Lieux d'habitation de Leoš Janáček

Si un compositeur resta fidèle à une seule ville, ce fut bien Janáček, puisque de manière quasi permanente il habita à Brno de 1865 jusqu'à sa mort en 1928, soit pendant soixante trois ans.

Il connut un logement collectif dans les bâtiments du couvent des Augustins (n. 9, sur le plan) durant les quatre années pendant lesquelles il suivit des études musicales et générales.

Pour la suite de ses études à l'Institut pédagogique, était-il logé dans ce bâtiment ou ailleurs, je n'ai pas de réponse. Pas plus que de 1872 à 1880, époque où il dirigea successivement la chorale Svatopluk et la chorale de la Beseda brnenska. Il logeait probablement dans une chambre chez l'habitant ici ou là dans la vieille ville de Brno continuant sans doute à prendre ses repas au couvent. On sait cependant qu'il partagea pendant un temps le logement de sa mère au 15 de la rue Mestanska, c'est-à-dire non loin du couvent des Augustins. De retour du conservatoire de Vienne, vers la fin du mois de juin 1880, il prit une chambre chez la famille Freyschlag dont le logement faisait face à l'auberge "Au lion bleu", toujours dans la même rue Mestanska.

En 1881, après son mariage avec Zdenka Schulzova, fille du Directeur de l'Institut pédagogique, sorte d'équivalent d'une École Normale départementale française, en août, il emménagea au n. 46 de la rue Mestanska, aujourd'hui rue Krizova (n. 20, sur le plan). En fait, ce fut Emilian Schulz, son beau-père, qui trouva ce bel appartement, et suivant la brève description de Zdenka, il comportait quatre pièces au premier étage d'un bâtiment de cette rue. Cet appartement reçut un piano Ehrbahr, choisi par Leoš, piano qui appartenait au trousseau de sa jeune épouse. L'année passée dans ce logement alors que Leoš enseignait à l'Institut pédagogique, dirigeait les choeurs du Couvent des Augustins, répétait avec l'orchestre de la Beseda brnenska et préparait le démarrage de son École d'Orgue, représenta sans doute la seule année de bonheur relatif des jeunes mariés.

La veille de la naissance de leur premier enfant, Olga, le 15 août 1882, le couple déménagea au n. 2 de la place Klasterni (place du couvent), aujourd'hui Mendlovo namesti, à quelques mètres du Couvent des Augustins, premier lieu d'accueil pour Leoš. ((n. 21, sur le plan)

Place Klasterni
La maison dans l'angle de la place Klasterni portant le n. 2.
Leoš Janáček et sa famille y habitèrent de 1882 jusqu'en 1910. La Besedni Brnenska possédait son siège dans cet immeuble.
Ce bâtiment n'existe plus.

Zdenka décrit ainsi cet logement : "les pièces étaient belles, mais l'appartement manquait de confort, de commodités sanitaires. Cependant, il avait quatre pièces. Notre appartement n'avait pas de salle de bain, ni de douche. Pour l'eau, on devait la tirer d'une pompe dans la cour. Nous nous éclairions avec une lampe à pétrole. Le plus gros problème venait des toilettes. L'écoulement était en bois et des rats d'égouts le parcouraient."

Le couple resta près de trente ans dans cet appartement dans le vieux quartier de Brno, dominé par la silhouette du château de Spilberk. Leur deuxième enfant y naquit en 1888 et y mourut deux ans plus tard. La pauvre Olga y connut pendant l'hiver 1902 - 1903 son agonie. Cet appartement fut le lieu où Janáček composa ses quatre premiers opéras, dont Jenufa ainsi que deux pièces importantes pour le piano Po zarostlem chodnicku (Sur un sentier recouvert) et la Sonate, et de nombreux choeurs qui établirent son début de notoriété. Ce fut ici qu'il écrivit une grande partie de ses commentaires sur la musique populaire moraves et prépara les éditions de chants populaires avec son collègue František Bartoš.

Dans ce même bâtiment, Zdenka sympathisa avec une de ses voisines, Mme Bartosova, veuve et ses deux filles Fedora et Dana dont la première devint amie assez intime d'Olga et qui collabora avec Léos, écrivant à sa demande la livret de son quatrième opéra, Osud (le Destin).

De cet appartement, Leoš se rendait chaque jour de travail à l'École d'Orgue, proche de son domicile. Mais le succès et la croissance de cette école rendirent nécessaires un déménagement qui l'éloigna quelque peu du domicile du maître et un second déménagement encore plus loin de la place Kasterni. L'âge venant, les trajets devinrent de plus en plus pénibles si bien que, sur les conseils des médecins, lorsque l'École d'Orgue élut domicile rue Giskrova, aujourd'hui rue Kounicova, Janáček prit conscience qu'il lui faudrait déménager et se rapprocher au plus près de son lieu de travail.

Remarquons, en ce qui concerne les lieux d'habitation, la fidélité de Janáček au quartier du Vieux Brno, une fidélité qui dura plus de quarante ans, époque du couvent des Augustins dès 1865, des différents logements dans la rue Mestanska, et de la place Klasterni jusqu'en 1910.

Cette dernière année, le 2 juillet, le couple quitta son logement pour rejoindre son dernier toit, une petite maison construite dans le jardin, à l'arrière de l'École d'orgue (n. 22, sur le plan). N'allez pas imaginer un palais, même si la façade de l'École d'orgue avec ses colonnes surmontées de chapiteaux corinthiens pouvait le laisser supposer. Le bâtiment d'habitation apparaît comme assez modeste quand bien même il présentait comme double avantage d'être un lieu légèrement retiré de l'agitation de la ville et d'apparaître comme un - petit - îlot de verdure avec son jardin ! Le printemps venu, Janáček assistait à un concert... de chants d'oiseaux à qui les arbres fruitiers et les plantes offraient le gîte et le couvert ! Ce logement disposait, suprême avantage, de l'éclairage électrique !

Maison EO
La "maisonnette" derrière l'École d'Orgue, photographiée en 2000 alors que le bâtiment du Musée (ex École d'Orgue, ex Conservatoire) se trouvait en réparations (on aperçoit les échafaudages sur la droite).

Marie Stejskalova, au service des Janáček depuis 1894, présenta ce lieu et expliqua comment se déroulait sa vie et celle de ses maîtres, Leoš et Zdenka.

"Il ne pouvait y avoir de meilleur endroit pour vivre que notre maisonnette comme nous l'appelions et comme chacun commença à l'appeler, d'abord à l'École d'Orgue, ensuite dans tout Brno. L'accès à la maison se faisait par la rue Haberlerova (aujourd'hui Smetanova) par une large porte en claire-voie, face aux Jardins Botaniques, en traversant la cour de l'École d'Orgue et le jardin sur la gauche. Le Maître l'avait séparé du reste de la cour par une barrière métallique basse avec une porte sur le chemin que, plus tard, nous bordâmes de fleurs, pour la plupart des iris ; il y avait une rocaille près de l'entrée de la maison. L'ombre et la fraîcheur étaient idéales pour les fougères que les élèves de l'École d'Orgue nommaient "les doigts du diable". Elles nous arrivaient à la taille, la famille les avait ramenées d'Hukvaldy. Parsemées parmi elles, des touffes de muguet poussaient. Tout le long de la barrière sur la rue Haberlerova, il y avait des buissons de lilas blancs et pourpres. Quand ils s'épanouissaient au printemps, toute la maison et toute l'école en étaient parfumées et nous avions ainsi de grands bouquets de fleurs dans toutes les pièces ; nous distribuions du lilas à qui en voulait.

Il y avait quelques arbres fruitiers dans le jardin, deux poiriers, un prunier, un abricotier, un cerisier ; les pommiers s'adaptaient mal. A côté de la maison, près de la barrière du jardin du séminaire voisin, poussait un noisetier. Il poussait tellement que bientôt il dressa ses branches si haut que nous fûmes incapables de ramasser les noisettes de ses plus hautes branches. Aux endroits ensoleillés, nous plantions les légumes les plus indispensables pour la cuisine.Tous les trois, nous aimions y travailler : le maître prenait lui-même en charge les vignes situées contre le mur du séminaire, il dressait l'échelle pour cueillir les fruits et il aimait regarder croître les concombres.

Il y avait un autre jardin s'étendant entre la rue Giskrova (aujourd'hui Kounicova) jusqu'à la fenêtre du bureau du maître, mais là, entre l'École d'Orgue et la villa Engelmann, il y avait trop d'ombre pour que les plantes y poussent. Aussi le jardinier Reiching, qui entretenait la tombe d'Olga, y sema de la pelouse et planta quatorze buis selon les souhaits du maître.

Nous étions de plus en plus contents de notre petite maison au fur et à mesure que passaient les jours, surtout quand l'école recommençait. Alors de la maison nous pouvions entendre l'orgue et la cour, particulièrement le banc vert à côté de l'arche d'entrée, était pleine d'animation. Cet espace était toujours empli de joie de vivre et de voix rieuses quand les élèves attendaient dehors avant et après les leçons. Les professeurs, surtout les dames, faisaient un saut chez nous pour discuter, peut-être pour échanger quelques paroles avec la maîtresse. Ainsi, nous étions au courant de tout ce qui se passait à l'École. Nous étions contents de cette vie animée.

L'hiver passa calmement et quand le printemps arriva il nous révéla combien il faisait bon vivre ici. Le jardin botanique distillait une profusion de senteurs dès le matin et quand nos lilas fleurirent, ils embaumaient toute l'atmosphère. Et beaucoup de chants de merles, de grives et de pinsons et d'autres oiseaux dont je ne connais pas le nom, égayaient la maisonnette."

Maison EO 1927
Leoš Janáček en 1927 devant l'entrée de la "maisonnette".

Svatava Pribanova, conservateur du Musée morave, musicologue renommée et qui a consacré son temps à faire connaître Janáček, décrit l'intérieur de la maisonnette. "L'appartement dans la maison derrière l'École d'Orgue avait trois pièces, sa façade était orientée vers le nord et donnait dans le jardin. L'entrée de la maison était constituée par une véranda d'où une porte donnait dans la cuisine, l'autre dans l'antichambre ; d'ici on entrait au salon et de là dans le cabinet de travail de Janáček. Entre le cabinet de travail et la cuisine il y avait une chambre à coucher qui - tout comme la cuisine - n'avait pas de lumière du jour. Apparemment, l'architecte a du respecter la vie privée des voisins et n'a pu situer les fenêtres de la maison au côté sud plus chaud. Pour cette raison, madame Janáček a décoré la chambre à coucher et la cuisine de nappes blanches à la broderie populaire pour éclaircir de quelque sorte les pièces sombres."

Plan appart EO
plan de la "maisonnette" à l'époque où Leoš et Zdenka Janáček y vivaient.

Ici donc, Leoš Janáček vécut les 18 dernières années de sa vie. Cependant, à partir de 1921, il s'échappa plus souvent de Brno pour se réfugier à Hukvaldy dans la maison qu'il avait rachetée à sa belle-soeur. (n. 8 du plan d'Hukvaldy)

Dans ce pavillon naquirent ou furent mis au point les chefs-d'oeuvres de la maturité, ceux qui portèrent la notoriété du compositeur au plus haut. Citons simplement parmi eux les opéras Kata Kabanova, Prihody Lisky Bystrousky (La petite renarde rusée), Vec Makropoulos (L'Affaire Makropoulos) et Z Mrtvého Domu (De la Maison des Morts). Ajoutons que Janáček, lorsqu'il travaillait à son bureau, se trouvait sous le regard de sa fille Olga et du compositeur Antonín Dvořák son aîné dont il avait disposé les photographies à portée de vue.

Dans ce même bâtiment, aujourd'hui musée consacré à la mémoire du grand compositeur morave, on peut visiter le cabinet de travail avec ses meubles, ses bibelots, ses tableaux, le piano tel qu'ils étaient disposés du temps de Janáček.

Joseph Colomb - juin 2004

Retour au plan de Brno  |   Retour vers le chapitre Janáček  |   Accueil du site