu eut lieu en 1966
. Premiers essais
d'acclimatation ! Il faudra du temps pour
la réussir dans notre pays et pour appréhender
cette musique à sa vraie valeur…!
Conclusion
générale
Joseph Colomb - août 2006