Dans le ménage d'Emilian Schulz, professeur à Olomouc, en Moravie, le 30 juillet 1865, une petite fille vint au monde. Prénommée Zdenka, elle sera la seule fille de ce couple (son frère Léo ne semble pas avoir joué un rôle important dans ses relations avec Leoš Janáček). La famille Schulz déménagera pour Kromeřiz, puis un peu plus tard pour Brno où Emilian deviendra Directeur de l'École Normale d'Instituteurs.
Zdenka passa une enfance « dorlotée » par sa mère, très attentive à la bonne éducation qu'elle donnait à sa fille en lui inculquant les valeurs que la bourgeoisie autrichienne tenait à transmettre : obéissance, culture, langue allemande. N'oublions pas que la Moravie faisait partie intégrante de l'Empire autro-hongrois depuis plusieurs siècles et que l'éveil national tchèque touchait surtout les habitants d'ascendance tchèques, moraves ou slovaques.
Même si le père de Zdenka comprenait le dialecte morave, il ne pouvait pas s'abaisser à parler le langage des domestiques. L'homme, pourtant cultivé - il jouait de la flûte et lisait beaucoup - ne transigeait pas sur l'essentiel, la vraie culture, c'est-à-dire la culture allemande, celle des seuls grands écrivains. Évidemment, ce culte de la culture germanique, Zdenka s'en imprégnait.
Il était de bon ton, dans les familles bourgeoises, que les filles jouent de la musique, en plus des travaux de crochet ou de tapisserie. Le piano symbolisait à la fois l'aisance financière et l'importance d'une vie culturelle dans la famille. Mais jouer du piano, cela s'apprenait auprès d'un professeur particulier.
Leoš Janáček, à cette époque (1877) enseignait, en tant que professeur suppléant à l'École Normale d'Instituteurs. Quoi de plus simple pour Emilian Schulz que de confier l'éducation pianistique de sa fille à un collègue, bien qu'il n'appartienne pas encore tout-à-fait à l'institution du fait de son statut actuel. Leoš donna régulièrement des cours de piano à une enfant de 12 ans. Mais, comme le beau papillon se dégage de la chrysalide, l'enfant devenue une belle jeune fille gagna rapidement le cur de son jeune professeur (avec une inclination réciproque). Deux ans plus tard, on célébra les fiançailles de Zdenka et de Leoš.
Pourtant que de différences entre les deux jeunes gens, et pas seulement d'âge, Leoš étant l'aîné de 11 ans : Zdenka, fille unique, objet de tous les soins de sa mère et de son père, élevée dans le culte de la langue allemande, respectant l'ordre social et politique de l'Empire autrichien et Leoš, enfant solitaire au milieu des pensionnaires du couvent des Augustins, sans affection maternelle et paternelle quotidienne, se forgeant lui-même une morale, se construisant une conduite de contestation vis-à-vis de l'occupant autrichien. Comment une telle union pouvait-elle réussir entre deux êtres venant de deux éducations et de deux conceptions de la vie si dissemblables ?
À l'époque des fiançailles, Leoš fut-il aveuglé par son amour (amour réciproque à ce moment) au point de penser qu'il surmonterait ces différences par la force de sa volonté et de son amour ?
Il continuait sa formation musicale, puisqu'après des études au conservatoire de Leipzig qui le laissèrent insatisfait, en avril 1880, il rejoignit le conservatoire de Vienne (qu'un de ses compatriotes moraves qui allait devenir célèbre, Gustav Mahler, venait de quitter deux ans auparavant). Bien qu'encore balbutiant, le savoir de Leoš et surtout l' intuition que cette voie ne lui serait pas profitable se heurtaient à la tradition académique viennoise. Ce terreau ne pouvait pas fertiliser ses capacités. Mais il mit néanmoins à profit son séjour à Vienne, entre autres, pour étudier de près les quatuors à cordes de Beethoven. Il quitta donc rapidement la capitale pour s'en retourner à Brno. De cette année 1880, date pourtant une uvre pour piano qui montre - à travers une forme conventionnelle, la variation - le potentiel musical que Leoš portait en lui. En plus, Zdenka se trouva au centre de son inspiration musicale puisque, bien que séparée d'elle provisoirement, Leoš la cita dans le titre de son uvre, Variations Zdenka (titre original en tchèque : Zdenciny variace), façon de proclamer son attachement à sa fiancée.
Les premières difficultés surgirent lorsqu'il s'agit de fixer la date du mariage, les parents Schulz désirant que leur fille atteignit sa majorité avant de donner leur consentement alors que Leoš désirait ne pas traîner. Finalement la date du 13 juillet 1881 fut acceptée.
La musique ne fut pas oubliée au cours du voyage de noces puisque Zdenka fut présentée à Dvořák que Leoš avait déja rencontré quelques années auparavant. Il n'oublia pas Pavel Křížkovský, son père spirituel qui, du couvent des Augustins à Brno, s'était retiré à Olomouc. Il l'emmena également sur le terrain de vie de son enfance à Hukvaldy.
Le couple emménagea au 46 de la rue Mestanska à Brno.
Leoš voulut accueillir sa mère dans son foyer, mais cette décision se heurta à un refus catégorique de Zdenka, soutenu par ses propres parents. L'amour s'envola vite et la naissance de la petite Olga, le 15 août 1882 ne le ranima pas. La crise atteignit son paroxysme peu après ce qui se traduisit par le retour de Zdenka chez ses parents. Pendant deux ans, les époux vécurent séparés. Les relations dans le couple se compliquèrent par le fait que Leoš, dans sa vie professionnelle, se trouvait dans une relation hiérarchique vis-à-vis de son beau-père, celui-ci étant Directeur de l'École où son gendre enseignait. D'autre part, tous deux jouaient un rôle social important dans la ville. On ne pouvait décemment pas continuer à étaler trop longtemps en public des dissentions si visibles. La reprise de la vie commune s'effectua donc pendant l'été 1884, alors qu'Amalie Janáček, la mère de Leoš mourait à Hukvaldy le 16 novembre de cette même année.
Après un déménagement au 2 place Klasterni (aujourd'hui place Mendel), durant une vingtaine d'années, les époux vécurent ainsi, côte à côte, mais sans vraiment d'entente véritable. La naissance de Vladimir en 1888 ne réussit pas à rétablir les liens dans le couple. Il aurait pu en être autrement : ce fils, attendu, fut choyé par ses deux parents. Remarquons que les deux enfants de Leoš portaient des noms slaves et non tchèques, manifestation publique de la part du musicien de son attachement à la culture slave. Malheureusement, deux ans plus tard, Olga contracta la scarlatine et contamina son petit frère. Il succomba à cette maladie le 9 novembre 1890, âgé de deux ans et demi.
Avec son collègue du lycée du vieux Brno, František Bartoš, Leoš Janáček s'était plongé dans la collecte des musiques populaires de Moravie. Il avait commencé par noter les airs de danses et les chansons de sa région natale, les montagnes beskydes où se nichait le village de Hukvaldy dans lequel il avait vécu ses années d'enfance.
Pendant ces étés, à Hukvaldy, un petit groupe d'amateurs de musique populaire se réunissait autour de l'acacia. Il comprenait un certain nombre de membres de la famille Jung dont Frantiska mariée depuis 1885 avec Reinhold Rakowitsch, cadette de Leoš de dix ans. En 1890, le couple Janáček et les enfants passèrent les vacances à Hukvaldy. Leoš céda facilement au jeu de la séduction mené sans vergogne par Frantiska sous les yeux de Zdenka. Inutile de préciser que celle-ci ne goûta guère ce badinage amoureux étalé au vu et au su de tout le village. Il ne pouvait pas être question de resserrement de liens entre eux !
Olga partagea les collectes de son père de plus en plus fréquemment à mesure qu'elle grandissait. C'est ainsi qu'elle se trouva liée, à la fois au village natal de son père et à son cercle d'amis ainsi qu'à la découverte de la musique populaire de cette région. Une intimité forte se créa entre Leoš et sa fille repoussant objectivement Zdenka en dehors de ce champ.
La mort d'Olga en 1903 cassa cette relation intime, laissant Leoš désemparé en pleine création de son opéra Jenufa qui allait marquer l'apparition sur la scène musicale européenne d'un compositeur novateur.
Si la présence d'Olga constituait un lien entre les deux époux, ce lien se relâcha encore un peu plus et la vie de couple ne représenta plus qu'une unité de façade. Leoš, surchargé de travail, par ses cours, la direction des ensembles orchestraux ou choraux, ses collectes, ses compositions, offrait l'exemple d'un homme plongé dans une vie active, alors que Zdenka n'y prenait qu'une part infime.
Lorsque les Janáček emménagèrent dans la maison jouxtant l'école d'orgue en 1910, rue Giskrova (actuellement rue Kounicova), les amis du couple ne pouvaient plus ignorer le fossé qui séparait les deux époux.
Tous deux essayaient pourtant de donner le change. Ne passèrent-ils pas ensemble trois semaines de vacances au bord de l'Adriatique ? Le soleil de Crikvenica, de Pula, de Krk soulagea la crise de rhumatismes dont souffrait Leoš. Fait significatif de la position de Leoš, à Pula, port militaire de l'Empire austro-hongrois, il refusa la visite d'un navire militaire. Son opposition à l'occupant autrichien ne cessait pas !
Au moment de la première représentation de Jenufa à Prague en 1916 qui lui assura la reconnaissance nationale et internationale, Leoš, alors âgé de 62 ans, tomba amoureux de Gabriela Horvatova, la mezzo soprano interprète du rôle de Kostelnicka. Son talent entraîna certainement le succès de l'opéra. Leoš y fut sensible, comme il fut sensible aux qualités de la femme. Un échange épistolaire s'instaura, renforcé par des rencontres fréquentes. L'estime se transforma rapidement en amitié, puis en amour. Amour partagé.
Cette époque fut l'occasion d'une crise encore plus grave que les précédentes. Les deux époux envisagèrent une procédure de divorce. Mais au mois de juillet 1917, Leoš fit la connaissance de Kamila Stosslova, au cours de sa cure à Luhacovice, en Moravie et l'ardeur qu'il mettait dans ses relations avec Gabriela décrut. Zdenka pensa que la crise était passée et suspendit la procédure de divorce.
La vie de couple reprit. Mais l'artifice de cette vie devint plus grande que jamais. Certes, Zdenka et Leoš donnaient l'apparence de l'accord entre eux puisqu'ils recevaient ensemble certains amis, anciens ou nouveaux, dans leur maison de l'école d'orgue. Par contre, quand la nuit venait, Zdenka gagnait la chambre à coucher dans la maison tandis que Leoš traversait le jardin et rejoignait la chambre qu'il s'était aménagée dans l'école d'orgue !
En privé, la situation du couple était claire. En public, chacun des deux protagonistes se réfugiait dans l'ambiguïté. Tantôt, ils paraissaient côte à côte dans des manifestations culturelles publiques, tantôt ils vivaient séparément. Si bien que, la plupart du temps, Zdenka restait à Brno ou rendait visite à ses parents à Vienne, tandis que Leoš effectuait sa cure estivale à Luhacovice, ou passait quelques semaines à Hukvaldy, chez ses amis Sládek ou chez sa sur Josefa. Leoš effectuait seul les voyages à Prague, à Vienne, dans d'autres villes tchèques à l'occasion d'un concert ou d'une représentation de Jenůfa.
Cependant, au Festival de la société internationale de musique à Venise, Zdenka accompagna Leoš en 1925 de même qu'à plusieurs reprises, Zdenka passa des vacances à Hukvaldy avec Leoš.
En 1926, les 10 et 11 juillet, le village d'Hukvaldy rendit un hommage officiel à son illustre enfant en apposant une plaque commémorative sur l'école qui l'avait vu naître et en organisant une cérémonie avec discours et concerts.
Au fur et à mesure que les années passaient, les sentiments de Leoš envers Kamila se firent plus affectueux, plus aimants, plus amoureux. Sur la fin de la vie de son mari, Zdenka surprit une lettre qui ne lui laissa plus aucun doute sur la nature des sentiments de Leoš envers Kamila.
Alors que Kamila se trouvait en villégiature avec un de ses fils dans la maison de Leoš à Hukvaldy, quelle gêne Zdenka dut ressentir lorsqu'elle reçut un premier télégramme de Kamila, le 12 août 1928 lui apprenant la gravité de l'état de santé de son mari et quelques heures plus tard un deuxième télégramme lui annonçant cette fois-ci le décès !
Elle lui survécut dix ans. En 1935, elle rédigea ses mémoires parues sous le titre « Ma vie » (traduites seulement en langue anglaise).
Zdenka ne joua pratiquement aucun rôle dans la vie musicale de Leoš. Si Leoš l'entretenait de ses aspirations, de ses compositions pendant la durée de leurs fiançailles, s'il lui dédia en 1880 ses Variations Zdenka pour piano, si cette complicité dura jusqu'à la naissance d'Olga, par la suite, jamais elle ne parut inspiratrice d'une nouvelle uvre.